Les atteintes par le pouvoir à la liberté d’expression et d’organisation préoccupent les citoyens

jeudi 14 septembre 2017
par  Alger republicain

Tous les prétextes sont bons pour mettre dans le même sac les activités ou les opinions les plus contradictoires des citoyens. Ceux qui critiquent les décisions et les mesures anti-populaires, ou défendent par des moyens pacifiques un point de vue opposé à celui du gouvernement sont moins bien traités que les propagandistes de l’obscurantisme. Ils sont souvent mis dans le même sac que les groupes séparatistes dont l’agitation en Kabylie et au M’zab cherche ses aliments dans le mécontentement social. Il est vrai que par opportunisme racoleur certains courants se réclamant de la démocratie évitent de critiquer les séparatistes.

Ces milieux obscurantistes agissant ou non à visage découvert semblent bénéficier d’une certaine tolérance du régime. D’ailleurs il est impossible de faire la différence entre ces groupes dont la conception rétrograde de l’Islam est un fond de commerce avec les prêches haineux d’imams payés par l’Etat et retransmis le vendredi par la TV officielle. Convertis au christianisme, musulmans adeptes du courant ahmadite ou du chiisme sont persécutés par la police et la justice au mépris de la liberté de conscience garantie par la Constitution. Les déclarations du ministre des Affaires religieuses, qui paraissait faire preuve d’ouverture à ses débuts, soufflent dans la mauvaise direction. Affirmant défendre l’Islam malékite algérien, le ministre voit dans tous ces courants et même dans l’athéisme un danger pour l’unité nationale ! Jamais un ministre du culte n’était allé aussi loin en tenant de tels propos. Des dizaines de sympathisants de courants religieux dissidents sont donc poursuivis et condamnés à des peines de prison. Le ministre est même allé jusqu’à dire que les services de police ont établi la liste de tous les dissidents religieux et leur nombre est recensé jusqu’au dernier ! Des incursions sont organisées en violation de la loi dans les domiciles privés de citoyens ne menaçant en aucune façon l’ordre public ou la tranquillité des citoyens. On reproche aux personnes cueillies dans leurs maisons de prier en groupe. On ne savait pas que la prière de plus de 3 personnes hors de la mosquée était interdite ! Or, liberté de conscience, ce droit constitutionnel inscrit dans toutes les Constitutions depuis l’indépendance signifie liberté de croire ou de ne pas croire, de pratiquer ou non la religion et les rites de la communauté majoritaire, de changer de religion en embrassant celle de son choix, etc.

A l’inverse, un ancien chef de l’Armée Islamique du Salut a pu, il y a deux ans, rassembler ses partisans dans une forêt à Mostaganem. La police l’avait laissé faire.

Passons sur les réunions politiques publiques dont la tenue est soumise à l’autorisation préalable des walis ou des chefs de daïra. Leur interdiction est devenue un fait « normal ». Officiellement l’autorisation est soumise à deux conditions : le parti ou l’association qui la demande doit être agréé mais malgré cela et dans tous les cas le feu vert est suspendu au bon vouloir de l’autorité. Dans les faits et au mépris de la loi le récépissé de dépôt de demande d’agrément n’est dans la plupart des cas délivré qu’aux organisations « amies » et « sûres » ou à celles que pour diverses raisons tactiques le pouvoir se résigne à laisser agir dans la légalité. Sinon un tas d’associations ou de comités de soutien peuvent surgir du jour au lendemain se réunir et passer à la TV de l’Etat pour louer l’action du régime. Pas besoin d’agrément préalable ! C’est la loi du « al-laab H’mida oua ar-racham H’mida » comme le dit l’adage populaire (le joueur est H’mida et l’arbitre H’mida).

