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Agression extérieure contre le Mali : le Sénégal interpelé !
jeudi 26 juillet 2012
I/ Introduction
Depuis le 12 janvier 2012, le peuple frère du Mali, en pleine préparation d’une élection présidentielle, est agressé à partir de la partie Nord de son territoire, par un groupe armé au nom des peuples Touaregs du pays, qui réclame la création d’un État souverain.
Le Président de la République du Mali de l’époque, plus soucieux d’organiser des élections transparentes pour sa succession, pour rentrer dans le « club » fermé de « chefs d’État démocrates d’Afrique », n’avait pas jugé nécessaire de déclarer « le Mali en état de guerre » pour mobiliser tout le peuple et toutes les ressources du pays pour faire face. Au contraire, sous les applaudissements des grandes puissances occidentales, et des institutions internationales et africaines, il avait décidé de garder le cap dans le respect du calendrier républicain, même quand la menace de la partition du Mali était devenue une réalité palpable, illustrée par son armée en déroute au Nord avec son lot de morts, de mutilés et de prisonniers.
Mais rien n’a pu ébranler l’attachement du Président au respect du calendrier républicain, même malgré l’organisation de protestations massives des mères et épouses de militaires envoyés au Nord, comme des « bêtes de somme destinées à l’abattoir », sans équipement adéquat, ni couverture aérienne. C’est donc une Armée démoralisée et humiliée qui s’est sentie, face à son peuple meurtri et révolté, abandonnée par son Chef suprême, au profit de l’obtention du trophée prestigieux de « Démocrate » qu’il convoite pour la postérité.
Dans cette situation, où le politique est en rupture avec les préoccupations de survie d’un peuple dans la dignité, aucune Armée nationale n’est à l’abri d’une mutinerie pour prendre en main le destin de la Nation. Même en France, De Gaulle n’avait pas fait autrement devant la capitulation de Pétain face à l’Allemagne Nazie. Et cela est d’autant plus vrai au Mali, où l’Armée, depuis le coup d’État du Capitaine Moussa Traoré contre le régime anti impérialiste de Modibo Keïta à la fin des années 60, a acquis une tradition d’immixtion dans le jeu politique, lorsque les contradictions économiques, sociales et politiques, mettent en péril la Nation.
C’est donc face à la dégradation de la situation sociale au Sud, et militaire au Nord, qu’une mutinerie a éclaté à Bamako qui a abouti, le 22 mars 2012, au coup d’État qui a mis fin au régime du Président Amadou Toumani Touré (ATT), qui lui-même avait mis fin à celui du Président Moussa Traoré.
Les condamnations du putsch ont tout de suite fusé de tous les « amis » de la « Démocratie » au Mali, pendant qu’aucune de ces voix ne s’était élevée pour condamner l’agression dont ce peuple est victime, du 12 janvier au 22 mars 2012 ! Pis encore, la CEDEAO et l’Union Africaine ont brillé par leur manque de solidarité envers le peuple du Mali agressé, mais n’ont pas perdu une seconde pour voler au secours de la Démocratie qui serait en péril dans ce pays.
Que cachent donc les enjeux de l’agression contre la souveraineté du peuple Malien et contre l’intégrité de son territoire hérité du colonialisme, au point de l’occulter derrière la chasse à la junte militaire pour rétablir l’ordre constitutionnel ?
L’analyse des évènements depuis le 22 mars, et celle des positions exprimées par les différents protagonistes, devraient pouvoir contribuer à éclairer la lanterne des peuples de notre sous- région, et notamment de notre peuple.
II) L’analyse du déroulement des évènements.
La CEDEAO, sous la Présidence du Chef de l’Etat de Côte d’Ivoire s’est, sans aucune autre forme de procès, mise en branle pour exiger le retour immédiat à l’ordre constitutionnel, auquel la junte militaire a adhéré sans hésitation. Il ne restait donc plus qu’à définir les modalités de ce retour, pour réunir les conditions politiques nécessaires à la libération du Nord du Mali occupé.
