« Notes de prison » (« Moabiter Notizen ») de ERICH HONECKER, ancien chef de l’Etat de la RDA de 1973 à 1989

samedi 14 novembre 2009
par  Alger républicain

Interrogation sur ses causes et ses conséquences.

Ecrites dans la prison de Berlin-Moabit en 1992-93

Traduction du Comité Honecker de Solidarité Internationaliste.

Numérisation réalisé par sa section Rhône-Alpes

20e anniversaire de la victoire de la contre-révolution en République Démocratique Allemande (RDA)

Pour ceux qui voudraient en savoir plus sur les circonstances dans lesquelles la RDA avait vu le jour et s’était développée au milieu de difficultés inouïes et de l’hostilité déclarée des puissances impérialistes, avant de disparaître, les notes écrites en prison par l’ancien chef d’Etat de la RDA apportent de nombreux faits qui mettent en pièce la propagande des adversaires du socialisme.
L’ancien dirigeant de la RDA ne se contente pas de défendre les fruits de l’édification de la société socialiste. Il présente de façon auto-critique les erreurs et les insuffisances du travail des communistes allemands sur le plans politique, idéologique et économique qui ont coupé la direction d’une fraction importante de la population, facilitant de la sorte l’accomplissement des desseins de la contre-révolution. Il fait des révélations sur le travail de sape de Gorbatchev et de sa clique, des liens que ces derniers avaient tissés dans le dos de cet Etat avec les dirigeants de la RFA, des USA et de l’OTAN pour précipiter sa destruction. Il fait l’esquisse d’un bilan des conséquences de la disparition de la RDA pour les travailleurs qui avaient été trompés par la propagande bourgeoise et les trahisons de nombreux dirigeants de ce pays, dont certains tentent aujourd’hui ? l’image d’Egon Krenz, lequel avait appliqué le plan obligeant Honecker ? démissionner, de dissimuler honteusement leurs fautes et leur complicité objective avec les ennemis du socialisme, avant d’être ? leur tour jetés comme des citrons pressés et cloués au pilori par un régime capitaliste revanchard pressé de se passer des services de personnages aussi fluctuants.
Datant maintenant de 17 ans on croirait que les appréciations de Honecker ont été écrites aujourd’hui quand on sait que, selon un récent sondage, au moins 60% des habitants de la RDA considèrent maintenant que les avantages du système socialiste étaient supérieurs ? ses défauts.
Le texte de Honecker vaut d’être lu de bout en bout. Il est l’œuvre d’un militant lucide et courageux qui, du fond de sa prison, n’avait pas craint de défier ses accusateurs en refusant de renier ses idéaux. Honecker a aussi parlé dans ses notes de prison au nom de centaines de milliers de militants honnêtes, ouvriers et intellectuels, persécutés, chassés de leur travail, interdits professionnels dans leur propre pays mais gardant la tête haute face ? la déferlante anti-communiste.

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TABLE DES MATIERES

  • Remarques préliminaires
  • Disparition d’un ami
  • L’Année 1989
  • La campagne de vengeance
  • Kohl et les relations avec Bonn
  • Au sujet de la coexistence pacifique
  • Sur la R.D.A.
  • La R.D.A. ses réalisations et leur liquidation
  • La situation dans l’Allemagne d’aujourd’hui

* Toutes les notes sont du traducteur.

LE LIVRE

Emprisonné par le Gouvernement fédéral allemand, Erich Honecker coucha sur le papier ses réflexions au sujet de la défaite du socialisme dans son pays. Il s’agit donc de l’analyse et du témoignage d’un des principaux acteurs du drame et de surcroît l’un des seuls anciens dirigeants des pays socialistes qui n’ait renié ni son action passée ni ses idéaux communistes. Ce texte est extrait d’un ouvrage paru ? Berlin en 1994 sous le titre « Moabiter Notizen ».

La traduction a été réalisée dans le but politique de fournir un document utilisable au lecteur francophone, militant ou curieux de l’histoire européenne récente. Nul doute que certains des plus de dix mille signataires de la pétition pour libérer Erich Honecker seront intéressés ? mieux connaître l’ancien dirigeant de la R-D-A.

L’AUTEUR

Il est né en 1912 en Sarre. Formation de couvreur. Dirigeant de la Jeunesse Communiste d’Allemagne (K.J.VD.) lors de l’avènement du nazisme. Prisonnier politique de 1935 ? 1945.

Fondateur en 1946 de la Jeunesse Libre Allemande (F.D.J.) qu’il dirige pendant dix ans. Membre du Bureau Politique du S.E.D. ? partir de 1958, il en devient Secrétaire Général en 1971. Chef de l’État de la R.D.A, après la mort de Walter Ulbricht (1973), il « démissionne » en Octobre 1989, se réfugie en Union Soviétique, est livré par Eltsine ? l’été 1992 ? la justice de Kohl. Le 3 décembre 1992, il prononce devant ses juges une déclaration réfutant les accusations de complicité d’assassinat dont il est l’objet et montrant le caractère politique du procès. Libéré un mois plus tard, il meurt ? Santiago du Chili en Mai 1994.

Il est l’auteur, entre autres, de mémoires (« Aus meinem Leben ») restées inédites en français. Le discours de 1992 a, par contre été publié par le Comité Honecker de Solidarité Internationaliste.

Citations
« Je fus durement touché par l’effondrement de la R.D.A.. Pas plus que de nombreux compagnons éprouvés, je n’y ai cependant perdu la foi dans le socialisme. Il s’agit de la seule alternative pour une société humaine et juste. Depuis que le capitalisme existe, les communistes appartiennent au camp des persécutés de cette terre mais pas au camp de ceux qui n’ont pas d’avenir Ce que nous avons réalisé pour faire vivre le socialisme sur le sol allemand n’a pas été fait en vain. »

REMARQUES PRÉLIMINAIRES

Un mouvement intérieur me pousse ? coucher sur le papier certaines choses dont je me souviens encore bien. Je désire aussi poser par écrit une série de questions qui m’agitent profondément et faire part de mes opinions sur quelques événements précis. Je ne sais ce que je ferai de ces notes. Peut être pourrais-je un jour rendre ceci conforme aux exigences de la prose... J’écris ces lignes ? Moabit, dans cette prison que je connais encore bien. Je l’ai fréquentée ? l’époque du nazisme, de même que nombre de communistes, de sociaux-démocrates et d’autres antifascistes. Dés 1933, elle a joué un rôle tout particulier dans la répression des adversaires de l’impérialisme allemand. Ces lignes seront peut-être publiées un jour. Elles sont destinées ? ceux qui veulent analyser sérieusement le passé Tout le contraire des prétendus « maîtriseurs de l’histoire ». [1]

Ces derniers n’ont qu’un but : couvrir de boue le socialisme et retarder autant que faire se peut l’inévitable effondrement du capitalisme.

