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Ukraine Après Odessa

samedi 7 mai 2016, par Alger républicain

Récemment, le film « Ukraine : les masques de la Révolution » réalisé par le journaliste d’investigation Paul Moreira, et diffusé par Canal + en février 2016, a permis de rompre le silence sur le massacre d’Odessa et le rôle des milices d’extrême droite dans la contre-révolution ukrainienne. Ce travail d’information a été attaqué par les critiques. L’Ambassade d’Ukraine en France a même tenté de le faire censurer. Le travail de lobbying des partisans français et ukrainiens de l’intégration européenne n’a cependant pas réussi à empêcher la diffusion de ce film.

Ignoré du grand public, les événements politiques tragiques en Ukraine sont cachés ou camouflés par les dirigeants français et les médias. Le massacre de la Maison des Syndicats d’Odessa, l’interdiction du Parti Communiste, l’interdiction de la mémoire communiste en Ukraine, la situation des centaines de milliers de réfugiés chassés par l’armée ukrainienne dans le Donbass en guerre sont passés sous silence par la plupart des grands médias en France et en Europe. Pourtant, le massacre perpétré lors de l’incendie de la maison des syndicats d’Odessa est un événement clé qui permet de comprendre pourquoi la guerre a éclaté en Ukraine orientale.

Odessa : une centaine de militants antifascistes brûlés vifs et achevés à coup de hache

Le 2 mai 2014, 48 militants syndicalistes et antifascistes ont été brulés vifs et achevés à coup de haches et de battes de baseball durant le siège et l’incendie criminel de la Maison des Syndicats par des néonazis et des partisans de l’intégration européenne. Plus de 214 personnes ont été blessées dans la tragédie, 38 militants fédéralistes et antifascistes ont été arrêtés par la police après avoir évacué le bâtiment en flammes. Selon certains rapports, une cinquantaine de personnes sont toujours portées disparues après l’incendie de la Maison des Syndicats d’Odessa.

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Le mouvement pacifique en faveur de la fédéralisation du pays était en pleine ascension au moment du massacre d’Odessa. Défendue par le Parti Communiste d’Ukraine, par des syndicats, par la société civile ukrainienne progressiste, la fédéralisation était une solution politique après le coup de force des partisans de l’intégration européenne à Kiev le 21 février 2014. Elle permettait d’entrevoir le maintien de l’unité du pays après le rattachement de la Crimée à la Fédération de la Russie. Les militants antifascistes dénonçaient l’illégitimité du nouveau gouvernement ukrainien et la mainmise du parti néofasciste Svoboda sur des postes clés gouvernementaux. Ils tentaient d’entraver la destruction programmée du Sud-Est ouvrier et industriel en refusant l’Accord d’Association imposée au peuple par la force. Il s’agissait également de contourner l’interdiction de l’usage de la langue russe par le nouveau pouvoir. La peur de subir le même sort que les militants antifascistes à Odessa et d’être écrasé par les corps francs paramilitaires explique en grande partie l’armement des mineurs et la proclamation de « républiques populaires » dans les régions orientales de l’Ukraine.

Il est impossible pour les politiciens de continuer à masquer la vraie nature du nouveau pouvoir à Kiev issu du mouvement pro-européen EuroMaïdan. La tragédie d’Odessa a révélé aux yeux de tous les caractères racistes et anticommunistes du mouvement EuroMaidan. La vraie nature de la « révolution du Maïdan » vantée par nos médias, par nos « intellectuels » à la BHL a été mise à nue.

« On croit mourir pour la patrie, on meurt pour des industriels »

L’accélération des événements en Ukraine « après Odessa » a été, et est toujours la conséquence de l’enchevêtrement des relations capitalistes internes et externes. L’aggravation de la rivalité entre les grandes puissances, en période de crise économique aiguë, a provoqué une guerre par procuration pour le contrôle du marché ukrainien, de sa main d’œuvre qualifiée, de la richesse de ses sous-sols.

La rivalité entre la Russie et l’Union Européenne s’est cristallisée en 2013 lorsque le président Viktor Ianoukovitch a refusé de signer l’Accord d’Association entre l’Ukraine et l’UE négocié entre 2007 à 2012. Cet extrait du compte rendu du Conseil des ministres du 25/03/15 [1] est très éloquent sur le contenu de cet Accord d’association :
« L’accord établit une "association politique et une intégration économique" entre l’Union européenne et l’Ukraine, prévoyant notamment une libéralisation quasi-totale des échanges commerciaux et la reprise, par l’Ukraine, d’une partie de l’acquis européen en matière de réglementations, normes et standards. »

