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ONU : Réponse de la Syrie au projet de résolution initié par la France et soldé par un quatrième véto sino-russe
mercredi 28 mai 2014
Le 22 mai 2014, à l’initiative de la France, un projet de résolution visant à renvoyer « le dossier syrien » au procureur de la Cour Pénale Internationale [CPI] a été soumis au Conseil de sécurité des Nations Unies [1] [2]].
Pour mémoire, voici la réponse du Docteur Bachar al-Jaafari, délégué permanent de la Syrie auprès des Nations Unies.
Au nom du gouvernement de la République arabe syrienne, j’exprime nos sincères condoléances au gouvernement et au peuple du Nigéria pour le malheur qui a frappé ses deux villes, Kano et Jos, suite aux attentats terroristes qui ont emporté la vie de centaines de civils innocents, ainsi que toute notre sympathie aux familles des victimes. Et si c’est par ces mots que je prends la parole, c’est bien parce que nul, autour de cette table ronde, ne peut ressentir l’atrocité du terrorisme autant que le peuple syrien.
Monsieur le Président, les modalités d’approche de la situation syrienne, par certains États présentateurs de ce projet de résolution, me rappellent « L’Étrange cas du Dr Jekyll & M. Hyde » de l’écrivain écossais Robert Stevenson. Car, ils ont beau chercher à jouer le rôle du bon docteur Jekyll en clamant leurs principes philanthropes, c’est en réalité le monstrueux M. Hyde qui les anime lorsqu’ils s’associent pour soutenir le terrorisme qui frappe mon pays et collaborent pour saigner davantage de Syriens, tout en se lamentant face à l’hémorragie
Monsieur le Président, les mains de M. Hyde ruissellent du sang des Syriens, alors même qu’il se prétend « Ami du peuple syrien ». J’en veux pour preuve les propos tenus récemment, au Caire, par l’ancien chef de la dite « Coalition de l’opposition syrienne » [3], lequel vient d’être évoqué par mon collègue représentant la Fédération de Russie. Je cite :
« La moitié de ceux qui se présentent comme étant les amis de la Syrie ne sont que des imposteurs, des menteurs et des hypocrites. Ce sont eux qui nous ont précipités dans la situation où nous sommes… L’Occident cherche la partition de la Syrie ».
Voilà ce qu’a déclaré l’ancien chef de la « coalition de Doha », notoirement fabriquée, conditionnée et emballée dans certaines capitales bien connues de tous.
Les hasards du calendrier font qu’aujourd’hui coïncide avec ce jour de 1945 où la délégation syrienne, participant à la Conférence de San Francisco pour la mise en place de la Charte de l’Organisation des Nations Unies, a réussi à forger l’article 78 garantissant que la Syrie ne saurait être soumise à la tutelle française [4]. Le résultat de l’adoption de cet article, Mesdames et Messieurs, fut que les forces d’occupation françaises bombardèrent le Parlement syrien, le 29 mai 1945, et massacrèrent toute sa garnison ! [5]
Aujourd’hui, vu les circonstances, et étant donné l’imprescriptibilité des crimes de guerre [6], contrairement à ceux que nous venons d’entendre, nous appelons le Conseil de sécurité à demander des comptes au gouvernement français pour ses crimes contre les Syriens et les peuples des nombreux pays que la France a occupés et dont elle a pillé les ressources.
Et, de notre côté, nous demandons au gouvernement français de présenter des excuses publiques pour l’ensemble des exactions de son « ère colonisatrice » ainsi que le versement d’indemnités au peuple syrien. De plus, nous lui affirmons que le peuple syrien n’est pas prêt d’oublier l’accord de Sikes-Picot qui a abouti à ce que la France arrache le Sandjak d’Alexandrette à la Syrie, pour le céder à la Turquie, dans l’espoir qu’elle renonce à entrer en guerre aux côtés de l’Allemagne ainsi qu’ils l’ont prétendu ; comme il n’oubliera pas que c’est la France qui a introduit le terrorisme nucléaire israélien dans notre région au cours des années cinquante du siècle dernier.
