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49e congrès de la CGT. Un pas important vers … la CFDTisation.
mardi 4 mai 2010, par
Les syndicalistes algériens attachés ? la défense de la nécessité d’un syndicat de classe, de masse, démocratique, unitaire et internationaliste ont toujours cultivé une grande admiration pour la Confédération Générale des Travailleurs (France) telle qu’ils l’ont connue dans les années 40 et 50 du siècle dernier. Leurs aînés ont beaucoup appris d’elle et se sont inspirés de son exemple pour défendre de façon intransigeante les intérêts des travailleurs face ? l’exploitation capitaliste. Les réformes économiques et sociales entamées ? la fin des années 1980 ont conduit ? la paupérisation des travailleurs, ? la remise en cause de leurs acquis sociaux, au développement d’un secteur privé qui méconnaît leurs droits les plus élémentaires. L’UGTA s’est inscrite dans la défense de "l’économie de marché" et n’a que le mot "partenariat" ? la bouche. Les jeunes syndicalistes sont formés dans l’idéologie de la collaboration de classe. Force ouvrière et la CFDT tentent d’exercer leur tutelle sur les jeunes syndicalistes qui empruntent les chemins des syndicats autonomes. La CGT suscite beaucoup de questions parmi les défenseurs d’un syndicalisme révolutionnaire. Son dernier congrès a été suivi avec attention mais l’information est restée rudimentaire. La contribution qui suit est destinée ? fournir aux syndicalistes et militants algériens des informations et des éclairages sur l’évolution de ce syndicat.
Alger Républicain
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La direction actuelle de la CGT - dont le 49ème congrès s’est tenu ? Nantes, du 7 au 11 décembre 2009 et s’est achevé avec la réélection du SG Bernard Thibault - a bataillé dur, avant et durant le congrès, pour prendre les décisions politiques et organiques qui aideront ? rendre irréversible la mutation de la CGT engagée depuis de nombreuses années. Sans entrer dans le débat de la datation de la « dérive » de la CGT, il faut rappeler qu’un virulent coup d’éperon a été donné lors du 45ème congrès, en 1995, avec la suppression de l’article 1 de ses statuts qui stipulait : « la CGT s’assigne pour but la suppression de l’exploitation capitaliste, notamment par la socialisation des moyens de production et d’échange ». La conséquence directe en est que la direction de la CGT n’analyse plus les problèmes de conditions de vie et de travail des salariés en termes de luttes de classes. Ce qui la conduit ? s’enfermer dans des négociations au sommet avec les directions patronales et l’État capitaliste, ? la recherche effrénée d’accords consensuels et minimalistes, en opposition de plus en plus ouverte avec les revendications matérielles et morales des millions de travailleurs, dont la grève, pourtant scandées dans des manifestations massives et répétées. Le NON massif des ouvriers et des syndicats de base de la CGT (au référendum sur la Constitution européenne) est une illustration éclatante de ce décalage entre le potentiel et la volonté de lutte ? la base et l’action réformiste et mutilante du sommet. Cette direction syndicale a failli sur tous les fronts de lutte et n’a réussi ? faire échec ? aucun des plans de la classe patronale. L’activité de la direction de la CGT est cantonnée dans la co-gestion (? l’instar des syndicats d’Allemagne ou des pays du Nord), d’accompagnement de l’action gouvernementale. Alors que le nombre d’adhérents est en baisse, la direction actuelle a renforcé en nombre et en prérogatives l’armée des permanents et cadres-experts, dont beaucoup n’ont pus de contact avec le monde du travail mais sont devenus des professionnels de la gestion d’organismes paritaires et de CE, de réunions de partenariat.
La direction actuelle du syndicalisme ne représente plus les intérêts et aspirations de la classe ouvrière : son activité est de plus en plus liée ? celle de l’Etat capitaliste reconnu comme arbitre et partenaire (tout comme le MEDEF !), son masque d’apolitisme cache un positionnement politique clair : le refus de s’opposer, de mobiliser et d’agir contre l’ensemble des contre-réformes du gouvernement Sarkozy – la confédération délivre même un satisfecit ? Sarkozy en écrivant dans son document d’orientation que « les responsables de la crise financière doivent être sanctionnés » -, contre l’UE capitaliste, contre les guerres impérialistes.
