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Les prémisses historiques des manifestations populaires du 11 décembre 1960 pour l’indépendance
vendredi 11 décembre 2020, par
Ces journées historiques ont été un aboutissement de décennies de luttes héroïques contre la colonisation et le point de départ d’un élan populaire sans précédent dans le cours de la guerre de libération.
Conjuguées à la lutte armée à l’intérieur du pays comme au long de ses frontières à l’est et à l’ouest, les manifestations populaires qui se poursuivront jusqu’en mars 1962 ont contraint les chefs de l’impérialisme français à négocier avec le GPRA, représentant légitime unique du peuple algérien, du processus devant déboucher sur l’indépendance de l’Algérie.
Il faut rappeler quelques faits historiques sur la colonisation du pays pour comprendre la signification et le caractère inévitable de ces manifestations inédites.
Pendant 132 années notre peuple subissait les pires atrocités, les ratonnades, les enfumages, les tortures, les arrestations arbitraires, les emprisonnements, la spoliation des fellahs, les massacres sans nom, comme ce fut le cas en mai 1945 à Sétif (qui firent 45000 mille morts) et la liste est longue.
Pendant 132 années, que n’avions nous pas entendu claironner à outrance que l’Algérie c’était la France, et trois belles provinces françaises, etc. On a même fêté en grande pompe le centenaire de l’Algérie française. Pendant 132 années, ils ont impitoyablement souillé et humilié notre peuple. Nos enfants ont même été utilisés comme chair à canon dans leurs sales guerres en Indochine et contre des peuples africains.
L’Algérie française était selon ses panégyriques « le meilleur des mondes et cela pour l’éternité ». Mais pas pour notre peuple qui vivait dans des conditions insoutenables, se nourrissant dans certains endroits de racines, peu de nos enfants trouvant place à l’école. Nos fellahs étaient obligés de travailler sur leurs propres terres, dont ils ont été spoliés et sous la baguette du colon qui leur « faisait suer le burnous » du matin au soir. Un racisme institutionnalisé a été instauré par les autorités coloniales contre notre peuple en nous désignant par des termes à vomir, bicot, melon, raton et d’autres insanités sans nom et sans oublier la fatma exploitée sans vergogne par le petit-bourgeois européen arriviste. Ainsi la France se croyait-elle chez elle pour toujours.
Les Algériens vivaient dans une misère endémique, courbant l’échine en regardant le ciel devant tous ces gens venus d’ailleurs. Mais dans leurs regards jaillissait une vibrante étincelle qui allait allumer le feu de la résistance et de la délivrance.
Pendant ces 132 années de misères et de terrible répression, la résistance de notre peuple contre l’occupation n’a jamais cessé.
De nombreuses révoltes ont été noyées dans le sang. La lutte héroïque de l’Émir Abdel Kader en est le symbole.
La plus emblématique des insurrections de la fin du 19 ème siècle fut celle de 1871. Dirigée à ses débuts par le bachaga Mokrani, un notable de la Kabylie, elle mit en difficulté l’empire français pendant plusieurs années. Le cœur de l’insurrection fut la Grande Kabylie où toutes les agglomérations notables furent attaquées : Tizi-Ouzou, Fort-National, Dra-el-Mizan, Dellys, Bougie, sur la bordure occidentale Bordj-Menaïel et Palestro. Rapidement la grande révolte dépassa ce cadre pour s’étendre à l’Est à toute la Petite Kabylie, à l’Ouest jusqu’aux abords de la Mitidja et, au-delà, au massif des Beni Menacer (région de Cherchel). Au Sud, elle intéressera le pays jusqu’au chott du Hodna et Batna. Elle toucha aussi le désert, à Touggourt et Ouargla notamment.
De nombreux combats contre l’armée coloniale française eurent lieu sur toutes ces étendues. Les combattants de Mokrani sous équipés ont été massacrés et le bachaga Mokrani mourut au combat le 3 mai dans la région de Aïn Bessem. La répression fut terrible, plusieurs milliers de morts et des centaines de blessés, les dechras incendiées, la région est en ruine. Malgré cette terrible répression l’insurrection continua et il a fallu l’intervention du sinistre maréchal Saint-Arnaud. Ce fut un véritable pogrom, des milliers de civils massacrés, leurs habitations incendiées, les vergers rasés et d’autres abominations de cette armée de vandales.
