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Syrie : Alain Juppé ne défend pas les minorités... il fabrique des révolutions

L’héritage occidental pousse au raisonnement colonialiste

mardi 10 avril 2012

Pour envahir l’Irak, les dirigeants des États unis se sont ouvertement servis de l’opposition « extérieure ». Avant même le retrait de leur armée, ils reconnaissaient que ce choix a été à l’origine de nombreuses erreurs d’appréciation qui, sur le terrain, leur ont coûté très cher. Aujourd’hui, tout ce qui leur reste est le prix exorbitant d’une guerre qui était censée ne durer que quelques mois.

Il ne semble pas que cette leçon ait servi à l’OTAN et à ses alliés, et surtout pas à notre ministre des Affaires étrangères. Non seulement il use du même procédé en espérant faire passer le Conseil d’Istanbul, de Tunisie, ou de l’Union Européenne [le CNS] pour le représentant légal du peuple syrien qui le rejette ; mais il ose s’adresser aux chrétiens du Moyen-Orient en tant que protecteur alors qu’il est clair qu’il n’en fera pas des « collabos » ; attitude qu’en bon gaulliste il devrait considérer comme allant de soi.

En effet, dans une tribune intitulée « Les chrétiens d’Orient et les printemps arabes Les chrétiens d’orient et les printemps arabes par Alain Juppé [1]
 », Monsieur Juppé appelle les chrétiens de Syrie à « participer » à sa propre vision de la Syrie future et leur assure qu’il a beaucoup insisté sur la question du respect des « minorités » auprès du CNS « qui a vocation à rassembler l’opposition syrienne ». Il ignore que, malgré les attaques terroristes, le peuple syrien vient d’adopter une Constitution qui démontre, entre autres, qu’une solution politique est possible… CNS ou pas.

Dans une interview télévisée sur la chaîne ANB, Monsieur Michel Samaha, homme politique libanais et ancien ministre de l’information, répond à sa sollicitude et à sa notion de « minorités »… si inattendue de la part d’un ministre d’État français où la laïcité fait loi.

Mouna Alno-Nakhal (Biologiste)

07/02/2012

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Non… Alain Juppé ne défend pas les minorités

Non… Alain Juppé ne défend pas les minorités lorsqu’il écrit : « Les chrétiens d’Orient sont inquiets. Inquiets pour la pérennité de leur présence dans une région qui est leur région depuis 2000 ans. Inquiets pour le respect de leurs droits dans un contexte de bouleversements majeurs. Inquiets face à la montée des tensions liées au confessionnalisme. Je veux leur dire que j’entends, que je comprends leurs craintes ».

Je voudrais rappeler que Juppé n’est pas De Gaulle pour se permettre de déclarer un « Je vous ai compris » équivalent à celui adressé autrefois aux Algériens réclamant leurs droits nationaux… Il n’est pas De Gaulle et il ne s’adresse pas aux Algériens…

Je dis qu’il a fait alliance et a fabriqué des révolutions désormais livrées aux Takfiristes. Les Takfiri sont des extrémistes islamistes adeptes d’une idéologie violente. Le terme "takfiri" signifie littéralement "excommunication". [2]… Je lui dis qu’il est responsable de la mise en pièces, aujourd’hui même, des croix tombales du cimetière chrétien en Libye [3]

Monsieur Juppé, vous en êtes responsable au même titre que l’État que vous représentez ; puisqu’avec Bernard Henri Levy, vous avez revendiqué avoir fabriqué et réussi la révolution libyenne. Est-ce là le modèle que vous nous proposez ?

Nous refusons vos propos, comme nous refusons que vous nous qualifiiez de minorités, alors que vous considérez les musulmans français comme des citoyens à part entière appartenant à une communauté particulière.

Nous ne sommes pas des minorités dans nos patries respectives… Nous sommes des citoyens en pleine possession de notre citoyenneté, mais nous sommes chrétiens et nous nous soumettons à Dieu à travers l’Évangile, tout comme le musulman se soumet à Dieu à travers le Coran… Cette coexistence nous convient depuis toujours… nous la vivons bien, et notre culture commune en est l’expression.

