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Syrie : le théoricien de l’hégémonisme US, Zbigniew Brzezinski, va à l’encontre de la propagande mondiale antisyrienne
dimanche 15 juillet 2012
"Astonishing !" : le penseur de l’hégémonisme américain pense que la Syrie doit garder Bachar et les Américains négocier vraiment avec les Russes...
Une fois encore, le zèle syrien et informatif de l’amie Cécilia nous nous vaut ce regard éminemment américain et « mondialiste », et d’autant plus surprenant dans ses termes et conclusions, sur la crise syrienne. Car Zbigniew Brzezinski n’est certes pas n’importe quel Américain et n’importe quel analyste. Ancien secrétaire d’État à la sécurité nationale, dans les années soixante-dix, du président Jimmy Carter, et plus tard, inspirateur de Ronald Reagan et, une fois l’ennemi soviétique abattu, sous l’ère Bush, théoricien cynique, via ses écrits du Nouvel Ordre mondial à direction américaine, l’illustre Zbigniew Brzezinski a longtemps été un des hommes les plus influents de la planète, et conserve, à 84 ans, un grand prestige de « vieux sage » impérialiste dans les cercles dirigeants américains, et au-delà de l’Atlantique.
Et voilà que ce « tycoon » n’a pas hésité à afficher ses doutes quant à la couverture médiatique de l’insurrection en Syrie, estimant que la situation n’est pas aussi horrible ou dramatique qu’on la est dépeint aux États-Unis, du New York Times au Washington Post, en passant par CNN, CNS ou Fox-TV.
De la nécessité de « vivre avec Assad » (et de parler sérieusement à Poutine)
Ce qui se passe en Syrie, dixit donc Brzezinski, « n’est pas aussi horrible ou dramatique qu’il est dépeint. Surtout si vous regardez le monde ces dernières années, l’horrible guerre au Sri Lanka, les massacres au Rwanda, et les morts en Libye et ainsi de suite », a-t-il expliqué lors d’un entretien accordé à la télévision américaine MSNBC.
Et d’ajouter : « Vous savez, nous devons avoir le sens des proportions ici. Il s’agit (la Syrie) d’une partie du système nerveux du monde, où, si nous ne sommes pas assez intelligents, nous pouvons créer un lien entre un problème interne difficile mais qui n’a pas encore pris de proportions gigantesques et un problème régional ou mondial qui impliquera nos relations avec les autres grandes puissances, notamment la Russie, mais aussi les négociations avec l’Iran sur le problème nucléaire ».
Selon le Machiavel de la diplomatie américaine, le soulèvement syrien est différent des autres conflits arabes parce que la violence (contrairement à ce qu’affirment les médias des deux côtés de l’Atlantique) n’est pas très répandue géographiquement, l’armée est restée intacte et l’élite issue du monde des affaires continue de soutenir le gouvernement Assad.
L’auteur du tout récent ouvrage Vision stratégique : l’Amérique et la crise de la puissance mondiale avait auparavant rejeté une proposition du président du Conseil des Relations étrangères (CFR, important groupe de pression et laboratoire d’idées néoconservateur américain, NdlR) Richard Haas, qui préconisait que les pays voisins de la Syrie, pour montrer leur désapprobation du soutien de Moscou pour la Syrie,devaient retirer leurs diplomates en poste en Russie.
« Je ne pense pas que les Russes seront terriblement impressionnés… Si les ambassadeurs s’en vont quelle conséquence y aurait-t-il en Syrie ? » Cette question syrienne dit-il encore « ne sera pas résolue en rappelant les ambassadeurs de Moscou ni en disant aux Russes qu’ils se comportent comme des voyous », a-t-il averti.
« Mais alors que faire ? » pourraient se demander avec angoisse l’armée des lobbyistes et des essayistes atlanto-sionistes, de New York à San Francisco… Eh bien, Zbigniew Brzezinski de leur proposer, du haut de son expérience et de sa haute stature diplomatique, cette option sacrilège : « En vérité, tant qu’il n’y a pas de coopération internationale qui aboutisse à un gouvernement qui puisse vivre avec Assad, et qui implique une sorte d’effort assidu en vue d’établir un certain consensus national, ce conflit va continuer. Et il ne faut pas exagérer ce conflit ».
Et dans la logique de sa pensée, Brzezinski a déclaré qu’un accord sur la Syrie devrait impliquer la Russie, ainsi que la Chine et les grandes puissances européennes.
Un impérialiste US contre le lobby sioniste !
On l’a dit, Brzezinski n’est pas n’importe qui en Amérique, et c’est plutôt un gros pavé que vient de jeter le patriarche dans la mare fangeuse de la politique étrangère. Ennemi acharné de l’Union soviétique – après tout il est d’ascendance polonaise – Brzezinski s’est curieusement assez vite heurté à l’administration Bush (père et fils), prévoyant dès 1990 que la Russie survivrait à l’URSS et s’opposant à la première Guerre du Golfe, estimant qu’elle nuirait à la crédibilité des Américains dans le monde arabe. Pour autant, l’homme demeure un partisan de l’hégémonisme américain, notamment face au réveil russe, et soutient l’intervention de l’OTAN contre la Yougoslavie en 1999, et prend fait et cause pour les insurgés tchétchènes dès la première offensive russe – pour les mêmes raisons, Brzezinski a été plus tôt un ardent avocat de l’aide aux moudjahidines afghans. Du reste, à partir de l’arrivée de Poutine aux affaires, Brzezinski va plaider pour un renforcement de l’OTAN et son extension aux pays anciennement sous tutelle soviétique.
