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Pourquoi Israël a-t-il tellement peur d’Ahed Tamimi, 16 ans ?
lundi 22 janvier 2018
Ahed Tamimi, âgée de seize ans, était de retour devant le tribunal jeudi. Le juge a statué pour la troisième fois que sa détention était prolongée, cette fois pour cinq jours supplémentaires. Au cours de la dernière semaine et demie, Ahed a été ballotée de prisons israéliennes en postes de police. Elle a été détenue dans des cellules d’isolement glaciales avec des caméras pointées sur elle 24 heures par jour.
À plusieurs reprises, sans la présence d’un parent ou d’un avocat, ils ont tenté de l’interroger. La raison de la décision du juge de prolonger sa détention est qu’elle « fait courir un risque » à l’armée et au gouvernement israéliens.
Israël a raison quand il dit qu’Adhed Tamimi présente un risque. Mais ce n’est pas un risque à l’une des armées les plus puissantes et les plus sophistiquées au monde, ou au procès en cours contre elle. Le risque qu’elle pose réside dans son refus de se soumettre à la demande israélienne que les Palestiniens acquiescent à leur propre occupation. La logique israélienne est que les Palestiniens devraient coopérer à leur propre oppression. Ils devraient se déplacer tranquillement à travers les points de contrôle, ouvrir leurs sacs, ne pas regarder leurs occupants dans les yeux et ne pas contester ou protester contre le vol de leurs terres, de leurs ressources et de leurs libertés.
La logique israélienne est que s’ils n’aiment pas ça, ils peuvent partir. En fait, ils préféreraient de beaucoup que les Palestiniens partent. La stratégie est de rendre la vie si insupportable aux Palestiniens qu’ils partent volontairement. Cela a même un nom : « transfert volontaire ».
Depuis qu’Ahed était petite, elle et sa famille ont activement résisté à l’occupation israélienne. Depuis 2013, ils organisent régulièrement des manifestations contre les militaires et les colons voisins qui se sont emparés de leurs terres et de leur source. Les protestations sont accueillies avec des gaz lacrymogènes, des balles caoutchouc-acier, de l’eau puante et des balles réelles.
En 2012, le père d’Ahed a été déclaré prisonnier d’opinion par Amnesty International. En 2013, son oncle a été tué par une grenade lacrymogène tirée en pleine tête. En 2014, sa mère a failli être presque définitivement handicapée après avoir été blessée à la jambe par une balle de calibre .22. En 2015, une vidéo d’Ahed empêchant son plus jeune frère d’être arrêté a fait le tour du monde. Ses cousins et son frère aîné ont passé du temps dans les prisons israéliennes.
Le vendredi 15 décembre, lors d’une manifestation contre l’annonce du président Trump sur Jérusalem capitale d’Israël, le cousin de 14 ans, Mohammed Tamimi, a reçu une balle caoutchouc-acier au visage. Il a été transporté à l’hôpital où il a dû être opéré et a été placé en coma artificiel. Quelques heures plus tard, lorsque des soldats armés sont venus chez Ahed et ont exigé d’entrer, elle les a repoussés. Elle les a giflés et leur a donné des coups de pied, en criant qu’ils n’entreraient pas.
Shenila Khoja-Moolji a analysé hier sur Aljazeera le contraste frappant entre le soutien reçu par Malala Yousafzai après que les Taliban lui aient tiré une balle dans la tête et le silence sur le cas d’Ahed par les dirigeants féministes et politiques. Certes, il y a une grande différence entre recevoir une balle dans la tête sur le chemin de l’école et être arrêté pour avoir giflé un soldat.
Malala a été invitée à rencontrer le président Barack Obama. Elle a été défendue par la sénatrice Hillary Clinton et classée parmi les 100 personnes les plus influentes par le magazine Time. En 2013 et 2014, Malala a été nominée pour le prix Nobel de la paix et en 2014, elle l’a remporté. En revanche, l’histoire d’Ahed n’a fait l’objet que d’une petite couverture médiatique et elle n’a pas encore trouvé d’hommes politiques ou de personnages influents dans les médias pour défendre sa cause.