Le pouvoir est maître du jeu

Ainsi, ces dernière semaines, il a pu envoyer sa police pour empêcher ou perturber le déroulement des « cafés littéraires » de Béjaïa et de Aokas. Il n’a fourni aucune explication à l’ interdiction de ces activités si ce n’est que pour qu’elles puissent se tenir il faut qu’elles soient autorisées ! On tourne en rond. La colère légitime et la mobilisation populaire autour du droit à écouter des auteurs de livres ont fini par le faire reculer.
Le pouvoir n’est pas prêt à renoncer à ces interdits arbitraires. C’est une question de rapport des forces.

Néanmoins on laisse savamment s’instiller dans les têtes les interrogations sur les objectifs secrets ou inavoués de ces interdits. S’il s’agit de neutraliser l’activité notoire de groupes séparatistes en les privant du droit à exprimer publiquement leurs buts et en les empêchant de s’abriter derrière la culture et « l’amour du livre », pourquoi les responsables de l’Etat ne le reconnaissent-ils pas de façon déclarée ? Et dans ce cas, pourquoi ne pas les combattre par les idées et par les écrits, répondre aux idées par des idées, pourquoi contribuer à leur extension en usant de méthodes répressives ? Tant que ces groupes ne passent pas à l’action pour obliger par la force la population à les suivre, rien, ni politiquement, ni au plan de la préservation de l’intégrité du territoire ne peut le justifier.
Bref, on tape indistinctement sur tout le monde pour laisser penser que l’unique souci est de refroidir l’ardeur des séparatistes. Si les « autres » reçoivent des coups, ce ne sont que des dommages collatéraux car on ne veut pas faire de « discriminations ». On ne peut laisser s’exprimer les uns, ceux qui ne menacent pas l’intégrité du territoire et bâillonner ceux qui agissent pour séparer la Kabylie et le M’zab du pays. Donc, même tarif dans le cadre de l’ « Etat de droit ». La « loi » s’applique à tout le monde. Des arguments dignes de la casuistique la plus alambiquée.

Calculs, ruses, cynisme, arbitraire, fait du prince et loi du plus fort, voila comment on peut de prime abord apprécier ce jeu du pouvoir.

En fait la réponse est simple. Il y a une tactique qui vise à entretenir la tension. Pour atteindre des buts inavoués des cercles souhaitent secrètement le développement des groupes séparatistes, alors que l’écrasante majorité du peuple ne les suit pas. Mainte fois mise en œuvre cette tactique cherche à susciter l’appel à l’union nationale sacrée autour du régime pour soi-disant préserver le pays du danger d’éclatement de l’intégrité territoriale. Le régime croit tenir le bon prétexte. Il est en effet indéniable que les Etats impérialistes appliquent pas à pas des plans pour diviser les peuples des pays regorgeant de pétrole et de gaz afin de mettre la main sur ces richesses. Cela n’empêche pas les représentant des classes possédantes dans le pouvoir de renforcer leurs liens avec ces puissances en s’abritant derrière la légitimité étatique. Le pouvoir mène son jeu avec « finesse ». Il exploite leurs activités souterraines pour susciter la peur qui pousse à faire bloc avec lui, à l’union autour de lui et à lui donner le chèque en blanc qui devrait lui faciliter l’exécution de ses objectifs antipopulaires. Et ce à un moment où précisément il explore tous les moyens de diversion de nature à diviser les travailleurs pour faire passer comme une lettre à la poste les plans de paupérisation et d’accaparement des richesses par une poignée de forbans.