Monsieur le Président, la première donnée qui est au fondement juridique du droit international est qu’il régit des rapports entre États souverains, lesquels États assument la responsabilité exclusive du droit interne reposant sur une autorité publique, garantie par leur système juridique qui en en assure le respect sur leurs territoires respectifs. Par conséquent, et suite aux événements malheureux vécus par mon pays, le gouvernement syrien a pris une série de mesures visant à poursuivre les responsables, à les juger, et à les condamner s’il y a lieu. Un Comité national, chargé d’enquêter sur ces événements, travaille conjointement avec la justice syrienne depuis le début de la crise sur des milliers de cas. Plus précisément, 30 000 enquêtes, procès, et jugements ont eu lieu ou sont en cours.
Ce qui confirme la volonté et la capacité du gouvernement syrien à assurer la justice sur son sol, et contredit n’importe lequel des prétextes évoqués pour justifier l’ingérence de n’importe quel organe judiciaire international, dans le but de s’accaparer des compétences qui relèvent de la justice nationale. D’autant plus que la crise syrienne a démasqué l’étendue des « deux poids deux mesures » dominant l’ONU, devenue un outil entre les mains de certains États pour en agresser d’autres, au nom de la Justice et de la loi.
C’est dans l’esprit même de cette dernière dérive qu’un groupe de pays membres a pris l’initiative de présenter le projet de résolution qui vient de nous être soumis. C’est un texte politique et discriminatoire, un texte d’ingérence par excellence. Il a pour but de parasiter les prochaines élections présidentielles, de rebattre les cartes, d’attiser la crise, et de répondre à certains objectifs médiatiques pour la façade, en plus de chercher à entrainer le Conseil de sécurité dans le cortège de l’hystérie haineuse dont ce groupe témoigne à l’égard de l’État et du peuple syrien, sans oublier les tentatives désespérées de certains pour leur imposer une tutelle révolue.
Nous disons qu’en plus de mépriser la volonté des citoyens Syriens, ce texte est en flagrante contradiction avec les déclarations répétées du Conseil de sécurité qui s’est fortement engagé à respecter la souveraineté de la République arabe syrienne, son indépendance, l’unité et l’intégrité de son territoire, tout en insistant sur une solution politique à la crise sous direction syrienne.
Nous disons aussi que tous les arguments présentés par les États qui appellent le Conseil de sécurité des Nations Unies à renvoyer le dossier syrien au procureur de la CPI, ne sont que des allégations fallacieuses et politiciennes, totalement contraires à la vérité. Et si elles sont appuyées par diverses organisations onusiennes, il faut savoir que ces organisations ont sciemment ignoré les informations, les plaintes, les preuves et comptes-rendus documentés, avancés par le gouvernement syrien ; ce qui témoigne de leur participation effective aux agendas des États engagés dans la campagne d’agression contre mon pays.
Monsieur le Président, la Syrie croit en la justice pénale internationale et a été l’un des acteurs convaincus de la « Conférence de Rome » qui a travaillé à définir les règles de fonctionnement de la CPI. Elle a été l’un des premiers signataires du « Statut de Rome ». Mais si elle ne l’a pas ratifié, c’est bien parce que sa vision de cette justice était qu’elle devait être nécessairement générale, éloignée des doubles standards, de toute politisation et de toute discrimination. Partant de ces convictions, elle avait demandé à inclure le « crime d’agression » puisqu’il est la source de tous les autres crimes. Mais cela lui avait été refusé, d’où son abstention.
Et aujourd’hui, concernant la Syrie, le gouvernement de la République arabe syrienne vient affirmer que le respect de cette justice internationale exige :
Premièrement : De juger la responsabilité des gouvernements de la Turquie, de l’Arabie Saoudite, du Qatar, de la France, d’Israël, et d’autres pays qui ont incité à la violence publique et au terrorisme en Syrie, de n’importe quelle manière que ce soit, y compris, l’accueil, le financement, l’armement, ou l’entrainement des mercenaires terroristes venus par milliers de tous les coins de la planète, et sur les crimes desquels ils ont fermé les yeux allant jusqu’à les présenter comme des « opposants modérés »
À ce propos, je porte à votre attention une information donnée par le chef d’état-major des forces aériennes libyennes. Il a déclaré, hier [21 mai], que l’organisation Al-Qaïda de Libye, et la faction des Frères Musulmans en Libye, avaient organisé 224 voyages aériens à partir de l’aéroport de Tripoli, pour transporter ce type de mercenaires vers la Syrie via la Turquie.
