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Hommage à Kateb Yacine
L’actualité de Kateb Yacine, partisan de la Paix.
mercredi 4 novembre 2009, par
L’année 1950 est une année particulière, un tournant dans le journalisme de Kateb Yacine ; il livre ses grands papiers de politique internationale. Alger républicain mieux installé matériellement, plus structuré est en pleine mutation, et confie à Kateb Yacine la fonction de chef de rubrique de politique étrangère qu’il occupe avec une incroyable maturité du haut de ses 20 ans.
Il se montre fin commentateur de politique extérieure faisant sentir aux lecteurs tous les soubresauts de l’histoire de cette période qui ne sont pas sans rapport avec les secousses de l’histoire contemporaine que nous traversons. Il écrit une série d’articles - qui tissent un écho d’une brûlante actualité - par lesquels on apprend ce qu’a été la Guerre Froide pour le Maghreb et l’Afrique. Non seulement il est toujours en posture de réaction, surveillant de très près toutes les négociations internationales, sentinelle vigilante pour son pays, son continent et la terre arabe, mais il est essentiellement en état d’alerte faisant sa propre Guerre Froide, s’impliquant dans le moindre détail - c’est elle qui est la toile de fond de tous ses articles.
Son premier papier qui dénonce le chantage à la bombe H entre dans le vif du sujet, recentrant, resituant les campagnes américaines en matière d’armement atomique qui sont en fait dit-il une réponse au "renforcement de l’action pour la paix dans tous les pays d’où nécessité pour le Département d’Etat de rassurer les forces de réaction qui le soutiennent par des rodomontades de moins en moins efficaces".
Tous les articles du jeune Kateb interviennent dans une conjoncture internationale de tension extrême où la peur d’un embrasement mondial augmente. Il prend position face à la décision de Truman d’autoriser la fabrication de la bombe H. Pour Kateb Yacine c’est une "politique de désespoir". Fondamentalement ce sont les bonnes relations entre les Etats qui sont le centre de ses préoccupations mais il s’offusque aussi moralement au nom de " l’intérêt de l’humanité " et brandit à son tour le spectre d’une troisième guerre mondiale. Il intervient dans ce jeu, dans cette guerre politique pour offrir à ses lecteurs une connaissance plus globale de la situation internationale ; il révèle que c’est l’occasion pour les USA "d’une manœuvre de grand style : proposer un nouveau débat sur l’énergie atomique aux Nations Unies sous la menace de la bombe H". On le voit aux manœuvres d’hier répondent les grandes manœuvres d’aujourd’hui - le chantage aux armes chimiques. Le jeune Kateb, quant à lui, a choisi son camp, celui des partisans de la paix, il appelle au renforcement de son action et apporte son soutien actif au Comité Permanent Algérien, le journal se faisant l’écho de ses appels et il semble bien que l’ensemble de ses articles s’organisent aussi dans ce sens - fondamentalement anti-guerre.
On le voit bien à travers un billet à l’humour féroce ; on sait que les USA, plongés dans le maccarthysme entretiennent savamment à l’intérieur une psychose de la conspiration étrangère (comme aujourd’hui d’ailleurs !) que Kateb évoque par la plaisanterie rendant toute son insignifiance à la théorie du complot, à la menace étrangère. C’est à travers une veine satiro-politique mêlant drôlerie et gravité qu’il évoque à notre grand amusement l’histoire suicidaire d’un dirigeant de la politique extérieure des États Unis " qui grelotait en pyjama dans les rues de New York, en hurlant : "voilà les cosaques !" ", cédant à la panique orchestrée. Ce qui prime en fait chez Kateb, ce n’est pas l’information brute, bien au contraire, qu’il dépasse et c’est cette capacité qui lui permet de saisir des enjeux mondiaux derrière de simples faits dont il tire toujours la leçon pour les peuples opprimés. Il en profitera pour attaquer le camp des bellicistes "qui n’ont pu venir à bout de l’opinion… Et depuis par centaines de millions, les simples gens s’obstinent à exiger la paix ". Hier comme aujourd’hui.
