Dégradation de la bio-diversité de la steppe et détresse des petits éleveurs à Feidja et Aïn Deheb au sud de Tiaret*

mercredi 9 décembre 2020
par  Alger republicain

Les petits fellahs de cette commune dénoncent les prédateurs à l’origine d’un processus irréversible de destruction des terres de parcours

Des petits fellahs rencontrés dans le cadre de l’Association Es-Salem El-Akhdar dont ils sont adhérents ont laissé exploser leur colère contre l’inertie des autorités. Ils n’arrêtent pas de dénoncer depuis plusieurs années l’abandon total et la surexploitation illicite des vastes terres de parcours que sont les steppes des Hauts-Plateaux.

Originaires de cette commune rurale, ils pointent du doigt les responsables locaux et des élus censés protéger ces zones sensibles qui, par complaisance, certains y trouvant leurs comptes, laissent faire.

Au vu et au su de tous, des milliers d’hectares sont ‘’loués’’ par la collectivité locale à de gros éleveurs, dont quelques uns originaires des wilayas limitrophes. Le comble est qu’ils les louent à leur tour à d’autres personnes qui s’adonnent à des labours illicites et à l’édification de constructions même à la lisière de la forêt

Par ces pratiques encouragées par le ‘’business’’ et la corruption, l’équilibre déjà fragile de ces zones en milieu steppique est mis à rude épreuve.

Même les deux zones protégées d’une contenance de 13000 et de 11000 hectares ne sont pas épargnées. Les labours illicites se pratiquent de même sur des terres où poussent l’alfa et l’armoise (chih) dégradant ainsi le couvert végétal et entrainant la désertification.

Les quelques espaces boisés sans protection sont également exposés aux actes de pillage des indus-occupants, notamment sur leur lisière. Avec la densité de la population de certains lieux de résidence, même les cours d’eau, comme l’Oued El-Guelta, se trouvent pollués à l’aval par le déversement des eaux usées.

Les méfaits de ces rapaces qui ont mis la steppe en ‘’coupe réglée’’ ont plongé dans une grande souffrance les habitants de ces contrées, principalement les fellahs pauvres ou sans revenus.

Ces derniers et leurs enfants sont marginalisés et scandalisés par ces actes de prédation contre leur espace de survie.

C’est le cas de Hadj Djelloul qui frôle les 80 ans, ex-attributaire de la révolution agraire. Lui et sa famille ont vu leurs espoirs s’envoler après la dissolution de la Cepra (coopérative d’élevage pastoral de la révolution agraire) en 1983. Et ce, suite à la remise en cause, lors du tournant des années 80, de cette option de l’orientation socialiste, maquillée par les pillards du pouvoir sous le vocable de « restructuration du secteur agricole » et les tenants de la bourgeoisie, des réformistes libéraux.

Hadj Djelloul garde en mémoire toutes les péripéties des luttes qu’il a dû livrer lui et ses autres compagnons d’infortune depuis cette année 1983 contre les tentatives de prédation et d’empiètement sur les 10.000 hectares de terres de la coopérative pourtant délimitées par une clôture.

Une forte convoitise vise le patrimoine de la coopérative avec le soutien et la complaisance de certains élus intéressés de l’APC de Feïdja érigée en chef-lieu de commune en 1985. Elle a fini par avoir le dessus malgré la résolution de ces petits fellahs de ne pas quitter leurs terres et de résister aux pressions intolérables.

En effet, la famille de Hadj Djelloul était déjà installée sur ces terres, juste après l’indépendance, en janvier 1963. Il était salarié, employé au sein de la 1re coopérative d’élevage ovin existante.

En novembre 1969 et dans le cadre de la ‘’Réforme agraire’’, notamment l’Ordonnance N° 68/653 du 30 décembre 1968 relative à l’autogestion dans l’agriculture, fut convoquée une assemblée constitutive avec la participation de 26 coopérateurs pour la création de la coopérative pilote d’élevage ovin portant le nom de Chouat Mohamed (Cepra). Et cela pour permettre à ces petits paysans de continuer leur activité sur des terres appartenant au Domaine de l’Etat.

En novembre 1978, et en application de la Charte portant Révolution Agraire, ses 10.000 hectares sont versés au Fonds National de la Révolution Agraire (FNRA). Ils sont attribués collectivement à la coopérative d’élevage ovin Chouat Mohamed.

En octobre 1983, les mesures de « restructuration » du secteur agricole édictées par l’instruction présidentielle N° 4 du 17 mars 1981 jettent les coopérateurs dans un abîme de problèmes artificiels. La Cepra est dissoute. La voie est ainsi ouverte au démembrement des terres et à la perte des équipements de la coopérative constitués de cinq étables, d’abreuvoirs, d’un bassin pour bain sanitaire, de réservoirs d’eau, etc …

Les anciens coopérateurs ont tenté tant bien que mal de se maintenir sur leurs terres jusqu’à l’année 1987. Ils sont vite submergés par des indus-occupants encouragés en sous-main par les responsables de la commune et installés illégalement sur les lieux.

