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Tell rumeida (Hébron, novembre 2013) paradis des colons, enfer des Palestiniens

mardi 3 décembre 2013

Des oliviers millénaires déracinés pour être vendus en Israël, des ceps des treilles sciés à la tronçonneuse, du poison pour tuer la vigne...

<img648|center> Ce que vous allez lire est le récit exclusif d’une de nos lectrices, écrivain (1), militante contre la peine de mort. Elle partage sa vie entre le Sud-Ouest de la France et le Moyen-Orient. Elle revient de Palestine où elle séjourne régulièrement depuis des années.

Elle décrit ici avec sobriété et retenue l’arrogance des uns, les humiliations des autres, les menaces, les maisons envahies et pillées parfois, les enfants battus, les jets de pierre, les insultes, les interdictions diverses, la vie à Hébron, quoi.

Et, en filigrane, la défaite annoncée de l’occupant contre un peuple dont la résistance ne faiblit pas.

LGS

La colline où fut fondée, dès l’âge du bronze, une petite cité fortifiée étagée autour d’une source abondante, et qui devait ensuite donner naissance à la ville de Hébron - al Khalil en arabe - pourrait être un petit paradis. Sans doute l’a-t-elle été aux temps des images « bibliques »-oliviers gris-verts, troupeaux de moutons, paysans aux amples robes, belles cultures irriguées. Là, on fabriquait et cuisait des poteries, en grande quantité et la cendre des fours mêlée à la terre avait rendue celle-ci riche et grise d’où le nom du lieu : Tell rumeida, la colline couleur de cendres.

Bordé, à sa base, par la longue rue Shouhada, qui marque la limite de la vieille ville et des souks, le quartier est parsemé de modestes maisons de pierre entourées de jardinets auxquelles on accède par des escaliers et des sentiers qui grimpent rudement ; le long d’une unique grand rue qui serpente à flanc de colline, quelques petits immeubles de deux ou trois étages, vieillissent, souvent vides, avec au rez de chaussée des boutiques closes. Vers le sommet, la source d’Aïn jadida - que les colons (les seuls autorisés à s’y baigner) nomment source d’Abraham - coule depuis toujours abondante et fraîche, remplissant un grand bassin avant de disparaître sous terre pour resurgir sous la mosquée des Patriarches... Juste au-dessus de la source, quelques champs, grisâtres et poussiéreux en cette saison, survivent ; une modeste oliveraie y est plantée avec, ici et là, quelques très vieux arbres. De ceux que l’armée israélienne ou les colons épargnent souvent lors des destructions de vergers.
Et pour cause... ces oliviers millénaires, dits « romains », sont soigneusement déracinés puis emportés pour être vendus, chers, en Israël ou à l’étranger. Le local des Jeunes contre l’occupation, une maison au milieu des oliviers, voisine avec une colonie, un simple grillage les sépare... et un poste militaire bien sûr ! Le local reçoit des enfants du quartier pour l’aide aux devoirs ou pour des activités de loisirs, et est souvent envahi, vandalisé, tagué.

Ce coin de presque campagne domine la petite vallée où niche la vieille ville avec ses ruelles étroites, ses maisons anciennes à étages, d’époque ottomane ou mamelouke, ordonnées autour de minuscules cours, ses centaines de boutiques voutées. En face, tout autour, sur les collines, il y a peu encore couvertes d’oliviers, d’amandiers, de vignes et parcourues par les troupeaux, la ville neuve de Hébron s’étend, monte en hauteur, grignote la campagne.

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D’anciens militaires contre l’occupation

D’en haut, on a un point de vue sur le tombeau des patriarches - partagé entre une mosquée et une synagogue - et les quartiers populaires qui, en face, s’accrochent aux pentes. La légende raconte - pardon la Bible - qu’il y a plus de 2000 ans, un nomade venu de Mésopotamie, Abraham, aurait acheté là un champ et une grotte et y aurait enseveli son épouse Sara, morte à plus de 120 ans. Lui même y reposerait ainsi que plusieurs de ses descendants.

