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La lutte armée dans les monts de Cherchell durant la Guerre de libération : les camps de regroupement de Messelmoune et de Bouzerou (2)

samedi 19 mars 2016, par Alger republicain

Les habitants du douar Bouhlal, les Beni Ferah, furent expulsés de leur demeure au début du mois de septembre 1958, à la suite d’une opération militaire menée à Titouilt dans la montagne, au sud de Messelmoune, une dizaine de jours avant – le 25 août – où l’armée française subit de lourdes pertes. Ils furent déplacés loin de chez eux, certains à Messelmoune, sur la côte, d’autres à Bouzerou, sur la crête du djebel qui porte le même nom. Ils étaient au total 3901 selon les chiffres donnés par l’administration française.

Le douar Bouhlal, un espace de vie qui disparut ainsi totalement, était le bastion de l’ALN. Délimité au sud par la barre rocheuse des Braz, il a la forme d’un grand plateau de trois kilomètres carrés, appelé Ouadha-en-Tatcha, d’une altitude de 900 mètres. L’oued el Kebir qui le traverse se jette dans la méditerranée sous le nom d’oued Sebt.

Le douar Bouhlal était un des sept douars qui constituaient la commune mixte de Cherchell. C’est de là qu’est partie l’extension de la lutte vers les douars du sud de Cherchell et de Gouraya. Hayouna, une de ses six fractions, donna refuge au premier hôpital de campagne de l’ALN, dans la région fraîchement organisée au mois de juin 1956. Les habitants constituèrent un véritable vivier.
Pour les mettre « hors de combat », les officiers du 22ème R.I, cantonnés dans le village européen de Gouraya, firent raser les maisons et entassèrent les habitants dans les camps de Messelmoune et de Bouzerou.

LE CAMP DE REGROUPEMENT DE MESSELMOUNE

Nous avons commencé par voir les gens du douar Bouhlal déplacés, fin août 1958, à Messelmoune, sur le littoral. Voici quelques faits extraits des récits.

A -

1- Conditions d’évacuation des lieux transformés en no man’s land

• Hammiche Fatma veuve Arridj Mohamed, aujourd’hui âgée de 76 ans, rencontrée chez elle, à Messelmoune :

« J’habitais un gourbi à Immalayène, sur les berges d’un oued, à un kilomètre à peu près au sud de Hayouna. Les militaires sont venus un matin du mois d’août. C’était en 1958. Ils nous ont sortis de force de la maison. « Allez fissa » (allez, vite), criaient-ils. Ils ne m’ont pas laissée le temps de prendre quoi que ce soit. Mon mari était dans la forêt. Il s’était sauvé avec son frère Ramdane, à l’annonce par un guetteur de l’arrivée des soldats. Les militaires m’ont conduit avec les enfants dans une clairière, puis ont mis le feu à la maison ».

• Maazouzi Abdelkader, né en 1948. Il avait dix ans à l’époque des faits. Aujourd’hui commerçant à Cherchell :

« J’ai senti ma vie basculer lorsque les militaires nous ont sortis de la maison. Mon père avait fui dans la forêt. Nous habitions à Seffalou, au sud de Hayouna. Une région qui a souffert des nombreux ratissages ».

• Moussaoui Mohamed, né en 1936. Aujourd’hui agriculteur :

« L’armée ne nous a pas avertis. C’était la période des moissons et de la cueillette des figues. Nous avons eu juste le temps de ramasser des fèves, des lentilles, des figues séchées. Nous avons placés le tout dans des ballots sur les mulets puis avons rassemblé à la hâte les chèvres et les vaches. Nos réserves sont restées dans les matmouras* ».

• Taberkouk Ahmed, né en 1943. Retraité de l’Armée nationale populaire (ANP) :

« A Taourira, on savait qu’on devait quitter les lieux avant le 31 août 1958. Passé ce délai, c’était la mort. L’information avait circulé de bouche à oreille. Nous avons mis nos effets dans des ballots et rassemblé le bétail. Nous avons pris le chemin du littoral en traversant les propriétés des voisins arrachés eux aussi à leurs biens. Il n’y avait pas d’autres chemins d’ailleurs. Arrivés à Novi, sur l’axe côtier, nous avons entendu l’artillerie bombarder nos maisons à partir de La Pointe des Oliviers et sa piste pour piper ».

