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Les cheminots algériens en grève illimitée pour des salaires qui rattrapent la hausse du coût de la vie.
mardi 11 mai 2010, par
Les conducteurs de locomotives et mécaniciens de la SNTF se sont lancés depuis samedi 8 mai dans une grève illimitée. Ce sont les cheminots d’Alger qui en ont donné le signal. Elle s’est vite propagée à l’ensemble du réseau national. Le transport par voie ferrée est depuis dimanche complètement paralysé. La grève se déroule en dehors du cadre de l’UGTA, syndicat du pouvoir" discrédité par sa collusion avec le régime et son "pacte social" anti ouvrier.
Le sentiment de révolte a atteint son paroxysme chez les cheminots lorsqu’ils ont appris qu’ils n’allaient pas bénéficier des augmentations de salaires annoncées le premier mai dernier. L’accord signé en grande pompe par l’UGTA, le patronat et les représentants des entreprises publiques sous le semblant d’arbitrage du ministre du Travail les a superbement ignorés. Ces augmentations de l’ordre de 15 à 25%, selon les branches et la situation financière des entreprises, ne compensent absolument pas la perte du pouvoir d’achat enregistrée ces dernières années. Et de plus, ceux qui les ont décidés après un simulacre de négociation menée avec leurs acolytes du syndicat maison UGTA ont purement et simplement laissé tomber des secteurs entiers.
Cela paraît incroyable et pourtant c’est vrai : les travailleurs d’un secteur aussi stratégique que celui des chemins de fer font partie de ce lot ! Cette situation discriminatoire est vécue comme une véritable provocation si l’on se rappelle (voir les articles publiés par Alger républicain de décembre 2007) qu’ils avaient débrayé durant près de deux semaines, il y a deux ans, pour protester contre leurs bas salaires et leurs difficiles conditions de travail. Dans les faits, le protocole d’accord passé en juillet 2009 n’a augmenté à ce jour la masse salariale globale des employés du chemin de fer que de 16%.
Si les autorités persistent dans leur refus de satisfaire les revendications des cheminots, les usines approvisionnées par la voie ferroviaire, notamment à l’est du pays comme le complexe sidérurgique d’El Hadjar ou celui des produits pétrochimiques, devront sous peu puiser dans leurs stocks stratégiques pour continuer à fonctionner.
Loin de chercher une solution constructive, la direction de la SNTF tente de briser la grève. Elle a recours à ces habituelles manoeuvres qui mettent en danger le matériel et les hommes. Des cadres de l’entreprise qui "ont perdu la main" depuis longtemps ont été en catastrophe requis de conduire des locomotives au mépris des règles de sécurité les plus élémentaires.
La direction a déclaré "illégale" cette grève. Elle menace et ordonne à ses agents de dresser la liste nominative des grévistes, comme en juillet 1977 au temps de Ahmed Draïa, chef de la police passé à la tête des Transports ! Elle affiche son intention de poursuivre en justice les grévistes.
La détermination des cheminots n’en a été que plus renforcée. Comme en 1977 et, trente après, en 2007, les cheminots ont lancé leur action sans perdre de temps à palabrer avec les gens de l’UGTA et ils ont bien fait. Cette fois-ci ils expriment ouvertement leur refus de se plier à la "légalité" d’un pouvoir qui de toutes façons bafoue quotidiennement, quand elles ne l’arrangent pas, les lois qu’il prétend faire respecter. Rappelons que les "réformateurs" hamrouchiens avaient fait adopter en 1990 par une APN dépourvue de toute légitimité populaire une loi qui érige en ce qui concerne les grèves un barrage infranchissable : négociations préalables, passage par la médiation de l’Inspection du travail, PV de non-conciliation, convocation plusieurs jours avant d’une AG des travailleurs, vote à bulletin secret, préavis, etc. Bref une trouvaille géniale qui n’a rien à envier aux lois anti syndicales de Margaret Tatcher. Ne manque dans ce dispositif scélérat que le vote obligatoire par correspondance du travailleur et à partir de son domicile, dans un pays où le service postal a été désorganisé à dessein pour justifier sa privatisation ! C’est ce barrage infranchissable que les cheminots ont décidé de contourner en ne comptant que sur eux-mêmes, sur leur unité, leur solidarité et celle de l’ensemble des travailleurs face aux menaces et à la répression.
