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Une plainte pour crimes de guerre a été déposée, vendredi 25 juillet 2014, auprès de la Procureure près la Cour pénale internationale , par le Ministre de la Justice en exercice du Gouvernement d’union nationale de la Palestine et le Procureur général près la Cour de Gaza

mardi 5 août 2014

Informations sur la plainte CPI du 25 juillet 2014

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En quelques mots

Une plainte pour crimes de guerre a été déposée, vendredi 25 juillet 2014, auprès de la Procureure près la Cour pénale internationale, par le Ministre de la Justice en exercice du Gouvernement d’union nationale de la Palestine et le Procureur général près la Cour de Gaza.

Cette procédure peut aboutir quand bien même Israël n’a pas ratifié le Statut de Rome de la Cour pénale internationale, car le 22 janvier 2009, au lendemain de l’opération militaire « Plomb durci », la Palestine a reconnu la compétence à l’égard de l’ensemble des territoires palestiniens en faisant une déclaration de compétence (article 12.3 du Statut de Rome).

Tout le monde reste marqué par l’échec de la première plainte, déposée en janvier 2009, après l’opération militaire « Plomb durci ». Mais cet échec doit être relativisé car il avait été politique et non juridique. C’est parce que des pressions ont été exercées au plus haut niveau que l’affaire a été classée par le bureau du Procureur. Les juges de la CPI, qui eux n’ont jamais été saisis, n’ont pu se prononcer. Autant dire que le débat juridique reste intact : aucune décision de justice n’a rejeté la plainte des Palestiniens.

La procédure engagée est certaine car elle a déjà été pratiquée par la Cour. Laurent GBAGBO est en ce moment même jugé par la Cour pénale internationale sur le fondement d’une déclaration de compétence en tous points identique à celle effectuée par le Palestine en 2009. A cela, il faut ajouter l’action de la Cour pénale internationale au Kenya et en Ukraine, qui là aussi est fondée sur une simple déclaration de compétence sans signature ni ratification du Statut de Rome. La déclaration de compétence effectuée en 2009 par la Palestine se suffit à elle-même. Il n’y a aucun besoin qu’Israël ratifie le Statut de Rome ou que le Conseil de sécurité intervienne. Pour la première fois, les Palestiniens disposent d’une procédure efficace où ils peuvent agir seuls.

La procédure devant la CPI est d’ailleurs tellement efficace que, de janvier 2009 à avril 2012, le Procureur de la CPI a effectivement instruit la situation en Palestine. Si, le 12 avril 2012, il a fini par suspendre son analyse préliminaire au motif que la qualité d’État de la Palestine n’était pas certaine, aujourd’hui, le doute n’est plus permis.

La Palestine est État membre de l’Unesco et a le statut d’État observateur non membre au sein des Nations Unies. A cet égard, et malgré l’hostilité des États-Unis, elle intervient devant le Conseil de sécurité en tant qu’« État de Palestine ». D’un point de vue strictement juridique, il n’existe aucun obstacle à la procédure en cours, laquelle est parfaitement viable dès lors qu’elle sera soutenue politiquement.

Alors que la présidence palestinienne est menacée d’actes de rétorsion par les chancelleries américaine et européennes, il est indispensable que la société civile se mobilise pour appuyer la procédure en cours.

La Cour pénale internationale est la seule menace que le gouvernement israélien prenne au sérieux. Entre janvier 2009 et avril 2012, l’armée israélienne n’a mené aucune opération d’envergure à Gaza. Après avril 2012, avec l’éloignement des poursuites, elle a recommencé à agresser la population de Gaza dès novembre 2012.

Questions / réponses sur la procédure

1/ Que dit la plainte qui a été déposée le 25 juillet 2014 ?