• Ghilaci Mouloud, 67 ans. Retraité de l’éducation nationale. Il vit à Hadjret Ennous :

« Le choc subi lorsque les militaires m’ont sorti de la maison hante mes nuits. J’avais huit ans ».

• Bouhaddi Brahim, né en 1949 au douar Bouhlal :

« Après nous avoir chassés, les militaires ont brûlé la maison familiale où je suis né, à Bouhi, un petit hameau à l’ouest de Hayouna. »

2- Conditions du déplacement forcé

• Hammiche Fatma veuve Arridj :

« J’ai fait le chemin, à pied, de Immalayou à Hayouna, portant sur le dos ma fille, brulée lors d’un bombardement. A Hayouna, les militaires nous ont embarqués dans des camions. J’étais avec les quatre familles Arridj, elles aussi expulsées brutalement. Le trajet fut pénible. A l’approche du littoral, à la vue de la mer immense, j’ai eu peur. J’ai eu le sentiment qu’on allait nous jeter à la mer que je n’avais vue de si près ».

• Ghilaci Mouloud :

« J’ai fait le déplacement à pied. Je suivais mon père Mohamed, âgé de 49 ans, ma mère Tassadit, 43 ans, mon frère aîné Mohamed, 23 ans, et son épouse. Je tenais la main de ma sœur Zohra, 10 ans. Autour de moi marchaient mes frères Belkacem, 14 ans, et Amar, 12 ans. Nous avions pris avec nous des chèvres, les deux vaches et des ballots d’effets ».

• Maazouzi Abdelkader

« On nous a rassemblés avec d’autres familles arrivées des hameaux voisins, Teghanimet, Allouche, Amroune, Iboughrithène. Nous étions plus d’une centaine de personnes, la plupart des femmes, des enfants et des vieux. Les militaires ont mis le feu aux maisons. On a marché jusqu’à Hayouna, distante d’une dizaine de kilomètres. Nous avons passé la nuit à la belle étoile. Ma mère avait eu juste le temps d’emporter une gourde de petit lait que nous avons partagé mes frères et moi. Nos voisins d’Abroune, Lalaoui et Bakhti, avaient ramené des chèvres. Ils les ont fait cuire à la braise. Nous avons partagé leur repas du soir.

Le lendemain - le soleil était déjà levé- les militaires nous ont embarqués dans des camions. Je montais pour la première fois dans une voiture. Des enfants et des vieilles femmes ont vomi en cours de route. Personne ne supportait les coups de frein du camion lorsqu’il prenait les virages. C’était le voyage vers l’inconnu. Lorsque le convoi s’est approché du littoral, j’ai été pris de vertige. J’ai eu peur. J’avais le sentiment qu’on allait nous jeter à la mer ».

B - Le camp

1 – Les lieux

• Hammiche Fatma veuve Arridj

« C’est sur une plage déserte, au sable gris sali par les déchets et le goudron déposés par la mer les jours de houle, que nous avons été déposés, au crépuscule. Un bas-fond à l’air mal sain. Je voyais la mer à mes pieds. »

• Hammiche Djelloul, né en 1937. Rencontré chez lui, à Sidi Djillali :

« J’ai passé trois ans au camp de Tamloul (1959-1962), au bas de l’oued Rhardous qui prend sa source dans le djebel Maad, un lieu ouvert à tous les vents, ceinturés de barbelés, éloignés de sept kilomètres de ma maison natale où je vivais avec ma mère, mon épouse, mes trois frères et ma sœur. Nous avions laissé derrière nous la maison en flammes, incendiée par les militaires qui menaient un grand ratissage dans la région d’Ouled Larbi. C’était au mois de mars 1959. Nous étions partis, à pied, emportant avec nous de maigres biens que les militaires avaient bien voulu nous laisser prendre. Nous avions pu prendre également nos chèvres ».