Kader Badreddine

Fekhar et le M’zab : stratégie de la tension

Kamel-Eddine Fekhar et son petit cercle de sympathisants font l’objet de surveillance des services de sécurité depuis très longtemps. Il a été maintenu durant ces deux dernières années en « détention provisoire », une technique que tous les avocats dénoncent comme arbitraire et injustifiée. Il a été enfin libéré le 16 juillet dernier après son procès. Fekhar préside le « Mouvement pour l’autonomie du Mzab ». Les textes publiés par le site web « siwel » * et la lettre de Fekhar au secrétaire général de l’ONU ne permettent aucune ambiguïté sur l’objectif de ce mouvement d’ériger en Etat dans l’Etat « le territoire du « M’zab » riche en pétrole et en gaz » (précisions non anodines de Fekhar dans sa lettre au SG de l’ONU). Un territoire défini « culturellement et ethniquement » dont ils refusent la dilution dans la nation algérienne. Fekhar et le MAM vont jusqu’à écrire que jusqu’en juillet 1962 les mozabites qu’ils prétendent représenter vivaient en paix. Leur « calvaire » a commencé à l’indépendance de l’Algérie, dont ils s’abstiennent de dire si selon eux le M’zab en faisait et fait partie ou non, ou s’il n’est qu’un autre pays ainsi dénommé, un voisin expansionniste.

Les brassages économiques et sociaux qui ont affecté le M’Zab comme toutes les régions du pays, cassant les cloisonnements archaïques, sont imputés à un plan dont le but machiavélique est de faire disparaître ces particularités et non aux effets du développement économique.

Que représente le groupe Fekahr au M’Zab ? Apparemment il n’a que très peu de soutien. La très grande majorité des habitants de la région inscrit ses perspectives de vie non sur un territoire « historiquement » et immuablement délimité par les frontières et les règles tribales d’antan mais dans l’ensemble plus large que constitue l’Algérie, conquête éminemment progressiste de la lutte de libération dont l’hymne national a été composé par l’un des plus grands poètes d’origine mozabite, Moufdi Zakaria.

Qui aurait entendu parler d’eux s’ils n’avaient pas fait l’objet de harcèlements policiers depuis des années, souvent sous des motifs ridicules ? C’est leur arrestation qui a eu pour résultat de braquer les feux des projecteurs sur ce groupe. Des débats politiques auraient suffi à montrer que les buts séparatistes du mouvement, camouflés sous couvert de défense des droits de l’Homme et des libertés d’expression, sont en contradiction avec l’aspiration générale à défendre l’unité du territoire et à renforcer l’intégration économique de l’Algérie dans la lutte contre les inégalités régionales qu’engendre le capitalisme.

Le pouvoir a fait le choix de ne jamais dénoncer publiquement les objectifs de ce mouvement. Il a opté pour la décision provocatrice de les mettre en prison pour le vague motif d’ « atteinte à la sûreté de l’Etat », motif de tout temps invoqué pour jeter en prison n’importe qui sous n’importe quel prétexte.
Comment expliquer l’arrestation d’individus isolés et dépourvus de l’influence qui aurait rendu leurs activités vraiment dangereuses pour les intérêts des masses populaires ?

Comme en Kabylie, aucune hypothèse ne peut être rejetée sur le jeu trouble de certains cercles du régime. Ils semblent suivre une démarche dont la finalité non déclarée est de favoriser l’extension des effectifs des groupes séparatistes, d’attiser leurs activités pour pouvoir ensuite crier au danger contre l’unité du territoire, au devoir absolu de l’union nationale autour du régime et au soutien, comme un « moindre mal » de sa politique économique et sociale antipopulaire.

La classe ouvrière et les travailleurs, quelles que soient leurs origines régionales, ont besoin quant à eux de préserver et de renforcer leur unité pour faire face à la dure épreuve que leur préparent leurs exploiteurs communs qui savent marcher main dans la main qu’ils soient « arabes », « kabyles » ou « mozabites ». Cette classification héritée des structures tribales désuètes et exacerbée par le colonialisme est un piège funeste qu’il faut combattre sans merci. Les travailleurs ont le plus intérêt à refuser le traquenard de la remise en cause de l’unité et de l’intégrité du territoire. Unité et intégrité qu’il ne faut pas confondre avec l’ « union nationale » que chérissent leurs exploiteurs et les classes parasitaires pour étouffer la lutte ces classes inévitable dans une société fondée sur l’exploitation de la majorité par la minorité.

K.B.