C’est dans ces conditions que la CEDEAO a eu une étonnante attitude de deux poids et deux mesures, face aux juntes militaires qui ont interrompu le processus électoral au Mali et en Guinée Bissau, pour prendre le pouvoir. En effet, elle a accepté que la junte participe et même oriente la transition en Guinée Bissau, mais exclut celle du Mali de la transition.
De même, la Guinée Bissau n’a pas été l’objet d’embargo total et de gel de ses ressources financières et des financements extérieurs, pendant que le Mali, confronté à une agression extérieure, subit de plein fouet, dès le 2 avril 2012, les affres de cet embargo, que les agresseurs ont perçu comme un signe d’encouragement qui les a poussés, deux jours plus tard, le 4 avril 2012, à décréter l’indépendance du Nord du Mali occupé, sous forme d’une République appelée « AZAWAD ».
Même le gouvernement de transition, dirigé par le Premier Ministre Diarra, est aujourd’hui, en flagrante contradiction avec la CEDEAO sur la question de l’exclusion de la junte du Gouvernement d’Union nationale en gestation, pour sortir le Mali de la crise politique, afin de réunir ses ressources humaines civiles et militaires, et ses ressources financières, nécessaires à la libération du Nord et la restauration de la Démocratie.
Tout se passe alors comme si la CEDEAO joue pour une reconfiguration territoriale du Mali, en créant les conditions d’une solution politique permettant une AZAWAD autonome au sein d’un Mali fédéral. Or un tel scénario est impossible avec l’implication de l’armée malienne sous la direction de la junte, pour diriger la libération du Nord et coordonner le soutien militaire de la CEDEAO. Ce scénario, est devenu plus crédible, depuis le sauvetage, d’une mort certaine, du Président auto proclamé de l’« AZAWAD » par une opération militaire Burkinabè, suite à l’assaut, contre son camp, de ses alliés islamiques.
Au lieu de le livrer aux Autorités Maliennes pour agression, et atteinte contre la sécurité de leur peuple et l’intégrité de leur territoire, le Burkina, dont le Président est le médiateur attitré dans cette crise, lui a donné asile et soins. Rien que cette connivence avec l’ennemi, devrait le disqualifier à jamais dans cette médiation. Surtout que, le dénouement tragique et ponctué de bains de sang de ses médiations en Côte d’Ivoire et en République de Guinée, et en sus, son parcours national autocratique et anti démocratique, auraient dû convaincre ses paires de la CEDEAO, qu’il était le moins qualifié pour présider aux destinées de la médiation au Mali.
Pourquoi alors le Chef de l’État de la Côte d’Ivoire l’a choisi comme médiateur ?
C’est en analysant les arguments avancés par les différents protagonistes pour justifier leurs positions respectives dans cette crise, que l’on commence à percevoir le bout du tunnel.
III) Les arguments avancés
Pour la CEDEAO, il s’agit d’abord et avant tout, de rétablir l’ordre républicain et le processus électoral, qui sont interrompus par le coup d’Etat. Les Chefs d’État de la CEDEAO se transforment ainsi en « néo-croisés de la Démocratie », en totale contradiction avec la pratique de la plus part d’entre eux dans leurs propres pays, et avec leur attitude envers le coup d’Etat militaire en Guinée Bissau. Prenant ainsi prétexte de l’appartenance du Mali à la CEDEAO et de sa Charte pour la Démocratie, les Chefs d’État ont décidé de prendre le dossier en exclusivité, sans tenir en compte les préoccupations sécuritaires des pays limitrophes du Nord du Mali, que sont la Mauritanie et l’Algérie, qui sont vitalement concernés par la situation qui prévaut au Nord du Mali.
Ainsi, les pays pressentis pour constituer la Force Africaine pour intervenir au Mali à côté du Niger, que sont le Sénégal et le Nigéria, ne sont pas directement aussi concernés que la Mauritanie et l’Algérie, par les problèmes sécuritaires au Nord de ce pays.
