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La communauté internationale promet de reconstruire Gaza... avec des ateliers de misère pour exploiter les ouvriers palestiniens
mercredi 22 octobre 2014
La communauté internationale promet de reconstruire Gaza... avec des ateliers de misère pour exploiter les ouvriers palestiniens
16.10.2014 - Le siège israélien de la Bande de Gaza a emmené dans son sillage un rituel tristement familier : l’armée israélienne détruit de grands pans de l’enclave côtière ghettoïsée, laissant derrière elle des dizaines de milliers de sans-abri, les vestiges du carnage et des monceaux de gravats. Ensuite, les diplomates occidentaux et arabes se précipitent vers une capitale du Moyen-Orient pour jouer les agents d’entretien de l’Etat juif, promettant des milliards d’aide pour nettoyer le gâchis laissé par Israël. Et, avec une régularité d’horloge, Israël détruit à nouveau tout un an ou deux après, bombardant Gaza avec une férocité sans précédent.
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La communauté internationale promet de reconstruire Gaza... avec des ateliers de misère pour exploiter les ouvriers palestiniens
Exposition "Tahaluk" [Exténué] de l’artiste palestinien Iyad Sabbah, sur la plage de Gaza, une série de personnages en argile qui fuient leurs maisons, pour représenter le récent massacre perpétré par l’armée sioniste d’occupation dans le quartier de Shejaiya
(source Jamal Dajani
Lorsque l’équipe internationale d’entretien d’Israël s’est réunie cette semaine au Caire avec un engagement de lever 5 milliards de dollars pour participer à la reconstruction des 8 milliards de dollars de dégâts causés par Israël à la population civile, le ministre israélien des Transports, Yisrael Katz, l’a assurée que ses efforts étaient parfaitement inutiles. "Les habitants de Gaza doivent décider s’ils veulent être Singapour ou le Darfour," a fait remarquer Katz, alignant la menace de génocide et le fantasme de la prospérité économique. "Ils peuvent choisir entre la reprise économique et la guerre et la destruction. S’ils choisissent la terreur, le monde ne devrait pas gaspiller son argent. Si un missile est tiré, tout disparaitra."
Les diplomates réunis au Caire ont entendu le message. Comme l’un d’entre eux l’a dit à l’AFP : "Nous avons vu que des projets d’infrastructure auxquels nous avons contribué ont été détruits." Le diplomate s’est plaint que les attaques israéliennes soutenues contre les infrastructures de Gaza "avaient provoqué une fatigue considérable chez les donateurs."
Johan Schaar, chef de la Coopération au développement au Consulat de Suède en Palestine Occupée a concédé que la capacité illimitée de violence d’Israël avait fait de la conférence une entreprise inutile. "On ne peut pas attendre de nous que nous revenions vers nos contribuables pour la troisième fois pour leur demander de contribuer à la reconstruction, et ensuite nous revenons simplement là où nous en étions avant que tout cela ne commence," a-t-il gémi. "C’est hors de question."
Seule environ la moitié des 5 milliards de dollars promis au Caire serait effectivement budgétée pour la reconstruction de Gaza. Le reste, selon le Premier ministre de l’Autorité Palestinienne Rami Hamdallah, permettrait de maintenir à flot son gouvernement non élu en Cisjordanie , où 44% des fonctionnaires sont employés dans le secteur de la sécurité - des policiers palestiniens payés au bénéfice de l’occupation israélienne. Sous le prétexte de restaurer les fonctions de base dans la Bande de Gaza, une entité qui sera inhabitable d’ici 2020 selon l’ONU, et qui est déjà considérablement invivable aujourd’hui, les diplomates au Caire ont trouvé une porte dérobée pour maintenir la police d’Etat qui dirige les bantoustans en constant rétrécissement de Cisjordanie .
"Sans une avancée politique, je pense que nous finirons par donner mais l’aide que nous avons déjà fourni sera reconditionnée," a déclaré un diplomate européen au service d’information des Nations Unies, IRIN. "En réalité, il n’y aura pas d’argent frais. Il n’y a pas beaucoup d’engagement politique ou d’espoir."
