Sit-in et route coupée par les travailleurs d’ALVER Oran

vendredi 8 mai 2020
par  Alger republicain

L’action a été initiée quelques jours avant le 1er mai. Les travailleurs ont choisi de protester de cette façon contre la liquidation d’un fleuron de l’industrie du verre en Algérie.

« Ils étaient nombreux le jeudi 23 avril, les travailleurs de l’usine Alver, qui a été rachetée par le groupe Condor, à se rassembler devant le siège de leur usine située à la cité Emir-Abdelkader, à Saint-Hubert à Oran, pour exprimer leur frustration et leur colère face à une situation qu’ils qualifient de floue et d’incertaine pour leurs emplois menacés.
La situation s’était compliquée avec l’emprisonnement du P-dg du groupe Condor qui, depuis, a été libéré. Des salaires non perçus ou perçus en retard et des emplois menacés, tel est le quotidien des 360 employés de la société
 » (Le Soir d’Algérie du 25 avril 2020).

L’usine de production de verre, Alver/Condor d’Oran, risque de fermer ses portes incessamment si des solutions ne sont pas trouvées dans les plus brefs délais. La nouvelle a provoqué la colère des nombreux travailleurs qui ont décidé de bloquer la RN24 pour protester contre “la mise à mort programmée” de leur outil de travail.

L’argument de déficit avancé par la direction pour justifier la fermeture de l’usine ne tient pas la route (…) Les plus hautes autorités de l’État doivent intervenir pour empêcher ce crime économique et la mise au chômage de centaines de travailleurs, ont notamment appelé les protestataires, en accusant les dirigeants de Condor, actuels propriétaires de l’usine, de “vouloir tuer Alver”. 

La société (Alver) : « au départ une filiale de la société française Verallia, avait cédé au mois de mai 2018 à Condor l’ensemble de son activité en Algérie. Elle est spécialisée dans la fabrication des bouteilles et des pots en verre à destination du marché national des boissons et des produits alimentaires. Les employés ont eu recours donc à ce rassemblement et à la fermeture de la route aux automobilistes pour exiger des autorités de se pencher sur leur situation à la veille du mois de Ramadhan. « Perdre nos emplois à la veille du mois sacré et d’autant sans obtenir nos indemnités, c’est inadmissible » ( Le Soir d’Algérie du 25 avril 2020)

L’histoire de l’entreprise Alver est celle de la destruction du secteur public industriel. Issue des nationalisations décidées dans les années 60 en représailles au refus des sociétés françaises de consacrer leurs profits à l’extension des capacités de production, elle a subi toutes les mésaventures des opérations de restructuration ordonnées en dépit de toute rationalité par le régime de Chadli pour détourner les gestionnaires du secteur public du travail de modernisation de la production et d’innovation.

Avant de tomber dans l’escarcelle des Benhamadi, avec la bénédiction du régime, l’usine a été privatisée dans des conditions troubles au profit de Verallia, entreprise italienne elle-même rattachée à l’époque au français Saint-Gobain, leader mondial de l’habitat et des matériaux de construction et auparavant grand monopole de l’industrie française du verre.

L’usine couvrait 40 à 45% du marché national. Elle avait réalisé en 2010 un chiffre d’affaires estimé à 7 millions d’euros. Elle s’étend sur une superficie de 17 hectares, de quoi enfiévrer les spéculateurs de l’immobilier à l’affût des aubaines offertes par l’extension des zones urbaines aux dépens des activités industrielles. Et apparement les Benhamadi se sont spécialisés dans ce genre d’affaires juteuses comme en témoigne leur mainmise en 2014 sur le patrimoine foncier de Batigec grâce à l’action bienheureuse de Benyounès - à l’époque ministre de l’Industrie et aujourd’hui membre du « gouvernement de la prison d’El Harrach », pour reprendre les plaisanteries du Hirak - qui n’avait pas fait jouer le droit de préemption de l’Etat pour reprendre le contrôle d’un remarquable outil de réalisation. Batigec a été malmenée par la gestion mercantile d’une société belge à laquelle elle avait été cédée, si l’on en croit les investigations d’un journaliste spécialisé dans le « Panama Affairs ».

 
Verallia s’était engagée à réaliser des investissements de modernisation des équipements de manière à à accroître les capacités de production et à améliorer la performance du site. Il n’en fut rien. La matière première était achetée au compte-goutte.
Que des promesses en l’air !

Comme toujours, les intérêts d’une multinationale, motivée par la recherche du taux de profit le plus élevé en fonction des opportunités qui se présentent sur un plan mondial, coïncident rarement avec les intérêts généraux du pays. Lequel a besoin que soit satisfaite une demande interne en réduisant les importations, que le capital des connaissances techniques ne soit pas dilapidé, et que la reproduction des équipements ainsi que leur modernisation soit assurée.

Désormais le PDG d’Alver/Condor, Benhamadi Boualem, n’hésite pas à agiter l’hypothèse de la fermeture de l’usine. Deux ans après l’avoir achetée « avec les meilleures intentions » (Liberté du 23 avril 2020), il s’est aperçu que l’usine était déficitaire depuis 10 ans ! De qui se moque-t-il ? Les travailleurs réfutent cette assertion.
Son calcul est probablement de liquider la production et de garder l’assiette foncière du site. Le même que font d’autres bénéficiaires heureux des privatisations à prix bradés des entreprises détenant de vastes superficies à proximité des zones urbanisées.