Sa vision du monde, réactualisée après le traumatisme du 11 septembre, ce nouvel Henry Kissinger l’a exposée dans un ouvrage à grand retentissement, The Choice : global domination or global leadership, paru en 2004. Le message de ce livre peut se résumer ainsi : l’équilibre et le bien-être du monde ne peuvent être garantis que par la suprématie américaine, laquelle doit donc s’opposer à toute puissance susceptible de menacer cette suprématie. Zbigniew Brzezinski assigne à l’Europe dans ce combat – essentiellement dirigé, on l’aura compris, contre la Russie de Poutine mais aussi la Chine – le rôle d’allié stratégique, d’aucuns diraient d’« auxiliaire ».
Pour autant, vis-à-vis monde arabe, Z.B. a un regard nettement plus aiguisé et fin que, disons George Bush Jr et Donald Rumsfeld. Pour lui, il n’y a pas d’« islamisme global », et il a toujours insisté auprès de ses compatriotes sur la très grande diversité de la sphère arabo-musulmane. Cette finesse d’analyse a apparemment survécu à l’effondrement des TwinTowers : Brzezinski a critiqué la « guerre contre la terreur » prônée par Bush Jr et son entourage néocon, et qui ont conduit les G.I.’s dans les désastreuses expériences irakienne et afghane. Ce refus des simplifications et de la logique de « choc des civilisations » l’a conduit d’ailleurs assez loin : quand en 2007 les essayistes américains John Mearsheimer et Stephen Walt ont essuyé les foudres de l’establishment avec leur livre Le lobby pro-israélien et la politique étrangère américaine, dénonçant entre autres le poids de l’AIPAC sur la politique intérieure et extérieure de leur pays, Z.B. a volé à leur secours. Ce qui lui a valu en retour des attaques du lobby en question. D’autant qu’il avait ensuite aggravé son cas en estimant, dans un entretien à un quotidien américain accordé en septembre 2009, que les États-Unis devraient s’opposer à un survol de l’Irak par l’aviation israélienne au cas où celle-ci irait bombarder des installations iraniennes. Aux États-Unis, ce genre d’opinion est particulièrement sacrilège. Elle n’a cependant pas empêché son auteur de devenir le conseiller diplomatique de Barack Obama au moment de sa campagne présidentielle. Obama dont Brzezinski considère toujours qu’il a redonné une « légitimité internationale » à la politique étrangère américaine …
On le voit, Zbigniew Brzezinski est un curieux cas d’impérialiste ou d’hégémoniste américain opposé au sionisme dans ce qu’il a de dangereux pour l’équilibre du monde et l’indépendance de la politique américaine. Constatons que, sur ce coup-là, il n’a pas été prophète en son pays !
Kissinger s’y met aussi !
Les prises de positions et analyses de Brzezinski sont à rapprocher de celles prises par la direction militaire américaine, qui a exprimé publiquement ses craintes de la montée en puissance d’al-Qaïda et des groupes islamistes radicaux à la faveur de la crise syrienne, premier bémol sérieux à la ligne interventionniste de l’administration Obama/Clinton (voir notre article « Avec ou sans drones, les Américains sont impuissants », mis en ligne le 20 février). Elles sont également à mettre en parallèle avec les doutes que vient d’exprimer l’autre « vieux sage » de la diplomatie américaine,Henry Kissinger, dans un entretien au Washington Post : le n°1 de la diplomatie des années Nixon pointe les risques de chaos généralisé qu’entraînerait un renversement de Bachar par un coup de force américain, rendant sa démonstration plus originale par une référence au Traité de Westphalie qui en 1648 mit fin à la sanglante guerre de Trente ans, d’origine religieuse, et jeta les bases d’une nouvelle approche de la diplomatie par les nation européennes, s’efforçant d’affirmer le principe de souveraineté nationale pour le problèmes internes, et le dissociant des questions à portée vraiment internationale.
Pour Kissinger, apôtre d’une certaine Realpolitik dégagée du moralisme et grand admirateur de Metternich, la politique étrangère occidentale pèche par humanitarisme messianique, un humanitarisme de façade et simplificateur qui a entraîné les dégâts que l’on sait en Irak et en Libye. Et relativement aux printemps arabes en général et à la Syrie en particulier, « Dear Henry » pose cette question qui doit, elle aussi, sonner comme un blasphème aux oreilles démocrates-néoconservatrices de Miss Clinton : « L’Amérique doit-elle se sentir obligée de soutenir tous les soulèvements populaires contre tous les gouvernements non démocratiques, y compris ceux qui sont considérés jusqu’à maintenant comme essentiels dans le système international ? » Là, Kissinger fait allusion au cas syrien, mais il place l’administration américaine devants ses contradictions et compromissions en ajoutant : « L’Arabie Séoudite est-elle, par exemple, un allié uniquement tant que des manifestations politiques n’ont pas lieu sur son territoire ? »
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