Vu de l’extérieur, le camp de Tamloul est décrit par les soldats français comme « un rectangle de huttes et de branchages d’un kilomètre de long sur deux cents mètres de large, dix-huit ilots, six à dix familles par ilot, trois points d’eau » (…) et tout autour, au ras des mechtas extérieurs, des chevaux de frise d’un mètre de haut sur trois mètres de large, odieuse ceinture qui ne se franchit que matin et soir et sous contrôle des piquets de gardes à deux portes »*.

« Ces portes de l’humiliation. C’est par ces portes où j’étais, à chaque fois, soumis à la fouille au corps, que je sortais pour conduire, aux pâturages, mon petit troupeau de chèvres et les deux vaches que j’avais pu ramener de Bouaali avec moi »,

se souvient Hammiche Djelloul.

• Ghilaci Mouloud

« Au moment de la fouille, j’avais peur. Les militaires nous sortaient brutalement du gourbi et nous laissaient debout au soleil. Mon séjour de quatre années au camp a été marqué par deux évènements : mon entrée à l’école française, ouverte sous une tente, en octobre 1959, par les militaires, et la naissance d’une petite sœur en 1960. J’aimais l’école. J’étais d’ailleurs le premier de la classe ».

• Maazouzi Abdelkader

« Les limites naturelles du camp étaient le vignoble et la mer. Nous avons été placés d’abord sous une tente pendant un mois. Il y avait avec nous les familles Laalaoui, Bekhti, Yousfi, Arbouche, Morsli, Badri, Boukri, Bahli. Puis nous avons « aménagé », sur la plage, dans un gourbi construit par des prisonniers ».

• Bouhaddi Brahim

« Après un déplacement à travers un chemin de chèvres long de quatre kilomètres, les militaires qui nous escortaient nous ont demandé de nous installer dans un champ qu’ils avaient défriché. Dans ce gros village, constitué de gourbis construits à la hâte, nous étions plus de sept cents personnes ramenées des hameaux du douar Bouhlal, étroitement surveillées. »

• Chérifi Chérif, né en 1937 à Ikrar du douar Zatima

« J’étais au camp de Bouzerou, au pied du camp militaire. Nous avons vécu les uns sur les autres dans des gourbis construits sommairement avec des branchages et des roseaux. Les militaires surveillaient nos mouvements à partir de deux grandes tours. »

Vu de l’extérieur, « le camp de Bouzerou fut créé de toutes pièces. Ils rassemblaient tous les anciens habitants de la partie supérieure de l’oued es Sebt, soit six douars, formant les six groupements que ma compagnie contrôlait.* »…« Ils avaient tout perdu et pouvaient se trouver à des heures de marche de leur ancienne exploitation….Les gens vivaient les uns sur les autres »,

écrit un ancien appelé de l’armée française*.

• Boukadoum, né en 1931 à Bouarbi.

« J’étais au camp de Tazrout. Un champ défraichi au pied du camp militaire. Pas de barbelés, mais nous étions surveillés à partir de deux tours. »

2- La première nuit passée au camp

• Hammiche Fatma veuve Arridj

« Les enfants et moi avons couché à la belle étoile. Ma fille, Aïcha, handicapée, hurlait de douleur. Une nuit pleine de cauchemars, sans boire ni manger. J’ai pleuré toute la nuit sur mon sort ».

• Maazouzi Abdelkader

« J’avais peur pour ma mère. Mes frères et moi la serrions toute la nuit. Je me souviens ne pas avoir fermé l’œil. C’était l’angoisse de la nuit tombante au jour naissant, en cet été brûlant de 1958 ».

3 - La mort des enfants

• Hammiche Fatma veuve Arridj

« Je tressaillais lorsque j’entendais, dans le silence de la nuit, les femmes pleurer leurs enfants, morts d’inanition. Les premiers mois, on comptait, chaque jour, une dizaine de morts.* »

• Moussaoui Mohamed, né en 1936 :

« Au début, il y a eu des morts, surtout des nourrissons*. Les plus touchées étaient les familles venant de Hayouna*. Mon fils, M’Hamed, âgé de 13 mois a failli rendre l’âme par déshydratation à cause d’une diarrhée persistante. Le cimetière de Messelmoune a été ouvert quelques jours après l’installation du camp ».

