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Hommage à Derradji Dilmi : un fils du peuple qui a consacré sa vie à l’émancipation de la classe ouvrière et à l’édification d’une nation souveraine

jeudi 4 février 2021, par Alger republicain

Il y a un an disparaissait à l’âge de 72 ans notre regretté Derradji Dilmi, ancien secrétaire-général du syndicat des sidérurgistes du complexe d’El Hadjar à Annaba.

Son nom est étroitement associé aux luttes syndicales mémorables des années 1970 au début des années 1990. Il évoque les luttes glorieuses des militants du Parti de l’Avant-Garde Socialiste (PAGS) pour doter la classe ouvrière de structures syndicales démocratiques de classe, affranchies de la tutelle du parti du FLN et de l’idéologie anti-socialiste. Leur militantisme inlassable a visé à forger les instruments d’expression des aspirations sociales et politiques des travailleurs, en vue du triomphe du socialisme. Il tendait à orienter leur mobilisation pour l’édification des bases économiques de l’affranchissement du pays des tendances dominatrices de l’impérialisme et de l’influence désagrégatrice des couches sociales parasitaires, ses alliées intérieures.

Premiers pas dans la vie syndicale et politique d’un fils du peuple

Derradji Dilmi est né en 1948 dans une famille très pauvre d’un village de la région de Sétif. Son père, employé comme journalier chez un colon ne pouvait nourrir, avec le salaire de misère qu’il percevait, une famille de plus en plus nombreuse. Il dut émigrer en 1954 en France où comme beaucoup d’autres Algériens sans qualification professionnelle, il se fit recruter sur un chantier de construction. Cela lui permettait d’envoyer de l’argent à sa famille restée au pays.

Derradji ne pourra commencer à fréquenter l’école qu’à l’âge de 10 ans. Grâce à ses aptitudes intellectuelles précoces et à l’attention d’un maître d’école dévoué il rattrape très vite son retard. Mais c’est à l’indépendance que le fils d’ouvrier émigré bénéficiera des conditions matérielles d’études assurées par l’Etat algérien en faveur des enfants de condition modeste. Il put mener et achever ses études dans le secondaire technique. L’enseignement de qualité qu’il reçut au lycée technique de Dellys le dotera d’un solide bagage grâce auquel il ira plus loin dans l’acquisition d’un savoir-faire pointu au moment où la sidérurgie algérienne préparera son envol.

Dilmi doit chercher un travail à la fin de ses études secondaires en juin 1969. Muni du Brevet de Technicien spécialisé, il se fait recruter par la Société Nationale de Sidérurgie (SNS) en octobre de la même année. La société venait de faire démarrer en 1969 le haut fourneau et la tuberie spiralée. Elle l’aide à compléter sa formation en Algérie même puis l’envoie à l’étranger pour acquérir le métier de technicien supérieur en automatisme. C’est au cours de sa formation à Milan et à Nancy qu’il fait la rencontre de syndicalistes de classe lors de stages en usine. En Italie il fréquente des militants de gauche et participe à leurs manifestations. En France il assimile les méthodes de lutte de la classe ouvrière au contact des militants de la CGT.

Poussé par ses convictions de fils d’ouvrier aspirant à une société libérée des injustice sociales et de l’exploitation, il entame en 1974 sa vie de militant syndicaliste. Il joue un rôle important dans le déclenchement d’une grève pour une augmentation du salaire des sidérurgistes compte tenu de la dureté de leurs conditions de travail. La direction finit au bout de quelques jours par admettre le bien-fondé de la revendication. Les responsables du parti FLN pour qui le militantisme n’était plus que source de privilèges ont quant à eux du mal à avaler les résultats de cette action qu’ils avaient désavouée et qualifiée d’illégale. Une accusation qui pouvait valoir à son auteur de lourdes sanctions voire le licenciement. Formés dans le moule de l’anti-communisme primaire pratiqué depuis des décennies par le mouvement nationaliste, ils voient la main des communistes derrière chaque contestation ouvrière. Dilmi sera cependant élu en 1977 président de l’Assemblée des travailleurs de l’unité( ATU). D’autres militants du PAGS viennent eux aussi l’épauler en arrivant à contourner les barrages dressés par les défenseurs de l’hégémonie du FLN.

Ce « petit » changement qualitatif va ébranler les méthodes imposées jusque-là par les équipe du FLN, méthodes complètement étrangères aux principes du vrai syndicalisme. Derradji et ses camarades provoquent une rupture avec les conceptions et les pratiques autoritaires d’avant. Finie l’ère de l’aristocratie syndicale pour qui le syndicalisme se confond avec la filouterie, la délation, les ententes avec les patrons -privés ou publics- pour obtenir de petits avantages personnels indus sur le dos de la masse des travailleurs. Révolu le temps où l’homme de paille installé sous la casquette de « syndicaliste » par l’appareil du parti unique doit se faire obéir par les travailleurs et n’a aucun compte à leur rendre. Désormais, les responsables syndicaux doivent être élus et non désignés par la kasma du FLN. Ils doivent se présenter avec un programme et livrer des comptes-rendus réguliers de leurs activités aux travailleurs qui ont le droit de les rejeter. Un responsable élu peut faire l’objet d’un retrait de confiance par les travailleurs. Les décisions ne peuvent être que collégiales. Elles doivent être prises après discussions préalables et participation élargie à l’ensemble des travailleurs.

C’est un véritable séisme ! L ‘émergence d’un noyau de syndicalistes bousculant les mauvaises habitudes transforme la conscience des travailleurs eux-mêmes. Ils viennent quasiment tous de la paysannerie et n’ont encore aucune expérience de l’action collective consciente, organisée et disciplinée qui ne se forge que dans les concentrations ouvrières. Toute l’expérience collective du mouvement ouvrier national et international est condensée dans les nouvelles règles introduites par Dilmi et ses camarades. Elle est acceptée comme quelque chose de naturel et de logique, parce qu’elle reflète leurs attentes et leur vie d’ouvriers comprenant que sans associer démocratie et discipline stricte mais librement acceptée on ne peut ni obtenir satisfaction des revendications légitimes ni participer activement à la réalisation des options de progrès du pays, à la construction et à la défense de son indépendance. Dilmi et ses compagnons ont accompli en 3 ans un extraordinaire travail pédagogique dont ils découvrent les règles par eux-mêmes autant que par assimilation de l’expérience de leurs aînés dans leur parti (1).

Cette riche expérience des luttes ouvrières ininterrompues accumulée depuis le début du 20 ème siècle est transmise par d’innombrables canaux à travers les liens tissés par le PAGS dans la société (2).

Ecarté par le pouvoir réactionnaire de Chadli parce que sa devise était : « Servir et non se servir »

Dilmi et ses nombreux camarades étaient porteurs de la confiance des travailleurs. L’estime et la reconnaissance dont ils jouissaient étaient le fruit de leurs luttes courageuses et persévérantes pour faire entendre la voix des travailleurs dans un système politique hégémonique n’admettant surtout pas la libre organisation d’un mouvement prolétarien.

Dilmi et ses compagnons sont écartés du syndicat par la force au début des années 1980, en application d’une disposition scélérate introduite par les nouveaux dirigeants, le fameux article 120. Mais ils seront plébiscités en 1989 par la grande majorité des 13000 ouvriers et cadres du complexe. Ils sont élus en dépit des actions d’obstruction désespérées des nervis du régime de Chadli tentant par des manoeuvres vouées à l’échec de maintenir le syndicat sous leur tutelle anti-ouvrière, à contre-courant de la tempête qui venait de se lever dans tout le pays. Les fantoches parachutés par le FLN et l’UGTA mise au pas ne réussirent pas à colmater les grandes brèches ouvertes dans les pratiques antidémocratiques du régime prédateur.

L’immense espoir soulevé par l’explosion populaire du 5 Octobre 1988 et la grande mobilisation qui s’ensuivit faisaient leur oeuvre de salubrité.