La rue Shouhada, bordée d’un coté de deux grands cimetières - l’un juif et l’autre musulman - de l’autre, de boutiques palestiniennes closes et de bâtiments occupés par les colons et l’armée, est interdite aux palestiniens. Seuls les colons et leurs visiteurs peuvent y circuler, ainsi que les touristes étrangers – peu nombreux. On y rencontre aussi, parfois, d’anciens militaires israéliens appartenant à l’association Briser le silence fondée par Yehuda Shaul, un soldat honteux et révolté par ce que l’armée lui a fait faire (et fait encore) à Hébron afin de briser la résistance des habitants - humiliations, violences, crimes - : lui et ses amis amènent à Hébron des visiteurs israéliens ou étrangers séjournant en Israël afin de leur montrer la réalité de l’occupation.

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Environ 1500 soldats pour protéger quelques 500 colons

A Tell rumeïda, dans ce petit espace clos, vivent environ 500 colons, américains surtout, quelques français ; à côté de 700 à 800 palestiniens. Deux mondes qui se côtoient de loin, se croisent, s’ignorent au mieux, s’affrontent violemment au pire, deux mondes que tout oppose, deux mondes qui se haïssent, l’un des deux ayant pour lui la force des armes et de la loi, l’autre un seul droit, celui de subir et de se taire. Entre une population palestinienne souvent pauvre et les quelques centaines de colons parmi les plus extrémistes que la colonisation israélienne ait jamais produit, l’armée israélienne, omniprésente, est peu encline à protéger le plus faible ; quelques observateurs de la TIPH, ( Temporary International Presence in Hébron, composée de Suédois, de Norvégiens, d’ Italiens, de Suisse et de Turcs ) parcourent, depuis 1997, Tell rumeida et la vieille ville, regardent, écoutent, font des rapports, mais, quelle que soit la gravité des violences commises par les colons envers le palestiniens, y compris sur des enfants ou des femmes, ils n’ont pas le droit d’intervenir. Tout au plus peuvent- ils appeler l’armée. Les volontaires étrangers des Christian peace-makers teams (équipes de chrétiens œuvrant pour la paix), toujours par deux, sont présents aux cheks-points ; ils accompagnent les enfants palestiniens à l’école, des femmes chez le médecin, discutent avec les commerçants du souk, ....vivent avec les plus pauvres dans la vieille ville entièrement sous contrôle de l’armée, partageant leur quotidien et leurs soucis. La veste grise marquée de leur logo ne les protège pas toujours des attaques des colons ou des tracasseries des militaires.

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Fermeture, surveillance, caméras et contrôles stricts

Tell rumeida est fermée, les rues venant du souk pour y accéder sont closes - murs, barbelés, bidons remplis de béton et entassés, énormes blocs de pierre - les rares issues vers l’extérieur – quatre - sont bloquées par des postes de contrôles ; des caméras de surveillance, des patrouilles et des soldats sur les toits ou dans des tours complètent le dispositif. Palestiniens et étrangers, visiteurs et volontaires ne peuvent y entrer qu’à pied ; seuls l’armée et les colons ont le droit de s’y déplacer en voiture, les israéliens ayant une route réservée depuis Israël et la ville proche de Kyriat Arba’a. Même les ambulances palestiniennes y sont interdites. Sacs de course, bouteilles de gaz, meubles... sont portés à pied, parfois sur une carriole, malades et femmes enceintes sont évacués à bras d’ homme sur une civière. Même l’âne du vieux paysan qui vend son lait depuis toujours dans la ville et passe donc soir et matin au chek point de Bab ezzaouïa - le quartier à l’entrée des souks - est parfois bloqué...et son animal fouillé.

