Accueil > Luttes sociales en Algérie > Le diktat patronal : les dockers de l’Entreprise portuaire d’Alger (EPAL) (…)
Le diktat patronal : les dockers de l’Entreprise portuaire d’Alger (EPAL) obligés de mettre fin à leur grève sous peine d’emprisonnement mais ils arrachent une première victoire
dimanche 16 février 2014, par
Les pressions des importateurs ont porté leurs fruits. Le directeur de l’EPAL a traîné devant le tribunal de Sidi M’hamed 14 dockers sélectionnés comme "meneurs". Le secrétaire-général de la section "syndicale" UGTA signataire du fameux Pacte social qui interdit les grèves s’est mis du côté de la direction et condamné la grève devant la juge.
La grève avait été déclenchée le 6 février.
"Les grévistes, des vacataires, demandaient dans leur plateforme de revendications le paiement rétroactif de l’IEP de 1998 à 2008, le bénéfice et le 13e mois"
(El Moudjahid du 12 février 2012).
’’Ce sont des revendications absurdes", telle a été l’appréciation du DG de l’EPAL pour justifier sa décision de saisir la justice en référé.
Sans surprise, la présidente du tribunal a rendu un arrêt sommant les travailleurs de reprendre le travail tout en conseillant à l’avocat de l’entreprise de chercher une solution aux problèmes soulevés par les travailleurs par le dialogue interne.
Un docker raconte :
"A l’annonce de la convocation des 14 dockers par le tribunal le dimanche 9 février, quelque 400 travailleurs du port se sont immédiatement et spontanément rendus devant le Palais de Justice de la rue Abane Ramdane pour exprimer leur solidarité avec leurs camarades menacés d’emprisonnement. Aucun appel n’ a été lancé par qui que ce soit pour rejoindre le lieu du procès, mais un immense sentiment d’indignation les a convaincus sans concertation préalable à ne pas permettre à l’arbitraire patronal de passer sans réaction. Par petits groupes ils ont pu franchir le cordon des unités d’intervention anti-émeutes qui entouraient le port avant que les responsables des services de sécurité ne s’en rendent compte et ne se décident à bloquer les sorties de la zone portuaire. Sans cela, les arcades de la rue Abane Ramdane qui étaient noires de monde, se seraient transformées en point de rassemblement de milliers de travailleurs. Des dizaines de policiers ont été dépêchés sur les lieux. Plus de dix fourgons de forces d’intervention étaient là pour dissuader les travailleurs de manifester. Ces derniers ne se sont pas laissés intimider.
L’inquiétude à commencé à s’emparer des responsables à tel point que l’activité du Palais de Justice qui grouille de monde à toute heure de la journée a été suspendue. Les policiers avaient entrepris leur manoeuvre habituelle consistant à serrer de près les rassemblements pour les disperser au besoin par la force. Mais les dockers n’étaient pas venus pour crier des mots d’ordre, manifester dans la rue ou casser les édifices publics. Ils étaient là pour exprimer par leur présence silencieuse et imposante leur refus de l’injustice. Ils étaient décidés à le faire comprendre par le tribunal. Aussi lorsque la pression physique des policiers avait commencé à devenir insupportable, le mécontentement est monté de plusieurs crans. Le face à face était à deux doigts de l’explosion."
(C’est alors que des responsables de la police ont réalisé qu’une empoignade ou une charge policière pouvait être l’étincelle qui déclencherait une suite d’événements incontrôlables dans un contexte national marqué par les luttes ouvertes au sommet de l’Etat pour le partage des richesses du pays entre les rapaces qui se disputent les rênes du pouvoir. En quelques secondes les policiers reçoivent l’ordre de relâcher la pression. - NdR)
"Pendant que la juge interrogeait les travailleurs sur leurs responsabilités dans l’organisation de cette grève qualifiée de "sauvage" et que le secrétaire-général de la section syndicale UGTA les chargeait à mort en les accusant d’être manipulés par une "main invisible", pendant que ceux-ci répondaient aux questions avec une dignité et un calme impressionnants, la direction du Port et le ministère de tutelle cherchaient la solution pour se sortir du guêpier dans lequel ils s’étaient mis eux-mêmes.
C’est dans ces conditions que subitement la direction du port se décide à lâcher du lest. Elle annonce par voie d’affiche sa décision de satisfaire une des 3 revendications des travailleurs : la prise en compte de la période totale passée par les dockers en tant que vacataires ou contractuels avant d’avoir été permanisés. C’est déjà une grande victoire. Ils sont plus de 900 dockers à avoir été employés pendant des années, voire plus de dix ans en tant que vacataires ou contractuels jetables à tout moment. Ce que le DG de l’EPAL qualifiait d’ "absurdes" s’est transformé en revendications négociables à la suite de la riposte déterminée des dockers. Les discussions devront régler les questions en suspens : pour les périodes antérieures à la permanisation, paiement des droits au congé, participation à la répartition des bénéfices et versement de la prime du mouton.