Je ne ferai aucune concession aux idéologies et ? la « morale » qui défendent la société capitaliste d’exploitation. Les vingt millions de chômeurs que l’économie libre de marché a jetés sur le pavé ne le permettraient pas . Cette situation serait elle sans issue ? Le socialisme était un ordre social juste. Nous en avions tracé les grandes lignes et voulions aller plus loin. Nous l’avons perdu avec l’effondrement de la R-D-A-

On chante les louanges du capitalisme. C’est bien payé et aujourd’hui ce n’est plus le seul fait des politiciens bourgeois et des journalistes de droite. Malgré cela personne ne peut sérieusement contester que la situation soit devenue extraordinairement difficile pour des millions d’ouvriers et d’employés, de scientifiques et d’artistes, qu’ils approuvent ou non l’économie de marché. Les inquiétudes existentielles sont généralisées. Cela ne peut pas continuer comme c’est aujourd’hui et cela ne continuera pas ainsi... Mais le capitalisme n’ouvrira pas de chemin vers un monde sans chômage et sans misère.

Je l’ai déj ? exprimé plusieurs fois et je voudrais encore le répéter : les événements qui se sont produits en R.D.A. depuis ma démission m’ont ébranlé au plus profond de moi-même. Je fus durement touché par l’effondrement de la R-D-A-. Pas plus que de nombreux compagnons éprouvés, je n’y ai cependant perdu la foi dans le socialisme. Il s’agit de la seule alternative pour une société humaine et juste. Depuis que le capitalisme existe, les communistes appartiennent au camp des persécutés de cette terre mais pas au camp de ceux qui n’ont pas d’avenir. Ce que nous avons réalisé pour faire vivre le socialisme sur le sol allemand n’a pas été fait en vain. Nous avons travaillé avec les partis chrétiens démocrates et libéraux de l’Est dont divers responsables se sont précipités rapidement vers les nouveaux maroquins gouvernementaux après 1989. Nous avons agi pendant quarante ans dans de difficiles conditions. Ce qui fut réalisé jouera un rôle dans l’avenir. Je pense aux rapports de production socialistes qui offraient ? tous un travail, une sécurité sociale digne de ce nom, des logements aux loyers abordables, qu’ils soient ou non en béton, des crèches, des écoles maternelles, des clubs de jeunes et une vie culturelle et spirituelle de haut niveau.

Il existera une société qui offrira des perspectives valorisant l’existence de tous : ouvriers et paysans, scientifiques, techniciens, enseignants, artistes, femmes, jeunes et vieux. Le capitalisme est arrivé ? ses limites. On le qualifie d’« économie de marché » parce qu’on a honte de sa vraie nature. Sa disparition demeure certaine malgré les défaites que nous avons subi et les erreurs et les insuffisances dont nous aurions pu nous passer... malgré aussi toutes les trahisons d’individus dont la duplicité a dépassé toutes les bornes.

Le monde est devenu complètement chaotique et désorienté depuis que le socialisme a disparu du sol européen. S’autoproclamant les gendarmes du monde, les États-Unis agissent ? leur guise et imposent, ç ? et l ? , le « nouvel ordre mondial » ? coup de bombes et de missiles. Bien que de nombreux « théoriciens » aient surgi du néant pour se réclamer d’un marxisme rénové, bien qu’ils se soient efforcés de dérober le cœur même de la théorie marxiste ou de la réfuter entièrement, les faits restent têtus. Il y a des lois objectives qui décident de l’évolution des sociétés humaines. Le capitalisme présente une contradiction fondamentale : celle qui oppose le caractère social du travail et le caractère privé de l’appropriation. Cette contradiction demeure malgré la capacité du système capitaliste ? changer notablement d’apparence au cours de son développement.

C’est seulement lorsque cette contradiction sera dépassée, lorsque ce ne sera plus le profit qui dirigera le monde, que les conditions d’une vie véritablement humaine seront créées pour chaque individu. On parle beaucoup de réalisation de soi-même. Cela ne peut évidemment pas consister dans la perspective d’une situation où, du fait, de l’utilisation croissante et des progrès constants des technologies de pointe, seuls 10% ? 20%l de la population auraient encore un travail. Une société nouvelle devra trouver ? chacun une place. En tenant compte de toutes ces évolutions technologiques, mais en tenant compte aussi d’autres contraintes. Cela signifie en premier lieu un travail pour chacun. Le capitalisme en est incapable, c’est plus évident aujourd’hui que jamais. La course au profit, elle-même fixe désormais des limites au système capitaliste. Il existe donc des raisons sociales profondes et déterminantes pour que s’ouvre le chemin d’une société alternative. Celle-ci sera de nature socialiste, quelles que soient les spécificités de sa structure et les modalités de son organisation concrète.

C’est pourquoi, d’un point de vue historique, mon jugement n’est pas aussi pessimiste que celui, compréhensible, de la plupart de ceux qui furent surpris par le « tournant » de 1989. La question sociale restera dans l’avenir au centre des controverses publiques dans tous les pays capitalistes. Certains ont consacré leurs forces ? la réalisation de ce fameux « tournant » contre-révolutionnaire. Ils croient encore aujourd’hui ou pour le moins affirment qu’ils voulaient ainsi améliorer le socialisme, qu’ils agissaient pour que les choses aillent mieux en R-D-A-.