Il faudrait remplir des pages et des pages pour décrire les exactions effroyables de l’armée coloniale, mesurer l’abomination du colonialisme français dans notre pays.
La date du 8 mai 1945 n’est pas seulement celle de l’allégresse en Europe, en Amérique et en URSS qui marqua la victoire sur le nazisme et la fin de la 2ème guerre mondiale. La joie légitime des peuples libérés du fascisme, grâce essentiellement au sacrifice de plus de 25 millions de Soviétiques et de leur glorieuse Armée rouge, fut estompée chez nous par les monstrueux massacres perpétrés au même moment par les colonialistes contre les Algériens dont le crime fut de demander leur libération du joug colonial, que la France leur reconnaisse à eux aussi le droit de vivre libres dans leur pays. Provoqués par les colonialistes pour tenter de tuer dans l’oeuf l’irrésistible montée du mouvement de libération nationale qui avait profité pour exprimer ses revendications de la défaite de la France face à l’Allemagne, du débarquement américain de novembre 1942 et du grand espoir soulevé au sein des peuples par les victoires du peuple soviétique. Alors que dans le monde entier on fêtait la fin de l’abominable guerre de 1939-1945 où près de 50 millions de morts ont payé le prix fort, la manifestation de Sétif fut noyée dans un bain de sang, 45000 morts laissés sur le terrain et des milliers de blessés. C’est d’autant plus monstrueux que parmi les victimes de la répression, figuraient de nombreux Algériens qui venaient de rentrer chez eux couverts de médailles pour avoir participé à la libération de la France. Ils avaient été enrôlés de force dans l’armée française pour combattre les nazis sur les terres d’Italie et de la « métropole ». Des milliers d’Algériens tombèrent sur ces fronts. Nombre de rescapés de ces champs de bataille verront leurs gourbis saccagés et leurs maigres biens pillés par l’armée qu’ils venaient de servir. Ils seront même jetés en prison ou tués durant les semaines de représailles sauvages qui suivirent les manifestations de Sétif.
Maillon final d’une longue chaîne d’insurrections contre l’occupation depuis 1830, les manifestations de Sétif ont semé les germes de la phase ultime du soulèvement général contre l’oppression coloniale.
La résistance allait sortir renforcée et prendre une tournure inégalée contre l’occupant.
Après le carnage du 8 mai 1945 et des semaines qui suivirent cette date, les Algériens ont compris que la seule solution était la lutte armée contre le colonialisme français. Le mouvement national dans ses différentes composantes, loin de refluer sous les coups terribles que le colonialisme venait de lui asséner, va connaître au contraire un grand essor. Une intense lutte politique se développe et prend des proportions inégalées. Il manifeste son existence à travers des actions sous de multiples formes : campagnes électorales, luttes syndicales et paysannes, activités culturelles, entraînant dans les luttes un nombre de plus en plus grand d’Algériens.
Les Algériens bravent les interdits et les discriminations. Ils dénoncent en particulier le grossier système électoral discriminatoire introduit dans le Statut de l’Algérie adopté en 1948. La clé de voûte en est l’Assemblée algérienne prétendument conçue pour que les citoyens soient équitablement représentés. En fait d’équité, elle repose sur deux collèges composés d’un même nombre de députés, l’un, 1er collège, pour les Européens, l’autre, 2ème collège, pour les « indigènes » ou « français musulmans », selon une terminologie fallacieuse voilant le fait que ceux-ci n’avaient pas les mêmes droits que ceux-là. En application de ce double collège à une population composée pour le 1/9 ème d’Européens et pour le 8/9ème d’Algériens de statut inférieur, le député algérien avait besoin de 8 fois plus de voix pour être élu que le député européen. Et encore, le Français musulman ne pouvait pas prétendre à être maire. Pas très rassuré malgré tout ce grossier verrouillage, le colonisateur truquera de façon éhontée les élections pour ne faire siéger au collège des « indigènes » que les féodaux habitués à exécuter les ordres de leur maître. Les Algériens désignèrent cette engeance servile sous le qualificatif de « béni-oui-oui ». Le socialiste Naegelen nommé Gouverneur général de l’Algérie fut l’architecte de cette construction aussi méprisante que ridicule. Les Algériens qui continuent aujourd’hui à prendre au sérieux les discours sur les « droits de l’Homme » de la droite, des socialistes et de la gauche-caviar, devraient réfléchir à ce qu’ont signifié les actes des Naegelen dans la perpétuation de la domination impérialiste sur les peuples.