Dans leur tentative de provoquer un réflexe de répulsion au sein des travailleurs, les fantoches vomis de l’Union de Wilaya de l’UGTA n’avaient pas reculé devant les attaques les plus odieuses. Comme à leur habitude, dès qu’ils sentent qu’ils ont en face d’eux des militants du PAGS, ils leur collent l’étiquette de « mécréants ». Peine perdue, ils se cassèrent les dents sur l’unité et la volonté des travailleurs de les jeter à la poubelle.

Rouiba et El Hadjar en peine éruption le 5 Octobre 1988

Pour bien saisir la signification et la portée nationale des changements syndicaux intervenus entre 1988 et 1989 à El Hadjar, il est nécessaire de brosser à grands traits les interactions entre le succès des sidérurgistes et l’évolution générale de la situation du pays, des changements intervenus dans le rapport des forces en mouvement. Les victoires remportées à El Hadjar sont un facteur de dynamisation de la combativité des travailleurs des autres secteurs et régions. Les avancées de ces derniers renforcent en retour la détermination à El Hadjar. L’évolution positive ou négative de la situation générale du pays se répercute favorablement ou défavorablement sur l’état d’esprit de l’ensemble des travailleurs dans les unités de production de tout le pays.

A la veille du 5 Octobre 1988 les luttes ouvrières connaissent un nouvel élan dans la zone industrielle de Rouiba dans la banlieue d’Alger. Il a suffi d’une assemblée générale des travailleurs du Complexe de Véhicules Industriels (CVI) pour que les protestations se fassent entendre fortement contre la dégradation du pouvoir d’achat et les méfaits des spéculateurs couverts par la complicité du pouvoir. C’est une gerbe d’étincelles qui se met à crépiter. Le mécontentement longtemps accumulé et étouffé par les services du régime explose. La colère des ouvriers se transforme en rejet sans appel des méthodes antidémocratiques de l’appareil pseudo-syndical inféodé à un pouvoir sourd à leur mécontentement. Les bruits sur un arrêt de travail des ouvriers du CVI se propagent comme une traînée de poudre dans la capitale puis se répandent à travers tout le pays. Les ouvriers de la zone industrielle de Rouiba que le pouvoir avait brutalement réprimés en 1981 (voir plus bas) relèvent la tête. Ils portent leur regard vers l’Est, plus exactement vers leurs camarades du complexe sidérurgique. Ils sentent que le soulèvement de ces derniers fera sauter là-bas aussi les carcans scellés par le régime de Chadli. Alors, les choses ne seront plus comme avant. Précisément, à Annaba la police s’empresse d’arrêter Dilmi. Les autorités croient ainsi l’intimider et étouffer de façon « préventive » l’extension du mouvement de protestation populaire contre le régime Chadli. Derradji ne plie pas. La police échouera dans sa tentative de briser le sursaut des travailleurs.

Les manifestations populaires expriment le ras-le-bol général à la fois contre la grosse corruption qui s’est installée durant les années Chadli dans le pays, l’extension des passe-droits, l’indifférence du régime pour la situation des classes laborieuses durement frappées par les pénuries et les prix spéculatifs, et le chômage massif qui touche les jeunes du fait de l’arrêt des investissements productifs depuis l’adoption du plan quinquennal 1980-1984 et des restructurations qui ont brisé les ailes du secteur public.

Les revendications économiques sont au premier plan de l’action des travailleurs. Leurs revendications politiques s’y inscrivent en filigrane. Sur un plan pratique leurs revendications politiques spontanées ne franchiront pas les limites de la revendication de l’autonomie du syndicat par rapport au parti FLN auxiliaire de la répression des luttes ouvrières. Contrairement à ce que certains ont pu penser il n’y avait pas eu de préparatifs politiques ou de plan « secret » d’une offensive concertée contre le pouvoir honni. On le découvrira plus tard, la direction du PAGS n’était pas en mesure de donner un mot d’ordre politique central pour orienter les luttes de la classe ouvrière alors que dès 1981 elle avait dénoncé le « glissement à droite » du pouvoir et prévenu les militants qu’il fallait se préparer aux explosions populaires que ce changement de cap devait inévitablement entraîner. Mais l’explosion populaire d’octobre 1988 la trouve paralysée par des divergences nourries par les idées de « la nouvelle mentalité » chères à la Pérestroïka gorbatchévienne. Au centre de cette « mentalité » résidait en réalité une position liquidatrice résumée dans le principe révisionniste de « la primauté de l’humanisme sur la lutte de classe », en clair l’abandon de la défense des intérêts des travailleurs au profit de la recherche de la collaboration avec la bourgeoisie et l’impérialisme. Mais à l’époque, les discours de Gorbatchev dissimulaient l’objectif réel sous le slogan « d’avantage de démocratie pour d’avantage de socialisme ». Beaucoup de gens sont trompés. Tout un groupe de dirigeants soviétiques maniait le verbiage révolutionnaire pour ne pas dévoiler prématurément ses desseins contre-révolutionnaires véritables.

L’absence de vigilance influera négativement par la suite sur l’évolution du mouvement ouvrier non seulement en Algérie mais aussi dans le reste du monde.

Une page allait cependant se tourner en ce mois d’Octobre sanglant qui se solde par plus de 500 morts.

Le retour de Dilmi et de ses compagnons à la tête du syndicat est une surprise désagréable pour le régime. Il n’avait pas prévu, lorsqu’il avait commandité des émeutes, que le mouvement prolétarien allait se saisir de l’occasion pour manifester son existence. La bande de Chadli comptait seulement provoquer un chaos « maîtrisé » pour réussir une révolution de palais contre ceux qui freinaient ses plans vitaux pour la préservation des privilèges des groupes sociaux dominants. La bande à la tête du pays était inquiète devant l’accumulation des désaccords au sommet sur le choix des méthodes de gouvernement les plus efficaces afin de faire fructifier les privilèges acquis et d’empêcher que la montée de l’effervescence populaire ne se transforme en contestation radicale du régime.

Article 120 et mise au pas des syndicats : condition du virage à droite en 1981

Le régime avait cru en 1981 qu’il était définitivement venu à bout de l’essor du mouvement ouvrier dont le potentiel avait été révélé par les grands débats populaires du printemps 1976. Il avait soumis, pour ce faire, les organisations de masse, UGTA, Union des jeunes (UNJA), des femmes (UNFA), organisations sociaux-professionnels (Ingénieurs, médecins), etc., à l’article 120 des nouveaux statuts du FLN. Il stipulait que l’appartenance au parti du FLN était la condition à l’exercice des responsabilités dans ces organisations de la plus petite section de base aux instances centrales. En 1969 le 3ème congrès de l’UGTA avait accepté, sous la pression de Kaïd Ahmed, responsable du FLN, depuis novembre 1967, que pour être membre de la commission exécutive nationale il fallait être au FLN. Le préalable ne n’était posé qu’à ce niveau élevé de responsabilité. Cette fois il est généralisé parce que les idées et les propositions défendues par le PAGS étaient de plus en plus partagées même aux échelons les plus élevés des organisations de masse pourtant fermés aux communistes depuis 1956. Au point qu’il fallait un tamis aux mailles serrées et les fiches des services de sécurité pour faire le tri entre les supposés membres du PAGS clandestin et la masse de ses sympathisants y compris au sein des militants de base du FLN. L’article 120 avait été greffé sur les statuts pour évincer les « mouchaouichine », les « perturbateurs ». Cette dénomination désignait à l’action des services répressifs tous ceux qui exprimaient les aspirations des masses populaires et refusaient d’adhérer au parti unique ou n’exécutaient pas ses directives anti-démocratiques et anti-populaires. Les nouveaux chefs du pays ciblaient essentiellement par ce grossier stratagème les militants du PAGS démocratiquement élus par la base dans les organisations de masse où ils activaient.

