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Nuit d’horreur à l’aéroport de Tel aviv pour deux étudiants musiciens français
mardi 5 mai 2015
Voici le témoignage, assez représentatif, de deux jeunes étudiants en musique, Philomène et Bastien, détenus et interrogés toute une nuit à leur arrivée à l’aéroport de Tel-Aviv, avant d’être renvoyés chez eux, manu militari... Parce qu’ils s’engageaient dans la vie musicale palestienne et ont des amis dans les territoires occupés, ils représenteraient "un danger pour la démocratie israëlienne". Où l’on voit les méthodes de la "démocratie"de Netanyaou...
Nous sommes deux étudiants, actuellement en musicologie à l’Université Paris 8 et aux CRR 93 à Aubervilliers et CRD à Gennevilliers. Après avoir passé notre Bac, nous sommes partis en septembre 2013 pour vivre un an en Palestine. Nous y avons donné et reçu des cours de musique (violon et flûte traversière) au Conservatoire National Edward Saïd à Ramallah et contribué à créer une école de musique à Jéricho. Pendant ces vacances de Pâques, nous avions décidé d’y retourner pour revoir nos amis et retourner sur les lieux fréquentés l’année précédente.
Le dimanche 19 avril dernier, nous arrivons à 02h30 à l’aéroport de Tel Aviv Ben Gourion. Au passage à la douane, nous disons l’objet de notre visite, mais au mot « Ramallah », nous sommes directement envoyés dans une petit salle où d’autres personnes attendent déjà. On nous demande tout de suite d’écrire nos numéros de téléphone et nos e-mails respectifs.
Après une heure d’attente, un homme de la sécurité vient chercher Philomène, lui disant de prendre ses bagages. Dans ce premier interrogatoire, l’agent de sécurité la questionne sur l’objet de sa visite, si elle est déjà venue en Israël et pourquoi. Au bout de plusieurs minutes, il commence à s’énerver et la traite de « menteuse » car cela lui semble impossible de partir un an à vingt ans pour faire de la musique et seulement de la musique en Palestine. Il lui demande si elle a un portable palestinien. Elle lui répond que non car elle a peur de compromettre ses contacts. L’homme se lève et frappe avec ses poings sur son bureau en disant « You’re a liar, I don’t believe you ! [1] ». Il raccompagne ensuite Philomène dans la salle d’attente et demande à Bastien de le suivre. Même scénario, il le prévient tout de suite que son amie est une menteuse et qu’il a intérêt à ne pas mentir. Bastien lui dit la vérité mais il ne le croit pas, commence alors un dialogue de sourd. Puis il lui ordonne d’aller chercher nos carte SIM palestinienne et notre appareil photo. Après avoir dû traduire tous les messages présents sur le portable et le voir regarder nos photos parisiennes pour être sûr que nous ne sommes pas activistes, il lui dit de retourner dans la salle d’attente.
Deux heures plus tard, et après avoir vu de nombreuses personnes repartir avec un visa, le même agent crie à Philomène de le suivre. Il repose les même questions mais cette fois-ci, il est persuadé qu’elle a participé à des manifestations. Elle affirme que non. Il continue jusqu’à ce qu’elle craque et se mette à pleurer. C’est au tour de Bastien, il l’accuse lui aussi d’avoir participer à des manifestations et lui conseille d’arrêter de mentir. Il va sur son compte facebook et lui demande s’il connaît une « Marie Ballanger », il répond que non, puis l’agent s’énerve en lui disant que pourtant il l’a dans ses amis et qu’elle a été refoulée en décembre dernier. Bastien comprend alors qu’il s’agit de « Bérengère », une amie qui a effectivement été refusée récemment. Il dit alors qu’il la connaît et se voit immédiatement insulté car il n’a pas réagi tout de suite. Il est de nouveau renvoyé dans la salle d’attente.
Il est maintenant 8h00, nous ne sommes plus que cinq dans cette petite salle. Nous tremblons, nous avons envie de vomir, le sandwich sec que la sécurité israélienne nous apporte ne passe pas. A nos côtés, une russe tombe dans les pommes, un agent de la sécurité lui cale une valise sous les pieds et attend qu’elle se réanime, seule...quinze minutes plus tard, un homme vient s’occuper d’elle. Nous voyons aussi un tchadien, après avoir donné tout l’argent qu’il possédait sur lui, se faire menotter et envoyé on ne sait où. Dans un coin, un homme d’une cinquantaine d’année, épuisé, pleure. L’attente assise devient insupportable, inhumaine, nous avons besoin de marcher pour aller mieux. A l’extérieur de la salle on voit des jeunes de notre âge s’occupant aussi de la sécurité, rire, crier, téléphoner, parler shopping...insouciants.
