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La guerre
samedi 7 juillet 2018, par
Histoire de la Region
Dans la région montagneuse très accidentée de Cherchell, dans ces « montagnes farouches » comme les appelaient les soldats français, le premier affrontement entre l’Armée de Libération Nationale (ALN) et l’Armée française eut lieu le 18 juillet 1956, la veille de l’Aïd el Kebir, à six kilomètres au sud de Gouraya.
Le commandement de l’ALN de la wilaya IV (Blida-Médéa) avait envoyé, au mois de juin 1956, un groupe de douze hommes dans cet espace du Dahra oriental, long de 70 kilomètres et large de 15 à 20 kilomètres, qui isole les plaines du Haut Cheliff à la fois de la mer Méditerranée et de la Mitidja, pour organiser un maquis. Le premier objectif assigné au groupe était d’assurer la jonction du maquis de Miliana avec celui déjà actif de Ténès, à l’ouest, dans le cadre du plan général d’expansion de la lutte armée. Ahmed Ghebalou et Ahmed Noufi, natifs de Cherchell, descendants de familles originaires des montagnes qui surplombent la ville, furent désignés à la tête de ce groupe. Les dix hommes qui les accompagnaient venaient de diverses régions de l’Algérie : Mokrane de Kabylie, Rachid d’Alger, Abdallah d’Oran, Ahmed de Chebli, Belkacem de Soumaa, Medihoum de Bouinan, Omar de Bir Ghebalou, Hadj d’Affreville, Hamid et Omar (anciens soldats de l’armée française). Ils étaient dotés d’armes hétéroclites. Ahmed Ghebalou, qui avait quitté les bancs du lycée franco-musulman de Ben Aknoun au mois de mars 1956, pour rejoindre l’ALN dans le djebel des Beni Micera, était là pour assurer la fonction de commissaire politique. Ahmed Noufi fut choisi pour ses aptitudes physiques et sa connaissance des armes pour conduire les opérations militaires.
Cette partie montagneuse de Cherchell était divisée, au plan administratif, en sept douars – El Gourine, Sidi Semiane, Bouhlal, Zatima, Aghbal, Larhat - suite au démembrement, en 1863, des tribus des Béni Menacer et d’El Ghobrini. Avec les centres de colonisation peuplés d’Européens, ces douars constituaient la commune mixte de Cherchell à dominante indigène. Ils se caractérisaient par l’extrême morcellement de l’habitat avec toutes ses singularités. Les populations indigènes, très conservatrices, étaient toutes dotées de la même culture. Elles parlaient la même langue, le berbère. Elles avaient le même mode de vie archaïque caractérisé par leur façon de travailler la terre avec des outils rudimentaires (l’araire et la hache à la main), leur façon de consommer, de se soigner, de s’habiller, de se divertir, de construire leur maison (une hutte construite en pisé et en pierre couverte d’une terrasse faite d’un mélange d’argile et de branchages entrelacés avec une étable sous le gourbi). Dans cette région, fortement charpentée sur la tradition, au niveau économique bas, l’espérance de vie était très faible.
La colonisation fit que les montagnards, séparés de la zone littorale utile occupée par les colons, furent abandonnés à leur triste sort, l’Administration coloniale ne s’intéressant qu’au prélèvement des impôts : « pas d’école, pas de médecin ni dispensaire, pas d’électricité, pas de route », nous dit Ahmed Taberkoukt, un des témoins du camp de regroupement de Novi, rencontré au cours de notre enquête.