Monsieur le Président, aucune justice internationale n’est possible, tant que certains États continueront à violer les lois internationales et les résolutions du Conseil de sécurité en rapport avec la lutte contre le terrorisme, sans aucune limite. Le terrorisme est un crime, qui que soit le criminel, et quel que soit son objectif. Et tout comme le terrorisme pratiqué par Boko Haram au Nigéria est condamnable et doit être combattu, il est impératif de combattre ses homologues couvés et entraînés par Israël dans la zone de séparation entre Israël et la Syrie, sur le Golan occupé, avec l’assistance d’un pays arabe voisin, ce que nous regrettons.
Quant à la Turquie, est-il besoin de rappeler qu’elle se charge de la même besogne dans le Nord, tandis que nombre de gouvernements arabes et occidentaux arment ces mercenaires terroristes au vu et au su des Nations Unies ?
Ils ont commis les pires crimes qui pèseront lourd sur la conscience de l’humanité, leur dernier ayant consisté à priver Alep, une ville de trois millions d’habitants, d’eau potable et de toute possibilité d’assainissement. Nous aurions aimé que les États qui cherchent à envoyer l’État syrien devant la CPI avancent le moindre projet pour lutter contre le terrorisme dont souffrent les Syriens.
Deuxièmement : De juger les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité, les actes d’agression et d’annexion largement documentés, commis par les autorités d’occupation israéliennes dans les territoires arabes occupés, y compris le Golan, depuis bientôt sept décennies, avec le soutien de membres permanents du Conseil de sécurité ; soutien qui a permis aux criminels de guerre israéliens d’échapper à une juste condamnation et de continuer à bloquer toute initiative visant à les mettre en question.
Troisièmement : De mettre un terme à toutes les tentatives de contournement des lois internationales par toutes sortes d’immunités que se sont octroyées certaines grandes puissances dans le but d’échapper à tout questionnement, malgré leurs violations des Droits humains et malgré tous les crimes perpétrés, alors qu’ils sont membres de l’ONU, pour exécution de leur agenda colonial et de leurs ambitions hégémoniques. D’ailleurs, Abu Ghraib, Guantanamo, le bombardement de l’ambassade chinoise à Belgrade, les fleuves de sang en Libye, les prisons secrètes volantes, l’assassinat de civils innocents par des drones, les entreprises de mercenaires telles que Blackwater en Irak, etc,etc, ne sont-ils pas autant d’exemples frappants des doubles standards pratiqués pour échapper à une juste condamnation ?
Le comble de l’ironie est atteint lorsque ces mêmes États, qui se posent en législateurs en dehors de leurs frontières, imposent des sanctions à la Présidente du comité national de secours, en Syrie. Imaginez les préoccupations humanitaires de ces gens là ! Je renvoie cette sanction devant la Secrétaire générale adjointe aux affaires humanitaires et Coordinatrice des secours d’urgence de l’ONU, Mme Valérie Amos, qui connait fort bien notre compatriote dont le travail nous honore. Peut-être pourra-t-elle faire quelque chose.
Ce dernier procédé, est en lui-même suffisant pour miner la crédibilité des auteurs de ce projet de résolution, et témoigne de leurs intentions malfaisantes et de leurs motivations belliqueuses.
Et puisque nous parlons de la sanction dirigée contre la Présidente du comité national de secours, rappelons qu’ils avaient usé du même procédé scandaleux, il y a un an, contre le ministre en charge de l’électricité du pays, sauf qu’en ce qui le concerne nous ne pouvions recourir qu’au tribunal de Thomas Edison.