En 2018, les travailleurs inquiets avaient protesté contre le mépris dans lequel ils étaient tenus. Les représentants de la section syndicale et du conseil syndical avaient dénoncé le flou total de la cession de leur usine aux patrons de Condor.

L’enjeu de l’application du protocole d’accord

Le conseil syndical avait dans le passé fait part de ses inquiétudes avant l’arrivée de Condor. Les informations distillées par la direction en mars 2018 faisaient état d’une possible nouvelle cession d’actifs.

Le CS tenait à ce que les “acquis sociaux des travailleurs soient respectés”. « Quel que soit le repreneur, notre souci ce sont les acquis des travailleurs et le devenir de l’usine dans la transparence » (Liberté du 26 avril 2018).

C’est précisément cette phase et ce projet de « pacte social » qui ont poussé les travailleurs à protester, convaincus qu’on essaie de les flouer et de ne pas tenir les engagements du protocole d’accord.

D’ailleurs, ce « qui est révélateur, c’est l’éviction du service de médecine du travail du site de production alors que c’est là une activité dangereuse avec le statut de pénibilité pour bien des postes. Un long courrier de la médecine du travail, en date d’octobre 2017, dénonce cette situation, faisant un rappel des obligations et respect de la loi algérienne à laquelle est soumise Verallia. Le médecin du travail voit dans les entraves rencontrées et décrites dans ledit courrier, une tentative de ne pas “se soumettre aux déclarations d’accidents du travail, même lorsque cela n’entraîne pas d’incapacité de travail” pour l’employé. Ces mêmes employés nous ont affirmé qu’il n’y a pas de médecin, ni d’ambulance sur le site et que les accidents sont nombreux. Outre la pénibilité du travail, les ouvriers restent en permanence autour des fours où la température peut atteindre 40 à 50° » (idem).

Ce qui ressort nettement de ce conflit c’est que les propriétaires de l’usine ne gèrent rien. Ils se contentent d’empocher les fruits du travail des ouvriers. Le correspondant de Liberté constate lui-même que « Durant tout le temps … passé sur place, nous n’avons rencontré aucun des dirigeants d’Alver-Verallia, ces derniers étant absents et injoignables ».
Il rapporte les témoignages des travailleurs : « Ils ne viennent que de temps en temps… au point que les travailleurs affirment assurer la continuité de la production seuls, en 3X8 ».

On peut s’étonner que les responsables syndicaux se croient obligés d’affirmer qu’ils ne remettent pas en cause le principe de la privatisation de l’usine. Mais on peut les comprendre quand on sait que le seul souci du régime est de se débarrasser au plus vite des entreprises publiques pour donner des preuves « palpables » de son attachement à « l’amélioration du climat des affaires ».

Le dossier de l’entreprise est épais.

Il englobe le cas affligeant du sort réservé à une autre usine de verre, celle de Tébessa que venait de relancer un wali indigné par le fait que les caisses contenant les équipements étaient à l‘abandon depuis les années 1980. Probablement informé par des chômeurs à la recherche d’emplois il les avait découverts lors d’une tournée d’inspection peu de temps après sa nomination dans la région. Malgré ses efforts, cette usine s’est retrouvée dans des difficultés sans fin, à croire qu’il ne fallait pas gêner les affaires de rapaces cachés, soit d’un importateur, soit d’un « investisseur » privé. Certains avaient pensé à Rebrab, le magnat fabriqué par l’Etat qui a tout mis à sa disposition depuis 1989.

« En jetant un coup d’œil sur les résolutions d’Alver Oran et celle de l’unité de Tébessa, et outre la faiblesse des offres, vous remarquez le flou des clauses. Ce qui signifie le bradage volontaire de ces deux unités publiques », déclare un syndicaliste. En effet dans les documents en possession du journaliste auteur de l’article, plusieurs zones d’ombres ont été relevées.

En conclusion :

Les travailleurs de l’usine d’Alver/Condor ne décolèrent pas. Ils ne sont pas fixés sur le sort réservé à leur outil de travail et à eux-mêmes.

La situation de l’entreprise ne cesse de se dégrader. Elle souffre d’instabilité depuis sa privatisation en 2011.

Les Benhamadi, repreneurs de l’usine, semblent décidés à la fermer.
Devant cette éventualité, les travailleurs doivent prendre leur destinée en mains. Au lieu d’attendre une solution du bon vouloir du patron qui tergiverse, ils gagneraient à faire pression sur l’Etat pour qu’il reconduise ce magnat à la porte. Les travailleurs ont les qualifications pour gérer l’usine en exigeant des hautes autorités de l’Etat de prendre les mesures nécessaires au sauvetage de ce fleuron de l’industrie du verre. Ils sont capables de faire tourner leur usine par eux-mêmes sans « l’aide » des capitalistes, comme ils l’ont fait au début 2018 où ils ont assuré la continuité de la production en 3x8 après l’abandon du site par les représentants d’Alver/Verallia. Les capitalistes ont besoin des ouvriers qui produisent la plus-value mais les ouvriers n’ont pas besoin des capitalistes pour prendre en main leur destin.

RN