Depuis cette date et à ce jour toutes les doléances adressées aux autorités locales ou centrales pour défendre leurs droits sur les terres qui leur ont été données en jouissance en leur qualité d’anciens coopérateurs, sont restées sans réponse.

Sauf qu’en juin 2005, un courrier de la Présidence de la République, en réponse à leur requête, leur enjoint de ‘’soulever leur affaire ‘’ devant les tribunaux en produisant les documents nécessaires en leur possession. Comme pour leur dire « engagez-vous dans les dédales de la Justice » et « ne comptez plus sur l’Etat pour régler vos problèmes ». A partir de là ils savaient d’avance que leur cause sera perdue. Logiquement et en vertu de la loi, comme on l’expliquera plus bas, la Présidence de la République aurait dû transmettre leurs doléances au wali pour qu’il prenne en main la défense de ces terres de l’Etat en qualité de représentant de l’Etat.

De plus, certains parmi eux ont fait l’objet de discrimination criante de la part de l’APC de Feïdja quant au bénéfice des dispositifs de soutien mis en œuvre ces dernières années par le gouvernement pour le monde rural, habitat rural, aides pour la mise en valeur, raccordement en énergie électrique, etc… C’est le cas de ce petit paysan dont l’habitation a été totalement ravagée par les flammes suite à un incendie dû à une lampe de pétrole et qui n’a reçu aucune aide à ce jour malgré l’enquête menée par la gendarmerie.

Une autre coopérative, la Coopérative agricole de production de la Révolution agraire (CAPRA) Boukhemila Laadjel, est créée en décembre 1973 avec 9 bénéficiaires sur des terres récupérées par l’Etat, auquel elles appartiennent (terres communales). Située dans l’ex-commune de si Abdelghani, elle connaît le même sort. Il a été procédé à sa dissolution au même titre que toutes les autres CAPRA. Les terres sont ré-attribuées à titre individuel en octobre 1983 à raison d’une parcelle de 36 hectares pour chaque coopérateur. En principe et selon la loi, la dissolution d’une coopérative est du ressort de ses seuls membres, sauf grave violation des conditions posées par la loi. Ce n’était pas le cas. C’est par simples décisions administratives souvent communiquées par téléphone que dans les années 1980, le ministère de l’agriculture démantèle les coopératives et, plus grave, les Coopératives Agricoles Polyvalente Communales de Services CAPCS), poutre maîtresse de la modernisation des campagnes et de la promotion de la condition des fellahs modestes ainsi affranchis du joug des usuriers, des riches commerçants et des capitalistes agraires.

Les terres sur lesquelles la CAPRA est installée étaient louées avant par la commune à 17 personnes non résidentes dans la commune et absentéistes qui les sous-louaient à des fellahs sans terre. La RA les a récupérées et attribuées à ceux qui n’en avaient pas.

Le démantèlement des Capra créées dans le cadre de la R.A et leur morcellement en parcelles individuelles ou collectives de très petite taille (EAI, EAC) ont sonné le retour en force de ces prétendus ‘’anciens propriétaires’’ alléchés par la hausse du prix du mouton et les généreuses aides gratuites que le nouveau pouvoir accorde aux riches et aux notables alors qu’il les refuse aux pauvres. En général, ces personnages vivaient avant 1971 loin des terres ou dans les villes, menant bon train de vie grâce aux rentes substantielles extorquées au fellah qui arrose la terre de sa sueur. Pourvus d’argent et de relations, ils attaquent les paysans des ex-Cepra ou Capra devant les tribunaux en faisant valoir de vieux actes de location des terres de l’Etat, actes pourtant frappés de nullité par la loi ! De plus, la loi de dénationalisation des terres décidée par le « réformateur Hamrouche » et votée par l’APN de Belkhadem en novembre 1990, ne concerne pas les terres de l’Etat, domaniales ou communales. C’est le cas des membres de l’ex-Capra Boukhemila que les procédures judiciaires infondées ont épuisés. En vertu des textes en vigueur le wali est le premier responsable désigné par la loi pour protéger ces terres publiques et les occupants légalement désignés par les actes d’attribution en application de la loi de la RA de novembre 1971. En général les walis n’assument pas leur responsabilité spéculant sur l’ignorance des paysans qui se laissent happer devant les tribunaux au lieu de rappeler au wali ses devoirs de représentant de l’Etat. Les procès des gangs qui ont régenté le pays ont montré que de très nombreux walis véreux connaissent bien la loi. Mais ils l’appliquent à l’envers en accordant des passe-droits à leurs protégés ou protecteurs quand ils distribuent à leurs amis les plus belles terres de l’Etat après les avoir préalablement vidées de leurs occupants légaux sous les prétextes les plus fallacieux ou sous la menace.

Les petits paysans qui tiennent à garder la jouissance de ces terres pour assurer la subsistance de leurs familles, ont fait l’objet d’un véritable harcèlement judiciaire qui a duré plusieurs années. Ces poursuites judiciaires les ont contraints à se saigner à blanc pour faire face aux frais d’expertise et aux honoraires des avocats . Devant des magistrats qui ne tranchent pas dans ces affaires de contentieux foncier et prolongent les procédures, ils se retrouvent sans soutien, souvent épuisés et désemparés. Ils n’abandonnent pas pour autant la partie dans la lutte qu’ils mènent avec résolution.