Chaque jour, plusieurs fois par jour, ici où là, au chek point, à la sortie de l’école, sur un chemin, des incidents éclatent, provoqués par les colons, souvent de jeunes hommes, parfois des femmes et des enfants. Ce jour de Novembre, il sont sept ou huit à tenter d’empêcher des militants de l’association Les jeunes contre les colonies de mener à bien des travaux dans le petit jardin d’enfants associatif qu’ils finissent d’aménager pas très loin de la colonie Beit hadas. Menaces, bousculades de la part des colons sont filmées par Badia Dwaik, le coordinateur de l’association. L’armée, arrivée en force, arrête non les attaquants entrés sur une propriété privée mais deux des volontaires dont Ahmed El Azzeh, 15 ans. Ils ne seront relâchés que plus tard, grâce à l’intervention d’un avocat qui montre la vidéo à la police israélienne. Abou Imad a eu plus de chance : en ce mois de récolte des olives, il a obtenu l’autorisation de l’armée de cueillir les fruits de son oliveraie... pour une journée. Venus aider sa famille, une douzaine de volontaires français sont là dès 9h, conduits par Raëd, un vigneron et militant paysan de la région. La récolte sera terminée à 15h sans incident.

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« Vous êtes des porcs ! »

Le lendemain, au chek-point, un homme s’énerve : le soldat a pris un de ses jeunes fils par les épaules pour le repousser vers le poste de contrôle. L’homme hurle en anglais au soldat qui lui parle hébreu tentant de le séparer de son fils : « je ne comprends pas cette langue et je ne veux pas la parler. Ne me touchez pas et ne touchez pas mon fils. Vous n’avez pas le droit de toucher à un enfant, enlevez vos mains de lui. Vous êtes des porcs ». Pour ce genre d’insultes, il risque des coups et une arrestation. Mais ce matin, pas de réaction. Le soldat ne comprend peut être pas l’anglais. Ou fait-il semblant de ne pas le comprendre ? Il a peut-être des consignes de modération. Le temps est à la reprise des négociations.

Modération ? Cela ne concerne pas Hashem El Azzeh, dont la famille a tout perdu en 1948, lors de la création de l’état d’Israël, bientôt 50 ans, souvent battu, molesté, les dents du haut brisées par la crosse d’un fusil, ni Nasreen son épouse, qui dessine si bien et qui, sous les coups de ses voisins, les colons, a fait deux fausses couches, ni un de ses fils au bras cassé lors d’un « incident »... ni tant d’autres qui s’obstinent encore à vivre.

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Résistance non violente égale terrorisme pour les colons

Hashem, c’est une des bêtes noires des militaires, des colons encore plus, et en particulier de leur chef Baruch Marzel, originaire de Brooklyn, et de sa famille – son épouse que l’on voit et entend complètement hystérique sur des vidéos témoignages, et leurs douze enfants. Leurs mobil-homes sont à quelques mètres au dessus des maisons des El Azzeh (deux frères de Hashem vivent là et sur le toit d’une des maisons un mirador a été installé où un soldat israélien veille jour et nuit). Le minuscule terrain proche planté de quelques oliviers ne lui « appartient » même plus : cette année ses voisins ont volé toute la récolte d’olives juste avant la cueillette, autorisée par l’armée...Car, bien sûr, il faut une autorisation de l’armée pour cueillir ses propres olives si les arbres sont proches d’une colonie. Et même avec autorisation ce n’est pas toujours possible : l’an dernier Hashem et des volontaires internationaux n’ont pu mener la récolte à bien car le petit jardin confisqué par Marzel - il a même construit un escalier en bois pour y descendre plus facilement- a été envahi par leurs aimables voisins qui les ont finalement chassés. Il y a trois ans, une nuit, ils étaient venus avec une tronçonneuse et avaient scié les ceps de la treille qui court autour de sa terrasse. A côté, c’est le poison qui a été utilisé pour tuer la vigne. Leur cour sert aussi de décharge pour des ordures et des objets de la famille du haut. Pendant des années leur sentier pour rejoindre la rue a été fermé par les colons, interdit ! Et pendant des années, les trois familles ont dû emprunter des passages dangereux à travers les murs éventrés et les jardins des voisins. Pour le moment il est ouvert ; enfin façon de parler. Il arrive que les militaires tentent d’empêcher Hashem d’y passer lorsqu’il est accompagné, comme cet après midi de début novembre, d’un groupe de visiteurs français. Pourparlers, attente, appels téléphoniques au chef - un peu de flottement côté visiteurs, les militaires bien armés n’ont pas l’air commodes - finalement au bout d’un quart d’heure le groupe passe.