Les syndicalistes du complexe sidérurgique d’El Hadjar en furent la cible. Mais c’était le cas dans tous les secteurs et plus particulièrement dans les grosses concentrations industrielles du secteur public. A la faveur de la relative ouverture politique esquissée en 1974, les militants ouvriers du PAGS avaient été de plus en plus nombreux à être démocratiquement élus dans les sections syndicales. C’était le fruit de luttes intenses pour isoler les éléments carriéristes ou franchement réactionnaires.

Dilmi et ses compagnons sont donc écartés en cette décennie 80 du syndicat par les gardes chiourmes du pouvoir. La véritable raison de l’éviction décidée en haut lieu est bien entendu étrangère aux règles de fonctionnement du syndicat. Leur « faute » est d’avoir incarné les principes et la pratique d’un syndicat unitaire démocratique et de classe, porte-parole et organisateur incorruptible des travailleurs, refusant fermement de se plier aux méthodes caporalisatrices du FLN, gardant le cap sur les options socialistes que le nouveau régime avait décidé de remettre en cause. C’étaient des militants syndicalistes combatifs face à la redoutable machine anti-ouvrière mise en place par les nouvelles équipes portées à la tête du pays en 1979, après la désignation de Chadli Bendjedid comme chef de l’Etat en remplacement de Boumediene emporté par une maladie soudaine le 27 décembre 1978.

Le passage après sa mort de la quasi-totalité des leviers du pouvoir entre les mains des équipes réactionnaires avait mis fin à l’espoir qui était en train de prendre corps au milieu des années 1970. Les prémisses d’une évolution démocratique et progressiste bourgeonnaient sur le terreau de la convergence de l’action à la base des masses populaires et des groupes de la gauche du pouvoir autour des tâches progressistes de l’édification du pays. Sous la poussée de ces luttes pour la satisfaction des aspirations des travailleurs, des petits fellahs, des jeunes et des femmes, les organisations de masse venaient alors de commencer à se libérer de l’emprise des éléments les plus anti-démocratiques et les plus anti-ouvriers du régime. Boumediene se montrait ouvert à cette perspective. Pour effectuer les changements requis par les principes de la Charte Nationale dans les composantes des institutions, il semblait compter sur cette nouvelle génération de militants qui ne couraient pas derrière l’argent ou les postes de prestige. Il était entré dans le coeur des masses populaires en se faisant le porte-parole et le traducteur de leurs aspirations.

Mais il donnait aussi l’impression d’hésiter à s’attaquer frontalement aux opposants, dans le pouvoir, aux options qu’il défendait. Craignait-il une dangereuse déstabilisation du pays que l’aile de droite était en mesure de provoquer pour enrayer un processus menaçant pour ses privilèges ? Ses discours retentissants depuis 1974 contre les signes de la corruption dans l’administration, les entreprises et l’armée ont semé l’émois dans les milieux qu’il visait. On savait depuis au moins 1974 de quoi l’aile de droite du pouvoir était capable, avec l’organisation des pénuries des biens de base, le sabotage sournois de l’oeuvre industrielle et les campagnes de rumeurs. Coordonnées à l’échelle de tout le pays, ces campagnes visaient à semer les méfiances, les peurs et la zizanie au sein des équipes dirigeantes qui appuyaient la Révolution agraire, la limitation des sphères d’action des intermédiaires commerciaux privés, l’affectation des revenus pétroliers aux investissements productifs et non à la gabegie de la consommation parasitaire, la solidarité avec les peuples en lutte pour leur libération nationale, la lutte pour un ordre économique internationale desserrant l’étreinte des Etats impérialistes et des multinationales, etc. Les adversaires de l’option socialisante s’y opposaient rarement de façon ouverte. Ils se présentaient le plus souvent comme des super révolutionnaires par la surenchère dans l’application des directives positives. Ils les conduisaient habilement à l’échec de façon à créer l’anarchie et le mécontentement. Sur toutes ces questions les clivages s’affirmaient peu à peu dans la société et l’Etat (3).

La disparition de Boumediene sonna l’heure de la contre-offensive générale des adversaires des choix consignés dans la Charte nationale au terme du grand débat national du printemps 1976. Ce fut le basculement de l’Etat et de la société dans un virage à droite aux lourdes conséquences. L’article 120 en est la première pierre angulaire au niveau politique. Imposé en violation des statuts des syndicats et organisations de masse, il est conjugué à la réactivation des éléments les plus conservateurs et les plus rétrogrades de la société. L’indice très significatif de cette évolution négative fut l’adoption du fameux Code de la famille. Une ère de grande corruption et de course à l’enrichissement personnel sans retenue est inaugurée.

Il faudra cependant au régime de Chadli plus de sept ans de manoeuvres tortueuses, de discours trompeurs, de corruption des responsables, d’éviction des responsables récalcitrants à sa politique, d’intilidations et de désorganisation de l’économie pour atteindre ses buts. Parvenu à ses fins il se gardera cependant de proclamer l’entrée officielle de l’Algérie dans l’ère du capitalisme. Il préfère camoufler sous la façade des « réformes » la codification du tournant esquissé en 1981.

Les masses laborieuses, la classe ouvrière en premier lieu et la jeunesse n’ont pas fini à ce jour de payer le prix fort de ce « grand bond en arrière ».

Les conquêtes sociales des années 1970 et leur remise en cause à partir des années 1980

A El Hadjar, dès les années 1970, sous la direction de noyaux de syndicalistes animés d’un esprit de classe et en alliance avec les cadres et dirigeants progressistes du complexe ou du pouvoir, les travailleurs avaient obtenu, grâce à leurs luttes et à leur mobilisation, de très nombreux acquis sociaux : permanisation du maximum de travailleurs, médecine professionnelle, politique d’hygiène et de sécurité, amélioration de la restauration, transport du personnel, construction de logements, formation, camps de vacances pour les enfants des travailleurs, activités culturelles, sportives et de loisirs, etc.

Dilmi, ses compagnons, les ouvriers et les nombreux cadres ressentent une grande fierté à apporter leur pierre à l’édification du pays. Ils veillent constamment à lier les intérêts des travailleurs et ceux du complexe, trouver des solutions aux problèmes sociaux et techniques conformes à l’intérêt général.

Il est vrai aussi que la fraction progressiste du pouvoir voulait faire du complexe sidérurgique d’El Hadjar une entreprise publique modèle. Dans les limites de son idéologie du socialisme « spécifique », elle s’était audacieusement lancée dans la maîtrise d’un secteur aussi stratégique que l’industrie lourde tout en s’efforçant de satisfaire les aspirations sociales des travailleurs. Le seul énoncé des mesures sociales en faveur des travailleurs fait trépigner de rage les capitalistes privés obnubilés par la recherche du profit immédiat, effrayés par le spectre de leur contagion au secteur privé.

Ces conquêtes sociales, sont aujourd’hui réduites pratiquement à néant. Seuls des réactionnaires imprégnés d’une haine anti-prolétarienne viscérale et partisans de la mise en esclavage des travailleurs peuvent s’en moquer. Tout leur bréviaire anti-ouvrier est résumé dans les expressions lapidaires et méprisantes sans cesse martelées dans la presse : politique « populiste », « ruineuse » pour le pays, conçue pour « acheter la paix sociale » par « le gaspillage de la rente pétrolière », « générosité mal placée », etc.

Or, ces mesures positives n’ont été que la contrepartie d’un travail créateur de richesses matérielles. Et en même temps un facteur de création des conditions de l’élévation de la productivité et de l’affirmation de la personnalité du producteur par le fruit de son travail. C’est un acte de justice dans une activité aussi exigeante en termes d’intensité et de pénibilité du travail, de risques et de dangers pour la santé des ouvriers exposés à de hautes températures, aux bruits et aux émanations toxiques. Pas seulement à El Hadjar mais aussi dans toutes les unités industrielles où l’ouvrier baigne toute la journée dans une atmosphère nocive à sa santé.

C’est là en effet que se créent les fournitures, les outils et les équipements industriels nécessaires à l’intégration économique intérieure, base de la solidité des nations. Et c’est là que les fondations d’un système national productif étaient en train d’être posées sous la sueur et les sacrifices des ouvriers et des cadres.