Le comble, c’est qu’ils doivent répondre à plusieurs saisies de justice engagées sur les plaintes de l’ancien prétendu propriétaire et de ses héritiers.

Il en est de même d’une autre Capra, Si Touati. Constituée avec 9 bénéficiaires de la R.A et restructurée en Exploitations Agricoles Individuelles (EAI), ses membres ont connu le même harcèlement judiciaire depuis 1995 de la part des anciens locataires absentéistes des terres de l’Etat. Sur l’instigation de ces derniers, dont l’un d’entre eux siégeait au conseil de la Chambre de l’Agriculture, cet organisme leur avait refusé le renouvellement et la délivrance de la carte de fellah si indispensable pour l’obtention des crédits et l’approvisionnement en semences.

Pas très loin de Feidja, plus exactement à Aïn Deheb, les petits éleveurs et habitants des zones steppiques s’insurgent contre la mainmise des spéculateurs. Même contexte social et politique, mêmes effets et mêmes misères du petit peuple, victime de l’arrogance des roitelets locaux.

Ils ont appelé le Wali de Tiaret à ouvrir une enquête et à intervenir en toute urgence afin de mettre fin aux pratiques délictueuses d’une poignée d’individus qui agissent en toute impunité. L’appel a été lancé à travers une requête collective.

Des milliers d’hectares de terres de parcours ont été accaparés par une bande de spéculateurs liés à quelques responsables locaux véreux.

Ces pratiques à grande échelle n’épargnent même pas les zones dites ‘’protégées’’ contre les labours illicites.

Les bandes que n’intéresse que l’accumulation d’argent en sont arrivées jusqu’à interdire à ces petits éleveurs, qui vivent de ces terres depuis des générations, l’accès aux parcours pour faire paître leur cheptel, leur unique source de revenu pour entretenir leurs familles.
Les petits éleveurs assistent impuissants à la dégradation continue de leur espace vital soumis à l’appétit de spéculateurs voraces et sans vergogne qui ont investi la steppe et pillent ses maigres ressources avec la complicité de ceux sensés la protéger.

Pourtant la Loi** prévoit des sanctions à l’encontre de de toute personne physique ou morale responsable d’infractions en portant atteinte aux terres de parcours par le défrichement et l’enlèvement des nappes alfatières et végétales. Mais les pillards font mine de les ignorer.
L’Etat algérien a promulgué depuis l’indépendance tout un arsenal de textes pour protéger la steppe et ceux qui ne vivent que de ses ressources. Il devait lancer durant les années 1970 la 3e phase de la Révolution agraire pour répartir les espaces steppiques entre ceux qui ne vivent que du produit de son exploitation et par leur travail direct et personnel. La Révolution agraire devait interdire la mise en coupe réglée de la steppe par les spéculateurs à la recherche de profits et les gros éleveurs organisés de façon féodale. Les oppositions au sein même du pouvoir à ce projet ont fait avorter les transformations envisagées comme elles ont débouché à la restitution des terres nationalisées avant même la loi des « réformateurs » de 1990.
Les « réformes » ont donné le signal à la course au profit facile et rapide dans tous les secteurs du pays. Elles ont donné naissance à une classe sans foi ni loi, excitée par le gain. Les parcours n’ont pas échappé à la prédation. Sauf que la pratique des labours en sec a pour résultat de transformer irrémédiablement les terres de parcours en terrains sablonneux.

A travers ces exemples concrets - et l’exemple peut être étendu à tout le pays - on peut voir combien les petits fellahs et les paysans pauvres, anciens attributaires de la R.A, dans cette commune pastorale ont vécu et vivent le calvaire des conséquences du coup d’arrêt des mesures de progrès introduites par la Révolution Agraire, de la dénationalisation des terres versées au FNRA, du pillage des terres publiques par des rapaces soutenus par les hommes du régime.

Pour la défense de leurs intérêts matériels et moraux, pour une vie digne, il ne leur reste qu’à s’organiser en collectifs et unions au niveau local et national, premier pas indispensable pour concrétiser leurs aspirations à une justice sociale.

L’Union Nationale des Paysans Algériens (UNPA) qui ‘’fête’’ le 46 ème anniversaire de sa création et prétend représenter 4 millions d’adhérents et résoudre les problèmes de la paysannerie est devenue une coquille vide ouverte aux affairistes de tous bords. Avec à sa tête un secrétaire-général inamovible qui est plus prompt à soutenir tous les mandats présidentiels dont le 5 ème mandat de Bouteflika.

Correspondance particulière

*Article mis à jour le 22 décembre 2020, complété par la situation des petits éleveurs de Aïn Deheb.

**En particulier les dispositions pénales édictées dans la loi d’orientation agricole N° 08-16 du 13 août 2008 et notamment ses articles 88 et 89.