Il faut préciser que la grève s’est déclenchée d’une façon spontanée. C’est la direction du port qui a mis le feu aux poudres. En allant reprendre leur service le jeudi 6 février, les dockers de l’équipe du matin ont eu la désagréable surprise de lire la note de la direction décidant unilatéralement de compter pour un an seulement l’ensemble de la période de travail effectuée en tant que vacataires ou contractuels par les dockers permanisés. Le DG pensait naïvement qu’il pouvait mettre d’autorité un point final aux négociations entreprises sur ce pont depuis des années. Si manipulation il y a eu, comme le prétend le SG de la section syndicale UGTA, elle a été le fait de cette décision irréfléchie.
Les dockers ont arrêté immédiatement le travail sans recevoir aucun feu vert de qui que ce soit.
Le sentiment d’indignation a atteint son point culminant quand la direction a composé sa liste des 14 dockers à traîner devant la justice. Il se trouve que 13 d’entre eux n’ont eu aucune responsabilité dans le déclenchement de la grève puisque en tant qu’agents de l’équipe du soir ils n’ont fait que rejoindre le mouvement déclenché par leurs camarades du matin."
En fait la direction a pris des "otages" pour contraindre l’ensemble des travailleurs - quelque 2700 - à reprendre sans préalable le travail. Cette pratique ignoble est devenue courante aussi bien dans le privé que dans le public.
C’est aussi cela que les travailleurs du port ont rejeté.
Une loi anti-grève en violation de la Constitution
La loi anti-grève édictée en 1990 par le gouvernement "réformateur" de Hamrouche avec l’appui unanime des députés FLN "élus" du temps du parti unique est utilisée systématiquement pour casser tout arrêt de travail, notamment quand il échappe aux manipulations des différents clans du régime et touche au porte-feuille des capitalistes et affairistes.
Les conditions posées par cette loi pour qu’une grève soit reconnue comme "légale" peuvent rarement être satisfaites, en particulier l’obligation, après avoir épuisé les possibilités de conciliation, de tenir une assemblée générale de tous les travailleurs de l’entreprise qui doit se prononcer par un vote à bulletin secret à la majorité. C’est sur cette procédure anti-ouvrière que se fondent les tribunaux pour ordonner la reprise du travail sous peine de fortes amendes et d’emprisonnement.
Cette loi avait été élaborée en même temps que le cap venait d’être pris ouvertement pour le capitalisme et que le régime rompait officiellement avec le discours "socialiste". En un mot, les "réformateurs", défenseurs rusés du capitalisme, avaient proclamé la liberté d’entreprendre pour les capitalistes et pris soin en même temps de ligoter le mouvement ouvrier dans un arsenal juridique anti-démocratique pour empêcher les travailleurs de défendre leurs droits face à la soif de profit de la bourgeoisie. Le tout était camouflé sous le voile de "réformes" qualifiées d’incontournables.
On notera que cet arsenal juridique a été élaboré avec la caution de Benflis, alors ministre de la Justice, qui est candidat à la présidence de la République d’avril prochain. En 2004, déjà , Benflis avait refusé de se prononcer sur cette question. Il avait éludé le problème quand la question lui avait été posée par un journaliste d’Alger républicain au cours d’un débat à la radio. Inutile de préciser qu’aucun de la quatre-vingtaine de candidats à cette élection n’aborde cette question, à supposer qu’elle vienne lui effleurer l’esprit.
Ajoutons que les grévistes constatent avec amertume que la justice ne s’auto-saisit pas de la violation de leurs droits. Recrutés comme "vacataires" ou contractuels de courte durée, ils ont été employés pendant des années de façon consécutive et dans le cadre d’une utilisation abusive et illégale du contrat à durée déterminée. Cette pratique contraire à la loi quand elle elle est appliquée à des activités structurellement permanentes, non saisonnières ou occasionnelles, devrait faire l’objet d’un examen judiciaire systématique avant d’accabler les travailleurs lésés. Ce n’est jamais le cas.
Les patrons publics ou privés s’en réjouissent.
Pour que les travailleurs fassent valoir leurs aspirations, il n’existe pas d’autre alternative que de se rassembler dans des syndicats de classe indépendants du pouvoir et des puissances d’argent, de se battre pour l’abrogation de ces lois anti-ouvrières et de mener la bataille pour un changement radical de régime socio-politique en vue de l’avènement d’un pouvoir représentatif des intérêts des travailleurs et des couches sociales populaires.
.
Zoheir Bessa
Alger républicain
15.02.14