8 Mars, journée internationale de luttes des femmes pour l’égalité, la paix, contre l’exploitation et l’oppression

samedi 7 mars 2020
par  Alger republicain

Alger républicain publie un article sur la militante communiste Eliette Loup. Repris du site web de la revue Mémoria, cet article* nous a été signalé par Lechlech Boumediene qui suggère de rendre hommage à Eliette à l’occasion de la journée du 8 Mars.
AR

Portrait de la moudjahida Eliette Loup

Par Hassina AMROUNI

28 juin 2017

A l’admiration suscitée dans le monde et à cet espoir relancé auprès des autres nations opprimées, est venu s’ajouter le soutien indéfectible d’hommes et de femmes qui, par leur engagement sans failles à ses côtés, ont démontré que leurs choix et leurs positions étaient irrévocables tant il s’agissait de lutter contre le colonialisme et ses injustices. Ceux que l’on surnomme les justes de la guerre d’Algérie, des dizaines et dizaines d’hommes et de femmes qui ont embrassé la cause algérienne, défié le pouvoir colonial et rompu, pour certains, les liens avec leurs proches sont, pour nombre d’entre- eux, méconnus de la génération post- indépendance. Eliette Loup est l’une d’eux.

Enfance à Birtouta

Aujourd’hui âgée de 83 ans, Eliette Loup a vécu toute sa vie en Algérie. Elle y est née en 1934, plus exactement dans la localité de Birtouta où sa famille était installée depuis le début du XXe siècle. Revenant sur ses origines pieds-noires, elle confie : « D’origine espagnole, ma grand-mère Victorine, née en 1873 est arrivée en Algérie en 1890. Ma mère, née en Algérie en 1898, à Boufarik, m’impressionnait beaucoup car c’était une femme remarquable, indépendante, indifférente à mon égard, généreuse avec les autres. Elle avait épousé son cousin contre le gré de sa famille (…). Lorsque je suis née, elle voulait un garçon. J’étais sa troisième fille, j’avais besoin de son amour car elle était tout pour moi(…). Mon père est né à Sidi Moussa (…) » (1).

Militantes de mère en fille

Alors que la famille est confortablement installée dans une ferme entourée d’une centaine d’hectares, la mère d’Eliette n’en demeure pas moins une femme très engagée sur le front des démocrates. « Elle se présenta aux élections sur une liste de démocrates, sympathisante du PCA alors qu’elle n’a jamais été inscrite au parti », confie-t-elle. Après son décès prématuré, à l’âge de 50 ans, Eliette s’engage sur la même voie militante que sa défunte mère, d’abord en quête de la mémoire de cette dernière mais ensuite pour poursuivre un combat démocratique, pour le salut de l’Algérie.
« J’ai passé le bac à Alger, j’allais acheter des livres à « La librairie nouvelle » qui était celle du Parti où j’avais le plaisir de rencontrer des communistes, j’étais très marquée par ma mère, ces communistes me rapprochaient d’elle », raconte-elle et d’ajouter, que ce sont « les inégalités, les injustices et la misère » subies au quotidien par le peuple algérien qui l’ont poussée à s’inscrire au PCA en 1953. « C’est le parti qui m’a fait comprendre la vie, qui m’a donné l’amour national pour l’Algérie, son passé, les luttes de son peuple. Je me suis rendue compte des méfaits du colonialisme », avoue-t-elle.
Très vite, les activités de la jeune fille au sein du parti seront connues des autorités coloniales : « Le parti communiste étant frappé d’interdiction, en septembre 1955, les policiers sont venus à la ferme pour m’expulser en France avec un autre groupe qui était fiché, j’avais véhiculé des candidats communistes lors des élections. On me surveillait. Ma sœur a dit que je n’étais plus là », explique-t-elle.

Entrée dans la clandestinité

Ne pouvant plus rentrer chez-elle, Eliette Loup entre dans la clandestinité. Agent de liaison, elle s’occupe du courrier, des tracts et de l’imprimerie. Possédant un véhicule, elle transporte documents et militants pour le compte de son Parti. Mais l’étroite surveillance des autorités coloniales contraint les activistes à changer régulièrement de domicile pour échapper à la traque policière. « Lorsqu’on est un clandestin, on vit au jour le jour, on assume des tâches multiples et l’essentiel est de ne pas se faire prendre. J’ai travaillé à l’imprimerie du PCA avec André Moine, secrétaire de région du Parti communiste français, déporté en Algérie au début de la guerre dès 1939, avec Ahmed Akkache, secrétaire du Parti communiste algérien, rédacteur et responsable du journal du Parti Liberté. Les femmes qui nous aidaient, étaient Claudine Lacascade, Madeleine Chaumat, Colette Chouraqui. Plusieurs fois, je l’ai échappée belle. Les paras investissaient un lieu de rendez-vous et ramassaient tous les arrivants », se souvient-elle encore.

Quelques jours plus tard, Eliette Loup finit par être arrêtée, conduite à la « Villa Sesini », elle subit pendant plusieurs jours des actes de tortues dont les terribles souvenirs sont encore prégnants dans sa mémoire : « J’étais le dernier noyau de la chaîne avant que ne soient pris les deux dirigeants, un camarade ayant parlé sous la torture. (…). A la villa Sesini, le régime était la torture systématique pour faire parler. (…) J’ai subi la torture pendant quatre jours et quatre nuits. J’étais attachée, c’est-à-dire liée aux pieds et aux mains comme un mouton (...). « Au bout de quatre jours, ils n’ont rien obtenu, je ne servais plus à rien, ils m’ont transférée à la prison de Barberousse. Il y avait Anna Greki, Colette Chouraqui, Blanche Moine, l’épouse d’André Moine que j’avais accompagnée jusqu’à la gare de Blida lorsqu’elle dut partir pour Oran rejoindre l’ALN le 15 août. Elle sera arrêtée, torturée avec Gaby Jimenez, Joséphine Carmona, dans les « Coffres du trésor » d’Oran, Jacqueline Guerroudj, condamnée à mort, était également là. Je sortais de la torture, j’étais complètement déboussolée ».

En novembre 1958, a lieu le premier procès dit de « La Voix du Soldat », devant le tribunal militaire. 26 inculpés dont Eliette Loup sont jugés pour « atteinte à la sûreté extérieure de l’Etat et participation à une entreprise de démoralisation de l’armée ». La jeune militante est condamnée à une peine de 3 ans d’emprisonnement, elle est transférée à la prison de Maison Carrée, puis, quelques mois plus tard, aux Baumettes, en France. Elle sera libérée suite à une remise de peine décidée par le général de Gaulle, et sera placée en résidence surveillée à Rennes.
Revenue en Algérie, à bord d’un bateau avec de faux papiers fournis par le Parti, elle reprend ses activités clandestines d’abord à Alger comme agent de liaison puis à Oran où elle tape des tracts de propagande.

Au lendemain de l’indépendance, elle travaille dans le secteur de l’enseignant, comme professeur de français au lycée. Mariée à Sadek Hadjerès en 1962, le couple divorce en 1989 après plusieurs années de séparation.

Aujourd’hui, Eliette Loup vit en Algérie, pays pour lequel elle a combattu et pour lequel elle a offert quelques-unes de ses plus belles années de jeunesse. « Pour moi, mon pays est l’Algérie, je n’ai vécu en France que pendant les vacances ».

*url de l’article : https://www.memoria.dz/juin-2017/fi...

Sources :

(1)Andrée Dore-Audibert, « Des Françaises d’Algérie dans la guerre de libération », éd. Kartala, Paris 2001, 304 pages

  • Articles de la presse nationale quotidienne