Le vendredi 25 juillet 2014, à 6h54 du matin, M. Saleem AL-SAQQA, Ministre de la Justice de l’État de Palestine, et M. Ismail JABR, Procureur général près la Cour de Gaza, ont déposé plainte par l’intermédiaire de Me Gilles DEVERS, avocat au Barreau de Lyon, auprès Mme Fatou BENSOUDA, Procureure près la Cour pénale internationale (CPI). Ils demandent l’ouverture d’une enquête pour les faits commis par l’armée israélienne en juin-juillet 2014.

La plainte vise des infractions qui sont toutes des crimes de guerre définis par le Statut de la Cour pénale internationale :

- Homicide intentionnel

 Attaques portées contre des civils

 Attaques causant incidemment des pertes en vies humaines, des blessures et des dommages excessifs

 Destruction et appropriation de biens

 Crime de colonisation

 Crime d’apartheid

 Violations des règles du procès équitable.

2/ Qu’est-ce que la Cour pénale internationale ?

 La Cour pénale internationale est une institution internationale distincte et indépendante de l’Organisation des Nations Unies.

 Elle juge les individus et non les États.

 Elle ne connaît que la responsabilité pénale des personnes physiques.

 Le Statut de Rome instituant la Cour pénale internationale a été signé en 1998 et la Cour pénale internationale a commencé à fonctionner en 2002 avec l’entrée en vigueur de son Statut.

 Elle est compétente pour juger les crimes contre l’humanité, les crimes de génocide, les crimes de guerre et les crimes d’agression, commis depuis 2002.

 Elle peut connaître des faits commis sur le territoire des Etats qui ont accepté sa compétence – c’est le principe de territorialité – ou à l’égard de leurs ressortissants qui seraient auteurs de faits incriminées par le Statut – c’est le principe de personnalité active.
Ainsi, alors que la France a reconnu la compétence de la Cour, la CPI est compétente pour des faits survenus sur le territoire français et à l’égard des ressortissants français qui auraient commis à l’étranger des crimes relevant de la compétence de la Cour, y compris sur le territoire d’États qui n’auraient pas accepté sa compétence.

3/ Pourquoi la Cour est-elle compétente à Gaza

Les États peuvent accepter la compétence de la Cour pénale internationale de deux manières.

Suivant la première, l’État signe et ratifie le Statut de Rome et devient État partie de la Cour pénale internationale. C’est par exemple le cas de la France.

Les rédacteurs ont prévu une seconde option, plus souple que la première, qui permet à l’État, sans devenir État partie, de faire une déclaration de compétence en vertu de l’article 12.3 du Statut. Cette seconde possibilité est beaucoup moins formaliste car cette déclaration peut être effectuée par le ministre de justice en exercice.

Ce procédé a été inclus dans le traité pour éviter qu’un État, sur le territoire duquel des crimes relevant de la compétence de la Cour auraient été commis, ne se trouve dans l’incapacité de la saisir en raison de troubles institutionnels graves engendrés par un conflit armé. Plusieurs États ont déjà donné compétence à la Cour en faisant une déclaration 12.3 : le Kenya, la Côte d’Ivoire ou encore récemment l’Ukraine.

Le 22 janvier 2009, au lendemain de l’Opération « Plomb durci », la Palestine, par l’intermédiaire de son Ministre de la Justice, a fait une déclaration en vertu de l’article 12.3 du Statut pour reconnaître la compétence de la Cour pénale internationale.

Naturellement, la plainte déposée par M. Saleem AL-SAQQA, Ministre de la Justice de l’Etat de Palestine, et par M. Ismail JABR, Procureur général près la Cour de Gaza, s’appuie sur la déclaration de compétence de 2009 et s’inscrit dans son prolongement.

Il faut bien comprendre que la déclaration de compétence de 2009 effectuée par la Palestine se suffit à elle-même pour fonder la compétence de la Cour pénale internationale comme cela a été le cas pour le Kenya, la Côte d’Ivoire et l’Ukraine. Aucune intervention du Conseil de sécurité n’est nécessaire et alors même qu’Israël a signé mais pas ratifié le Statut de Rome, la Cour pénale internationale est compétente pour les faits survenus sur le territoire palestinien depuis janvier 2002.