Ils doivent aujourd’hui faire face ? d’amères réalités. Tous, nous voulions un socialisme qui soit encore meilleur. Ce qui avait été atteint ne nous a jamais suffi. Tous ces petits « réformateurs » n’ont cependant réussi qu’ ? livrer le socialisme ? ses ennemis parce qu’ils ont écouté le grand « réformateur » : en 6 ans, celui-ci a réussi ? désarmer le P-C-U-S-, dont il était Secrétaire Général et ? mener l’U.R.S.S. ? l’anéantissement.

La R-D-A- fut sacrifiée sur l’autel de la « maison commune européenne » pour laquelle Gorbatchev luttait avec tant d’acharnement. Ce fut l’évènement le plus douloureux de mon existence ainsi que de celle de nombreux autres camarades. On est obligé aujourd’hui de reconnaître que ceci fut facilité par notre attitude habituelle vis ? vis de Moscou, avant tout faite de discipline et de respect de la tradition. Il en était ainsi même pour ceux qui n’avaient déj ? plus la volonté de défendre le Socialisme. Et tout cela ne fut finalement possible que parce que des courants entiers de notre Parti contribuèrent objectivement ? l’élimination du Socialisme. Il y avait parmi eux quelques traîtres conscients et avérés qui se vantent aujourd’hui d’avoir, durant des années, utilisé leurs contacts officiels avec la R-F-A- pour aplanir le chemin qui menait ? l’annexion de la R.D.A.

DISPARITION D’UN AMI

La disparition de la R-D-A- était incluse dans l’effondrement de la communauté des Etats socialistes. Celle-ci s’est déroulée dans un contexte de changements radicaux de la politique internationale. Il n’y a plus de doute l ? -dessus depuis que les cartes ont été, sans doute partiellement, mises ? jour ? Washington, Bonn et Moscou. Tout d’abord, la direction du Parti et de l’Etat soviétiques introduisit les concepts de Péréstroika et de Glasnost qui préludèrent ? ces changements. Cette « nouvelle pensée » ignorait la lutte des classes et l’opposition Est-Ouest qui résultait pourtant d’antinomies objectives. Bien plus, l’adversaire d’hier, qui avait menacé l’Union Soviétique d’une mise ? mort militaire devint soudainement un ami. Tout ceci n’eut pas lieu pacifiquement. Il s’en suivit un profond ébranlement dans le monde entier. Seul l’effort commun de forces présentes ? Moscou, ? Varsovie, ? Washington et ? Bonn permit cependant ces profondes transformations de la situation mondiale. Voil ? qui devint de plus en plus . clair au fil du temps. La mise en mouvement de ces forces détruisit l’équilibre des forces politiques et militaires jusqu’alors en vigueur.

La question du remplacement d’Erich Honecker par un homme de la Pérestroïka tel que Modrow ne joua dans tout ceci qu’un rôle secondaire. Elle fut cependant longuement discutée ? Moscou. On le sait aujourd’hui notamment grâce aux révélations de J. Kwizinski. Les dirigeants politiques américains aspiraient depuis des années ? faire évoluer la situation dans le sens de ce qu’elle est aujourd’hui. Ils ont utilisé la chance qui leur était donnée.

Une mise en scène bien huilée permit d’atteindre au but que s’étaient fixé, sans en faire mystère, les centres impérialistes nord- américains, ouest-allemands et d’autres grands pays capitalistes : le changement de système ? l’Est. L’U.R.S.S. joua un rôle central dans ce processus.

Gorbatchev, Iakovlev et Chevarnadzé considéraient le rapport politique au 27e Congrès du P.C.Ul.S. comme une entreprise décidée de démolition du système. Voil ? qui est aujourd’hui un fait reconnu bien qu’ils aient énergiquement refusé d’en convenir ? l’époque. Dès 1987 / 88, les observateurs attentifs de la réalité soviétique pouvaient comprendre ? quoi ils voulaient en venir. Maintenant que les années ont passé, il est plus clair que jamais que le décès de Constantin Tchernenko sonnait aussi le glas de l’Union Soviétique. Le nouveau groupe dirigeant arrivé au sommet de l’Etat et du parti soviétique autour de Gorbatchev, Chevarnadzé, Iakovlev et Elsine avait déj ? son but devant les yeux : « changer le système ». C’est ce que l’on est fondé ? reconnaître aujourd’hui. Ils étaient prêts ? sacrifier les alliés de l’Union Soviétique pour cela. Le fait que les premiers pas dans cette direction aient été accomplis en usant du nom de Lénine, fondateur du pouvoir des soviets, ne change rien ? cela. Chevarnadzé écrit dans ses mémoires qu’il avait convenu avec Gorbatchev, ? l’automne 1984 déj ? , au cours d’une promenade au bord de la Mer Noire, qu’il était nécessaire de changer tout le système. La clef qui ouvrait la porte sur cette direction fut forgée durant l’année 1985.

Des changements furent engagés aussi bien en politique intérieure qu’en politique extérieure. Dans ce dernier domaine, les nouvelles orientations se manifestèrent pour la toute première fois lorsqu’un projet de circulaire élaboré par l’appareil du Comité Central du P.C,U.S. fut abruptement transformé par les nouveaux dirigeants. Ceux-ci exigeaient une approche « plus globale ». C’est ? dire concrètement d’envisager une coopération plus étroite avec les États-Unis.

Gorbatchev en personne m’a présenté cela comme un pas décisif qui « rompait avec l’obstination qui prévalait jusque l ? en politique extérieure ».

Cette ligne conduisit tout droit ? la célèbre déclaration de Genève. On se souvient qu’au cours de cette rencontre entre Reagan et Gorbatchev, les deux parties tombèrent d’accord pour appeler ? un monde sans armes atomiques. Cet objectif avait sans nul doute une grande signification politique. Pour l’atteindre, on devait tenir compte du fait que l’U.R.S.S. socialiste et les Etats-Unis impérialistes tenaient entre leurs mains l’équilibre militaire du monde entier.

