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Ramadhan 2018 : croyant qui rit, croyant qui pleure
dimanche 17 juin 2018, par
Le ramadhan 2018 est terminé depuis deux jours. C’est le mois sacré pendant lequel les gens éprouvent le besoin d’améliorer leur ordinaire alimentaire. Les habitudes enracinées depuis la nuit des temps sont ce quelles sont. Si la viande n’orne pas l’assiette, la chorba ne sera pas dégustée avec plaisir malgré une longue journée de jeûne.
Les familles à revenu modeste se saignent pour s’offrir un repas convenable et réparateur. La consommation a donc tendance à augmenter. De même que les achats de chaussures et de vêtements neufs pour les enfants connaissent une hausse les jours précédant l’Aïd.
C’est là que la chaîne des marchands impitoyables les attend en embuscade. Sans foi ni loi, détenant un monopole de fait sur la distribution des légumes et des fruits depuis les champs jusqu’au grossiste, ils font flamber les prix et leurs profits. Déjà que pour la plupart ils s’ingénient à ne verser aucun sou aux impôts bien qu’ils soient les premiers à brailler leur colère si la mairie n’a pas assez d’argent pour enlever les ordures qu’ils laissent traîner sur les trottoirs.
Entre la veille du ramadhan et le lendemain, le prix de la tomate, légume indispensable à cette fameuse chorba, pour ne reprendre que cet exemple, avait plus que doublé, passant de 60 à 150 dinars. La viande bovine locale s’est vendue entre 1700 et 2000 DA le kg, si l’on excepte ses parties les « moins nobles », soit plus de 10% du salaire minimum. Rien n’a échappé à la voracité des spéculateurs, pas même la coriandre dont le prix du bouquet est passé d’un seul coup de 20 à 40, voire 50 dinars. Tout est source de surprofits en ce mois de piété.
Optimiste béat, le ministre du Commerce s’était aventuré à pronostiquer une baisse importante des prix dès la fin de la première semaine. Il n’en fut rien. On expliqua la persistance de cette flambée par le mauvais temps mais pas par le diktat des intermédiaires dont les alliés ont pris en main tous les rouages de l’Etat depuis des lustres.
Ramadhan, mois de la rahma, répètent à l’envi les hommes du culte. Mais pour qui ? Certainement pas pour le salarié payé à un salaire minimum soi-disant « garanti » qui n’a pas bougé d’un centime depuis 6 ans. Certainement pas pour les innombrables travailleurs d’un secteur privé qui, sans pitié, ne respecte pas ce minimum.
Des imams « cultivés » prodiguent des conseils religieux pour consoler les citoyens frustrés de ne pouvoir manger de la viande au moins une fois par semaine. Ils vantent aux fidèles les bienfaits du lait que « Dieu a mis à la portée des pauvres » : il contient des protéines à bon marché, leur précisent-ils. Dieu, insistent-ils, a pensé à cette majorité des citoyens qui a du mal à boucler ses fins de mois. Voilà le type de discours adressé aux démunis de la société. Il est de plus en plus répandu pour dissuader les « envieux » de faire éclater leur colère en s’attaquant aux inégalités croissantes et à ceux qui les incarnent.
Sauf que ces imams « éclairés » oublient que même le lait subventionné par l’Etat est difficile à trouver. Les producteurs privés de lait ont créé la pénurie. ils utilisent la poudre de lait importée à un prix soutenu par l’Etat, pour faire des produits laitiers vendus au prix libre. Au point que le pouvoir résigné à satisfaire la folie des surprofits de sa base sociale a fini par autoriser l’importation de quantités de lait en poudre supplémentaires, en dépit du déficit de la balance commerciale.
Les Imams sont d’habitude prolixes quand ils fulminent contre ceux qui n’observent pas les principes de l’Islam, tels qu’ils les conçoivent, ceux qui boivent du vin ou ne font pas la prière, seraient attirés par le chiisme ou tentés de changer de religion. Ils blâment le père qui n’exige pas du prétendant de sa fille qu’il fasse la prière, mais ne trouvent rien à redire s’il la marie à un corrompu, à un trafiquant ou à quelqu’un qui profite du ramadhan pour grossir ses bénéfices.
Pendant ces 29 jours du ramadhan, on n’a pas entendu un seul d’entre eux dénoncer les spéculateurs et le gain facile accumulé sur le dos des travailleurs. Les questions sociales révélatrices des antagonismes de classe sont soit ignorées dans les prônes, soit abordées sous un angle qui évite de désigner les profiteurs de la société.
On a eu une illustration de l’instrumentalisation de la religion par les défenseurs de l’ordre social bâti sur l’exploitation de ceux qui n’ont que leur force de travail pour vivre.
Khaled Safi