L’opération israélienne en cours est donc parfaitement justiciable de la Cour pénale internationale. Le peuple palestinien, qui n’a pas besoin de l’onction de l’agresseur, peut agir seul et s’adresser directement à la Cour sans aucun filtre.

4/ On entend dire parfois que la Palestine ne serait pas un État et donc n’aurait pas accès à la Cour pénale internationale…

En 2009, plusieurs éléments permettaient déjà d’attester l’existence d’un État palestinien.

Au jour d’aujourd’hui, la qualité d’État de la Palestine n’est pas sérieusement contestable.

 La Palestine est Etat membre de l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO).

 La Palestine est État non-membre observateur au sein de l’Organisation des Nations Unies (ONU) et participe même aux débats du Conseil de sécurité, nonobstant l’opposition des États-Unis, en tant qu’« État de Palestine ».

 L’État de Palestine est internationalement reconnu par 138 autres États ;

 La Palestine a signé et ratifié, le 2 avril dernier, quinze traités internationaux parmi les plus importants (4ème Convention de Genève du 12 août 1949 et son protocole additionnel, la Convention internationale sur les droits de l’enfant, les deux Pactes de 1966 sur les droits civils et politiques et sur les droits sociaux, économiques et culturels…).

Aucun doute sur la qualité d’État de la Palestine au sens du droit international n’est plus permis. Cela vaut, a fortiori, pour la Cour pénale internationale.

A cet égard, l’actuelle Procureure près la Cour pénale internationale, Mme Fatou BENSOUDA, a elle-même déclaré que le bureau du Procureur avait laissé la porte ouverte en avril 2012, à ce que la Palestine saisisse la CPI une fois qu’elle aurait été reconnue en tant qu’État par l’Assemblée générale des Nations Unies.

5/ Quels sont les objectifs de la procédure en cours ?

La procédure devant la Cour pénale internationale se déroule en trois temps. Elle débute par la phase d’enquête, continue avec la phase de l’accusation, et finit par celle du jugement. L’ensemble de ces étapes est précédé de l’analyse préliminaire, qui se situe en amont de la phase d’enquête et sert au procureur à s’assurer qu’il y a effectivement matière à enquêter.

Au stade de l’analyse préliminaire, outre le fait de s’assurer que l’ouverture ne desservirait pas les intérêts de la justice – une hypothèse qui ne s’est jamais présentée jusqu’à maintenant –, le Procureur doit vérifier que deux conditions sont réunies.

Premièrement, il doit exister une base raisonnable pour croire qu’un crime relevant de la compétence de la Cour a été commis. Cette condition est aisément remplie. A ce stade précoce, les renseignements en possession du Procureur n’ont pas à être « complets » ni « déterminants ». Il n’est aucunement question d’identifier ni de rechercher les auteurs de crimes relevant de la compétence de la Cour.

La seconde condition consiste à déterminer si les faits suspectés de constituer des crimes relevant de la compétence sont suffisamment graves et si une procédure au plan national est déjà engagée pour les juger.

Dans le cas de la Palestine, l’existence de crimes relevant de la compétence de la Cour est une évidence qui n’est pas sérieusement contestable. De même, la gravité des crimes commis à Gaza ne fait aucun doute. S’agissant enfin des poursuites au plan national, les autorités palestiniennes, du fait de l’occupation, ne peuvent ni enquêter ni juger alors que les victimes palestiniennes n’ont rien à attendre des tribunaux israéliens.

En conséquence, l’ouverture d’une enquête par la Procureure pour les faits commis à Gaza est un objectif parfaitement réaliste à moyen terme. Cette procédure donnera lieu à une audience publique et contradictoire devant la Chambre préliminaire de la Cour, à laquelle les victimes pourront être parties au même titre que l’État de Palestine. Naturellement, Israël sera avisé par la Cour et devra faire le choix de venir se défendre ou de prendre le risque d’ignorer une procédure qui pourrait conduire à la condamnation de ses dirigeants.