La direction de la SNTF prétend que la situation financière complètement déstructurée de l’entreprise ne lui permet pas de consentir des augmentations de salaires ou de faire plus. Les cheminots lui répondent à juste titre qu’ils n’ont pas à subir les conséquences de sa mauvaise gestion financière. Ils ont fait et font leur travail. Aux autorités de veiller à leur verser la juste rétribution à laquelle ils ont droit. Grâce à leur dur labeur les voyageurs et les marchandises sont conduits tous les jours à bon port. Aucun motif ne peut justifier qu’après 20 ans d’ancienneté le salaire d’un conducteur de locomotive ne dépasse pas les 20000 DA et, à plus forte raison, qu’ils soient exclus des dernières mesures.
En fait les cheminots payent, comme ils disent, la facture de la politique de prestige menée par les autorités dans le domaine ferroviaire. La SNTF se retrouve lourdement endettée par l’impact du coût de l’électrification du réseau et l’acquisition dans des conditions les plus opaques de trains électriques de voyageurs à des prix exorbitants. Les autorités ont décidé sans aucune étude d’opportunité économique et technologique sérieuse de remplacer la traction diesel par la traction électrique. Les grands constructeurs qui ont le monopole de la fabrication des autorails comme le français Alstom (que beaucoup d’amis de la Palestine ont demandé de boycotter en raison de sa participation à la construction du tramway de Jérusalem sur les terres arrachées aux palestiniens) ont fait de belles affaires avec l’Algérie. Un jour ou l’autre la lumière devra être faite sur les dessous de ces marchés. Le pouvoir a gagné peut-être des alliés politiques extérieurs - qui sont en réalité insatiables - mais c’est le le pays qui en verse sûrement le prix le plus lourd.
En attendant, c’est le voyageur empruntant les lignes électrifiées qui a été invité à passer à la caisse quand le prix du billet a été multiplié pratiquement par trois au lendemain même de l’inauguration des trains électriques par Bouteflika, l’an dernier, juste après le 1er mai et sa "victoire électorale" du 9 avril. Devant la levée de bouclier des voyageurs révoltés par cette brutale flambée du billet de train, le gouvernement a donné ordre de ne pas répercuter complètement les conséquences de ces drôles d’"investissements de modernisation" qui se traduisent par des prix plus élevés. Mais la SNTF n’a pas reçu les compensations financières qui devraient logiquement suivre ces décisions. Ce n’est pas la première fois que la SNTF doit essuyer les frais de la politique de l’État, comme d’ailleurs tout le secteur public qui est mis à contribution pour prendre en charge les besoins de la collectivité sans recevoir de contrepartie, au point qu’il est poussé à la faillite et aux attaques des ultra-libéraux criant à son "incontournable privatisation". Depuis pratiquement 40 ans, la SNTF est saignée par les sujétions que lui imposent en permanence les autorités sans que cela ne donne lieu à versement de subventions d’équilibre pour compenser le coût du service rendu à la collectivité. Enregistrant de ce fait des découverts bancaires elle doit alors verser des intérêts financiers et des agios aux banques qui la plongent dans la spirale infernale de l’endettement. C’est un cercle vicieux. Ainsi par exemple la SNTF ne reçoit pas de contrepartie financière pour le transport des militaires ou des titulaires de cartes de familles nombreuses. Quand elle bénéficie de compensations dans le cadre d’un "assainissement financier" ces compensations sont partielles, tardives et rognées par l’inflation et les taux d’intérêt bancaires.
Les travailleurs qui utilisent le chemin de fer pour aller à leur travail rapportent de l’argent à ceux qui les emploient. Il n’est pas normal que les entreprises ne soient pas astreintes à verser une cotisation destinée à alimenter des fonds de subvention du transport public. Au contraire la fiscalité a été allégée au point que l’impôt sur les bénéfices est passé en 20 ans de 54 à 25 voire pour certains secteurs à 19% seulement. Au point aussi que les soi-disant "investisseurs "sont exonérés de tout impôt, ce qui prive l’État de ressources fiscales substantielles.
Les cheminots ont conscience que les gouvernants sont étrangers à leurs intérêts et qu’ils n’entendent les travailleurs que lorsque ces derniers se mettent à bouger en dehors des cadres préétablis. Ils ont donc parfaitement raison de rejeter les arguments de la direction de la SNTF et de placer le gouvernement devant ses responsabilités. Ils ont mille fois raisons de refuser de payer la facture d’une mauvaise gestion planifiée à grande échelle.
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Khaled Safi
11 mai 2010