Non seulement, comme l’affirme J-C. Le Duigou (ex numéro 2 de la CGT mais encore présent et influent dans l’encadrement actuel), pour la confédération « l’économie de marché est incontournable », mais, comme elle l’écrit dans le document d’orientation « les mises en compétition deviennent la règle des réformes des systèmes sociaux, économiques et politiques en France, en Europe, dans le monde. » !
On ne peut mieux affirmer l’adhésion ? « l’économie de marché » et accepter la mondialisation capitaliste. Depuis longtemps, la direction de la CGT n’explique plus ce qu’est l’exploitation capitaliste, alors que cette exploitation s’est intensifiée : les patrons sont revenus ? des mécanismes d’extraction de la plus-value absolue du siècle dernier (allongement de la durée du travail, intensification des cadences, travail des enfants, baisse des salaires réels, précarisation des contrats de travail, exploitation de travailleurs sans papiers, …), provoquant une paupérisation absolue (et relative) des couches populaires. La CGT préfère parler de développement durable et humain comme une simple ONG !
Aujourd’hui, cette direction syndicale se lance, en partenariat avec l’Etat et le patronat, dans la mise en oeuvre de la Sécurité Sociale Professionnelle : une véritable mise ? mort du syndicalisme par la destruction des conventions collectives, le retour au livret individuel du salarié, l’individualisation des rapports salariés-patrons.
Elle accepte le renforcement de l’impérialisme français contre ses concurrents européens et états-uniens, sous prétexte de défense et de création de l’emploi ! Tant pis si l’exploitation a lieu ailleurs !
A l’échelle européenne et mondiale, la CGT coordonne plus activement sa collaboration de classe au sein de la CES et de la CIS (c’est un CGTiste qui vient d’être élu secrétaire adjoint ? la CES) véritables appendices des pouvoirs impérialistes comme on a pu le voir ? l’occasion des guerres impérialistes contre les peuples irakien, palestinien et afghan.
Qu’ont donc gagné les travailleurs avec cette stratégie ? Rien !
Qu’en en juge du bilan désastreux de cette équipe sortante ? la tête de la centrale syndicale dont le capital historique des luttes et victoires fait que de nombreux travailleurs y restent encore attachés : défaite sur les retraites (37,5 annuités, puis 40, bientôt 41 et trahison sur les régimes spéciaux des cheminots), défaite sur le droit de grève et le service minimum, recul sur la réécriture du Code du travail, sur les contrats de travail et l’indemnisation des privés d’emploi (avec l’acceptation de la « modernisation du marché du travail » et de la « sécurité sociale professionnelle »), recul sur le droit et l’indépendance syndicale (avec « la position commune sur la représentativité syndicale », recul sur les revendications des sans papiers en les menottant ? la circulaire du ministère de l’Immigration jusqu’ ? faire intervenir le service d’ordre de la CGT contre les sans papiers en occupation de la bourse du travail ? Paris), recul dans les mobilisations et la solidarité contre les guerres impérialistes …
C’est pourquoi le document d’orientation a évité soigneusement de dresser un bilan (critique) des résultats sur les revendications et les luttes. Pour la confédération, le syndicalisme se résume ? une association d’adhérents (et non de militants), ? la représentativité institutionnelle (et non des intérêts et aspirations des travailleurs) via les élections (même si la participation des travailleurs est en chute libre), et des négociations (entre experts, démunis des mandats des bases ouvrières en lutte, et des « partenaires »).
Durant ce 49ième congrès, la direction a orienté les débats sur trois thèmes principaux qui au fond illustrent sa volonté, non pas d’affronter les forces du capital, mais de collaborer avec les forces du capital !