4- La vie quotidienne

• Maazouzi Abdelkader

« Le camp de Messelmoune ? C’est l’obsession de la faim. C’est la recherche permanente de la nourriture. Les militaires nous avaient acculés à mourir de faim en distribuant la nourriture au compte-gouttes. Pour avoir de l’argent et acheter un peu d’aliments, nous ramassions du bois que nous vendions sur les marchés environnants : Gouraya, Novi, Fontaine-du-Génie.

A la montagne, nous avions du miel, du lait frais, du petit lait, des fruits, de l’huile. Là, les choses ont terriblement changé pour nous. J’étais coupé de mon passé. »

• Maazouzi Djelloul, né en 1929. Père d’Abdelkader.

« Les militaires m’ont capturé en zone interdite au mois de juillet 1959. J’ai été conduit au centre d’interrogatoire de Bois Sacré. Après quelques jours, ils m’ont amené au camp de regroupement de Messelmoune où j’ai retrouvé mon épouse et mes enfants. Au camp, nous avions comme voisins les familles Chamayène, Bouyaala, Ibazouyann. Après un moment de désoeuvreument, dépendant de l’assistance militaire, j’ai trouvé du travail comme aide-maçon dans la construction des banquettes. J’étais parfois soumis à la corvée. Les harkis de Mesker, commis comme contremaîtres, étaient féroces. »

• Hammiche Fatma veuve Arridj

« Le lendemain de notre arrivée, les femmes, surtout, sont allées, sous escorte, à la lisière de la forêt, ramasser des branchages et des roseaux pour construire des abris. Le soleil tapait très fort. Les familles se sont regroupées selon le tracé effectué par les militaires.

Les gardiens distribuaient le matin la ration pour la journée : un morceau de pain et une tomate par personne. De quoi ne pas crever de faim. Nous avons vécu comme cela, dans la dépendance, à la merci des militaires, pendant plusieurs semaines. Les gens de Souahlia, venus après nous, nous ont fait don de quelques effets qui nous ont permis d’aborder la fraîcheur de la fin de l’automne ».

• Moussaoui Mohamed

« Il n’y avait pas de fête à l’occasion des naissances, des circoncisions ou des mariages durant les quatre années du camp.
Les journées les plus sombres, c’étaient lors des fouilles. Les harkis plaçaient les femmes d’un côté et les hommes de l’autre.

En 1961, les militaires nous ont autorisés à nous rendre en zone interdite, sous leur surveillance. Nous avons récolté des olives, des fruits des figuiers de barbarie, des glands de chêne-liège avec lesquels les femmes faisaient une sorte de farine.
Un jour que nous nous rendions au douar, nous avons trouvé les militaires qui nous avaient précédés, sur le pied de guerre. Ils venaient de tomber dans une embuscade dressée par l’ALN. On a fait demi-tour par Titouchire, après un contrôle d’identité.
J’ai pu travailler à la coopérative agricole sur les terres de Sitgès (des vignes à vins). Avec l’argent gagné, j’achetais l’alimentation nécessaire chez l’épicier agréé par la SAS. Les militaires nous délivraient chaque quinzaine des bons de ravitaillement.
 »

• Taberkouk Ahmed

« Les militaires nous délivraient des bons de ravitaillement portant indication des quantités maximum, mesures que l’épicier agréé se devait de respecter. Ils voulaient s’assurer ainsi que le ravitaillement n’allait pas chez les maquisards. Mais on s’arrangeait toujours pour le leur faire parvenir.

Nous n’avions plus la possibilité de faire pâturer nos maigres troupeaux. Un boucher de Cherchell, désigné par la SAS, les a acquis à bas prix. Cela nous a fait très mal ».
« Nous avions des bidons pour nos besoins naturels. Les femmes se chargeaient de jeter les excréments dans des fosses creusées aux environs des gourbis
 ».

• Bouhaddi Brahim

« De 1958 à 1960, on a vécu comme on a pu. En 1960, les militaires ont procédé au partage, en petites parcelles, du champ où nous vivions. Chaque famille a reçu une parcelle. Nous l’avons exploitée avec les moyens du bord. C’était tout juste pour vivre ».

Rencontrés à Messelmoune où ils demeurent, des anciens de ce camp se souviennent.

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Par Mohamed Rebah

19.03.16