Finalement, l’agent revient chercher Bastien. Il ne veut toujours pas le croire au sujet des manifestations, il lui demande pourquoi il est si nerveux, pourquoi il tremble, ça prouve qu’il ment non ? Il fait semblant de ne pas comprendre que cela fait déjà 5h30 que nous sommes ici après un voyage d’une journée en avion et qu’à un moment, un physique normalement constitué a des limites. L’agent insiste sur le fait que Bastien, en tant que pro-palestinien, ne puisse pas être parti un an en Palestine sans être allé à Bil’in, un village résistant. N’ayant jamais manifesté, Bastien nie jusqu’au bout. C’est au tour de Philomène, il lui repose exactement les mêmes questions. Elle y apporte les mêmes réponses.
Retour à la salle d’attente, nous ne savons plus quoi penser, allons nous malgré tout avoir un visa ? Allons nous être interdit de territoire ? Nous luttons contre le sommeil et les engourdissements. A 9h, un agent de l’immigration israélienne vient nous chercher. Il nous explique que nous sommes trop dangereux pour leur « démocratie » et que malgré le fait que nous soyons étudiants et musiciens, ils ne nous croient pas et vont nous emmener en centre de rétention en attendant de prendre notre vol de retour qui sera à 16h. A partir de ce moment là, nous sommes vus comme des terroristes. On nous escorte même pour aller aux toilettes. Ils nous emmènent au bureau de l’immigration pour prendre nos empreintes et une photo pour « pouvoir téléphoner à nos proches » selon eux. Philomène leur propose de jouer du violon puisqu’ils ne nous croient pas. Indémontable, un agent lui répond sèchement qu’il n’aime pas la musique.
Ils nous escortent ensuite jusqu’à une salle de fouilles, où pendant une heure nous n’existons plus qu’en tant qu’objets. Ouverture de tous nos sacs, vérification de tous nos vêtements et autres accessoires, puis fouille au corps dans une cabine. Humiliation complète. Ils démontent et gardent la valise de Bastien et mettent toutes ses affaires dans un colis. Nous sommes maintenant étiquetés-fluo de partout.
Nouvelle attente. On demande quand nous pouvons téléphoner, on nous répond « in a few minutes [2] » comme depuis le début de la nuit. Enfin à 10h30, nous sortons du terminal de l’aéroport et montons dans un fourgon grillagé qui nous conduit, avec la russe, au centre de rétention.
Arrivés au centre, nos geôliers entreposent nos affaires dans une salle et nous disent de prendre notre argent et nos cigarettes si l’on veut fumer. Nos portables sont interdits. Mais, nous pouvons enfin contacter nos proches, huit heures après notre arrivée. Nous sortons prendre l’air, toujours accompagnés, dans une cour clôturée. Puis, on nous conduit dans une cellule dans laquelle nous resterons jusqu’au départ de l’avion. Nous voici enfermés, sans notion du temps dans un lieu sale, rempli de puces et avec plus que la peur, une notion d’absurde qui nous fait doucement rire … Nous en sortirons trois heures et demies plus tard.
Il est 15h, nous quittons enfin cette prison et retournons dans le fourgon qui nous emmène directement sur le tarmac où notre avion nous attend. Inconvénient, nous apprenons que notre avion arrive à Bruxelles et que si nous voulons rejoindre Paris, nous devrons attendre huit heures dans l’aéroport. Nous montons dans l’avion, nos geôliers donnent nos passeports aux hôtesses de l’air qui nous font entrer, l’air désolé.
Nous ne retrouvons nos passeports que cinq heures plus tard (et dix-sept heures après notre atterrissage), lors de notre arrivée à Bruxelles, où la police des frontières belge nous attend. Elle nous conduit dans un bureau pour vérifier que nous ne sommes pas dangereux pour leur État. Nous ne le sommes pas. Nous décidons alors de ne pas prendre l’avion à destination de Paris, nous préférons rentrer en France par nos propres moyens le lendemain.
Chaque année, à l’aéroport de Ben Gourion, de nombreux visiteurs d’origines variées sont confrontés à des situations similaires. Voyant ainsi, leurs droits humains les plus élémentaires bafoués : violation de l’intimité, torture psychologique, déshumanisation de la personne, racisme, vol, traumatismes… Peu d’entre eux présentent une réelle menace pour l’État israélien. Ce dernier nuit ainsi au bon déroulement d’une multitude de projets humanitaires, culturels et autre. A l’heure actuelle, rien n’est fait. Ce qui se passe à cette frontière est inconnu aux yeux de tous. Nos États ont le pouvoir de faire cesser ces exactions. Nous avons le devoir de renseigner le plus grand nombre pour qu’un jour les droits humains soient respectés à cette frontière. Nous espérons que ce témoignage puisse être un vecteur de réflexion et de changement quant à cette triste réalité.
Philomène Constant et Bastien Anthoine, Angers, le 22 avril 2015
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Par Virginie Rodde
24 avril 2015
In Le blog de Virginie Rodde
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