Cette déclaration fut considérée comme un grand succès de Gorbatchev. Mais, qu’en est-il devenu de ces belles intentions ? Le monde est-il plus prés d’un seul pas de ce but ? Quelque chose bouge t-il dans ce sens chez les américains devenus les gendarmes du monde ? Quand on lit ce que Gorbatchev et Chevarnadzé ont publié sur ces « entretiens ? Washington », on en vient ? la conclusion que l’ensemble de l’évolution qui s’est produite avait été programmée ? l’avance dès l’aube de la Pérestoika. Les accords encore en vigueur en 1989-90 entre l’U.R.S.S. et ses alliés ne jouèrent plus aucun rôle lors des négociations avec les U-S-A- et la R-F-A. Il n’y eut uniquement et seulement qu’une entente entre la direction soviétique et ces deux États impérialistes. Étant passée d’une politique de coexistence pacifique d’États ? l’ordre social différencié, ? une politique globale dans laquelle l’opposition entre systèmes sociaux ne jouait plus aucun rôle, la politique extérieure soviétique en vint dans la dernière période ? accepter que les territoires soumis ? l’O.T.A.N. s’étendent jusqu’ ? la frontière de l’Oder-Neisse. Ceci correspondait totalement aux plans américains. Pourtant, jusqu’ ? l’automne 1989, la direction soviétique, lorsqu’elle tenait des entretiens avec la R-D .A., considérait celle-ci comme son allié stratégique au centre de l’Europe. Les évènements montrèrent que cette dernière affirmation n’avait pas pour but le maintien des alliances existantes, mais, seulement de fixer un prix pour pouvoir vendre la R-D-A- dans des conditions intéressantes. Puisque les plans des services secrets américains, ouest- allemands et russes ont été révélés au grand jour, il n’y a plus aucun doute aujourd’hui que le président Bush avait dans ses mains une carte maîtresse pour réussir ? détruire l’Union Soviétique : l’attitude de la direction soviétique elle-même. Dans le même temps où elle transforma radicalement sa politique extérieure, l’Union Soviétique introduisit des mesures destinées ? accélérer le développement économique et social. Mais, ce fut le contraire qui se produisit : la situation économique et sociale ne devint pas meilleure, elle empira. L’autogestion des entreprises, en détruisant la planification centralisée et en mettant fin au centralisme démocratique fit dérailler l’économie.

Les concepts de Pérestroika et de Glasnost devinrent pour un nombre croissant de citoyens soviétiques synonymes de détérioration de la vie quotidienne. Les idées énoncées dans le livre de Gorbatchev : « la Pérestroïka et la Glasnost pour nous et le monde entier » eurent un effet différent de celui escompté par beaucoup ? l’époque. Elles entraînèrent l’affaiblissement de l’Union Soviétique, des principes de fonctionnement et de discipline dans la société et l’État et ces phénomènes n’ont aucunement nui au capitalisme : il est encore difficile aujourd’hui d’apprécier les conséquences de la disparition de l’Union Soviétique dans toute son ampleur. De nouvelles perspectives d’expansion et de maximisation des profits s’ouvrent certes pour les capitalistes. Pour l’humanité s’annonce au contraire une période d’incertitude, de guerres, de développement du chômage, d’émigration d’Est en Ouest et beaucoup d’autres choses encore.

La Pérestroïka en Union Soviétique eut-elle ces conséquences ? Celui qui en doute peut se référer au protocole des débats tenus entre le C.C. du P-C-U.S. et les secrétaires des républiques, régions et districts le 18 juillet 1989, au siège du Comité Central. De nombreux orateurs exigèrent alors de s’adresser aux communistes et ? la classe ouvrière pour qu’ils s’engagent de manière décidée ? protéger et ? défendre le socialisme.

L’ancien ministre Ryjkov fit ? cette occasion savoir que le Parti et l’État se trouvaient dans une situation extraordinairement catastrophique. De telles accusations étaient portées contre le Parti et l’État tant dans le pays qu’ ? l’étranger que ceux-ci avaient pratiquement perdu toute confiance aux yeux du peuple. Les évènements qui étaient alors prévisibles étaient de nature ? montrer que les choses deviendraient difficilement contrôlables dans un contexte où le Parti avait perdu son influence dans les faits. Il expliqua que l’action des comités et des organisations de base du Parti était souvent publiquement dénigrée.

Le représentant du Parti Communiste d’Ukraine montra que les critiques destructrices et les attaques violentes contre le Parti devenaient de plus en plus fréquentes. Un autre intervenant souligna que les années écoulées depuis Octobre 17 étaient présentées par de nombreux médias comme ayant été les plus affreuses de l’histoire. Sous le prétexte de rechercher de nouvelles formes et méthodes de travail on exigeait souvent de jeter par dessus bord tout ce que le Parti avait réalisé jusque l ? . Dans une telle situation, il importait de restaurer sans délai l’autorité du Parti. Un autre orateur encore était d’avis que la situation était déj ? devenue telle que dans chaque domaine : économie, idéologie, institutions... tout convergeait vers un point culminant des contradictions. Les restructurations accélérées avaient entraîné un tel effondrement de l’économie que le courant de meetings et de manifestations se transformait rapidement en une vague de grèves. Les évènements de la dernière période montraient clairement, ainsi que l’expliquait un représentant de l’organisation moscovite du Parti que beaucoup de comités du Parti n’avaient plus le contrôle de la situation.

Cela s’exprimait par le fait que le mot d’ordre : « tout le pouvoir aux soviets » était remplacé par celui de « soviets sans communiste ». Tout ceci montre qu’ ? ce point de l’histoire, l’émiettement du pouvoir des soviets était déj ? bien avancé. Le mot d’ordre de Gorbatchev : « tout le pouvoir aux soviets » avait eu pour conséquence de chasser les communistes hors de l’action gouvernementale. Les documents disponibles font voir clairement que, depuis plusieurs années, le travail discipliné avait laissé partout la place aux manifestations et aux grèves qui avaient souvent pour objectif de réduire l’influence du centre et de la remplacer par l’autogestion. Les liaisons qui existaient entre les entreprises furent interrompues. Il devint soudain impossible de se procurer de nombreux produits indispensables ? la vie quotidienne tels que la poudre ? savon, le sel... l’action de la mafia lui donna un pouvoir incontestable. Tels des plantes ? croissance rapide, les groupes « non officiels » qui existaient depuis 1986 abandonnèrent leur camouflage et lancèrent notamment ce mot d’ordre de « soviets sans communistes ».