La signature d’accords ultralibéraux entre l’UE et les pays proche de la Russie fait partie de la stratégie développée par l’UE et l’OTAN pour peu à peu prendre pied dans les ex-pays socialistes et soviétiques. Le compte rendu du Conseil des ministres du 25/03/15 [2] précise même :

« Cet accord s’inscrit dans le cadre du Partenariat oriental de l’Union européenne, initié en 2009 dans le but de renforcer le volet oriental de la politique européenne de voisinage en direction de l’Arménie, de l’Azerbaïdjan, de la Biélorussie, de la Géorgie, de la Moldavie et de l’Ukraine, avec l’objectif de promouvoir la prospérité, la stabilité et la sécurité aux frontières de l’Union. » [3]

La volte-face de Vickor Ianoukovitch et son refus de signer l’Accord a été décriée par les puissances européennes et par les Etats-Unis qui ont alors soutenu politiquement et financièrement les manœuvres antidémocratiques afin de provoquer un « regime change » en Ukraine. Après la victoire de la « Révolution orange 2.0 » fin février, le traité a été signé en mars et juin 2014. L’Accord a été ratifié le 16 septembre 2014, le même jour, en duplex, par la Rada et le Parlement européen réunis au même moment, avec des écrans de projection dans les deux assemblées.

Cet accord néolibéral a cependant été paralysé par le rejet de la ratification par une majorité de néerlandais lors du référendum consultatif organisé aux Pays-Bas le 6 avril [4]. En effet, la ratification par les 28 États membres de l’UE ainsi que par l’Ukraine est nécessaire. Les parlementaires néerlandais qui ont ratifié l’Accord se trouvent dans une situation embarrassante. L’accord, qui est un traité international, est en effet entré en vigueur de façon provisoire au 1er janvier 2016. Le rejet à plus de 60% de l’accord pose la question de son application effective. Il est probable qu’un nouveau passage de l’accord au parlement sera envisagé. D’ailleurs, le 19 avril 2016, les députés néerlandais ont rejeté une motion qui demandait le retrait des Pays-Bas de l’accord.

En France, le vote a été effectué dans la plus grande discrétion. En effet, 16 députés seulement ont voté en faveur de la signature de l’accord. Le Parti Socialiste au pouvoir depuis plusieurs années en France a tout fait pour encourager le mouvement EuroMaïdan et « l’intégration de l’Ukraine ». En Grèce également, l’Accord d’association entre l’UE et l’Ukraine a été validé au parlement par les sociaux-démocrates de Syriza. La participation à la saignée de l’Ukraine est une preuve supplémentaire de la nature réformiste et antipopulaire de la prétendue « gauche radicale » Syriza.

Les monopoles européens et la croisade anticommuniste en Europe

L’hommage à rendre aux martyrs d’Odessa est politique et donc forcément connecté avec la dénonciation de l’Accord d’Association entre l’Ukraine et l’UE. La commémoration du massacre de la Maison des Syndicats va au-delà de la mémoire. Aujourd’hui, le gouvernement de l’oligarque milliardaire Petro Poroshenko est plus que jamais confronté aux conséquences socio-économiques et politiques de la défaite militaire dans le Donbass face aux « séparatistes ». Il doit également faire face aux retombées négatives de la mise en place de l’Accord d’Association entre l’Union Européenne et l’Ukraine, à la montée en puissance continue des partis fascistes et néonazis Svoboda et Pravy Sektor.

Ce n’est pas un hasard si peu d’informations nouvelles transparaissent d’Ukraine. Les monopoles, ces entreprises gigantesques ou conglomérats monopolistiques sont totalement imbriqués dans les ossatures économiques, politiques, étatiques. Pour rester compétitifs, ils souhaitent mettre la classe ouvrière à genoux, détruire les droits sociaux, briser la conscience de classe et la mémoire du socialisme réel.

Les gros monopoles ont été jusqu’à destituer par la force un président certes corrompu mais néanmoins démocratiquement élu [5]. Ils n’ont pas hésité à encourager la confrontation avec la Russie, à s’allier avec les forces les plus réactionnaires, les plus racistes et fascistes. Ils ont fait interdire le Parti Communiste et la mémoire soviétique et socialiste. Le nationalisme, l’anticommunisme et le fascisme sont utilisés pour mettre un terme à la fraternité des peuples héritée de la construction du socialisme en URSS et de la grande victoire contre le fascisme.

