Marche des jeunes chômeurs de Ourgla : des revendications légitimes

jeudi 14 mars 2013
par  Alger republicain

Que la marche des jeunes chômeurs du Sud prévue pour le jeudi 14 mars à Ouargla pour l’emploi et la dignité ait lieu ou non, qu’elle rassemble des dizaines de milliers ou seulement quelques centaines de jeunes en colère, ses initiateurs auront eu le mérite et le courage qu’il faut saluer d’avoir mis à nu indirectement les conséquences de l’abandon des grands choix de développement économique indépendant et intégré arrêtés dans les années 1970. Ce n’est pas leur marche mais la nature sociale anti-populaire du régime et la politique économique et sociale mise en application depuis 30 ans qui menacent la stabilité et l’intégrité du territoire du pays.

La détresse sociale de millions de jeunes du nord ou du sud du pays n’est pas le résultat d’erreurs économiques ou d’une simple indifférence des autorités pour le sort des habitants du sud.
Elle est le fruit naturel pourri du tournant vers le capitalisme effectué par les couches affairistes et exploiteuses dès le début des années 1980. Ce changement de cap a commencé à être mené sous la conduite de Chadli et de ceux qui l’avaient installé à la tête de l’Algérie pour rompre avec les choix de justice économique et sociale et s’emparer des richesses du pays afin d’assouvir leur soif de lucre et de consommation effrénée.

Les choix qui ont été à la base des grandes décisions de l’État algérien, après l’indépendance, sous Ben Bella puis surtout sous Boumediène, étaient la traduction du Programme de Tripoli de juin 1962. Ils furent précisés de façon concrète dans les deux premiers programmes quadriennaux (1970-1977) et plébiscités massivement en mai 1976 par le peuple qui avait appuyé la Charte Nationale.

Dès l’arrivée de Chadli au pouvoir en 1979, tous les plans de développement qui devaient construire une Algérie moderne et économiquement indépendante furent mis aux oubliettes. L’objectif d’équilibre régional fut l’objet de mépris et de moqueries. Un de ces plans concernait le Sud algérien. Le programme spécial de développement des régions sahariennes, dont l’élaboration avait été entamée en 1977 avec l’objectif de faire profiter les population de ces régions des fruits de la nationalisation des hydrocarbures et d’assurer l’avenir des jeunes, fut jeté à la poubelle.

Ce programme prévoyait notamment la construction de deux grandes lignes ferroviaires pour industrialiser le sud et favoriser le développement de l’agriculture saharienne.

  • La ligne ferroviaire de l’Ouest reliant le gisement de minerai de fer de Gara Djebilet à Arzew devait donner une grande impulsion à la sidérurgie et à la métallurgie, procurant un travail stable pour des dizaines d’années aux nouvelles générations.
  • La 2e ligne devait aboutir à Ouargla avec modernisation d’un tronçon à voie étroite existant sur une partie du tracé. Le chemin de fer projeté devait servir de colonne vertébrale de l’industrialisation de cette région marginalisée depuis l’époque coloniale. Des unités industrielles situées en amont et en aval de l’exploitation des gisements d’hydrocarbures étaient prévues, comme la fabrication de tubes et de divers équipements pour Sonatrach , etc.
  • Une société mixte de travaux ferroviaires avait été créée entre la SNTF et une entreprise brésilienne renommée pour mener à bonne fin le projet. Elle fut dissoute par le pouvoir de Chadli et « Hamid la Science ». Elle n’avait plus de raison d’être aux yeux des nouveaux gouvernants du moment que le programme de développement ne les intéressait pas.

Le régime de l’époque d’avant Chadli avait perçu avec une grande clairvoyance le danger que l’extension du chômage et de la pauvreté pouvait représenter pour l’intégrité territoriale du pays. Seules des entreprises publiques dotées de programmes sur le long terme et mues par les impératifs du développement intégré du pays et non par la recherche du profit immédiat, ou de la « rentabilité financière », pouvaient jouer le rôle d’instruments de développement et de progrès social.

Les bourgeois ne s’intéressent qu’aux secteurs où ils peuvent ramasser de l’argent à la pelle et tout de suite. Au sud on les voit dévaster des régions entières sous couvert de mise en valeur agricole. L’argent gagné n’est pas réinvesti sur place. Il sert à acheter les terres de la Mitidja pour la construction de building loués aux sociétés étrangères grâce à de nombreux complices corrompus.

En prenant le pouvoir en 1980, les éléments antisocialistes et antinationaux ont semé les germes de la discorde. La restructuration des entreprises publiques des années 1980 a cassé l’outil de développement et brisé la dynamique nationale impulsée par la mobilisation du peuple autour des tâches d’édification.

Le passage déclaré au capitalisme en 1987 puis en 1994, avec la signature de l’accord passé avec le FMI, a aggravé la situation. La planification a été abandonnée. Le pays n’a plus aucune stratégie de développement ne serait-ce que formelle. La stratégie de Bouteflika n’est pas une stratégie de développement. C’est une stratégie de construction de routes et d’infrastructures. Même si ces réalisations améliorent relativement la situation, elles ne sont pas un facteur de développement interne continu. Elles ne créent pas de potentiel de production capable de générer une industrialisation interne. Cette stratégie enrichit les multinationales et les affairistes voraces. Seuls y trouvent leur compte les gros importateurs et leurs protecteurs haut placés.

