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Le séisme en Haïti

Haïti : Drames d’hier, tragédie d’aujourd’hui.

vendredi 22 janvier 2010, par Alger républicain

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Une véritable tragédie des temps modernes se déroule ? Haïti. Si une hypothétique main de Dieu a frappé, elle ne cogne pas de la même façon le pays riche et le pays pauvre, le bidonville ou le quartier aux infrastructures solides. Le Japon qui connait des séismes réguliers a les moyens de faire face au déchaînement de la nature et l’impact d’une même frappe l ? -bas ne pourrait être comparé aux maux engendrés en Haïti. Loin du fatalisme martelé ces derniers jours, des questions, ne se posant pas en général en période d’émotion, pourraient éclairer un tant soit peu les raisons d’une telle tragédie. Où remontent la misère sociale, l’instabilité politique, qui ont accru la tragédie atteignant son comble aujourd’hui ? L’ingérence étrangère et la spoliation intérieure ont-elles ruiné Haïti ? Les médias disent-ils tout sur la catastrophe ?

Haïti croûle sous la dette.

Haïti s’est affranchie de trois siècles de colonisation française en 1804 avec la défaite des armées de Napoléon. La liberté acquise contre le colonialisme et l’esclavagisme, la France exige 21 ans plus tard une somme d’environ 21 milliards de dollars actuels, afin de renoncer ? une nouvelle invasion. Cette dette colossale a été l’autre prix ? payer pour l’indépendance. Haïti a réclamé officiellement ? la France, en avril 2003, « restitution et réparation ». La Commission de Régis Debray a évincé cette question par crainte d’entraîner les autres pays anciennement colonisés dans cette démarche. En effet, cette commission créée en 2003 sous la présidence de Jacques Chirac, répondait au souci de la France de voir l’unique pays francophone des Caraïbes toujours sous la domination américaine. La France a annoncé, après le séisme, vouloir annuler une partie de la dette d’Haïti envers les créanciers du Club de Paris. Mais ce geste qui apparaît ? première vue comme humanitaire cache une autre réalité, les énormes sommes payées par Haïti ? son ancien colonisateur.

"Haïti a réclamé ? la France en 2003 « restitution et réparation » de sa dette. La Commission de Régis Debray a évincé cette question par crainte d’entraîner les autres pays anciennement colonisés dans cette démarche."

La dette d’Haïti, contractée en grande partie ? l’époque des dictateurs Duvalier, père et fils, entre 1957 et 1986, a été multipliée par environ 18 avec les obligations d’intérêts et des pénalités pour le retard du remboursement. Elle passe de 750 millions de dollars en 1986 ? 1884 millions de dollars en 2008. La Banque Mondiale et le FMI tiennent aujourd’hui la majeure partie, estimée ? 80%, des créanciers de la dette d’Haïti. Entre 1995 et 2001, le service de la dette ? lui seul a couté 310 millions de dollars ? Haïti. L’annulation d’une partie seulement de cette dette reste de la poudre aux yeux et ne brise le cercle infernal d’emprunt et de remboursement. Recevoir des aides pour ensuite les injecter dans le remboursement n’est pas la solution si l’on sait qu’Haïti a déj ? payé au plus fort prix.

Ingérences étrangères et dictatures intérieures.

La dette extérieure de ce pays a souvent été un moyen de pression des puissances étrangères sur les régimes en place afin d’accéder aux marchés intérieurs, notamment le secteur de l’agriculture, du textile et du tourisme. Les régimes politiques ? Haïti se changent au gré des rapports de forces et du soutien extérieur, notamment américain. La connivence des pouvoirs en place avec les puissances étrangères sont devenus le paramètre de la stabilité ou instabilité de ce pays. C’est ainsi que ce Haïti vit au rythme des coups d’état depuis les années quatre-vingt essentiellement, ? ce jour. Bien que les américains jouent le rôle le plus important dans le contrôle d’Haïti, celui de la France n’est pas des moindres. C’est la France qui a accordé, en 1986, un droit d’asile ? l’ex-dictateur Jean Claude Duvalier, qui a emporté dans ses valises, 900 millions de dollars des caisses de l’État, soit plus que la dette extérieure du pays ? l’époque. A ce jour, il n’est pas extradé malgré les demandes répétées de la justice haïtienne, afin de le juger et récupérer les sommes volées. L’argent de l’ex-dictateur et de sa famille se trouvent dans des banques étrangères, de surcroît suisses. Haïti a entamé une procédure pénale afin de faire face aux réticences des banques suisses ? vouloir restituer la fortune de Duvalier et son clan.

" La France a accordé, en 1986, un droit d’asile ? l’ex-dictateur Jean Claude Duvalier, qui a emporté dans ses valises, 900 millions de dollars des caisses de l’État. A ce jour, il n’est pas extradé."