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1/ Le « Nouveau Statut Salarié » (NTS)
Que la CGT définit comme « un socle commun de droits individuels transférables et garantis collectivement » qui visent donc uniquement « le maintien du contrat de travail et du salaire pendant les périodes de transition entre deux emplois » et « l’accompagnement individuel vers l’emploi » au moyen de congés de reclassement et de conversion, de mesures de chômage partiel ! Au moment où les licenciements font rage, où la crise a des effets dramatiques sur les travailleurs, la CGT abandonne les conventions et garanties collectives, la lutte contre les licenciements massifs, la lutte contre la casse du code du travail. La CGT parle de droits individuels et ne parle plus de plateforme revendicative pour l’ensemble de la classe laborieuse (augmentation des salaires, interdiction des licenciements, droit au travail pour tous, réquisition des logements vides, retraites ? 55 ans pour tous, régularisation des sans-papiers, contre les guerres impérialistes, solidarité avec les peuples …). C’est un désarmement des travailleurs face ? la classe patronale !
2/ Le syndicalisme rassemblé (ou l’unité syndicale au sommet) : dirigé par des experts en négociations, sans lien avec les bases de travailleurs en lutte
La direction de la CGT spécule sur l’aspiration des salariés ? l’unité syndicale autour de leurs revendications, et cherche ? cacher son alignement sur les syndicats les plus jaunes (comme la CFDT) et, surtout, ? contourner les bases syndicales qui n’ont d’autres choix que d’affronter leurs propres patrons et, du coup, l’ensemble des patrons. Cela explique le choix de la CGT des journées d’action sans lendemain qui stérilisent la mobilisation et la combativité des travailleurs, et aboutit ? éviter la centralisation des luttes vers la grève générale. Le prétexte : c’est impossible, les autres organisations syndicales ne suivrons pas ! Cette stratégie n’a rien changé au rapport des forces comme en témoigne les actions de 2009 : après la formidable mobilisation du 29 janvier 2009, la CGT unie avec les autres, les syndicats ont refusé de poursuivre la mobilisation jusqu’au 19 mars, pour finalement appeler … ? des « pique-niques revendicatifs » le 26 mai devant le siège du patronat ! Pas de quoi effrayer les capitalistes !
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3/ La réforme des structures de la CGT
Le document d’orientation précise : « Toutes les fédérations sont aujourd’hui interrogées, parfois même dans leur champ propre, face ? des dimensions nouvelles qui ont trait ? l’activité professionnelle. » (…) « Nombre de nos fédérations souffrent de difficultés ? déployer une activité territoriale ». De même, « La conférence sur les Unions locales, tenue en 2008, a confirmé le caractère indispensable des Unions locales mais a également montré la nécessité de redéfinir leurs rôles, leur périmètre, leur fonctionnement dans un édifice CGT "redessiné". », et donc « Le renforcement du niveau régional comme niveau de compétence politique et décisionnel sur les enjeux structurant la vie des salariés ne doit pas être ignoré ».
De nombreux syndicats de base ont protesté avant même la discussion au congrès : ils y ont vu la liquidation des unions locales au profit des unions régionales (purement bureaucratiques), regroupement/fusion de nombreuses fédérations et dissolution progressive des syndicats d’entreprises.
La direction de la CGT préfère alors ses propositions organiques comme des pistes pour le congrès suivant. Beau tour de passe-passe !
Il faut bien y voir la volonté de la direction CGT de contrôler les structures de base, notamment quand elles sont trop revendicatives ou radicales. C’est aussi un moyen d’institutionnaliser davantage la centrale en adaptant ses structures au schéma de réorganisation de l’économie capitaliste (par régions). C’est le même chemin qu’a déj ? pris la CFDT il y a plusieurs années. CFDTisation de la ligne, CFDTisation des structures !