L’Union Soviétique n’était déj ? plus en état, dans de nombreux domaines, de contrôler la vie dans la société. L’effroi et la peur gagnèrent les rues. Quatre années de Pérestroïka et de Glasnost avaient entraîné un tel effondrement de la confiance que les calomnies envers le Parti s’en trouvaient facilitées. Ce que l’on appelle les « valeurs occidentales » fut diffusé sans aucune retenue.

Cette évolution fut possible seulement parce qu’en 1985 la direction du Parti et de l’Etat était parvenue dans les mains d’un groupe qui, en dépit de toutes les résolutions des Congrès du Parti ayant eu lieu jusque l ? conduisit finalement l’Union Soviétique au chaos. Tout d’abord on employa l’argument d’après lequel cette « gauche » avait pris le contre-pied du dogmatisme qui régnait jusque l ? pour se rapprocher le plus possible du léninisme. En réalité, leur ligne tournait le dos ? Marx et ? Lénine. Elle se heurta d’abord ? de l’incompréhension puis ? la résistance du Parti et de la société. Ceci conduisit ? des attaques renouvelées et sauvages ainsi qu’ ? des calomnies contre des cadres éprouvés du Parti. Les membres du Comité Central furent alimentés ? chaque session avec de la désinformation. Chaque membre du C.C. recevait ainsi lors de chaque séance un matériel ad hoc destiné ? le convaincre de la corruption et des abus de pouvoir commis par de nombreux cadres. Tout ceci servit ? rendre complaisant le Comité Central, ? démettre de leurs fonctions des couches entières de responsables du Parti et de l’État, ? libérer la voie pour que soient mises en œuvres sans rencontrer de résistances les directives élaborées par le « Centre réformateur » de Moscou. Nul doute qu’une telle mise en scène ne rappelle ? nombre d’anciens responsables du S.E.D. un scénario qu’ils connaissent bien.

Les ambassadeurs en poste dans les pays socialistes reçurent pour mission d’informer les secrétaires généraux des partis frères. Ils expliquèrent ? cette occasion que cette séance du C.C. débouchait sur l’espoir d’une véritable rénovation du Parti et de l’Etat soviétiques. Tout ceci se passa dans les mêmes conditions que la communication au sujet du décret sur l’alcool qui était présenté comme devant améliorer la situation dans les entreprises et dans les familles, en particulier dans l’intérêt des femmes. Ce décret fut évoqué par la commission politique consultative du traité de Varsovie. Il fut ensuite abrogé et considéré comme nuisible. Mais il n’y eut pas de communication ? ce sujet. La rapide succession de mots d’ordre changeant constamment était frappante. Cela fut d’abord : « accélération du développement économique et social », puis, « tous les pouvoirs aux soviets » qui fut remplacé par : « tous les pouvoirs au Président ». Tout ceci conduisit finalement ? l’effondrement de l’U.R.S.S. Le drapeau de l’Union Soviétique cessa de flotter sur le Kremlin en Décembre 1991. Ce fut une conclusion symbolique et brutale. Cela démontra aussi la manière dont un peuple peut être amené en dehors de la lumière. Peu de temps auparavant, les citoyens de cette grande union s’étaient pourtant prononcés pour son maintien. Cela montre ce qui est possible lorsque l’on confie le destin d’un peuple ? des démagogues et ? des aventuriers. A la fin de cette évolution regrettable, ceux-ci révélèrent qu’ils s’étaient toujours considérés comme des sociaux-démocrates, étaient des défenseurs résolus de l’économie de marché et que la R.F.A.était pour eux un modèle. On peut seulement dire ? ce sujet que si l’on avait assisté lors d’une période antérieure ? cet épisode de la Pérestroika, beaucoup de citoyens de la R.D.A. auraient peut être hésité ? devenir ses défenseurs.

Il y eut d’abord complicité entre Gorbatchev et Eltsine après que ce dernier eut quitté le Parti. Vers la fin, leurs rapports se tendirent cependant. La position d’Eltsine devint si forte qu’il put décider de la dissolution de l’U.R.S.S. en créant un triumvirat slave : Russie, Ukraine et Biélorussie.

Le Pacte de Varsovie s’effondra durant le cours de ces événements, non sans avoir adopté une doctrine de défense qui prévoyait déj ? d’abandonner la R.D.A. en cas d’agression de l’O.T.A.N.. Mais ce point ne fut connu que plus tard. Ce fut cependant pour l’O.T.A.N. le signal que se déroulaient d’importants changements ? Moscou et par conséquent au sein du pacte de Varsovie et que ces changements seraient bénéfiques pour la réalisation des objectifs du Pacte atlantique. L’inclination a un réchauffement des relations avec la principale puissance impérialiste et ? la restauration du capitalisme en Union Soviétique s’acheva par la disparition de la communauté des Etats socialistes. La carte politique de l’Europe et du monde en fut transformée. Le rapport des forces s’en trouva bouleversé au niveau mondial. Ceci fut rendu évident par la Guerre du Golfe. La guerre civile sévit en Yougoslavie. C’est en une nuit que la politique d’ingérence engagée par l’Occident déboucha sur le danger d’une nouvelle guerre mondiale. Durant la période « chaude » de la guerre du Golfe, des manifestations de rue montrèrent que les peuples avaient compris le caractère de cette guerre. En effet, ils défilaient en criant : « Pas de guerre pour le pétrole ! ».

Il n’y a aucun doute que le monde est sorti de l’équilibre des forces. Dans cette période pleine de graves conséquences pour le genre humain, la domination des U.S.A. qui est désormais claire et ouverte n’aurait pu se réaliser sans les changements advenus dans la carte politique de l’Europe. Il en est de même de l’engagement brutal de l’appareil militaire américain dans la poursuite d’objectifs politiques.

