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Syrie - L’ex directeur de la Sécurité libanaise, le général Sayyed met en garde l’Occident
jeudi 6 septembre 2012
Le Figaro : Le régime syrien est-il aux abois ?
Général Jamil SAYYED.- Contrairement à ce que dit la propagande diffusée par les télévisions satellitaires du Golfe et par les médias occidentaux, la Syrie est un État et cet État est fort. Cela fait dix-huit mois qu’on nous prédit le renversement imminent du gouvernement de Bachar el-Assad, et il est toujours en place ! Vous connaissez beaucoup d’États qui, placés dans la même situation, auraient si bien résisté ? La Syrie est confrontée à une guerre médiatique planétaire sans précédent, à l’hostilité de tous ses voisins, à l’ingérence des pays arabes du Golfe, qui consacrent des ressources financières illimitées à aider les rebelles en les armant.
L’État syrien n’a jamais cherché à plaire, il n’a jamais voulu se plier aux diktats des Américains dans la région, que ce soit sur la question palestinienne, que ce soit sur le soutien aux mouvements de résistance Hezbollah et Hamas, que ce soit sur l’invasion de l’Irak, que ce soit sur sa relation étroite avec l’Iran. C’est un empêcheur de tourner en rond. L’Amérique, suivie par la France et l’Angleterre, qui sont devenues volontairement ses vassaux au Moyen-Orient, a donc entrepris de détruire l’État syrien. Elle le fait grâce à la collaboration des pétromonarchies, qui doivent tout à Washington. Malheureusement pour elle, la Russie, avec Poutine, a repris du poil de la bête et n’est plus prête à laisser tomber ses alliés historiques.
Comment pouvez-vous reprocher aux Américains de soutenir l’avènement de la démocratie au Proche-Orient ?
Assez d’hypocrisie ! Le régime syrien était loin d’être parfait ; mais à comparer avec les autres régimes arabes toujours appuyés par l’Occident, il reste de loin le meilleur. Au moins, c’est un État laïque, où régnaient la liberté religieuse, la liberté de la femme, ainsi qu’une vie sociale inter communautaire ouverte et pacifique. Rien à comparer à ce qui se passe dans d’autres pays arabes, grands alliés des États-Unis, où, par exemple, il est interdit de dire la messe et où les femmes n’ont pas le droit de conduire ou de voyager toutes seules !
À Bahreïn, que s’est-il passé ? La majorité chiite a manifesté pacifiquement pour demander l’établissement d’une monarchie parlementaire, c’est-à-dire l’élection par le peuple du premier ministre. Les pays du Golfe y ont envoyé leurs chars et les Américains n’ont rien trouvé à redire.
La Syrie n’était pas parfaite, mais aucun État n’est parfait au Moyen-Orient ! Regardez le Liban. Certes, ce n’est pas une dictature. C’est une démocratie, mais elle est dominée par de petites dictatures communautaires, qui volent l’État quand elles s’entendent entre elles et qui le détruisent quand elles se disputent.
La réalité, c’est que le retrait américain peu glorieux d’Irak est une défaite occidentale sans précédent. Pour compenser cette défaite, qui a paniqué leurs alliés régionaux, pour regagner de l’influence dans la région, les Américains cherchent maintenant à rallumer le vieil affrontement sunnites-chiites.
Que vous inspire la déferlante « Frères musulmans », dans le monde arabe ?
En dépit de maintes déclarations apaisantes, cette vague met grandement en danger les communautés chrétiennes d’Orient, lesquelles existaient bien avant le début de l’Islam. Contre ce froid, les chrétiens disposaient d’un manteau, d’une veste et d’un pull. Ils ont perdu leur manteau en Irak, leur veste en Égypte, et maintenant on voudrait qu’ils perdent leur pull en Syrie et qu’ils se retrouvent en sous-vêtements au Liban ! La Syrie d’Assad est vue par beaucoup d’habitants de la région, et notamment par les chrétiens, comme un mur.
C’est un mur, dont l’écroulement serait catastrophique. Cela fait peur même aux gens qui n’aiment pas ce régime. Car l’écroulement de ce mur va provoquer de multiples guerres intestines, visant à créer une nouvelle carte géopolitique du Moyen-Orient. Le mur syrien actuel protège les minorités, principalement chrétiennes. Et vous, occidentaux, vous avez entrepris de détruire ce mur : vraiment, je ne vous comprends pas !
N’exagérons pas. Les Occidentaux ne réclament que le départ d’Assad du pouvoir…
Mais ne comprenez-vous pas que le départ d’Assad aujourd’hui signifierait la dislocation de l’unité de la Syrie, le déchirement de son armée, l’anarchie, puis le déclenchement de petites guerres civiles partout en Syrie, dont personne ne sortirait vainqueur, à l’exception des groupes fanatiques islamistes ? Les chrétiens seraient condamnés à l’exil. L’exemple de l’Irak ne vous a-t-il pas suffi ?
Alors, quelle solution préconisez-vous ?
L’arrêt immédiat de la violence armée des deux côtés, et l’établissement d’un dialogue politique entre le gouvernement Assad et l’opposition. Je connais bien Assad. Je suis sûr qu’il serait prêt à organiser des élections libres. Que ces élections se fassent dans un climat de paix civile et en présence d’observateurs internationaux !
Si Bachar arrive à réunir 51% des voix, qu’il reste ; sinon, qu’il quitte le pouvoir dignement, dans le calme, et qu’une amnistie générale soit prononcée. Vous me dites qu’Assad a beaucoup de sang sur les mains, je vous réponds : qui n’en a pas en Syrie actuellement ? La paix est toujours le fruit d’un dialogue entre des parties qui, peu de temps auparavant, s’entre-tuaient.
N’est-il pas anormal que le Hezbollah, parti libanais, combatte, en Syrie, aux côtés de l’armée de Bachar ?
C’est faux ! Dans toute cette affaire, le Hezbollah est le parti libanais qui a montré le plus de retenue et d’esprit de responsabilité. Certes, il ne cache pas son affection pour le gouvernement syrien, lequel ne l’a jamais laissé tomber dans sa résistance à Israël. Mais il ne voit pas de gaieté de cœur couler le sang syrien ; il souhaite une solution politique. Au Liban, le Hezbollah garde son calme et fait tout pour que le conflit syrien ne déborde pas chez nous.
R. G.
in Le Figaro du 03 09 2012