On voit très clairement sur quoi va se construire la politique étrangère de Kateb : la guerre anti-impérialiste, la défense du bloc communiste, la lutte pour la paix et la guerre anticoloniale soudent les articles.
Kateb va étendre lui aussi sa Guerre Froide en Asie éventant toutes les supercheries. Quand la Chambre des Représentants Américains vote une aide financière aux " pays arriérés d’Asie ", il dévoilera que ce n’est au fond que " la continuation de la politique Américaine d’aide " à Tchang Kai Chek et que tous ces subsides des US vont juste permettre d’armer la créature du Gouvernement Français, Bao Dai contre le peuple du Viet Nam et renforcer " le bloc agressif du Pacifique ". Menant sa guerre d’information, faisant comprendre à ses lecteurs que la victoire des communistes en Chine pousse les Américains à transporter la Guerre Froide en Asie, il démontre bien que la Guerre d’Indochine, guerre coloniale qui oppose depuis 1946 la France et le Vietminh, est aussi selon ses propres mots "une guerre dans la Guerre Froide". Il fait de Bao Dai une marionnette entre les mains des Américains et Kateb, en tant que pacificateur, alerte l’opinion sur les dangers et les conséquences d’une telle politique, la guerre étant l’ultime recours pour continuer à dominer !
Il a compris que l’objectif est de "faire dégénérer la guerre coloniale d’Indochine en conflit mondial" ; il tire déjà la sonnette d’alarme et ne cessera de saisir toute occasion pour parler de la guerre du Vietnam, lui apportant son soutien (appel à une campagne de signatures), relevant toutes les contradictions du plan Truman. Il montre que les arcanes de la politique française et anglo-américaine n’ont pas de secret pour lui et propose à ses lecteurs " le dessous des cartes " entrecroisant constamment les évènements internationaux d’où il tire un fil d’Ariane et le lecteur d’aujourd’hui peut sentir, je pense, à quel point son journalisme politique est visionnaire.
Particulièrement, il maintient dans sa ligne de mire les négociations internationales déjouant les manœuvres de diversion. Dans la rivalité en Europe entre les deux blocs, Kateb s’introduit, met en exergue le ré-armement de l’Allemagne occidentale qu’il dénonce pointant déjà la remonté du nazisme, ils ont " repris de service " nous dit-il, retour toléré par les grandes puissances indexant ainsi une réelle collusion. On sent l’indignation, l’émotion, la perplexité et l’inquiétude du jeune Kateb qui craint pour la paix " non seulement en Europe mais en Afrique".
En pleine Guerre Froide, il veille sur son continent, guette, cherche à assurer la sécurité du Maghreb, de l’Afrique refusant que ses terres servent de base arrière aux manœuvres militaires du Pacte Atlantique qui débarque des avions en Tunisie. On décèle son sens profond de la fraternité ; se mettent en place dans un journalisme solidaire ses luttes fraternelles aux cotés des peuples de Tunisie, du Maroc et d’Afrique.
Un ensemble d’articles se dégage où il révèle ce que cache le plan Truman pour l’Afrique, sa terre natale, série remarquable où se construit une cohérence autour de son pacifisme, de son anticolonialisme. Il alarme ses lecteurs sur deux points précis - sur la mise en place d’un plan Marshall pour l’Afrique et sur la constitution " d’armées gendarmes " chargées de réprimer le mouvement pour la liberté et la paix. Il déjoue en stratège tous les complots, en particulier les propositions du ministre français Robert Schuman (appartenant à la démocratie - chrétienne et porteur de l’idée européenne) de mettre en commun l’arsenal franco-allemand et d’opérer "une mise en valeur commune de l’Afrique". Le plan Schuman, alliance des visées colonialistes et du Pacte Atlantique est senti par notre jeune journaliste comme une étape décisive extrêmement dangereuse pour "les territoires contrôlés par les colonialistes français". Il affirme que le projet contre lequel il s’insurge a vu le jour déj ? sur " la table de l’état major hitlérien ", que la France n’a guère l’initiative du projet, que ce n’est qu’un vulgaire héritage hitlérien de 1939 !