Le mouvement national ne s’est pas laissé décourager par un montage institutionnel des colonisateurs excluant de façon aussi grossière la possibilité d’introduire la moindre petite réformette par la lutte électorale. Mais il s’engouffre dans la brèche entrouverte et se lance dans ces luttes électorales avec âpreté. Il apprit à accumuler à travers elles des forces politiques qui s’avèreront une école de formation des militants et préalable fécond au passage à une étape supérieure, celle de l’insurrection armée à base de masse. Des représentants du MTLD, de l’UDMA et du PCA seront élus. Numériquement, ils ne font pas le poids face au camp réuni des députés représentant les « Cent seigneurs de la colonisation » et des « béni-oui-oui ». Néanmoins, même très minoritaires, ils disposent ainsi d’une tribune légale pour diffuser leurs propositions et leurs mots d’ordre, pour dénoncer les colons et leur domination, pour contribuer à unifier au plan national la mobilisation sous la revendication de l’indépendance malgré les précautions de langage nécessaires pour se soustraire aux foudres de la répression. Le mouvement national sort politiquement renforcé de cette bataille. Le système colonial est discrédité.
Ainsi pendant toute cette période de lutte intense, notre peuple avait acquis un potentiel de résistance inégalé. Il est et surtout encouragé par le nouveau rapport des forces créé par la Révolution d’Octobre 1917 en Russie, par le rôle décisif de l’URSS dans l’écrasement du fascisme. Ce nouveau rapport des forces a précipité l’effondrement du système colonial, en Inde, en Indonésie, au Liban et en Syrie. Il a évolué encore plus favorablement avec la victoire de la Révolution nationale-démocratique en Chine, les combats en Indochine sous la direction des partis communistes, le déclenchement de la lutte de libération en Tunisie et au Maroc, l’éveil national en Afrique noire, etc. Bref, la grande victoire de l’armée rouge contre la barbarie nazie a ouvert des espaces de liberté inimaginables pour les peuples colonisés.
Le déclenchement de la lutte armée a été le résultat de cette conjoncture politique très favorable aux mouvements de libération national. Le 1er novembre 1954 n’est pas le produit du néant, mais bien le fruit d’un long processus de combat acharné contre le colonialisme. C’est en 1954 que fut créé par un groupe de militants du MTLD, le CRUA (Comité révolutionnaire d’unité et d’action) qui décida du début de l’insurrection de la lutte armée. Le Front de Libération National (FLN) mis sur pieds par le CRUA va mener la lutte de libération nationale jusqu’à la victoire. C’est le début de la longue guerre de libération nationale. Ce fut un événement historique de grande ampleur. Les autorités coloniales sont prises de court, c’est l’affolement général dans tous les milieux politiques réactionnaires en France, surtout parmi les partisans de l’Algérie Française dont la fureur éclate contre les Arabes. Les ratonnades vont se multiplier. Les gros colons, les véritables maîtres du pays vont appeler au secours l’armée. Le gouvernement français va y répondre favorablement. Plus d’un million de soldats français vont participer à cette terrible guerre contre le peuple algérien. Les généraux français qui venaient de subir une défaire cinglante par le peuple vietnamien à Diên Biên Phu et en plus ont été faits prisonniers par l’armée Viet Min du général Giap, voulant se venger de l’affront, vont s’en donner à cœur joie contre notre peuple. L’armée française va se déployer dans tout le territoire avec tout son potentiel d’armement sophistiqué, avec ses chars, ses avions, ses hélicoptères, ses canons et ses mitrailleuses semant le désastre et la mort partout où elle foule le sol.