La dissolution du Pacte de Varsovie déchargea en effet les Américains d’un lourd fardeau en Europe. Ils purent s’engager dans l’aventure du Golfe. Avec leur victoire, ils veulent consacrer leur rôle dominant dans le monde. Cette situation est grosse de dangers pour les peuples notamment au Proche-Orient, en Afrique et dans les Balkans. Les discours de victoire tenus après les bombardements barbares contre la population civile d’Irak et les massacres de femmes et d’enfants regorgent d’expressions connues : « la grandeur des U.S.A. » désormais aptes ? régler de leurs mains les destinées du monde. Il n’y a aucun doute sur ces intentions. Leur action vise ? obtenir la domination mondiale par des moyens militaires. C’est un nouveau danger majeur pour l’humanité. C’est aussi le résultat objectif de la « nouvelle politique économique » et de la « nouvelle pensée ».

La pensée globale conduisit l’URSS, grande puissance socialiste, ? une catastrophe globale. Le caractère tragique des évènements devint tout ? fait clair lorsque le pouvoir des soviets fut détruit. Ils se déroulèrent selon un rythme qui ne laissa même pas le temps d’abroger les traités d’amitié, de coopération et d’assistance mutuelle conclus entre l’Union Soviétique et la R.D.A.. Ceux-ci restèrent valables jusqu’ ? ce que le traité 2 + 4 [2]

Kohl a déclaré que l’unification eut lieu dans un court moment lumineux de l’histoire du monde et n’aurait pu avoir lieu ni avant ni après. Ce moment ne fut pas le résultat du hasard. Les conditions en furent créées très consciemment. soit signé.

Se refuser ? caractériser les évènements qui se déroulent aujourd’hui pour ce qu’ils sont serait lourd de conséquences. Il s’agit de lutte de classes au niveau mondial. Tel est le point de départ nécessaire pour analyser les causes de la défaite de la communauté des Etats socialistes. Faute de quoi on ne débouche que sur des théories construites en fonction de leur propre but telles celles qui parlent de l’effondrement d’un modèle socialiste.

Ceux qui contestent ce point de vue ne sont simplement pas disposés ou pas en situation de juger des évènements en termes de classes. Certes, les manifestations de 1989 ont eu une grande importance et exprimaient un réel mécontentement. Cela ne m’empêche pas de répéter, avec le sérieux qui convient au sujet, ce que j’avais déj ? dit en 1991. C’était et cela reste une erreur de croire que les changements de l’année 1989 furent introduits par la suite. Tous ceux qui avaient cette conviction devraient l’abandonner sans hésiter. Les changements de 1989 résultèrent d’une radicale transformation de la politique mondiale. Voil ? ce que l’on peut comprendre aujourd’hui encore plus clairement qu’ ? l’époque. Cette transformation résultait elle même des nouvelles orientations adoptées par Gorbatchev et la direction soviétique.

Les appels de Gorby se sont dissipés. Des millions de gens en particulier des habitants de l’ex-Union soviétique vont souffrir encore longtemps des conséquences de cette politique. Dans la société de concurrence sauvage, qui est désormais notre lot, il n’y aura pas de place pour une ouverture sociale stable. Les évènements le montrent déj ? . Le capitalisme, où l’homme est un loup pour l’homme, ? l’image de la situation actuelle en R.F.A., ne représente pas l’alternative ? un monde socialement juste. C’est pourquoi, je ne me sens renforcé par les évènements de 1989/90, seulement en ce qu’ils montrent que l’idée socialiste n’est nullement morte. Beaucoup appellent cela une pensée éloignée de la réalité. Ils prouvent ainsi seulement leur incompréhension des processus historiques ou leur positionnement renforcé dans l’anti socialisme ou l’anti marxisme.

L’ANNÉE 1989

Pratiquement personne ne pensait, au début de l’année 1989,aux surprises et aux tragédies que cette année allait apporter au monde,

Comme chaque année, les hommes d’Etat du monde entier échangèrent des courriers pleins de souhaits de paix et de prospérité pour les peuples. Des millions de gens échangèrent des vœux de bonheur qui reliaient amicalement les expéditeurs et les destinataires. Comme il était devenu courant ces dernières années, les verres tintèrent une première fois entre amis ? 22 heures pour le Nouvel An soviétique puis ? minuit pour le Nouvel An allemand. Les vœux les plus sincères et amicaux traversèrent les frontières de l’Elbe ? l’océan Pacifique. Chacun aspirait ? un avenir pacifique pour le monde socialiste, dont on espérait qu’il conserverait une forte influence sur l’évolution du monde, malgré la Pérestroïka et la Glasnost. Cette influence devait s’exercer dans le sens du socialisme et de la paix.

Avant la fin de l’année qui venait de s’achever, le Comité Central du S.E.D. s’était réuni et avait traité de questions liées ? la conjoncture et ? l’avenir de la R.D.A. dans un monde riche en menaces mais encore paisible. Nous partîmes de la nécessité d’une analyse exacte de la société pour préparer les décisions qui s’imposeraient en matière de structure de la société. Le 12e Congrès du S.E.D.était convoqué pour l’année 1990. Des questions internes et internationales nous poussaient ? réunir cette instance. Tout semblait jusque l ? bien soudé. L’année 1989 pouvait commencer.

Le 12e Congrès du S.E.D.était donc prévu pour le printemps 1990. Sa préparation devait largement ouvrir les portes d’une vaste discussion et d’une expression populaire sur les structures futures de la société socialiste en R.D.A.. Je soulignais particulièrement deux questions dans le rapport du Bureau Politique devant le 7e plénum du C.C. Premièrement, celle du renforcement de l’amitié entre la R.D.A. et l’U.R.S.S. et l’approfondissement ? cet effet de relations dont l’intensité et la diversité étaient pourtant sans exemple. Deuxièmement, celle de notre contribution ? la solution du problème central de notre époque : assurer la paix ? l’échelle mondiale. Mon discours devant le plénum avait été préparé collectivement par le Bureau Politique et approuvé. Il répondait ? ceux qui se donnaient l’illusion d’enfoncer un coin entre le P.C.U.S. et le S.E.D.. Dans l’intérêt d’un renforcement de nos propres rangs, j’évoquais la convention de soutien politique mutuel conclue au cours d’une rencontre tenue quelques semaines auparavant avec Gorbatchev ; cet accord informel concernait la mise en œuvre des décisions du 12e Congrès du S.E.D. et du 27e Congrès du P.C.U.S. J’indiquais que ceux qui voulaient réécrire l’histoire du P.C.U.S. et de l’Union soviétique dans un sens correspondant aux intérêts de la bourgeoisie ne devaient pas nous détourner de nos objectifs en matière de renforcement de nos relations avec les soviétiques. J’expliquais que Gorbatchev avait qualifié l’industrialisation socialiste, la collectivisation de l’agriculture et la « rénovation culturelle » [3] d’événements de dimension historique pour le renforcement du pouvoir des soviets.