Pour montrer cette continuité historique, Kateb exhibe cet héritage infamant en pages intérieures sous le vocable "Eurafrik, nouveau concept géo-politique, mettant en place une stratégie de la tension, interpellant ses lecteurs :
"Ce n’est pas aux Algériens que pourra échapper le sens de tels "accords". C’est, en effet, une méthode éprouvée des impérialistes de se "partager" les colonies africaines à chaque fois que la crise sonne le glas de leur domination"
Il attaque la presse "occidentale", qu’il épluche, la démasque, montre son rôle actif. Il étaye toutes ses révélations et c’est ainsi que le lecteur peut voir comment COMBAT, le journal de la Résistance découvre le continent africain et s’extasie devant " les richesses fabuleuses qu’il recèle ". Irrévérencieux, Kateb est en train d’écrire l’Histoire souterraine, Histoire originale, page blanche de l’Histoire des historiens, celle de la Guerre Froide qui s’étend à l’Afrique avec un plan Monnet (économiste français) pour les Territoires d’Outre Mer en fonctionnement déjà depuis 1947 : investissements américains déversés sur l’Afrique du Nord, ressources stratégiques utilisées dans la machine de guerre atlantique, complot contre l’Afrique, collusion avec une "Eurafrik américaine" où, nous dit-il "les colonialistes français peuvent trouver leur compte, sinon leurs parts de bénéfices ".
En fait, Kateb nous offre les pages les plus obscures, les plus ignorées de la Guerre Froide, montrant ses effets pervers sur son continent comme, par exemple, les propositions de transfert de populations européennes "sur notre sol" dont il envisage déjà tous les risques surtout l’installation de millions de chômeurs exploitant et faisant trimer les salariés africains. Toujours à l’affût, déjouant les stratégies, il opère des rapprochements fulgurants par exemple entre le déplacement de cette "armée de chômeurs" avec l’opération militaire qui consiste à créer des "armées gendarmes" spécialement affectées à la répression des mouvements populaires de libération nationale. Bien sûr il apostrophe la presse de M. Naegelen, Gouverneur de l’Algérie, qui passe sous silence ces informations et il élabore une contre actualité en lieu et place. Il signale ainsi le démantèlement et la suppression du Centre d’Alger - Maison Blanche, "la presse du silence" se gardant de dire que c’est le matériel du plan Marshall, y compris l’acier allemand qui remplacera l’outillage ainsi liquidé. Soulignant le refus de M. Schuman d’ouvrir un débat public sur le projet d’union franco-allemande, Adenauer étant devenu le "compère" de Schuman qui déclare à ce dernier apporter" en dot son outillage et les marchés africains", Kateb se révolte contre cette farce tragique pour les peuples d’Afrique. Il met en garde les peuples qui se laissent prendre aux "illusions eurafricaines", illustre à partir de l’exemple du Moyen Orient où un million de réfugiés arabes de la guerre de Palestine triment sous un véritable régime concentrationnaire : 1500 calories / jour, pas d’hôpital, d’écoles, surveillances, persécutions. Voilà ce qui attend les salariés d’Afrique du Nord : le plan Schuman – Truman est dénoncé comme un véritable complot, "un plan d’agression" avec consécutivement un chômage plus accru en Afrique du Nord. "L’Algérie en danger" forme un très beau sous titre et le jeune Kateb invite les peuples à serrer les rangs pour :
" barrer la route à cette entreprise d’esclavage, de répression et de guerre ! "
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Ouahiba Hamouda