La direction a pris d’autres précautions : une sorte d’article 120 ? la française ! Elle a créé une commission « affiliation ? la CGT », sous la responsabilité directe de l’exécutif, pour traiter des conflits (adhésion d’un syndicat). Ce qui permettra de contourner les instances statutaires et rendra plus facile l’exclusion de syndicalistes de classe et de structures qui se hasarderaient en dehors de la ligne confédérale.
Aux yeux des travailleurs (syndiqués et non syndiqués) grandit donc le discrédit de la direction confédérale. Nombreux ont été les congressistes ? intervenir et ? critiquer la stratégie de la direction des manifestations sans lendemains et sans perspectives de rassemblement des luttes. Le bureau du congrès a dû se résoudre ? intégrer nombre d’amendements, ce qui n’était pas le cas lors des précédents congrès. Tout cela malgré le verrouillage avant le congrès avec la mise en avant de délégués sans expériences, la mise ? l’écart de syndicalistes contestataires de la ligne …
Les syndicalistes de classe ne sont restés bras croisés : pour la première fois dans l’histoire de la CGT, ils se sont unis pour présenter une candidature au poste de secrétaire général, celle du syndicaliste métallurgiste du Nord, Jean Pierre Delannoy. Cette candidature avait reçu le soutien de plus de 2300 syndicalistes CGT (signataires). Son intervention au congrès (qui n’a pu être empêchée par le bureau) est un appel ? un retour de la CGT ? un syndicalisme de classe et de masse : elle a été applaudie, beaucoup discutée dans les couloirs, et a libéré de nombreux congressistes pour exprimer une parole critique. La direction sortante, manœuvrière, a évoqué le caractère non statutaire de la candidature alors qu’elle a tout fait pour l’empêcher d’être … statutaire. Le tout pour la direction était d’éviter le débat sur le fond : ? savoir le bilan de l’action syndicale et le choix la stratégie syndicale. Le discours d’ouverture du secrétaire général sortant (près de 1h 3/4, très long, probablement dans le but de plomber et retarder le débat) donne ? penser que la direction sortante se justifie par rapport aux critiques de l’opposition syndicale (annoncées ? l’avance par la presse).
L’opposition syndicale de classe a fait des progrès depuis le précédent congrès : au-del ? du pourcentage des votes des délégués, en net progression par rapport au précédent congrès (près de 30% des votes des délégués), elle est surtout plus qualitative, plus offensive et plus organisée. Elle prend en compte les expériences et aspirations des travailleurs.
Son objectif immédiat est :
– De lancer et construire ? l’intérieur même de la CGT, un débat large et démocratique pour définir une autre stratégie syndicale capable de faire converger les luttes des travailleurs en un mouvement national de masse et de classe, créant un rapport de forces puissant et durable en faveur des travailleurs, condition nécessaire pour gagner sur les revendications de l’ensemble des travailleurs.
– D’exiger le respect de la démocratie syndicale, l’arrêt des exclusions, évictions, pressions et chasse aux sorcières contre des syndicalistes en désaccord avec l’orientation actuelle
– De mener la bataille de syndicalisation massive des travailleurs, car la majorité d’entre eux est encore en dehors de syndicats, et de propager l’identité de classe.
Le syndicalisme de classe et de masse n’est pas un simple souhait de quelques militants en mal de révolution et utopistes : il est la réponse ? la souffrance conséquente ? l’exploitation capitaliste du travail salarié.
Dans l’action collective, organisée et unie des travailleurs contre l’exploitation capitaliste subie par des millions de travailleurs renaîtra un syndicalisme ? l’opposé du syndicalisme rassemblé obsédé par la recherche de reconnaissance institutionnelle et du consensus sur des accords supportables par les capitalistes mais insupportables pour les travailleurs.
Kamel B
Article publié dans la version papier Alger républicain de mars-avril 2010. Disponible dans certains kiosques d’Alger, Tizi Ouzou, Bejaïa, Oran, Constantine.
Disponible également sur contact auprès de : "Association Les amis d’Alger républicain en France – Maison des associations – 28, rue Victor Hugo – 92 240 Malakoff - France"