Alors que l’Occident semble plutôt indifférent au sort d’Ahed, Israël est bien décidé à haïr la jeune fille. Le ministre israélien de l’Education, Neftali Bennett, a demandé qu’Ahed et sa famille « passent le restant de leurs jours en prison. » Le ministre de la Défense, Avigdor Liberman, a déclaré qu’elle et sa famille devraient « avoir ce qu’elles méritent, » et le journaliste bien connu Ben Caspit a dit qu’Israël devrait « lui faire payer le prix à un autre moment, dans le noir, sans témoin ni caméra. »
Caspit a par la suite essayé de faire marche arrière, disant que ses paroles avaient été sorties de leur contexte. Mais comme le mouvement #MeToo l’a clairement dit, nier ses intentions ne les annule pas ni ne les excuse.
Tandis que le mouvement #MeToo continue de structurer et d’encourager les voix des plus marginalisés, la voix d’Ahed n’est pas reconnue alors qu’elle pourrait être considérée comme un pilier du mouvement. Ahed refuse d’approuver l’occupation brutale d’Israël. Elle refuse d’approuver le fait que les forces israéliennes envahissent la maison familiale dans un nouveau raid nocturne vicieux et sans fondement. Elle affronte ses agresseurs et résiste au violent système de pouvoir qui perpétue ce cycle d’exactions contre les Palestiniens. De la même manière qu’on réduit les victimes d’agression sexuelle et de viol au silence, qu’on doute d’elles et qu’on les accuse des crimes commis contre elles, Ahed fait face au même contrecoup de la part de ses agresseurs. Israël travaille intensivement à la discréditer et à effacer sa voix, dans l’espoir que les gens croiront ses mensonges plutôt que sa vérité. Il est temps que des voix du mouvement #MeToo appellent à sa libération et établissent des parallèles.
Shenila Khoja-Moolji explique les raisons de ce manque de soutien pour Ahed comme étant dû à l’acceptation de la violence de l’Etat, à l’humanisme sélectif de la société occidentale et à la nature politique plutôt qu’individuelle du féminisme d’Ahed. Ce sont des explications valables et importantes.
Mais le soutien à Ahed est aussi une condamnation de l’Etat d’Israël. C’est une condamnation du système judiciaire militaire israélien qui permet aux enfants d’être isolés et de se voir refuser la présence de leurs parents pendant les interrogatoires. C’est une condamnation de l’entreprise israélienne de colonisation et de sa présence continue sur la terre palestinienne.
Soutenir Ahed, c’est contester l’affirmation d’Israël que les Palestiniens doivent se soumettre à leurs occupants, qu’ils doivent ouvrir leurs portes aux soldats qui entrent dans leurs maisons. Et leurs filles de 16 ans ne doivent pas lever la main sur les soldats. C’est une chose de soutenir Malala pour avoir défié les Talibans, mais ça en est une toute autre que de soutenir Ahed qui défie les plus puissants alliés d’Israël et la seule prétendue démocratie au Moyen-Orient.
Les dirigeantes féministes n’ont pas toutes peur d’exprimer leur soutien à Ahed. CodePink a lancé une pétition adressée au Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou exigeant la libération d’Ahed. Nous, avec d’autres comme Jewish Voide for Peace, appelons les membres du Congrès à signer la mesure législative de la représentante Betty McCollum exigeant que l’aide des Etats-Unis à Israël ne soit pas utilisée pour les mauvais traitements et la détention des enfants palestiniens.
Ahed est une menace pour le système de pouvoir d’Israël tout entier. Non seulement elle est consciente de son propre pouvoir en interne, mais elle n’a absolument pas peur de ses agresseurs. C’est le même courage qu’il faut aux victimes d’agression sexuelle pour raconter leurs histoires et tenir leurs accusateurs pour responsables. C’est l’essence de la lutte pour les droits des femmes et la raison pour laquelle le féminisme est tellement incompatible avec le militarisme. Pour qu’Ahed réussisse dans son combat pour la libération de son peuple, il faut d’abord qu’elle soit libérée de prison. Pour que cela se produise, il faut que toutes les personnes qui se disent féministes et défenseurs des droits de l’homme disent #FreeAhed.
Source ISM France.