Les diplomates réunis au Caire savaient que la conférence des donateurs était une farce qui ferait peu pour soulager la souffrance de la population assiégée de Gaza. Pourtant aucun ne semble prêt à s’écarter du statu quo. Ils ont abordé la destruction de Gaza comme si elle était le résultat d’une catastrophe naturelle aléatoire et non la fureur maléfique d’une colonie de peuplement anachronique armée jusqu’aux dents par la seule superpuissance du monde. Évidemment, la violence israélienne contre la population civile de Gaza a été à peine mentionnée, pas plus que n’a été proposée la moindre mesure diplomatique contre elle. Et avec le Hamas interdit de participation à la conférence, le gouvernement de Gaza n’a pas pu soulever la question.
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Ignorer l’occupation, légitimer le dictateur
Lorsque Kerry est monté à la tribune, il a promis 212 minables millions de dollars à Gaza, presque 700 millions de dollars de moins que ce que les États-Unis avaient donné après l’attaque israélienne de 2008-2009 connue sous le nom de Opération Plomb Durci. Puis il a commencé à se répandre en compliments sur les "efforts" du président égyptien Abdel Fatah al-Sisi, dont la première réalisation après qu’il a remporté l’élection par la fraude fut d’étouffer Gaza par le sud, en détruisant l’économie des tunnels qui permettaient de tout importer, des fournitures médicales aux matériaux de construction.
"Je pense qu’il est juste de dire, [Sisi a] réellement aidé à réaffirmer le rôle central que l’Egypte joue dans cette région depuis si longtemps," a dit Kerry, conférant au despote la légitimité qu’il recherche désespérément. On n’a pas oublié le coup d’Etat militaire et les massacres consécutifs des manifestants pacifiques, ni les 40.000 prisonniers politiques qui croupissent dans les geôles égyptiennes. Quelques heures après l’événement, Kerry a rencontré Sisi en privé pour lui promettre une livraison de 10 hélicoptères d’attaque Apache - sa récompense pour le boulot bien fait.
Kerry a salué Israël comme une nation généreuse qui prend des "mesures positives" pour aider à soutenir l’économie de Gaza et à remettre sur pied le territoire assiégé. Il a claironné que "de nouvelles mesures qui devraient permettre une augmentation du commerce des produits agricoles entre Gaza et la Cisjordanie , et davantage de permis d’entrée en Israël pour les chefs d’entreprise palestiniens," omettant le fait qu’Israël a interdit l’entrée de tout matériel de construction à Gaza, retardant indéfiniment l’entrée de 60 camions. "Nous espérons voir beaucoup d’autres mesures positives annoncées et mises en œuvre dans les semaines et les mois à venir," a déclaré Kerry.
Enfin, Kerry a vanté un plan économique peu compris appelé L’Initiative pour l’économie palestinienne, affirmant qu’il s’agit d’une recette pour réduire le chômage palestinien à 8 pour cent - le même taux qu’aux États-Unis. Il a crédité McKinsey & Co, la société de conseil en gestion basée aux États-Unis qui a aidé Enron à exploiter la crise de l’énergie de la Californie, pour la production de l’analyse de l’Initiative pour l’économie palestinienne.
"Nous parlons d’un investissement réel qui produit de vrais emplois et des opportunités pour des milliers de Palestiniens," a proclamé Kerry, "et c’est ça qui fera la différence, à long terme."
Des ateliers de misère pour Gaza et des millions pour Tony Blair Inc.
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Alors, qu’est-ce que L’Initiative pour l’économie palestinienne ?
Résumé de l’Initiative pour l’économie palestinienne - AHLC 26-9-2013 (en anglais)
Quand il a déployé le plan au Forum économique mondial 2013 en Jordanie, Kerry l’a salué comme "le plus grand, le plus audacieux et le plus ambitieux que tout ce qui a été proposé", promettant une injection de 4 milliards de dollars d’investissements dans l’économie palestinienne.
Malgré son optimisme, Kerry a éludé toutes les questions des journalistes sur les détails du plan. Tout ce qu’on a su, c’est que la mise en œuvre du plan serait supervisée par Tony Blair, le représentant entaché de corruption du Quartet qui a gagné près de 100 millions de dollars en conseillant un vaste réseau de sociétés, banques et dictateurs allant de Noursoultan Nazarbaïev du Kazakhstan à al-Sisi d’Egypte.
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Pour donner une impulsion à l’initiative sur le terrain, Kerry a recruté Munib al-Masri, le magnat palestinien qui vit dans un manoir de style néo-italien (photos ci-dessus) sur les hauteurs de Naplouse, au-dessus du camp de réfugiés de Balata, où sévit une très grande pauvreté. Il s’est également adjoint le savoir-faire financier de Tim Collins, un donateur du Parti démocrate et vautour capitaliste dont la société Ripplewood Holdings spécialisée dans les rachat a liquidé l’entreprise Hostess, envoyant au chômage 18.000 travailleurs syndiqués. Ce fut donc eux les visionnaires désintéressés appelés par l’histoire pour sauver la Palestine.