Dans ce contexte, l’Union Africaine et non la CEDEAO, devrait être le cadre de traitement le plus approprié de l’agression contre le Mali.
Et plus généralement, la menace des islamistes sur la sécurité du Nord Mali et leurs conséquences dans les pays de la zone sahélienne qui auraient motivé les puissances occidentales, notamment la France, à soutenir l’implication en première ligne de la CEDEAO, rentre en contradiction avec la liquidation du régime de khadafi en Lybie(USA, France) , et de Ben Ali en Tunisie(USA) qui, pourtant se sont largement illustrés dans la lutte contre le fondamentalisme islamique et Al Qaïda.
Leur engagement dubitatif auprès de la CEDEAO, à la place de l’Union Africaine, masque en fait des préoccupations géostratégiques des États Unis et de la France dans cette partie d’Afrique, que l’Algérie n’est pas prête à avaliser.
En effet, la France sous Sarkozy, cherchait à obtenir la grande base aérienne de Tessalit au Nord du Mali, pour prendre le contrôle du Sud Algérien afin de mieux protéger ses intérêts miniers au Niger, tandis que les USA ont des objectifs plus larges, puis qu’ils cherchent à mettre dans une même zone géostratégique , les pays africains situés au Nord du Sahel, comme l’indique la carte ci-dessous.
Cet espace géostratégique en jaune, traverse et englobe totalement ou partiellement plusieurs pays membres de la CEDEAO, couvrant près de 2400 km des rives de l’Atlantique à la Mer Rouge, et fait partie du projet étasunien du « Grand Orient » qui se termine dans les pays arabes du Moyen Orient, et Israël. A cet égard, tous les analystes s’accordent à affirmer, que ce territoire ne concernait principalement que 5 pays de l’Afrique subsaharienne : la Mauritanie, le Mali, le Niger, le Tchad et le Soudan. L’Algérie, le Burkina Faso et la Libye y sont inclus plus tard, sous prétexte de coordonner les actions en matière de lutte contre les islamistes et le crime organisé dans le Sahel.
Cette approche géostratégique américaine va à l’encoure du projet Pan Africaniste de l’Union Africaine, qui vise à rassembler tous les pays d’Afrique, du Nord au Sud et de l’Ouest à l’Est dans le cadre d’un puissant État. C’est pour cette raison que l’Algérie, tirant la leçon de la Libye, voit dans l’agression contre le Nord du Mali, une véritable menace contre sa sécurité et l’intégrité de son territoire, que la CEDEAO peine à prendre en compte dans ses scénarii de solution à cette grave crise. Elle ne veut pas subir le sort de la Lybie sous Khadafi, que la Syrie, au moyen orient, est en train de vivre pour baliser la route à ce grand projet.
C’est dans ces conditions qu’il faut saluer la décision lucide et courageuse du Chef de l’Etat du Sénégal, Macky Sall, de refus d’envoyer des troupes combattantes au Mali, et le soutenir massivement pour mieux résister aux diverses pressions, notamment celles de la France de Hollande, qui cherchent à lui faire faire machine arrière, en essayant de jouer sur l’évidence, que le Sénégal ne peut pas rester indifférent sur la crise qui sévit au Mali. Ce serait, entre autres, le but de la visite prochaine de Fabius au Sénégal. Tout le problème est donc de savoir en quoi notre pays est interpelé, et pour jouer quel rôle ?
IV) En quoi le Sénégal est interpelé par la crise au Mali et pour quel rôle ?
Contrairement à l’opinion ambiante, puissamment entretenue par une forte propagande dans les médiats, notre pays n’est pas directement menacé par l’islamisme radical qui sévit au Nord du Mali, et qui entreprend des actions de déstabilisation en Mauritanie, du fait de sa large frontière avec la zone occupée par les islamistes. La sécurité du Sénégal ne sera véritablement menacée, que lorsque les islamistes parviendront à occuper le Mali et la Mauritanie. Mais entre- temps, le Sénégal est en train d’être victime de l’embargo imposé au Mali par la CEDEAO.
