Hommage aux déportés algériens de Nouvelle Calédonie

jeudi 16 mai 2013

« Calédoun » terre d’exil des déportés algériens de Nouvelle-Calédonie

« Calédoun »

, c’est ainsi que les premiers déportés algériens appelaient la Nouvelle-Calédonie. Ceux issus des évènements de la Commune de Paris l’appelaient « La Nouvelle » ou le « Cailloux », un raccourci permettant de l’identifier aux souffrances endurées durant leur long exil forcé dans ce pays situé au bout du monde.

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Déportés Algériens de Nouvelle Calédonnie

Boumezrag Mokrani, un des chefs de l’insurrection de 1871, pour avoir été exilé longtemps et exclu du champ d’application de toutes les lois d’amnistie promulguées, restera le plus célèbre parmi ses compatriotes. Jacques Dhur, journaliste et auteur de plusieurs publications sur les bagnes militaires, lors d’une rencontre avec Boumezrag à Nouméa, il écrit : « (…) Mokrani m’avait entraîné vers les quais d’où l’on apercevait l’île Nou. Et là-bas, au-delà de l’eau morte du port, elle se dressait immobile et figée comme une vague monstrueuse. L’Arabe me saisit le bras : l’enfer ! Et il jeta le mot d’une voix qui m’entra au vif des chairs. »

Il l’appelait « Le grand captif ». Dans un café de Nouméa qui leur servait de lieu de rencontre et de prière, Jacques Dhur ajoute plus loin : « (…) Dans une vaste pièce, où s’érige un comptoir, des Arabes sont accroupis sur des planches et, devant eux, fument de minuscules tasses de café (…). Calme, Mokrani est allé s’asseoir derrière son comptoir. Et pas mieux vêtu que les autres, il semble cependant un roi. (…) Par la vaste baie vitrée, on voit la ville. Et la masse crêpelée des toits, tout blancs aussi, semble un bouillonnement d’écume. On se dirait en Algérie ! J’ai jeté, à mi-voix, vers Mokrani, cette phrase évocatrice. Un instant, il demeure sans répondre. La braise de ses prunelles a flambé, comme sous un brusque courant d’air. Puis il prononce : Oh ! … ce n’est pas mon pays ! Jacques Dhur.

Au sein de la population algérienne, l’idée de s’affranchir d’une occupation pesante du pays par une puissance étrangère était toujours présente à l’esprit, les différentes insurrections déclenchées depuis 1830 représentent la meilleure preuve de cet état de révolte permanent. L’insurrection de 1871 a beaucoup marqué les esprits, il y en a eu d’autres avant et bien sûr après cette date. Cet état de fait a poussé le législateur français à voter des lois iniques pour éloigner un grand nombre d’Algériens jugés dangereux en donnant à ces lois une façade juridique règlementaire. Juste avant le début de cette insurrection, l’Algérie avait vécu la décennie la plus noire de son histoire. Beaucoup de terres agricoles et une grande partie du cheptel seront décimées par une sècheresse sans précédent, situation aggravée par des invasions immenses de sauterelles qui ne laisseront rien après leur passage. Durant les années 1865 à 1869, plus de 500.000 personnes décèderont. Cette calamité restée dans l’esprit des gens de génération en génération était connue sous le nom de « l’année de la faim – Aâm echar ». En 1870, la situation politico-sociale en France est désastreuse, la guerre contre la Prusse se termine par une défaite cuisante des armées françaises.

Un gouvernement de la Défense nationale prend le pouvoir et proclame la déchéance de l’empereur Napoléon III fait prisonnier à Sedan par les Allemands. La signature de l’armistice en 1871 provoque le début des événements sanglants de la commune de Paris. La conjonction de tous ces facteurs d’inquiétude et le ras-le-bol des populations algériennes inciteront le Bachagha Mohamed Mokrani et Mohand Amzian El Haddad chef de la confrérie des Rahmania à soulever le 8 avril 1871 une grande partie des tribus de Kabylie, de l’est et même du centre du pays. Face à une armée restructurée avec des moyens humains et matériels nettement supérieurs, l’insurrection prend fin le 20 janvier 1872 avec l’arrestation de Boumezrag Mokrani, le dernier chef de révolte en liberté. Une défaite amère, les terres des tribus soulevées seront spoliées, tous les chefs de révolte seront jugés et condamnés à la déportation en Nouvelle-Calédonie où ils côtoieront les « déportés communards », leurs compagnons d’infortune.

Le procès le plus retentissant est celui qui a eu lieu à Constantine le 10 mars 1873, 213 chefs de révolte ont été jugés et condamnés, Boumezrag Mokrani et Aziz Ben Cheikh El Haddad sont condamnés à mort, leurs peines seront commuées en déportation en Nouvelle-Calédonie. Plus de 3000 déportés algériens seront exilés en Nouvelle-Calédonie. Certains mourront dans cette terre de l’autre bout du monde, d’autres, une fois leur peine accomplie, retourneront en Algérie, mais d’autres décident de rester et de s’y installer durablement. La grande majorité de ces déportés sont des « transportés » c’est-à-dire des condamnés de droit commun. Ceux condamnés pour des délits politiques étaient appelés : « déportés ».

Le 1er avril 1881, Aziz s’évade de Nouvelle -Calédonie pour rejoindre l’Australie puis l’Arabie Saoudite où il résidera durant plusieurs années. En 1895, « une amnistie partielle  » est proclamée, Aziz décide de se rendre à Paris pour réclamer la restitution des biens de sa famille. Il tombe malade et décède le 22 août 1895 chez son ancien compagnon d’infortune et ancien déporté communard Eugène Mourot. Les anciens déportés communards de Nouvelle- Calédonie se cotisent pour rapatrier son corps en Algérie, il sera enterré à Constantine à côté de son père. Les autorités françaises refusent qu’ils soient enterrés à Seddouk leur village natal pour ne pas faire d’eux des symboles et éviter toute exploitation future de leurs tombes.

Le 5 juillet 2009, une cérémonie officielle a été organisée pour le transfert des restes des deux leaders à Seddouk. Quant à Boumezrag, son cas était très particulier, il était redouté et il fallait que son retour en Algérie soit reporté le plus loin possible jusqu’à ce qu’il ne représente plus aucun danger. Malgré toutes les campagnes organisées en France et ailleurs pour sa libération, il séjournera en Nouvelle-Calédonie pendant plus de 30 ans. Il ne sera gracié qu’en 1904, il retournera en Algérie pour décéder quelques mois plus tard. Aucun déporté politique algérien ne fera souche en Nouvelle-Calédonie. Les « transportés » algériens qui avaient décidé de vivre dans ce nouveau pays se marient avec des femmes locales et fondent des foyers. Ils donneront naissance à la communauté dite « Arabe » de descendants de déportés algériens, dont le plus connu est l’actuel maire de Bourail : Taieb Jean-Pierre Aïfa.

Cette histoire était peu connue en Algérie, les films du réalisateur algérien Saïd Oulmi ont beaucoup contribué à la faire connaître à un large public. L’émotion était forte, le besoin d’aller vers l’autre s’est inévitablement développé et des visites de retrouvailles de parents perdus se sont organisées dans les deux sens. Passé le temps de la forte émotion engendrée par ces retrouvailles, il fallait se résoudre à affronter la réalité de la vie, cette communauté arabe est parfaitement intégrée dans son pays d’accueil tout en assumant pleinement son passé.

Rachid Sellal