« Des gens vivant dans les ténèbres, sans les ressources de base minimales, soumis à l’arbitraire de l’administrateur civil et de ses assistants serviles, les caïds, désignés à la tête de chaque douar, témoigne Mohamed Younès, un maquisard natif de la ville de Cherchell et dont les parents sont originaires du douar Bouhlal. Son compagnon d’armes, Mustapha Saadoun, un vieux militant du mouvement national, avait été frappé, à son arrivée au maquis, par la terrible pauvreté des montagnards. Commissaire politique, il avait eu à arpenter tout le maquis. « Au douar Zatima, sur les hauteurs des monts de Gouraya, les gens vivaient à l’âge de pierre, témoigne-t-il. A Sidi Ouchkine, la famine tuait en hiver. De ma vie, je n’ai vu une telle situation de dénuement. Pour éviter les rafales de vent, les gens vivaient sous terre comme des troglodytes. Livrés à eux-mêmes, ils étaient devenus des loups ». C’est dans ce douar que les militaires français recrutaient leurs harkis pour les envoyer surveiller les camps de regroupement. Les témoins nous parlent de leur férocité.
« Au milieu de la désolation – où les enfants, vêtus d’une simple gandoura, marchaient les pieds nus – les garçons venaient à la vie pour garder des chèvres, puis, à l’âge adulte, aller travailler « des étoiles aux étoiles » dans les riches fermes coloniales du littoral, ou bien être des hommes de peine à l’huilerie Buthon, dans la montagne de Dupleix, ou bien tailleurs de pierre au mont des Carrières, au sud de Fontaine-du-Génie », raconte le maquisard Mohamed Younès.
« Les plus costauds parmi les montagnards réussissaient à trouver du travail, sur le littoral colonial, comme cantonniers au service des Ponts et Chaussées. Les plus conscients d’entre eux avaient adhéré au mouvement national. Ils furent les premiers auxiliaires de l’ALN », témoigne Mustapha Saadoun.
L’Armée de Libération Nationale (ALN)
Pour le petit groupe de l’ALN, arrivé dans la région au mois de juin 1956, tout a commencé à Adouiya, un lieu escarpé très difficile d’accès, situé sur l’axe Carnot-Dupleix, à 50 kilomètres au sud-ouest de Cherchell. Son installation fut facilitée par l’Imam Sid Ahmed, un homme cultivé très estimé par la population. Adouiya est également connue dans l’histoire du mouvement national pour avoir porté les candidats de la liste démocratique à la djemaa, en 1946.
L’escouade visita les hameaux qui s’égrènent sur les crêtes et installa les refuges indispensables au repli. C’est de Adouiya, un lieu haut perché, loin des centres de colonisation, que fut lancée la jonction avec le maquis de Ténès, raconte Ahmed Ghebalou.
La deuxième étape de l’extension de la guérilla fut Hayouna, un ensemble d’habitats dispersés au sommet d’un plateau, entre oued Sebt et oued Messelmoun. Située sur le versant sud de Gouraya, à mi-chemin entre la mer, au nord, et oued Chélif, au sud, cette fraction du douar Bouhlal offrait par son relief accidenté toutes les commodités pour l’implantation de l’ALN. Celle-ci s’appuya sur l’organisation clandestine du MTLD présente au douar depuis longtemps. Ainsi les premiers refuges s’érigèrent-ils rapidement pour servir de relais aux groupes armés en constants déplacements. Des caches pour le stockage du ravitaillement purent être aménagées chez des hommes sûrs, estimés par la population, comme Hadj Larbi Mokhtari, Djelloul Bélaïdi, Mohamed Hamdine, M’Hamed Mokhtari, Larbi Charef et Mohamed Mechenehch. « La population était acquise à la cause. De cette population sortaient les fida et les moussebilines. Les femmes nous préparaient la nourriture. Nous étions comme un poisson dans l’eau », témoigne le doyen du maquis, Mustapha Saadoun, 90 ans, né à Cherchell. Les anciens des camps de regroupement parlent dans leur témoignage du soutien multiforme apporté à l’ALN, malgré certains dépassements commis dans le feu de l’action par quelques combattants. « Notre maison à Seffalou, dans le douar très peuplé de Bouhlal, servait de refuge aux soldats de l’ALN », nous dit Djelloul Maazouzi.