Depuis toujours, Hashem et ses amis résistent par tous les moyens pacifiques possibles. Hashem, en outre utilise la parole, il discute, argumente, se défend, ne laisse rien passer. Sa pauvre demeure est le lieu de rencontres de nombres d’internationaux, simple militants, gens connus, journalistes, pacifistes israéliens etc. Ce qui lui vaut le titre de « dangereux terroriste » et, depuis plusieurs mois, une assignation à résidence. Après avoir été enfermé chez lui il a eu le droit de sortir sur sa terrasse, maintenant il peut parcourir la rue principale et passer sur les sentiers. Mais il n’a pas le droit de sortir de Tell Rumeida. Et en tout cas pas celui de se rendre au café, juste en dehors du point de contrôle, qui porte le nom de Rachel Corrie, la jeune volontaire américaine écrasée par un bulldozer à Gaza le 16 mars 2003.

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Les habitants reviennent à Tell rumeïda

Un travail de longue haleine, des démarches incessantes pendant des années, l’aide de volontaires internationaux ont permis d’alerter puis de mobiliser l’UNRWA, la YMCA, association chrétienne internationale, Amnesty International, la municipalité, le Secours Médical de Mustapha Barghouti, d’autres encore. Et toutes ces aides, ces engagements divers se sont concrétisés autour des plans et projets de l’association Ibrahim/El Khalil dont Hashem est un des piliers.

Plusieurs victoires ces derniers mois. Et d’abord le retour dans le quartier de nombreuses familles : il y a deux ans il n’en restait que quarante, elles sont maintenant 110. L’association offre, grâce à ses partenaires, de nombreux services et aides indispensables pour ces gens aux petits revenus ou sans revenus fixes, comme Hashem empêché de travailler, qui choisissent de revenir vivre dans leur quartier : consultations médicales, analyses et médicaments gratuits, soutien psychologique aux femmes et enfants victimes de violences, ateliers divers - premiers soins, premiers secours réservés aux femmes - soutien scolaire, centres de loisirs, eau et électricité à moitié prix, quinze bourses d’études supérieures.... Deux équipes de foot ont été créées, une de garçons, une autre de filles, qui s’entrainent dans la cour d’une école, une salle de gymnastique de la ville accueille gratuitement les résidents de la colline, une petite épicerie a été ouverte etc. Et, grande victoire, les enfants sont de plus en plus nombreux ? l’école mixte El Cordoba qui accueille maintenant 171 enfants alors qu’ils n’étaient que 70, il y a une dizaine d’années.

L’association a plusieurs projets dans ses cartons : monter un atelier photo et vidéo pour les jeunes, ouvrir, grâce à la World Food Federation, un espace de distribution de vivres pour les cinquante familles les plus pauvres du quartier, faire revenir d’autres familles.

Pour Hashem et tous ceux qui vivent là, malgré les menaces, les maisons envahies et pillées parfois, les enfants battus, les jets de pierre, les insultes, les interdictions diverses, il s’agit juste de montrer que quoiqu’il arrive, ils ne partiront pas. C’est ce que les palestiniens nomment le sumud, la résistance par l’obstination à vivre au quotidien là où on se trouve.

Colette Berthès, pour Le Grand Soir.

27 novembre 2013

(1) Lire notamment : "La machine à tuer" (sur une exécution aux USA contre laquelle elle a lutté jusqu’au bout) Riveneuve Editions, mai 2013.


Voir en ligne : Source de l’article in Le Grand Soir : ici