Le complexe sidérurgique transformait le minerai de fer de l’Ouenza, jadis exporté dans le cadre du « pacte colonial ». Il fournissait au secteur des hydrocarbures les tubes nécessaires au transport du pétrole et du gaz, le « rond à béton » pour la construction, la matière première pour la production des canalisations d’eau à Reghaïa, la fonte pour la fabrication des broyeurs par la fonderie de Tiaret, etc. Il a formé des milliers d’ouvriers et de techniciens dont profitèrent les autres secteurs industriels.

Ouvriers, cadres, syndicalistes, tous étaient portés par un enthousiasme extraordinaire, stimulés par le sentiment légitime qu’ils donnaient un sens palpable au processus de conquête de l’indépendance économique.

Les éléments anti-ouvriers nichés dans le complexe ou dans les appareils de l’Etat, et ils ne constituaient pas un nombre négligeable, ne portaient pas dans leur coeur cette politique sociale.

Les syndicalistes regroupés autour de Dilmi et de ses compagnons se battaient pied à pied pour l’amélioration des conditions de vie et de travail des ouvrier et la défense intransigeante de l’outil de production, en tant que parcelle précieuse de l’intérêt national. Les deux dimensions de l’action syndicale marchaient ensemble. Ce fut le grand mérite des syndicalistes de la trempe de Dilmi, dont la pensée et l’action avaient leur source dans la ligne de leur parti, de ne verser ni dans un corporatisme égoïste indifférent aux exigences de l’édification du pays, ni dans un « patriotisme » creux au nom duquel l’ouvrier doit se plier à des sacrifices ne profitant objectivement qu’aux seules couches exploiteuses en extension rapide.

Face à la nouvelle offensive de la droite contre le secteur public

La fin des années 1980 annonçait des jours chargés de périls pour les travailleurs. Le pays amorçait sa descente aux enfers. Le processus d’industrialisation et de substitution de la production nationale à l’importation avait été interrompu brutalement en 1980. Les recettes d’exportation des hydrocarbures sont alors dilapidées dans la consommation somptueuse au lieu de continuer à servir aux investissements productifs. Le service de la dette extérieure, qui aurait pu être ramené à des proportions supportables dès 1983, ne fait qu’augmenter au point que des unités industrielles dépendant de l’étranger pour leur approvisionnement en fournitures que le pays ne produisait pas encore, ne peuvent plus fonctionner normalement et exploiter pleinement leurs capacités de production. Les tenants de l’idéologie bourgeoise se réjouissent de la situation. Ils vont exploiter les conséquences de leur politique de casse pour faire passer leurs projets de liquidation du secteur public.

Avec la chute du prix du baril du pétrole, qui de 40 dollars en 1980 descend brusquement à 10 dollars en 1985, les partisans de la liquidation du secteur public et de l’appropriation à vil prix de son patrimoine se déchaînent. Les grandes unités industrielles bâties depuis l’indépendance, dont le complexe d’El Hadjar, sont l’objet de campagnes de discrédit focalisées sur des problèmes d’efficacité et de sureffectifs présentés de façon unilatérale.

« Vive la crise ! », tel fut en 1985 l’indécent cri de jubilation de l’un de leurs plumitifs les plus en pointe, le directeur de l’hebdomadaire Algérie Actualités, Kamal Belkacem (4). Entre autres faits d’armes, il centra le tir sur le complexe Pompes et Vannes de Berrouaghia, jouant un rôle stratégique dans l’industrialisation. Le magasine dénigra sa production sans reconnaître le droit de réponse des cadres du complexe. Il fallait casser une production nationale asséchant de grosses sorties de devises et entretenir les circuits de l’importation des pompes à l’instigation de responsables assoiffés de pots de vin.

Autre triste sire avec qui il forma un duo maléfique : le sieur Boukhrouh, auteur fertile en expressions stigmatisant les travailleurs et en clichés superficiels nihilistes raillant les réalisations des années 1970 (5).

Cette campagne était coordonnée avec le travail de surveillance des « perturbateurs » des entreprises publiques sous le quadrillage des cellules FLN et des Bureaux de Sécurité Préventive dépendant de la Sécurité militaire, bureaux mis en place dans les années 1980.

A El Hadjar comme dans toutes les unités du secteur industriel, la fonction des cellules FLN s’était réduite, en dehors de cas exceptionnels, à celle de sections « ouvrières » des services de sécurité, eux-mêmes instrument de domestication de la classe ouvrière. La résultante de ce réseau serré de surveillance et de répression préparera le terrain aux privatisations projetées depuis des lustres par les défenseurs des classes parasitaires et exploiteuses mais sans cesse contrariées par la résistance des progressistes et patriotes.

La mission des appareils anti-ouvriers du régime était et demeure toujours d’étouffer la formation d’un syndicat de classe indépendant de l’idéologie bourgeoise, échappant au contrôle des cercles opposés à toute perspective socialiste.
D’un autre côté, le secteur public industriel ne devait représenter pour ses détracteurs, au mieux, qu’une phase de transition obligée en attendant que se constitue un prétendu capitalisme « national » capable de l’absorber en héritant de ses acquis humains et techniques. Sans avoir, bien entendu, à mettre sur la table les gros capitaux nécessaires à l’émergence de tels pôles.

Le projet des éléments « intellectuels » de la bourgeoisie est démenti par les faits. De la pure rêverie inspirée par la lecture de manuels d’économie « pure » coupés des réalités historiques concrètes. La bourgeoisie, quelle soit pseudo-industrielle, commerciale ou affairiste préfère accumuler beaucoup d’argent facile en investissant le très juteux secteur de l’importation. Les « réformateurs » lui ont déroulé le tapis en abolissant le monopole de l’Etat. Ce qui lui permet de lui substituer son propre monopole sur de vastes sphères d’activité après avoir balayé le secteur industriel public.

La bataille de Dilmi et de ses compagnons pour sauver le complexe du naufrage programmé

A El Hadjar, dans leur mouvement revendicatif de l’après Octobre 1988, les travailleurs refusent d’avoir à payer deux fois les fruits pourris de la politique du pouvoir. Ils ont subi une première fois les conséquences de l’arrêt de l’expansion industrielle. Le syndicat se devait aussi de combattre les appels au blocage des salaires comme remède au marasme économique. Instinctivement les travailleurs avaient perçu les projets anti-ouvriers de ceux qui agitaient le spectre de la « spirale inflationniste » (hausse des prix- hausse des salaires- hausse des prix) mais se gardaient bien de braquer les projecteurs sur les montagnes de profits accumulés par les spéculateurs associés à des gens du régime.

Les « réformateurs » mis en piste par le pouvoir depuis 1987, tentent de les convaincre d’accepter le blocage des salaires, la hausse des prix des biens de consommation pour soi-disant juguler les déficits du complexe et sauver l’entreprise. Le gouvernement a plongé le complexe dans des déficits et découverts en spirale. Il l’a amputé d’une bonne partie de son budget devises nécessaire à l’importation des intrants sans lesquels il ne peut fonctionner. Cette décision au premier abord irrationnelle mais en réalité calculée, creuse de grosses pertes financières dans la trésorerie du complexe. Le moment venu, ces pertes seront mises en exergue de façon malhonnête pour justifier son abandon.

L’équipe des « réformateurs », Hidouci, Hadj Naceur, Goumeziane, etc., avaient mis au point un argumentaire sur l’autonomie des entreprises qui ne pouvait tromper que ceux qui voulaient bien l’être. Ils vantaient notamment les bienfaits promis par la libéralisation du commerce extérieur. Ils prétendaient sans rire que le commerce extérieur serait mieux contrôlé par un Etat qui se limite à l’exercice de ses fonctions « régaliennes » et se désengage de l’acte économique. Les privés bénéficiaires de la privatisation étant par « nature » plus efficaces que les offices publics chargés d’exercer le monopole de l’Etat sur le commerce extérieur. Etaient-ils aussi naïfs pour croire à un effet magique des textes qu’ils venaient de faire passer ? Ou prenaient-ils pour des niais ceux qu’ils cherchaient à convaincre ? En fait, ils avaient pour mission d’endormir la vigilance des adversaires du grand virage à droite. Leur fausse réputation d’hommes de « gauche » devait leur faciliter la tâche.« Patriotes » vraiment ? On voudrait bien le croire. Ils ont en réalité lancé en connaissance de cause la machine qui allait laminer le pays en provoquant l’effondrement de ses entreprises industrielles.