L’année dernière, un homme d’affaire palestinien m’a procuré un document de 14 pages produits au nom du Quartet par McKinsey & Co, qui souligne les objectifs de l’Initiative pour l’Economie palestinienne. C’est un document bizarre qui analyse Gaza et la Cisjordanie comme si elles étaient des pays en développement normaux, dont les performances économiques pouvaient être optimisées avec juste un peu de savoir-faire technique et quelques stratégies de marketing innovantes. L’occupation de la Palestine par Israël n’est pas mentionnée une seule fois dans le document.
Les consultants de McKinsey y constatent que le ghetto emmuré de Gaza "est en-dessous des objectifs des indicateurs clés du tourisme," mais ces analystes intellos n’arrivent pas à dire pourquoi, ne faisant allusion qu’à "l’instabilité régionale" et la "faible prise de conscience de sites existants à destination touristique." Ignorant le siège israélien, le facteur qui fait littéralement de tout ce que McKinsey propose un délire total, l’entreprise propose "une gamme de nouvelles offres hôtelières (...) soutenues par un marketing agressif." Si seulement la Bande de Gaza pouvait trouver une marque gagnante, suggère McKinsey, des centres de thalassothérapie pourraient fleurir le long de son littoral, offrant de superbes vues du blocus naval d’Israël.
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Pour ramener à la vie l’économie assiégée de Gaza, McKinsey appelle à la prolifération d’ateliers clandestins qui produiront en série des fermetures éclair et des boutons pour "des concepteurs haut de gamme sur les marchés israéliens du vêtement requérant des commandes personnalisées relativement petites qui ne sont pas bien traitées par les fabricants en gros." Voilà pour Singapour sur Méditerranée. Sous direction internationale, Gaza deviendrait un Bangladesh occupé, produisant l’attirail vestimentaire des fashionistas de Tel Aviv. Et peut-être les ouvriers des ateliers misérables de Gaza pourraient même fabriquer les fermetures éclair d’une commande spéciale des uniformes de l’armée israélienne lorsque les branchés de Tel Aviv seront appelés pour la prochaine invasion au sol.
Presque chaque projet de construction et agricole envisagé par McKinsey a été annulé par le siège d’Israël et les attaques militaires qui l’accompagnent. Pas un seul dollar n’a été promis au Projet de traitement d’urgence des eaux usées du Nord de Gaza, qui a été souligné dans le document McKinsey comme l’une des principales réalisations du Quartet. Et aucune des unités de logement abordables proposées par McKinsey n’a été construite. Au contraire, Israël a endommagé ou détruit au moins 18.000 maisons à Gaza cet été et effacé 128 entreprises lorsqu’il a réduit en miettes les installations déjà surchargées d’assainissement, de fournitures d’électricité et d’eau de la Bande. Voilà pour "le changement et les transformations" et "les plus grandes opportunités d’amélioration de la vie sur le terrain."
Même s’il a admis que l’aide à Gaza était une "solution de fortune", Kerry n’a offert aucun remède politique au-delà du plan-cadre pour deux États que le gouvernement israélien a déjà rejeté de façon retentissante plus tôt cette année. Ainsi son apparition au Caire et l’ensemble du spectacle de la conférence des donateurs ont ajouté une nouvelle couche de poudre aux yeux sur le statu quo brutal.
Pendant ce temps, tandis que les diplomates rentraient chez eux, les responsables israéliens ont intensifié leurs imprécations à vous glacer le sang. "Si une Opération Bordure défensive ne suffit pas, vous en aurez deux ou trois, jusqu’à ce que cesse la terreur du Hamas," a clamé le ministre des Transports Katz. "Je préfère 1000 mères palestiniens en pleurs que de laisser pleurer une seule mère juive."
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Par Max Blumenthal
Gaza - 21 octobre 2014
in ISM
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Max Blumenthal est journaliste à AlterNet et l’auteur de "Goliath and Republican Gomorrah" (Basic/Nation Books, 2009). On peut le suivre sur Twitter @MaxBlumenthal.
Traduction : MR pour ISM
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Source de l’article original en anglais :
Voir en ligne : Source de l’article sur ISM France