La question est : « Pourquoi monsieur Juppé a-t-il écrit cet article ? ». Il l’a fait, parce que l’Église catholique de France, et ceux qui sont concernés par ce qui se passe au Moyen-Orient, commencent à exprimer leur inquiétude face aux prises de position de la France… de son Ministère des Affaires étrangères… de son Président… autant de comportements qui mettent en danger ces soi-disant minorités… Or, que nous dit Alain Juppé ? <img260|right>

Il nous dit : « De fait, les chrétiens d’Irak ont payé un lourd tribut au cours des dernières années... ». Mais vous, qu’avez-vous fait ? Ils ont payé, en effet. Je ne veux pas me mêler de défendre tel ou tel régime, mais je dis que les chrétiens d’Irak n’ont pas payé ce tribut du temps de Saddam Hussein… Ils l’ont payé sous l’occupation américaine… Ils l’ont payé sous l’occupation de l’Occident colonisateur… Ils l’ont payé, et nous avec, comme tribut à l’extrémisme religieux Takfiriste qui les a menacés, assassinés, obligés à quitter leurs maisons et leurs quartiers… et qui a dynamité leurs églises en la présence de l’Occident… des soldats de l’Occident… des gouvernements de l’Occident. Les Irakiens ne sont pas responsables de cela… les responsables, c’est vous !

Vous poursuivez : « En Égypte, les coptes occupent une place particulière, enracinés dans la longue histoire du pays, ils ont souffert de violences, d’exactions, de discriminations… ». Votre Excellence et Monsieur le ministre des Affaires étrangères de la France… vous qui parrainez et prêchez pour une meilleure alliance avec les factions islamistes qui ont pris le pouvoir en Libye… que pensez-vous de ce qui s’est passé au moment des fêtes de Noël ? Pour la première fois dans l’Histoire de l’Égypte, des fatwas ont été prononcées pour interdire aux musulmans d’adresser leurs vœux aux chrétiens… les magasins tenus par des musulmans se sont vus interdire de vendre tout objet en relation avec cette fête… les chrétiens ont été maltraités dans leurs propres villages… Je ne suis pas pour les guerres de religion. Je ne suis pas pour le choc des civilisations. Je considère que le peuple égyptien est un et indivisible. Le musulman et le chrétien, égyptiens sont aussi des citoyens à part entière…

J’ai moi-même souffert de cette volonté manifeste de diviser depuis 1860 au Liban, division dont nous avons hérité génération après génération, et qui n’a cessé d’être renforcée par les consulats successifs des protectorats ottomans, puis occidentaux, distinguant des minorités : druze, chrétienne, catholique, orthodoxe, maronite, sunnite… tout en laissant de côté les chiites. Je sais comment les ambassades ont, de tout temps, nourri les guerres civiles usant d’étiquettes religieuses… comment les chefs de clans ont conduit à ce que le pays échappe à la concitoyenneté ? Mais, depuis toujours, la Syrie a su se prémunir contre ce type de problème, grâce à l’intelligence de son peuple et de ses dirigeants.

Nous ne voulons donc pas vous entendre dire que « la France ne les abandonnera pas »… Nous voudrions que vous nous laissiez tranquilles… Nous voudrions que vous cessiez de nous manipuler, que vous cessiez de jouer avec notre destin, et que vous vous comportiez exactement comme vous l’a conseillé le Patriarche Bechara el-RaÏ lorsqu’il vous a rendu visite et qu’un clash a eu lieu entre lui, vous, et le Président… parce qu’il n’était pas d’accord avec votre manière de nous considérer… Vous voulez nous aider ? Alors, aidez nos États, aidez nos citoyens, et travaillez à régler notre problème avec Israël…

Votre héritage occidental vous pousse encore aujourd’hui à raisonner comme la puissance colonialiste que vous avez été. Vous prétendez vouloir nous protéger, mais nous n’avons pas besoin de vous… Nous saurons parfaitement nous protéger les uns les autres, si vous arrêtiez de soutenir les Takfiristes dans nos pays… Vous dites que le régime du Président Al-Assad est dictatorial… Admettons… Mais vous… vous cherchez à le remplacer par ces mêmes Takfiristes à qui vous avez livré la Libye…Et désormais, une partie de l’Égypte… Sans oublier, ce dont je suis témoin, les problèmes que commence à vous poser la Tunisie…

Maintenant que vous avez fermé votre Ambassade en Syrie, alors que le Président Hafez el-Assad vous avait ouvert la porte en 1996… Je dois en conclure que vous avez décidé de quitter progressivement la Syrie et le Liban et, par conséquent, de renoncer définitivement à votre présence au Moyen-Orient. Soit.

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Michel Samaha

04/02/2012

Article transcrit et traduit de l’arabe par Mouna Alno-Nakhal

Articles de Michel Samaha publiés par Mondialisation.ca


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[2Les Takfiri considèrent les musulmans ne partageant pas leur point de vue comme étant des apostats…
http://fr.wikipedia.org/wiki/Takfirisme