C’était lors de son discours pour le 70e anniversaire de la Révolution d’Octobre et il n’était pas possible que tout cela ne soit d’un seul coup plus vrai.

Au début de 1989, le Bureau Politique adopta d’importantes résolutions relatives ? ce 7e plénum du Comité central du S.E.D.. Des commissions furent constituées auxquelles s’intégrèrent des scientifiques et des praticiens. Elles reçurent pour mission d’élaborer des propositions pour améliorer le travail du Parti et de l’Etat. Il s’agissait de jeter par dessus bord tout ce qui s’opposait ? la marche en avant de la construction socialiste en R.D.A. afin que le Parti remplisse sa mission de « porteur de nouveauté » qui était sa raison d’être. Ce travail était complètement engagé.

Au bout d’un trimestre, il y avait de bonnes analyses et de bonnes propositions. En commun avec ses alliés du bloc des partis démocratiques, le S.E.D lança les activités de préparation des élections locales du 6 Mai. On travailla ? un projet d’appel du « Front National de l’Allemagne Démocratique » [4]

Lors d’une rencontre avec son Président, nous nous mîmes d’accord sur le rôle et la signification des élections dans l’année 1989 et sur celui du 40e anniversaire de l’existence de la R.D.A. Ces élections devaient se dérouler entièrement sous le signe d’un large épanouissement de la démocratie socialiste. Les gens devaient participer de manière active aux décisions qui engageaient l’avenir. On devait aussi discuter ouvertement de la comparaison avec la démocratie bourgeoise ? l’exemple de ce qui séparait la R.D.A. et la R.F.A.. Notre appel pour les élections affirmait que la R.D.A. ne connaissait pas le chômage de masse, mais le plein-emploi. La nouvelle pauvreté y était inconnue car le bien-être y progressait de manière continue. On pouvait s’y passer des « restaurants du cœur », chacun ayant des revenus pour manger correctement. L’enseignement et la formation professionnelle, accessibles ? tous, étaient loin d’être en crise.

Les circonscriptions électorales furent réduites pour permettre un forum de discussion plus large lors des débats préélectoraux. Chaque candidat devait non seulement être connu pour pouvoir se présenter mais également jouir de la confiance des électeurs de son secteur d’habitation ou de son entreprise. On devait atteindre le niveau de codécision et de participation nécessaire ? la solution de nombre de problèmes qui apparaissaient localement. Par exemple, les questions urgentes d’amélioration du commerce, des services de réparation, de la gestion des logements, tant en ce qui concerne les constructions nouvelles que l’amélioration de l’habitat existant. Les problèmes liés ? la résolution de cette question du logement venaient en première ligne.

Les électeurs avaient ? décider de la composition de 7 800 conseils locaux de représentants, lesquels étaient 203 000 au total. La loi obligeait ? présenter un fiers de candidats en plus par rapport au nombre de sièges ? pourvoir.

Beaucoup de problèmes importants furent soulevés lors des assemblées électorales et d’autres réunions. Le nombre croissant des demandes de départs légaux hors de R.D.A., les disproportions dans le développement économique, les problèmes des industries de consommation, le manque de matériaux et de matières premières, l’incapacité de l’industrie légère ? prendre en compte les besoins, les ? -coups irritants de l’approvisionnement, la politique des prix, la qualité des produits, tout cela fut objet de débats. Globalement, l’atmosphère était ouverte. Celui qui présenterait les choses autrement ne dirait pas la vérité. La participation électorale fut élevée bien qu’ ? la différence des élections précédentes, il n’y eut pas d’actions organisées pour rappeler leur devoir aux abstentionnistes. Ce ne furent ni le Gouvernement, ni les partis qui organisèrent les élections mais la commission électorale centrale dans laquelle toutes les couches de la population étaient représentées. Ceci correspondait aux dispositions de la loi électorale. A aucun moment le C.C. du S.E.D. ni les directions des partis qui lui étaient alliés ne s’ingérèrent dans le processus électoral. Celui-ci fut mené ? bien par des commissions de districts et d’arrondissements selon les directives de la commission centrale dont le caractère détaillé allait jusqu’ ? régir la composition et les conditions de fonctionnement des bureaux de vote et de leur présidence. Les élections se déroulèrent, le dépouillement et la proclamation des résultats s’effectuèrent publiquement. Après la centralisation des résultats paria commission nationale, des bruits et des insinuations diverses laissèrent cependant entendre que le scrutin avait fait l’objet d’une manipulation. De soi-disant initiatives de citoyens et des représentants de l’Eglise engagèrent une campagne dénonçant la fraude électorale. D’autres échos se firent entendre. Des attaques se développèrent sans prendre de ménagements avec les représentants de l’autorité étatique, globalement qualifiés de fraudeurs. Il n’était pas possible de fournir la preuve contraire parce que la loi électorale exigeait que les bulletins soient détruits au terme d’un certain délai. Toutefois, les manipulations intervenues notamment ? Berlin et ? Dresde ont depuis lors fait l’objet de révélations publiques. Les conditions d’aujourd’hui m’incitent donc ? poser une série de questions politiques très sérieuses.