La destruction du complexe sidérurgique et de tous les fleurons industriels du pays, déjà fortement malmenés par la politique de sabotage patronnée par « Hamid la Science » en 1981 sous couvert de « restructuration organique » et de création d’entreprises « à dimension humaine et maîtrisable », fut sur le plan intellectuel leur oeuvre incontestable.

Le complexe sidérurgique a été lui aussi « saucissonné » en unités séparées alors que, mettant sur le marché une production de qualité, la rationalité économique aurait commandé d’aller vers un groupe plus étendu da façon à assurer la coordination de la production de la filière et à faire des économies d’échelle. Les futurs barons du rond à béton ne s’y méprenaient pas quand ils applaudissaient les discours et, surtout, les actes des réformateurs. Ils leur demandaient simplement d’accélérer la cadence. Grâce au travail législatif des « réformateurs », c’est par l’importation massive de rond à béton et à la réduction de son budget-devises, que le complexe allait être anéanti. L’autonomie proclamée était un leurre. On demandera aux cadres de se débrouiller devant l’anarchie décidée en haut lieu. Les réformes acculèrent les gestionnaires des entreprises publiques à la compression des effectifs. L’opération est combinée à l’externalisation de nombreuses activités converties en source de rentrées très lucratives pour les heureux bénéficiaires. Les gros profits tombent dans les poches de patrons privés esclavagistes surgis comme par enchantement. Et pour couronner le tout, le terrorisme obscurantiste servira un peu plus tard de pièce justificative à l’appel à des sociétés privées de surveillance. Sauveurs providentiels, leurs heureux patrons vont se repaître du sang des entreprises à l’agonie.

Malgré les difficultés et la complexité d’une situation économique plombée par le fardeau de plus en plus lourd de la dette extérieure, Dilmi et ses camarades à lient indissolublement les revendications matérielles des travailleurs et le combat pour améliorer les conditions d’exploitation et de gestion du potentiel du complexe d’El Hadjar. Cette conception de la lutte syndicale dans une entreprise publique aussi stratégique leur attire la haine des éléments réactionnaires. Aux antipodes de l’intérêt national, elles conspirent inlassablement pour embourber le complexe, ainsi que toute autre usine à caractère stratégique, dans des problèmes insolubles. En témoignent de triste façon en 2021 les attitudes étranges, pour ne pas dire plus, de divers organismes d’Etat qui tendent à le mettre en faillite (6). Sans nul doute pour offrir ses infrastructures aux Emirats, au Qatar, aux monopoles capitalistes turcs ou à d’autres
requins associés à des « personnalités » nationales véreuses attendant impatiemment leur tour pour recevoir leur part de lingots d’or.

Entraîné dans la tourmente, affaibli par le recul du mouvement ouvrier au plan national, le syndicat ne put défendre le complexe et les intérêts des travailleurs face aux décisions d’un pouvoir complètement contrôlé par de nouvelles puissances financières. Bouteflika, de retour aux commandes, sera le fruit vénéneux et le nouveau marqueur de cette marche préméditée vers l’abîme.

Dilmi homme d’acier et syndicaliste à l’écoute des travailleurs quelles que soient les variations du rapport des forces

Grâce aux échanges organisés au sein de son parti, Dilmi était au fait des multiples facettes de cette évolution régressive et des questions qu’elle soulevait sur les mots d’ordre et les méthodes de lutte pour y faire face.

Comment en limiter l’impact sur la vie, le présent et l’avenir des travailleurs, comment organiser la résistance collective ? Comment renforcer les liens entre les ouvriers et les cadres pour empêcher ensemble le sabordage de leur outil de travail et source de vie ? La discussion autour de ces questions préoccupantes n’est pas l’apanage d’un cercle fermé. Dans ce climat d’ébullition, d’assombrissement de l’horizon économique, de grosses inquiétudes alimentées par les menaces ouvertes de prise du pouvoir par l’ultra-réaction camouflée sous le drapeau de l’Islam, les débats sont intenses et vifs. Dilmi est un syndicaliste à l’écoute des aspirations des travailleurs et de la diversité des courants qui les traversaient. Il avait l’art de trouver les bonnes formules et mettre en oeuvre les méthodes démocratiques les plus appropriées pour rassembler le maximum de travailleurs autour de leurs justes et légitimes revendications sans perdre de vue à aucun moment les grands enjeux de l’heure. En coordination étroite avec ses camarades de parti il savait entraîner les délégués syndicaux dans des actions liant les revendications matérielles à la défense de l’outil de production et à la préservation du pays contre les périls.

Hissant haut la devise « servir et non se servir » le collectif de l’ATU-section syndicale dirigé par Dilmi faisait frémir de peur et de rage les carriéristes et opportunistes d’une UGTA irrémédiablement intégrée au pouvoir. Néanmoins il fallait tenir compte de l’état d’esprit des travailleurs dans le débat ouvert en 1990 sur la question de savoir par quel bout commencer pour créer un syndicat complètement libéré du contrôle du pouvoir. Fallait-il créer un nouveau syndicat, radicalement distinct de l’UGTA ? Ou demeurer dans cette organisation et lutter de l’intérieur en s’appuyant sur les aspirations des travailleurs pour sa démocratisation et son affranchissement du pouvoir sur la base d’un programme de classe ?

Cette question se posait à l’échelle nationale. Dans leur grande masse, malgré l’onde de choc du 5 Octobre, les travailleurs des secteurs productifs n’étaient pas prêts à se lancer dans l’oeuvre très difficile de construction d’un syndicat nouveau qui aurait complètement rompu avec l’UGTA ou tout au moins coupé les multiples cordons ombilicaux qui la reliaient (et la relient encore maintenant ) au régime en place. Dans une situation dominée par les hésitations, la position a prévalu à El Hadjar et dans la plupart des entreprises de veiller d’abord à préserver l’unité des travailleurs afin de contrer les dangers sérieux qui se profilaient à l’horizon : les projets obscurantistes en marche, les plans anti-ouvriers du pouvoir, les pressions des puissances impérialistes qui exploitent les difficultés financières et s’appuient sur leurs alliés internes au pouvoir ou dans l’opposition pour mettre le pays à genoux..

Le talent de rassembleur de Dilmi a pu se déployer grâce à l’apport de toute une pépinière de militants et de sympathisants du Parti de l’ Avant-Garde Socialiste (PAGS) qui avait éclos dans le complexe sidérurgique. Cette symbiose a formé un terrain propice à la combativité des ouvriers les plus conscients. Au même titre que la zone industrielle de Rouiba et du Complexe de Véhicules industriels, son coeur battant, les actions des travailleurs dans les grandes concentrations industrielles donnaient souvent le signal à des mouvements dans toutes les entreprises industrielles publiques et, au-delà de ce secteur, à toutes les couches laborieuses du pays. Le pouvoir scrutait le moindre frémissement de l’action ouvrière dans ces unités. S’appuyant sur ses antennes de surveillance dans les entreprises et administrations publiques, le régime était à l’affût de la moindre petite revendication pour tenter aussitôt de l’étouffer dans l’oeuf.

Ce n’est pas le fait du hasard, si, Hadj Yala, le ministre de l’Intérieur nommé en 1981 par Chadli avait commencé par « nettoyer » brutalement le Complexe de Véhicules Industriels de ses éléments étiquetés comme « PAGSistes ». De très nombreux syndicalistes furent licenciés arbitrairement, puis, face à l’indignation générale réintégrés mais dispersés dans diverses unités.Le complexe d’El Hadjar n’a pas échappé à ce quadrillage.