L’armée française
Chargé spécialement du quartier englobant toute l’ancienne commune mixte de Cherchell, le 3ème bataillon du 22ème régiment d’infanterie (22ème R.I), composé essentiellement de rappelés de la classe 52/2 originaires de la 8ème région militaire (département de l’Ain), arriva de France le 17 juin 1956. Il fixa ses unités dans l’Atlas de Cherchell, un pâté montagneux long de 26 kilomètres d’est en ouest et large de 7 à 10 kilomètres du nord au sud, entre la vallée d’oued el Hachem, à l’est, et celle d’oued Messelmoun, à l’ouest, où la circulation est aisée à travers les pistes muletières. Il entra groupé au centre de colonisation de Zurich, à 13 kilomètres au sud de Cherchell, et occupa le domaine de Bou Aroua distant de 3 kilomètres au nord. Dès le 1er juillet, il fixa un PC réduit au centre de colonisation de Marceau où deux compagnies furent envoyées. Les maisons forestières de Tizi Franco, au sud-est de Marceau, Bousman, Aziem, au sud-est de Sidi Semiane, et Sidi Smaïl, lui servirent de postes avancés, au sud, dans le djebel Bou Maad dont la ligne de crêtes est suivie par des pistes muletières. De là, il répartit ses postes militaires dont le plus connu est celui de Saligane dans le djebel Bouharb. Il s’étendit ensuite jusqu’à la rive gauche d’oued Messelmoun, à Fontaine-du-Génie. Sur le plan opérationnel, le bataillon était rattaché au secteur Est dont le PC se trouvait à Miliana. Pour les soldats fraîchement arrivés de France, il fallait « pacifier » ce territoire dont ils ne connaissaient pas les habitants.
La première opération militaire
Le premier accrochage entre le groupe de l’ALN et des éléments de l’armée française eut lieu le 18 juillet 1956, au maquis d’Aghbal, à six kilomètres au sud de Gouraya. Le groupe, renforcé par de nouvelles recrues de la ville, particulièrement les joueurs de football du Mouloudia de Cherchell conduits par leur capitaine Ali Bendifallah, venaient de recevoir des armes de guerre issues du lot détourné le 4 avril 1956 par Henri Maillot.
Ce premier accrochage eut lieu sur le plateau de Saadouna, au pied des plus hauts sommets des monts du Dahra, Iboughmassen, près d’une épaisse forêt, à un endroit enclavé. La piste la plus proche s’arrête aux gorges Izérouan, à environ 800 mètres d’une pente raide, boisée, caillouteuse. La 6ème compagnie du 3ème bataillon du 22ème R.I montait une opération de bouclage du djebel Gouraya quand elle tomba dans l’embuscade tendue, au col à la fin de la pente, par le groupe de l’ALN, dirigé par Abdelhak. Il y eut 50 à 60 morts du côté de l’armée française. L’ALN récupéra de nombreuses armes de guerre.
Douze jours après, le 31 juillet, sur la piste qui borde l’oued Messelmoun, un autre accrochage eut lieu.
L’enquête sur les camps de regroupement
Les personnes rencontrées témoignent de leur vie dans la montagne et de cette période de la guerre passée au milieu des nombreux ratissages, avant leur déplacement en masse, en 1958, vers un lieu désert où rien n’avait été prévu. Ces lieux, entourés de barbelés, étaient placés sous le contrôle des officiers spécialistes du renseignement.
Ce fut « un bouleversement de la carte », écrit un ancien appelé de l’armée française. « La vie des populations, coupées de leur exploitation, fut totalement et terriblement modifiée ». « Les populations étaient acculées à crever de faim », témoigne un autre appelé. Des populations, soumises à l’entassement arbitraire, furent obligées de repartir de zéro.
Le camp de regroupement, qu’est-ce ? C’était, nous disent les témoins : la perte de dignité, la perte de l’intimité, le contact permanent avec la faim et la maladie, la peur des harkis, la peur, la nuit tombée, pour les mères et les sœurs, l’angoisse du lendemain.
Voici, un peu, les points qui ressortent des témoignages que nous avons pu recueillir auprès des survivants originaires des douars Bouhlal, Sidi Semiane, El Gourine, Larhat.
Mohamed Rebah