Le secteur privé tant vanté et présenté comme « créateur de richesses » ne peut aller que là où il réalise des taux de profit élevés. Les aides que lui apportent les gouvernants depuis trente ans, de Chadli à Bouteflika, en passant par tous les gouvernements de cette période, aides qui se chiffrent en milliards de dinars n’ont pas ramené le développement promis. Elles n’ont servi qu’à financer les transferts frauduleux de devises vers l’extérieur et l’achat de propriétés immobilières somptueuses à l’étranger.

Les quelques entreprises publiques maintenues après la grande vague des privatisations lancée en 1994 ont été obligées de se plier aux lois du marché. Les responsables véreux de Sonatrach ont profité de ce virage à 180 degrés pour s’acoquiner avec des « sous-traitants » nationaux ou étrangers. La formation d’ouvriers qualifiés et de cadres techniques de la production a été stoppée au motif qu’il revient moins cher de ramener des étrangers que de former des jeunes algériens. Les deux seuls « chantiers » en cours à Illizi sont la construction d’un tribunal et d’une prisonà ! Les jeunes travailleurs employés par les sous-traitants ne touchent pour la plupart que des salaires de misère. Ils vivent dans des gourbis dans des conditions indignes.

L’État a les moyens financiers d’en finir rapidement avec le chômage. Mais les dirigeants préfèrent placer l’argent du pays à l’étranger au lieu de financer une véritable relance industrielle qui réduira les importations et le chômage. Les économistes défendant à mort le capitalisme, comme les Mebtoul et compagnie, mentent quand ils affirment que cela n’est pas possible. Cela fait plus de 20 ans qu’ils noircissent des montagnes de papier journal pour convaincre les citoyens que la casse des entreprises publiques, les privatisations et les milliers de milliards octroyés aux patrons et aux barons de l’import allaient faire disparaître la misère et le chômage. En vain.

En réalité les dirigeants sont au service des bourgeois et des multinationales. Ils ne veulent pas d’une politique de relance de l’investissement industriel public. Une telle politique aurait pour résultat rapide la disparition du chômage. Du coup, les exploiteurs du nord ou du sud du pays auraient du mal à trouver des travailleurs qui se laisseraient réduire en esclavage avec des salaires de misère et l’absence totale de sécurité sociale. Cela n’arrange pas les affaires des rejetons des personnages haut placés auxquels le régime a donné de l’argent à gogo pour créer une multitude de sociétés de « sécurité », de « sous-traitance », de « bâtiments et de travaux publics » qui ne brillent que par le travail bâclé et la surfacturation, etc. Les dirigeants au service des classes affairistes et exploiteuses croient que les puissances impérialistes les protègeront contre toute révolte interne. Ils préfèrent brader les ressources du pays que de répondre aux revendications des travailleurs et des jeunes. Ils ont prêté 5 milliards de dollars au FMI pour avoir la « paix » avec les pays impérialistes en échange de leur soutien en cas de révolte populaire au lieu d’utiliser cet argent dans un programme de développement. Ensuite, le chef du gouvernement se croit permis d’injurier impunément les jeunes en les traitant de « cherdima » (bandes d’éléments insignifiants).

Il est incontestable que des éléments liés aux services de subversion impérialiste cherchent à exploiter la situation. Ces services se livrent depuis des années et en toute impunité à un travail massif de recrutement de jeunes dans toutes les couches sociales pour faire exploser le pays et s’emparer de ses richesses. Le pouvoir les laisse faire parce que lui-même leur fait les yeux doux. Seuls des journalistes à la botte de ces puissances peuvent le nier en clamant hypocritement leur « sympathie » pour la marche des chômeurs de Ouargla, tout en rejetant toute réflexion pour renouer avec le processus de développement sous la houlette de l’État.

Les véritables éléments antinationaux sont les responsables qui s’opposent à toute politique de relance du développement, à tout effort pour réhabiliter le secteur public industriel comme instrument essentiel de développement. Ce sont les plumitifs grassement payés et qui ne ratent aucune occasion dans la presse financée par la publicité des multinationales pour vomir leur haine de tout ce qui rappelle à leurs yeux de près ou de loin le spectre du socialisme.

Ce ne sont pas les cadeaux généreux octroyés par le régime aux multinationales et à leurs machines d’État impérialistes qui garantiront la défense de l’intégrité territoriale mais la jeunesse si les richesses du pays servent à lui garantir un travail, un salaire décent, un logement, la santé et les loisirs dans une société débarrassée des inégalités, de la corruption et de l’arbitraire.

La solution durable et de fond aux problèmes du chômage et de la misère se trouve dans la rupture avec le régime politique de la bourgeoisie, avec sa politique économique et sociale anti-ouvrière et anti-populaire.

Zoheir Bessa

14.04.2013