Dilmi un militant d’envergure nationale

Dilmi était une synthèse d’homme de fer et de modestie. Il n’aspirait à aucun rôle de leader obnubilé par la recherche d’un prestige personnel. Sa popularité rayonnait à l’échelle nationale. Elle ne résultait pas d’effets de manche factices ou d’un verbiage tonitruant, une spécialité des syndicalistes-maison excellant dans l’art de démobiliser les travailleurs en les berçant de fausses promesses. Il l’a acquise tout naturellement dans l’accomplissement des tâches ingrates de tous les jours, des plus petites aux plus grandes, pour concrétiser les revendications des travailleurs et en concertation étroite avec eux.

Dilmi et ses compagnons n’avaient nul besoin d’inciter par des exhortations vibrantes les ouvriers des autres secteurs à copier les luttes et les méthodes du syndicat qu’ils dirigeaient. Leurs initiatives servaient par elles-mêmes de repères et catalysaient les espoirs de tous. C’était un grand mouvement de masse en expansion rapide dans pratiquement toutes les unités industrielles du secteur public. L’explosion d’Octobre 1988 avait fait sauter tous les blocages érigés dans les années 1980. Durant les mois qui suivirent l’explosion d’Octobre 1988, une vague de grèves sans précédent dans l’histoire du pays submergea les entreprises industrielles. Les directeurs corrompus étaient interdits d’entrée. Les éléments zélés du FLN n’osaient plus se montrer. Les BSP s’avéraient impuissants devant l’entrée massive des travailleurs dans les luttes pour leurs revendications.

Le régime fit dos rond en attendant de trouver une tactique plus adaptée aux nouveau contexte.

La tactique de rechange fut mise au point par des groupes du pouvoir qui avaient rapidement retrouvé leurs esprits. Ils défendaient bec et ongles les privilèges accumulés durant la « décennie noire » de Chadli. Ils cherchaient à couronner leur oeuvre de destructuration de la nation en formation par l’accaparement direct des biens de la collectivité. Un des piliers de leur plan de reprise en main de la situation fut la formation du « Syndicat Islamique du Travail ». Cette structure est officiellement créée par un nouveau mouvement obscurantiste ultra-réactionnaire, le FIS, auquel le pouvoir accorda l’agrément en violation de ses propres lois qui interdisent la création d’un parti sur des bases religieuses. L’objectif véritable de ce parti et de ses satellites est la défense des intérêts de la bourgeoisie, en particulier de ses secteurs agraires et des gros commerçants spéculateurs, là où l’argent est ramassé non à la pelle mais à la benne. Ces gros intérêts sont camouflés sous l’emblème du combat pour l’Etat islamique. Son pseudo syndicat affichait publiquement la couleur. Dans ses statuts il est stipulé que son rôle est de concilier les intérêts du patron et de l’ouvrier. L’objectif assigné en sous-main au SIT était de contrer systématiquement les activités syndicales des militants du PAGS. Il répondait aux inquiétudes de certains secteurs de la bourgeoisie qui avaient perdu confiance dans la capacité du FLN à maîtriser le mouvement ouvrier et voyaient dans l’instrumentalisation de la religion le moyen le mieux indiqué pour la tenir en laisse. Le pouvoir de Chadli qui va durer encore trois ans le soutient pour diviser le mouvement ouvrier et tenter d’isoler les militants du PAGS et même de préparer leur élimination physique. Le SIT fut légalisé en un temps record. Il ne sera dissout après l’insurrection armée du FIS de 1992 que parce qu’il avait échappé des mains de ses apprentis sorciers.

Le complexe d’El Hadjar ne fit pas exception à cette dangereuse tentative de division. Dilmi et ses camarades surent isoler les fauteurs de division et de diversion en poussant à la création d’une coordination intersyndicale.

Lors des manifestations de rue et de l’occupation des places en mai-juin 1991 par les troupes du FIS, Abassi Madani, le chef de cette organisation, annonce sa décision de se rendre au complexe d’El Hadjar pour entraîner les sidérurgistes dans les manifestations en faveur de l’instauration de l’« l’Etat islamique ». A Alger, au port, ou dans la zone industrielle de Rouiba, ses tentatives en direction des ouvriers se soldent pas un échec. En tentant cette action spectaculaire à El Hadjar le chef des fascistes obscurantistes pensait faire basculer un symbole de la classe ouvrière dans le camp de la réaction et entraîner le reste des travailleurs derrière lui. Mais le syndicat d’El Hadjar fit échouer la manoeuvre. Stoppé aux portes du complexe, Abassi Madani dut piteusement rebrousser chemin. Les chefs du FIS avaient surestimé l’emprise du SIT. Une gifle cinglante leur a été assénée.

Dilmi contribua à Annaba au développement du Comité National de Sauvegarde de l’Algérie créé en 1992 après le premier tour des élections législatives pour faire échouer les projets des forces de l’obscurantisme .
Son nom est inscrit sur une liste qui sera trouvée dans les poches d’un tueur islamiste neutralisé par les services de sécurité. Malgré la menace il demeurera dans sa ville.

Derradji et ses compagnons se battaient sur tous les fronts pour mettre en échec les plans des futurs importateurs de « rond à béton » complotant pour terrasser un complexe contrariant leurs appétits.

Le pouvoir étant passé dans leurs mains depuis le début des années 1980 les luttes ouvrières ne purent arrêter le bulldozer lancé contre les acquis de l’industrialisation.

La dislocation du PAGS en 1992, la montée rapide de la réaction obscurantiste et de son terrorisme, la démoralisation idéologique consécutive à la victoire inattendue de la contre-révolution en URSS, créent un rapport des forces défavorable pour les luttes de la classe ouvrière.

L’UGTA repeint ses drapeaux aux couleurs du réformisme. Les exploiteurs capitalistes sont rebaptisés du nom sympathique de « partenaires sociaux », en foi de quoi les grèves devaient être désormais bannies. Ses statuts furent « nettoyés » au cours de son congrès de 1994. L’objectif de la suppression de l’exploitation de l’homme par l’homme et la référence au socialisme inscrits depuis l’indépendance dans ses statuts et son programme sont rayés. Les carriéristes contraints un temps à la défensive dans diverses régions du pays par octobre 1988 respirent. Ils reviennent en force. Dans le même temps les premières grandes attaques des réformateurs contre le secteur public en 1990, la politique monétaire et de hausse infernale des taux d’intérêts mise en route par la Banque centrale convertie en instrument des conceptions monétaristes inoculées de l’extérieur, achèvent de plonger dans un gouffre financier le secteur public.

Pour l’enfoncer encore plus dans le désastre, Ouyahia décapite en 1996 le complexe d’El Hadjar. La chasse aux sorcières est lancée. Des milliers de cadres du secteur public sont emprisonnés dans tout le pays. Le directeur général et les cadres centraux du complexe sont jetés en prison sous des accusations dénuées de tout fondement sérieux. L’objectif de la cabale était clairement de casser la résistance ou le manque de ferveur des cadres honnêtes aux plans de privatisation. Il fallait notamment marquer au fer rouge les opposants et lever tout obstacle aux appétits d’un petit cercle d’importateurs privés décidés à se partager le marché très lucratif du rond à béton. D’autant plus que le gouvernement venait de mettre secrètement à leur disposition 200 millions de dollars pour importer ce produit ! La saga de Rebrab, un des heureux bénéficiaires de cette générosité du pouvoir est le fruit de cette divine impulsion. Face à l’indignation générale soulevée par leur arrestation, le pouvoir dut prononcer leur relaxe pure et simple après 4 ans de détention arbitraire. Il confirma par son revirement que le dossier était vide.
Dilmi et ses camarades avaient flairé les dessous de la cabale. Ils ne se laissèrent pas entraîner dans le concert de vociférations déclenché par Ouyahia contre les cadres du secteur public.