La stratégie et l’implantation américaine dans la région remontent ? loin et se sont amplifiées durant la guerre froide. Washington considère par ailleurs Haïti comme une arrière base face ? son voisin Cuba. Les américains ont trouvé des alliés importants en la personne des dictateurs qui se sont succédé ? la tête du pays. L’économie de Haïti a été démantelée ? partir des années 70 au profit des entreprises américaines. Le soulèvement de la population dans les années 80 a amené au pouvoir le président Jean-Bertrand Aristide, qui a promis d’importantes réformes, notamment agraires qui auraient pris en charge des aides aux paysans pauvres, qui auraient construit de nouvelles infrastructures et ouvert le champ politique. Ce n’était pas du goût de l’establishment américain qui fomenta un coup d’État ayant chassé en 1991 le président Aristide. L’administration Clinton allait changer de position en envoyant des troupes sur l’île en 1994, afin d’assurer la réélection d’Aristide, dans la mesure où il promit la docilité. Or, une fois au pouvoir, ce dernier ne put accepter la feuille de route américaine et alla même jusqu’ ? demander aux USA 21 milliards de dollars d’indemnité pour le pillage de son pays.

L’Amérique recourut alors ? son arme fatale dans la région, imposant un embargo qui a asphyxié l’économie haïtienne, et ce avec la complicité des Nations Unies qui ont envoyé des troupes sur place. Vint alors un second coup d’État en douce contre Aristide qui allait amener au pouvoir le gouvernement de Gérard Latortue. Ce dernier a généralisé la corruption qui a notamment profité ? son clan. L’élection de René Préval en 2006, en bénéficiant de l’image d’ancien allié d’Aristide, a suscité de l’espoir dans les couches sociales les plus pauvres qui ont voté massivement pour lui. Mais l’illusion n’allait pas durer longtemps, la crise sociale s’étant amplifiée et l’appauvrissement galopant. Aristide est toujours en exil d’où il réclame son droit au retour et le droit pour son parti, Fanmi Lavalas, de participer aux élections.

Économie ruinée et lendemains incertains.

Les différents plans d’ajustements structurels imposés par le FMI et la Banque Mondiale qui servent plutôt l’intérêt des marchés occidentaux ont ruiné l’agriculture de Haïti et sa paysannerie. Cette politique a provoqué en 2008 une grave crise alimentaire et plus d’instabilité politique. Le taux de chômage est d’environ 65% de la population active. Le secteur informel domine l’économie haïtienne et la majorité de la population vit avec moins d’un dollar par jour. L’exode rural de la paysannerie vers les villes, notamment ? Port-au-Prince, allait voir l’avènement de bidonvilles et l’accentuation de la main-d’œuvre bon marché. Le marché du textile, avec ses « ateliers ? sueurs », est détenu par les entreprises américaines. La dégradation de la situation sociale, la déforestation massive, la destruction de l’agriculture paysanne, auxquelles se sont ajoutés les violents cyclones de 2004 et 2008, ont carrément ravagé le pays.

Il ressort des médias que la tragédie actuelle est de la seule faute du gouvernement, en oubliant d’expliquer les origines du désastre politique qui frappe ce pays. Présenter les bateaux de croisières comme transportant des sauveurs, revient ? cacher l’autre image de ce pays offert ? l’exotisme des étrangers, même dans les moment les plus terribles de son histoire. Présenter les USA avec leur flottes de guerre et la France comme sauveurs, c’est cacher la responsabilité de ces pays dans les drames d’Haïti. Les médias montrent les images des anges en kaki qui veilleraient sur l’ordre et une équitable distribution des aides. C’est ainsi qu’on s’achète bonne conscience en brandissant une bienveillance mondiale et un altruisme sans frontière. Dans la cacophonie médiatique, Sarkozy lâche une phrase et se querelle avec les USA. Puis, il se ravise.. Le gâteau est minuscule, mais pourquoi pas arracher une part. Or l’oncle Sam ne cède rien, même pas un brin dans l’enfer.

"Présenter les USA avec leur flottes de guerre et la France comme sauveurs, c’est cacher la responsabilité de ces pays dans les drames d’Haïti."

L’ingérence étrangère, l’imposition par les organismes internationaux de politiques sociales d’austérité, le changement du régime au grès des puissants sont rapidement dévoilés comme autant d’eau versée dans le moulin du drame même si les médias ne veulent faire tomber le masque. Dénué d’infrastructures adéquates, de services publics opérationnels, la catastrophe s’explique ainsi en grande partie par la situation sociale du pays. Haïti a besoin aujourd’hui d’une réelle solidarité planétaire mais surtout d’une indépendance effective afin de se reconstruire et surmonter la douleur de son deuil.

Mohammed Yefsah

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