L’armée française va employer les pires méthodes de répression qui n’avaient rien à envier aux nazis. La torture employée depuis 1830 à échelle individuelle sera généralisée et érigée en système. Les généraux français la pratiqueront sans état d’âme sur tout individu pris au hasard et sur tout le territoire. Les Algérois la subiront par milliers en 1957 dans leur chair lors de ce qui a été pompeusement baptisé de « Bataille d’Alger » par les défenseurs acharnés d’un ordre fondé sur l’exploitation et l’oppression de 9 millions d’Algériens par une centaine de seigneurs de la colonisation et les membres des « deux cents familles de France ». L’expression trompeuse de « Bataille d’Alger », fait croire que l’armée française affronte une armée de combattants algériens dans les quartiers arabes. Non, c’était loin d’être le cas. Ce fut une véritable invasion par l’armée française contre les habitants d’Alger sans défense. Elle occupe Alger avec ses chars et ses auto-blindées mitrailleuses en batterie, ses hommes de troupes armés jusqu’aux dents, saccageant les commerces des Algériens, brisant les portes d’entrée des logements, pénétrant à l’intérieur, arrêtant les occupants sans ménagement, violant les jeunes filles devant leurs parents. Dans les rues on tabassait les Algériens et on pratiquait des arrestations en masse. Des milliers d’individus sont pris au hasard et transportés dans des camions vers les centres de tortures, dont la villa Sésini, près de Diar El Mahçoul, en fut le sinistre symbole.
Ceux qui ont le malheur de tomber dans les griffes des paras subissent tous les pires formes de la torture, procédé abominable et inhumain sans cesse affiné par les « experts » d’une armée française chargée de défendre un monde révolu. Ce sont des dizaines de milliers de nos compatriotes qui subissent les pires atrocités. Des milliers d’entre eux sont soumis au supplice jusqu’à la mort.
Voici un échantillon des faits rapportés dans les témoignages de chanceux qui ont pu en sortir vivants : noyade dans de l’eau souillée , brûlures au chalumeau des parties génitales, pendaison par un pied et une main durant toute une nuit, par la gégène, un instrument diabolique relié par un fil aux parties génitales qui envoyait des décharges électriques de haute intensité, pendant que le tortionnaire tournait la manivelle en chantant, coups de rabot dans le dos, arrachage des ongles au moyen d’une tenaille. Et le pire, c’est lorsqu’ils faisaient asseoir le pauvre malheureux sur une bouteille jusqu’à la mort dans des conditions atroces. Il faut s’imaginer dans quelle atmosphère ces tortionnaires exécutaient leur sale besogne. Dans le local de torture le sol était couvert de sang, les cris insoutenables des suppliciés qui s’entendaient de partout et que l’on essayait de couvrir avec de la grande musique, les morts sous la torture que l’on évacuait en vitesse pour les faire disparaître dans des charniers au milieu de nulle part. Des milliers de corps sont sortis des centres de tortures. Certains sont transportés par hélicoptère. Les « fossoyeurs » les font disparaître en les jetant à la mer avec un bloc de béton attaché au pied pour qu’il ne remonte pas à la surface. D’autres étaient exécutés à la mitraillette dans un simulacre d’évasion.
Voilà ce que ces officiers français de haut niveau ont toléré et couvert sans état d’âme au nom de la défense du « monde libre ». Il a fallu le livre d’Henri Alleg ‘’La question’’ pour que cette abomination éclate au grand jour. Mais ce n’est qu’une partie de la vérité. Elle est pire de tout ce que l’on peut imaginer. Les nazis étaient des enfants de cœur à côté de ces monstres dont les crimes n’ont jamais été reconnus.
On parle de 3 à 4 mille disparus officiellement, rien qu’à Alger. Mais c’est un chiffre dérisoire. C’est certainement beaucoup plus. Dans tout le pays ce fut le même spectacle de désolation. La répression de la soldatesque coloniale fut terrible, des milliers de nos compatriotes sont massacrés où portés disparus. Dans les campagnes nos fellahs sont bombardés au napalm, leurs mechtas incendiées et les survivants sont arrêtés et emprisonnés dans des camps de concentration. Nos djounouds se sont battus contre une des plus puissantes armées du monde. Plus de 23 opérations militaires de grande envergure ont été lancées contre l’Armée de Libération nationale. Et pourtant, nos djounouds non seulement ont résisté, mais la résistance de notre peuple s’est renforcée notamment sur le plan politique. Un gouvernement provisoire fut créé, le GPRA (gouvernement provisoire de la république algérienne) en septembre 1958 et reconnu par plusieurs pays. A l’ONU la question algérienne est débattue et la tendance est de plus en plus favorable à l’autodétermination de l’Algérie.
Ce ne sont que quelques rappels de ce que notre peuple a subi pendant les 132 années d’occupation et de guerre. C’était à la limite du supportable et notre peuple a dit barakat !
« Ami, entends-tu ces cris sourds du pays qu’on enchaîne ».
LIÈS SAHOURA