Entre temps, ce secteur avait été réduit en miettes et le mouvement ouvrier domestiqué sous l’action conjuguée des hommes du régime et des hordes terroristes.

Dans ce contexte de reflux un vide s’est créé à El Hadjar. Après une élection boycottée par la grande masse des travailleurs, le syndicat repasse entre les mains de carriéristes complètement indifférents aux intérêts des travailleurs et au sort de l’usine. Son nouveau SG s’attelle à répandre la peur parmi les travailleurs. Il les pousse à demander sans perdre une minute le bénéfice d’un plan « social » pour éviter, assurait-il, des compressions d’effectifs sans indemnisations. La nouvelle direction avait tablé sur une réduction des effectifs étalée sur plusieurs années. Grâce au sale boulot du nouveau SG du syndicat, le complexe est vidé en quelques mois de ses ouvriers les plus qualifiés et les plus expérimentés ! Il ne s’en remettra jamais.

Pour tenter de sortir de son isolement, le nouveau syndicat se lance dans des actions démagogiques. Il distribue des prêts aux travailleurs pris à la gorge par la terrible inflation déclenchée par la politique de « vérité des prix » prônée par la Banque d’Algérie et l’accord de rééchelonnement passé avec le FMI. Les prêts octroyés sont puisés dans les fonds sociaux mis de côté par Dilmi et ses compagnons. Ces fonds étaient destinés à financer la construction pour les sidérurgistes de pavillons de repos au milieu de massifs boisés chargés d’air pur.

Le nouveau SG ira jusqu’à avilir le syndicalisme par ses campagnes de propagande mensongère vantant les prétendus bienfaits de la privatisation du complexe en 2001. On sait ce qu’il en fut réellement.

Derradji et ses camarades n’étaient plus là pour désamorcer les plans de sabotage. Il fut victime d’un grave accident de la route en 1996. Avec l’aide de la CGT il est hospitalisé en France. Les soins durèrent des mois. Ce fut un miracle qu’il s’en sortît vivant.

A son retour il est désigné comme responsable de la Caisse Mutuelle des sidérurgistes.
Il resta fidèle à la devise « servir et non se servir ».

Son bureau ne désemplissait pas de travailleurs retraités venus chercher auprès de lui aide et conseils ou simplement pour le saluer.

Derradji Dilmi a été membre du comité central du PAGS en compagnie de Rezzine, lui aussi syndicaliste combatif d’El Hadjar. Ils avaient été élus à cette instance par le congrès de décembre 1990.

Malgré ses sérieux problèmes de santé il participe aux manifestations du 22 février contre le régime.

Derradji nous quitte le 17 janvier 2020. Une insuffisance respiratoire de plus en plus aggravée vint à bout de ses forces.

Qu’il repose en paix. Que son dévouement serve d’exemple et de ferment à la constitution de véritables syndicats de classe, démocratiques, unitaires, patriotiques et internationalistes. Que les jeunes ouvriers, techniciens, ingénieurs et cadres des secteurs de production s’inspirent des enseignements des luttes de ces dignes enfants du peuple pour se préparer à des combats plus durs et plus difficiles. C’est par leurs luttes qu’ils créeront les conditions de la victoire de leurs aspirations à un monde nouveau, débarrassé de l’exploitation de classe, des frustrations et des humiliations.

« Ceux qui vivent sont ceux qui luttent » Victor Hugo.

Que sa famille trouve dans cet hommage l’expression de notre compassion la plus profonde.

Zoheïr BESSA


NOTES

(1) La substance de cette partie a été pour l’essentiel tirée de l’ouvrage captivant « Dilmi, l’homme, le syndicaliste » de Aziz Aït Simohamed et de Maïza, qui vient de paraître aux éditions Acacia.

(2) Les vieux syndicalistes de l’ancienne Union Générale des Syndicats Algériens (l’UGSA), survivants de la guerre de libération et des persécutions anti-communistes opérées dans certains maquis, sont les multiples anneaux intermédiaires de sa transmission. Ils sont des héros ignorés à dessein par l’histoire officielle du syndicalisme. Par histoire officielle il faut comprendre non seulement le tri sélectif opéré par les pouvoir successifs depuis l’indépendance, mais aussi les récits partiels et partiaux des écrits de certains fondateurs ou laudateurs de l’UGTA. L’UGSA a été éliminée par le FLN lorsqu’il a créé en 1956 l’UGTA, une centrale dépendant directement de lui et de ses décisions sans tenir compte du principe d’autonomie qui faisait les traditions démocratiques du mouvement ouvrier représenté par l’UGSA. La raison de la décision du FLN de la créer est officiellement de rassembler les travailleurs algériens dans une centrale « véritablement nationale ». Cet argument n’en était pas un. L’encadrement de l’UGSA était composé de militants acquis à la cause nationale. Ils appartenaient autant au MTLD qu’au PCA. Les militants communistes ont déployé toute leur énergie pour intégrer aux différents niveaux de responsabilité les éléments des partis nationalistes qui avaient la confiance des travailleurs. A la veille du déclenchement de l’insurrection armée du 1er novembre les éléments d’origine européenne élus aux plus hautes responsabilités se sentaient aussi Algériens que les autres et défendaient avec non moins de conviction qu’eux l’objectif de l’indépendance de l’Algérie. L’UGSA portait en elle toutes les caractéristiques d’un syndicat liant la lutte syndicale à la lutte pour l’indépendance. Preuve en est : l’UGSA et l’UGTA sont interdites en même temps par les autorités coloniales. Le motif véritable de la décision des dirigeants du FLN est autre : éloigner les ouvriers de l’influence de leurs camarades de travail et de luttes qui militent au sein du PCA et sont l’âme d’un syndicat de classe véritable prenant en charge la question nationale sous des formes adaptées aux particularités de la vie syndicale. Les congressistes de la Soummam ont vilipendé injustement ce parti en exploitant la ferveur patriotique du peuple algérien engagé dans la lutte armée de libération déclenchée par le FLN. Le mouvement nationaliste voulait le marginaliser en tant que courant idéologique et politique pour qui la lutte pour l’indépendance n’était qu’une étape historique dans le processus long et difficile du combat pour le socialisme. Cet objectif que le PCA avait le mérite de proclamer ouvertement contrariait frontalement des franges de la petite-bourgeoisie et de la bourgeoisie embryonnaire dans leurs aspirations inavouées à contenir la lutte dans les limites de l’indépendance politique. Elles refusaient d’esquisser ne serait-ce que dans ses grandes lignes le contenu social concret à donner à l’indépendance politique. Elles ne pouvaient accepter qu’à la lutte pour l’indépendance succède la lutte pour l’extirpation des racines de classe de l’exploitation et de l’oppression, sources de misère et d’inculture. Au motif qu’il ne fallait pas diviser les rangs, les anticommunistes s’en prenaient à ceux qui inscrivaient leur combat contre le colonialisme dans une perspective historique plus longue, celle d’un régime socialiste qui mettrait un frein aux aspirations à l’enrichissement et s’opposerait au remplacement de la classe des exploiteurs français par une classe d’exploiteurs algériens. Durant la guerre de libération, les communistes ont évité de discuter les questions du socialisme dans les lieux dominés par des nationalistes anticommunistes virulents. Leurs paroles et leurs actes étaient soumis à une surveillance permanente qui pouvait donner lieu facilement à leur liquidation. Quand bien même l’UGTA devait et pouvait servir de relais à la cause de la libération nationale, les conditions de sa création et la désignation de ses dirigeants sans débats entre les intéressés ni congrès allaient peser négativement sur l’avenir. Les bases des méthodes autoritaires ont été jetées en 1956. Leurs effets nocifs seront perpétués et amplifiés après l’indépendance. Encore que, malgré les méthodes originelles de sa création, l’UGTA aurait pu trouver les formes pour assumer une double fonction : contribuer à la guerre de libération et l’appuyer par l’action économique revendicative. Le principe de cet autoritarisme dicté par des réflexes anti-communistes, contraires même aux exigences unitaires de la guerre de libération, a été codifié dans la fameuse recommandation stigmatisante de la Plate-forme de la Soummam : « maintenir le communisme dans son cocon de chrysalide ». C’est une hantise pour tous les pouvoirs qui se sont succédé depuis l’indépendance que d’empêcher le courant communiste de conquérir, démocratiquement, un rôle dirigeant dans le mouvement ouvrier. Né dans une matrice prolétarienne, l’Etoile Nord-Africaine, par suite du travail politique du Parti communiste français en direction des travailleurs algériens et des orientations de l’Internationale Communiste, le mouvement national petit-bourgeois dont la métamorphose a donné naissance au régime bourgeois actuel a gardé dans sa mémoire le souvenir désagréable de l’attraction des couches prolétariennes algériennes en France par les idées communistes. Il est donc tourmenté par le souvenir de sa propre rupture d’avec les idéaux de son enfance. Il est surtout hanté par le spectre de l’éveil d’un prolétariat qui finirait par se dépêtrer idéologiquement et organiquement de sa mainmise et par prendre en main son destin en s’affirmant comme classe déterminée à renverser l’ordre capitaliste.