A court terme, et avant même l’ouverture de l’enquête, la plainte déposée par le Ministre de la Justice et le Procureur près la Cour de Gaza permettra de relancer l’analyse préliminaire. Le seul fait de son déclenchement constituera déjà une garantie pour l’intégrité physique des Gazaouis. En effet, entre janvier 2009 et avril 2012, l’existence d’une analyse préliminaire par le Bureau du Procureur avait dissuadé Israël de mener des frappes militaires d’envergure contre la population de Gaza. Ce n’est sans doute pas par hasard si ces frappes ont repris en novembre 2012, alors que s’éloignait la perspective de poursuites pénales.

6) Comment la société civile peut-elle s’impliquer pour soutenir la procédure en cours ?

Le Président ABBAS a prévenu Israël à plusieurs reprises que la Palestine saisirait la Cour pénale internationale en cas de nouvelles exactions contre la population palestinienne. Le 9 juillet 2014, il a qualifié les attaques menées sur Gaza de génocide. Lors de la réunion du Conseil de sécurité du 22 juillet 2014, l’ambassadeur de l’État de Palestine à l’ONU, Riyad MANSOUR, en a appelé à la Cour pénale internationale. C’est donc en cohérence avec ces multiples déclarations que le Ministre de la Justice et le Procureur près la Cour de Gaza ont déposé plainte auprès de la Procureure près la Cour pénale internationale ce 25 juillet 2014.

Cette démarche est cependant loin de rencontrer la faveur des États occidentaux, opposés à des poursuites pénales contre leur allié israélien. Aussi exercent-ils des pressions maximales sur les autorités palestiniennes pour qu’elles renoncent à leur plainte. Ils se livrent à un chantage odieux, menaçant de suspendre les aides qu’elles versent au Gouvernement de Palestine.

Alors que la plainte déposée par le Ministre de la Justice et le Procureur près la Cour de Gaza constitue la possibilité pour le peuple palestinien de sortir de soixante ans de déni du droit, que l’initiative du Gouvernement palestinien cherche seulement ? rendre justice aux victimes du conflit, voilà que les chancelleries américaine et européennes tentent, une fois de plus, d’organiser l’impunité d’Israël.

Cela, la société civile ne peut l’accepter.

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Le droit n’est pas l’affaire des dirigeants politiques ou des juristes spécialisés : il est l’affaire de tous, et la société internationale ne peut accepter plus longtemps l’impunité d’Israël. Ou alors, la notion de « droits de l’Homme » ne veut plus rien dire.

Les Palestiniens meurent, sont blessés, et leurs biens sont détruits par une armée sans honneur et sans loi, qui utilise une force démesurée et toutes les technologies de la guerre pour détruire une société. Le but de guerre des Israéliens se résume à un mot d’ordre : répandre la terreur dans la population palestinienne en causant un maximum de morts et de destructions. À long terme, cette stratégie n’a d’autre objectif que d’imposer la présence israélienne sur l’ensemble de la Palestine.

Il ne peut exister aucun avenir à l’humanité si l’on admet qu’un État, parce qu’il dispose de la puissance miliaire, peut dénier les droits souverains d’un autre peuple, et commettre en toute impunité des violations du droit international constitutives de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité.

Aujourd’hui, notre cœur est avec les Palestiniens de Gaza qui risquent leur vie du seul fait qu’ils sont nés Palestiniens à Gaza. Mais cette violence, systématique et si simplement revendiquée comme normale, est aussi un attentat terroriste contre le droit des peuples.

Les missiles criminels d’Israël ne tuent pas seulement les Palestiniens. Ces violations graves du droit concernent le monde entier car elles nient l’idée même d’une humanité commune.

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Gilles DEVERS, Christophe OBERLIN

31 July 2014

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