Monsieur le président, une fois de plus, la délégation de mon pays réaffirme à tous ceux qui prétendent se soucier de la Syrie et des Syriens, que la meilleure façon de les aider est claire et limpide. Elle consiste à déployer des efforts sérieux et sincères pour la lutte contre le terrorisme qui vise son État et son peuple, et à soutenir les efforts de ceux qui cherchent une solution politique conformément au processus de Genève. Lequel processus repose sur le dialogue entre les Syriens, eux-mêmes, pour aboutir au rejet de la violence et à la formation d’un gouvernement d’unité nationale, loin de toutes les tentatives d’ingérence étrangère de la part de ceux qui veulent imposer leur propre agenda ou leur tutelle. Ceux-là ne cherchent aucun bien, ni pour la Syrie, ni pour son peuple.
Alors que les Syriens qui ont décidé de se diriger vers les urnes pour élire un président, le font pour protéger leur pays du terrorisme, du chaos prétendument constructeur, et des tentatives visant le concept même de l’État souverain.
Pour finir, Monsieur le Président, l’actuel gouvernement de la France a sans doute mal compris la célèbre phrase de Jean-Paul Sartre disant « L’enfer c’est les autres », puisqu’il semble croire que l’enfer est toujours chez les autres, alors que le philosophe français a voulu aussi dire que l’enfer c’est peut-être toi. C’est peut-être le regard que tu portes sur les autres ou la manière dont tu te comportes avec autrui…
Le gouvernement français devrait donc se regarder, il pourrait voir l’enfer en lui-même, non chez les autres.
Je vous remercie, monsieur le président.
Dr Bachar al-Jaafari
22/05/2014
Source : Vidéo You Tube / TV Syria
http://www.youtube.com/watch?v=DrDPq6bzctE
Transcription et traduction de l’arabe par Mouna Alno-Nakhal pour Mondialisation.ca
[1] Qui est contre la justice en Syrie ? Par Laurent Fabius
http://www.lemonde.fr/idees/article/2014/05/22/qui-est-contre-la-justice-en-syrie-par-laurent-fabius_4423609_3232.html
[2] Un Texte plus explicite que l’article de Laurent Fabius dans « Le Monde… des idées » !
http://www.iccnow.org/documents/PGA_Press_Release_Syria_Referral_UNSC_FR.pdf
COMMUNIQUE DE PRESSE : Les membres de PGA appellent le Conseil de sécurité des Nations Unies à renvoyer la situation en Syrie au procureur de la Cour pénale internationale. [19 mai 2014
[4] Article 78 de la Charte de San Francisco du 26 Juin 1945
http://mjp.univ-perp.fr/traites/onu1945.htm#12
« Le régime de tutelle ne s’appliquera pas aux pays devenus membres des Nations unies, les relations entre celles-ci devant être fondées sur le respect du principe de l’égalité souveraine. »
[5] Syrie mandataire
http://fr.wikipedia.org/wiki/Syrie_mandataire
La France et la Syrie ont signé en 1936 un traité franco-syrien d’indépendance, mais dans les faits le mandat a continué d’exister car la France n’a pas ratifié le document. La Syrie a déclaré son indépendance en 1944… Le 3 janvier 1944, la France reconnaît officiellement la souveraineté de la Syrie et du Liban. Néanmoins, l’affrontement entre Français et Syriens est proche. Le Baath a créé des équipes de “Jihad nationale” dont le rôle est de mobiliser les bases populaires contre l’autorité française. Le 29 mai 1945, après dix jours de manifestations ininterrompues, les Français, sous l’ordre du général Fernand Olive, dit Oliva-Roget19bombardent Damas pendant 36 heures d’affilée. Les morts et les blessés se comptent par centaines20. Une partie de la ville est détruite par ce bombardement dont le parlement syrien, et le quartier environnant qui est maintenant surnommé Hariqa, l’Incendie21.
[6] Convention sur l’imprescriptibilité des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité
http://www.ohchr.org/FR/ProfessionalInterest/Pages/WarCrimes.aspx