En effet, les exportations du Sénégal vers le Mali, qui est leur première destination, loin devant la France, ont enregistré un cumul de 85 milliards en Mai 2012, contre 94 milliards à la même période de 2011, soit une baisse de 9 milliards, ou de 9,5%. Cette contre- performance est intervenue avec l’embargo en avril qui s’est traduit, rien que pour ce mois, par une baisse de 7,3 milliards sur les 9 milliards de baisse des exportations. (Source : ANSD : « Bulletin mensuel commerce extérieur » Mai 2012).
Ce coup dur contre notre économie s’est aggravé au mois de Mai. En effet, la part de nos exportations au sein de l’UEMOA, destinées au Mali, est passée de 65,4% en mars 2012, à 60,7% en avril, soir une perte de part de marché de 4,7 points de pourcentage, pour s’effondrer en mai, avec respectivement 52,3% et 8,4 points de pourcentage. (Source : DPEE : « Note de conjoncture » Mai 2012). Cette descente aux enfers va s’empirer durant tout le temps de l’embargo. Notre pays ne saurait donc s’accommoder plus longtemps du maintien de cet embargo, et devrait exiger sa levée sans délai. Cette place privilégiée du Mali dans nos exportations, exige de notre pays qu’il s’oppose, de toutes ses forces, à tout projet de partition de ce pays, même sous forme d’une autonomie de l’AZAWAD. Surtout que, concéder cette autonomie à l’AZAWAD, mettrait le Sénégal dans l’obligation de l’accepter pour le MFDC.
Ainsi, après la remise en cause des frontières issues du colonialisme au Soudan dans le cadre du projet étasunien du « Gand Orient », c’est aujourd’hui le tour du Mali dans cette perspective, et demain, celui du Sénégal en Casamance, dans le cadre du projet US de prendre le « contrôle militaire du Golfe de Guinée » à partir de Bissau, contre lequel s’opposent vigoureusement l’Angola et le Brésil. D’où le piège malien qui est tendu au Sénégal dans la recherche de solutions à l’occupation du Nord de ce pays, et tout le danger que porte le débat, initié aujourd’hui, à propos d’un « statut spécial pour la Casamance », sur l’intégrité de notre territoire hérité du colonialisme.
C’est pour ces raisons que le Sénégal devrait exiger la fin de l’exclusion de la junte militaire malienne de la recherche de solution de transition politique dans ce pays, pour effacer cette discrimination injustifiée dont elle est victime, par rapport au traitement que la CEDEAO a réservé à son homologue à Bissau. C’est dans cette perspective, que le Sénégal devrait appuyer de tout son poids diplomatique, les efforts du Premier Ministre de cette République sœur, Monsieur DIARA, dans son projet de mise en place d’un Gouvernement d’Union nationale « avec toutes les forces vives », pour mettre fin à la crise politique et rassembler le peuple pour libérer le Nord.
En vue de faciliter cette perspective, la CEDEAO devrait céder à l’Union Africaine, la gestion de la crise au Mali ; ce qui devrait permettre la mise sur pied d’un « Comité de libération » du Nord de ce pays, constitué des pays du front que sont l’Algérie, la Mauritanie, le Niger et le Mali, sous la conduite du Gouvernement d’Union nationale du Premier Ministre DIARA. Ensuite, l’Union Africaine devrait exiger du Burkina de livrer aux Autorités du Mali, le Président auto proclamé de l’AZAWAD, pour qu’il réponde de l’agression qu’il a organisée pour mettre en cause l’intégrité territoriale de ce pays, et la sécurité de ses populations.
Fait à Dakar le 22 juillet2012
Ibrahima Sène PIT/SENEGAL