(3) Boumediene ne semblait pas être encore arrivé à la conscience complète de la nécessité de faire confiance avec hardiesse dans l’énergie émancipatrice des travailleurs, pour coordonner son action avec celle des travailleurs afin de régler les divergences apparues au sommet et écarter les hauts responsables hostiles aux changements progressistes qu’il s’efforçait de promouvoir.

Il ne s’était pas encore débarrassé des conceptions et des méthodes de commandement militaire qui poussent le chef à surestimer les possibilités que lui procure un pouvoir sans contrôle et à tenir pour négligeable l’action des masses populaires. Cet état d’esprit trouve ses origines dans le fait qu’il était entré dans la lutte pour la libération nationale sans être passé par les luttes sociales et de plus au moment même où l’action armée allait devenir la forme principale du combat pour l’indépendance. Le terrain des débats politiques contradictoires pour régler les multiples et épineux problèmes posés par l’organisation du combat contre le colonialisme s’en trouvait réduit à peu de choses.

Partagé par de nombreux autres compagnons de Boumediene baignant dans les confusions d’un« socialisme spécifique », étranger aux conceptions prolétariennes formées dans les pays industrialisés où se déroule une lutte classe contre classe, cet état d’esprit a entravé l’organisation sur des bases démocratiques de la riposte par en haut et par en bas aux blocages opposés par l’aile réactionnaire du pouvoir. La question reste posée sur les déterminants des hésitations de Boumediene à couper avec certaines amitiés nouées durant la guerre de libération mais devenues en 1976 un frein au mouvement vers l’avant. On pourrait penser que ce genre de questions ne présenterait plus aucun intérêt aujourd’hui. Un débat n’aurait pas lieu d’être. Ce serait méconnaître les causes qui conduisent à la répétition des événements en dépit des différences dans les formes que revêtent les circonstances. Des enseignements sont à tirer en préparation de nouveaux grands combats de masse à venir. La tendance persistante à placer tous les espoirs dans l’arrivée de l’homme providentiel guettera toujours les classes laborieuses, aspirant à la fin des inégalités et de l’exploitation, dans un pays encore caractérisé par la faiblesse de l’action de masse du mouvement démocratique et ouvrier. La classe ouvrière est tenue aujourd’hui de fonder son action non sur d’hypothétiques nouveaux Boumediene, seraient-ils plus aptes au dialogue fécond, mais sur ses propres capacités et sur les dirigeants sortis de ses entrailles pour s’émanciper par elle-même de l’exploitation et par là engager un changement de fond en comble de la société. Une révolution de type socialiste, seule alternative à la crise insurmontable du régime capitaliste-impérialiste, requiert un niveau élevé de conscience et d’organisation, l’action politique de millions d’hommes et de femmes décidés à changer les rapports sociaux qui ont fait leur temps et les mentalités désuètes qui leur sont liées. Si le rôle des personnalités reste important, la révolution socialiste ne peut être l’oeuvre d’un petit groupe d’individus pensant changer la société par la seule vertu de l’autorité qu’il pourrait détenir dans des appareils d’Etat et sans penser à révolutionner l’Etat lui-même avec l’intervention des masses. Les désillusions et les déboires des travailleurs vénézuéliens qui ont fondé tous leurs espoirs sur l’action de Chavez et mésestimé le rôle d’un parti comme le PCV, sont une expérience instructive pour de nombreux peuples placés dans des situations similaires ou pouvant se reproduire dans des formes relativement analogues.

(4) Ce propagandiste zélé des opérations de sabordage économique des années Chadli-Brahimi avait été un admirateur de Kaïd Ahmed, responsable du parti du FLN de novembre 1967 à octobre 1972. La génération nouvelle doit savoir que Kaïd Ahmed personnifiait l’autoritarisme, la mise au pas des syndicats ouvriers, le kidnapping des étudiants de l’UNEA, prélude à son interdiction à un moment où le pouvoir connaissait ses premières grandes secousses internes autour de questions décisives tels que les finalités du développement, l’austérité sur les catégories aisées, le projet de Révolution agraire, la nationalisation des hydrocarbures. Pour tous ceux qui avaient subi sa vindicte, Kaïd Ahmed était synonyme de mépris des masses, de défense des privilégiés et de la féodalité, du rejet de l’industrie lourde, de tendances conciliatrices avec l’impérialisme. Voilà l’objet de l’admiration du directeur d’Algérie Actualités qui se fit le porte-voix du dénigrement systématique du secteur public.

(5) Il a inauguré son intervention dans le champ politique en se distinguant d’une « brillante » façon. Lors des grèves organisées par l’UNEA, alors qu’il était étudiant, il prêtait à l’occasion physiquement main forte à la police pour disperser les piquets de grève. Puis, il se découvre l’âme d’un auxiliaire à distance des censeurs coupeurs de têtes de Djamiat Al Azhar. Islamiste bennabiste honteux, il inaugure en 1970 sa carrière de débusqueur des idées subversives par une violente charge dans le quotidien du pouvoir El Moudjahid contre le livre de Maxime Robinson « Mahomet ». Avec les encouragements de Taleb El Ibrahimi, il avait appelé à l’interdiction de sa diffusion. il réapparaît de façon spectaculaire avec les premières attaques du régime de Chadli contre les acquis des années 1970. Il gagne la célébrité dans les salons réactionnaires lorsqu’il invente sa fameuse expression de « socialisme de la mamelle ». Ses phrases sarcastiques s’attaquent à la politique d’amélioration des conditions sociales des travailleurs. En octobre 1994, alors que l’inquiétude monte chez les travailleurs après la signature de l’accord de soumission aux injonctions du FMI, il suggère au pouvoir de déclarer l’état de siège économique. Au nom, bien sûr, des « intérêts suprêmes » du pays tels que les conçoivent les trafiquants enrichis et les exploiteurs, il incite les autorités a briser ainsi toute velléité de protestation chez « l’Homo Khechinus », l’homme à la tête dur. Ou plus précisément le travailleur qui ne veut pas comprendre pourquoi il serait écrit que les uns travaillent toute leur vie sans posséder d’autre richesse que leur salaire éphémère tandis que d’autres entassent des richesses sans avoir à travailler. Les autorités n’auront pas besoin d’écouter ses conseils. Les tueries organisées par les hordes obscurantistes achèvent de désorganiser le mouvement ouvrier. L’état de siège prôné par le pourfendeur du « socialisme de la mamelle » mais non moins avocat du « capitalisme de la mamelle » est une réalité de fait sous les coups des assassins du FIS et des « compresseurs » d’effectifs.

(6) Voir dans El Watan du 14 janvier 2021 l’article de Mohamed Fawzi Gaidi « El Hadjar en faillite » (https://www.elwatan.com/edition/actualite/el-hadjar-en-faillite-14-01-2021)