En réalité, cette campagne anticommuniste ne se limite pas à l’Ukraine. Dans tous les anciens pays socialistes, les communistes sont condamnés au travers de législations répressives, de politiques de lustration, de campagne de presse, de réécritures de l’histoire et de la mémoire. En Hongrie et en Lettonie, les partis communistes sont obligés de s’appeler socialiste afin de contourner l’interdiction.
Récemment, le 31 mars 2016, quatre militants du Parti communiste de Pologne ont été condamnés par le Tribunal régional de Dabrowa Gomicza pour propagation de l’idéologie communiste dans le quotidien "Brzask" et sur le site internet du Parti. Ils ont été condamnés à 9 mois de restriction de liberté assortie de travaux d’intérêt général obligatoire et gratuit et à des amendes.

Ces anticommunismes d’Etat s’accordent parfaitement avec la politique de l’Union Européenne en faveur de la réécriture de l’histoire. La propagation de la thèse calomnieuse du « communisme et fascisme sont deux frères jumeaux » se heurte à des cadres pertinents de réflexion déjà structurés et qui offrent une résistance idéologique. Ainsi, lors de son discours d’introduction au séminaire « Les dangers du fascisme en Europe » du 9 mai 2014, Dimitris Koutsoumpas, le Secrétaire Général du Parti Communiste de Grèce (KKE) a notamment indiqué :

« Près de 70 ans après, certaines personnes font tout en leur pouvoir pour éteindre la flamme de la véritable histoire qui a été écrite avec le sang des peuples. Ils font tout ce qu’ils peuvent afin de déformer l’histoire, pour justifier, directement ou indirectement, la brutalité fasciste. Les centres impérialistes, d’abord et avant tout l’Union européenne, jouent le rôle principal dans cette propagande mensongère. En fait, l’UE a transformé le 9 mai de la Journée de la Victoire antifasciste en la « journée de l’Europe », en cherchant à effacer le caractère antifasciste de cet anniversaire de la mémoire des peuples. Dans cette opération idéologique et politique sale et diffamatoire ils n’hésitent pas à identifier le communisme au fascisme. Afin de promouvoir leurs intérêts géopolitiques dans la région de l’Eurasie, l’UE et les États-Unis aussi n’hésitent pas à soutenir et s’appuyer sur les forces les plus sombres et les plus réactionnaires qui ont monté au gouvernement de l’Ukraine par un coup d’État, comme cela s’est produit auparavant dans les pays baltes. Au cours des 25 dernières années, après le renversement du socialisme et la dissolution de l’URSS, un lavage de cerveau anticommuniste idéologique systématique a eu lieu dans ces pays, de sorte que les « légions SS » et les autres groupes armés profascistes sont présentés comme s’ils ont « libéré » le pays du bolchevisme.
Cependant, laissez-les décharger leur bile, laissez-les faire couler des flots d’encre ; la réalité objective ne peut pas être modifiée. 69 années après la fin de la Seconde Guerre mondiale, des millions de personnes partout dans le monde apprécient les sacrifices sans précédent du mouvement communiste pour la défaite du fascisme.

Les partis communistes, dirigés par le parti bolchévique, étaient la force principale, l’âme et le leader de cette lutte titanesque. Des millions de communistes ont donné leur vie pour un monde meilleur ». [6]

L’analyse de la guerre en Ukraine, du massacre d’Odessa, de son traitement médiatique, de l’Accord d’Association, de la montée des fascismes un peu partout en Europe doit être globale pour être efficace. Cette analyse doit prendre en compte l’aggravation des rivalités entre les puissances en crise. Elle doit également être capable d’interpréter le rôle de la mémoire dans les anciens pays socialistes et en Europe.

Vadim Papura, jeune membre des Komsomol (Jeunesse Communiste) assassiné par des néonazis à l’âge de 17 ans lors du massacre d’Odessa est un symbole des temps difficiles dans lesquels nous nous trouvons. La phrase de Gramsci « Le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître et dans ce clair-obscur surgissent les monstres » prend chaque jour un peu plus de sens.

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Raphaël Da Silva
02.05.16


[3A noter également que des accords d’association ont été signés par l’Union européenne avec la Géorgie et la République de Moldavie.

[4Selon une disposition prévue par la loi néerlandaise, si 300 000 citoyens demandent l’abrogation par référendum, ce scrutin doit avoir lieu. Ainsi, le Conseil électoral néerlandais a indiqué en octobre 2015 avoir reçu plus de 400 000 signatures d’électeurs dans ce but. Après vérification de leur authenticité, il annonce un référendum, avec comme question : « Approuvez-vous l’accord d’association entre l’Union européenne et l’Ukraine ? ». Le résultat de ce référendum n’est que consultatif, mais le gouvernement doit tenir compte de l’avis des citoyens si la participation au scrutin dépasse 30 %,

[5Conformément aux "standards" de la démocratie bourgeoisie formelle (NdR).