Tout d’abord qu’aurait changé au résultat final une participation électorale inférieure de 2 ou 3%, voire un résultat plus mauvais de 10% ? On se demande alors de quel type de manipulation il s’agit et dans l’intérêt de qui ? Qu’essaye-t-on de dissimuler en évoquant une prétendue obéissance « allant au-del ? des ordres » Le fait que l’on s’est amusé ? donner des munitions politiques aux ennemis du socialisme en R.D.A.?

Ces questions doivent être posées puisque Monsieur Schabowski (Membre du bureau Politique du S.E.D. jusqu’en 1989) s’est exprimé ? plusieurs reprises sur ce sujet.

Je ne sais sur les instructions de qui les falsificateurs agissaient, en tout cas ce n’était pas sur les miennes. A long terme, le mensonge qui consiste ? transformer une invitation ? obtenir le résultat électoral le meilleur possible, habitude non seulement légitime mais également pratique courante de toutes les forces politiques, en une invitation ? fausser les résultats, ne réussira pas, même a ces héritiers du Baron de Münchhausen. C’est ce que, malgré toute l’agitation médiatique, on ne sait que trop bien ? Bonn et dans l’appareil judiciaire de la R.F.A.. Cependant, le but : calomnier la R.D.A. et montrer qu’elle était un « État de non-droit » justifie apparemment tous les moyens.

Revenons ? l’année décisive que fut 1989. Entre temps on était arrivé en juin. Un plénum du Comité Centrai se réunit. Au programme : d’une part l’évaluation du travail de masse mené pendant les élections locales et des problèmes apparus ? cette occasion et d’autre part, l’état d’avancement du plan de développement économique pour 1989.

Je ne participais pas ? la préparation du rapport qui fut prononcé par un autre membre du Bureau Politique. Je me consacrais durant cette période ? la préparation de mon voyage en Union Soviétique, ? Moscou et ? Magnitogorsk. J’évoque cela parce que certains de mes anciens collègues laissent volontiers entendre dans leurs déclarations que tout tournait autour de moi et qu’ils n’auraient eu aucune influence sur l’élaboration collective de notre politique.

Lorsque je revins d’Union Soviétique, j’entendis dire que le plénum avait trouvé peu d’écho et que le Parti et l’opinion attendaient davantage. Le Comité Central n’aurait pas assez répondu aux questions qui apparaissaient de plus en plus de premier plan. Il s’agissait des problèmes que nous avions déj ? traités lors du 7e plénum, par exemple les demandés de départ vers l’Ouest, la nécessité d’assurer la continuité de la production et les phénomènes de rupture qui apparaissaient régulièrement dans l’approvisionnement. A ce sujet, des contrôles avaient démontré que les stocks étaient suffisants, par exemple pour ce qui concerne la viande et qu’il n’y avait pas de raison de ne pas livrer les magasins, si ce n’est une volonté de sabotage qui existait clairement dans le commerce de gros.

Tous ces problèmes étaient connus, mais nous ne fûmes pas en mesure de les résoudre aussi rapidement que cela aurait été nécessaire. Il n’est plus possible aujourd’hui de faire la part de ce qui était intentionnel et de ce qui résultait de difficultés objectives. Cela n’a même plus aucun sens de philosopher l ? -dessus. Le capitalisme a maintenant amené de tout autres soucis. Des soucis sur ce que sera l’avenir de tous et des inquiétudes quant aux conditions de l’existence même de chacun.

Je voyageais donc en Union Soviétique au milieu de juin 1989. Le lendemain de mon arrivée au Kremlin je rencontrais d’abord Gorbatchev puis Chevarnadzé se joignit ? nous. Gorbatchev souligna ? nouveau l’importance de l’alliance stratégique qui unissait l’Union Soviétique et la R.D.A.

Je partageais pleinement ce point de vue. Cette fois-l ? non plus il ne trouva pas l’occasion de parler des problèmes qui étaient l’objet de négociations ? Bonn et dans le cours desquelles, comme on le sait maintenant, les deux parties avaient déj ? adopté un peint de vue commun sur l’évolution ultérieure des choses. Peut-être Gorbatchev était-il déj ? , ? ce moment, devenu social-démocrate puisqu’il se réclama publiquement ensuite de cette idéologie. Le reste de mon séjour fut consacré ? une visite au combinat sidérurgique de Magnitogorsk ? la réception fraternelle que me fit le personnel, ? des rencontres avec la jeunesse et des vétérans avec lesquels pour partie j’avais travaillé en 1930/31. J’étais accompagné par Vorotnikov, le président du soviet suprême de la R.S.F.S.R.(République Socialiste Fédérative Soviétique de Russie).

Ce qui me frappa durant ce séjour fut le fait que personne ne parlait de Gorbatchev, de la Pérestroïka et de la Glasnost, mais on parlait beaucoup des pénuries d’approvisionnement. Je ne restais que peu de temps ? Berlin après mon retour d’Union Soviétique. Je repris l’avion avec la délégation qui devait participer ? la commission de concertation politique (du traité de Varsovie), dont une session se tenait ? Bucarest. Conformément ? l’ordre du jour, je pris la parole le premier jour et traitais des problèmes internationaux. Je ne pus participer aux travaux du deuxième jour. Une colique biliaire avait déjoué tous mes calculs. Je fus ramené en avion pour être hospitalisé ? Berlin.

Il en résulte que je ne participais pas au travail du Bureau Politique de début Juillet jusqu’au premier Octobre 1989. Cette période fut celle d’un bouleversement de l’ambiance politique au détriment du Parti et du Gouvernement en R.D.A. Le pique-nique européen organisé par Otto de Habsbourg en fut un signe apparent. Les convives pouvaient en profiter pour rejoindre la République Fédérale d’Allemagne en passant par la frontière entre la Hongrie et l’Autriche. Ils utilisèrent largement cette opportunité. De telles pratiques furent naturellement favorisées par le Gouvernement ouest-allemand et différents milieux en Hongrie et en Autriche. Des citoyens de R.D.A. se regroupèrent de manière organisée dans les ambassades de la R.F.A. ? Budapest, ? Prague et ? Varsovie. Finalement contrairement ? toutes les dispositions en vigueur dans le cadre du Pacte de Varsovie, la frontière hongroise fut ouverte avec l’objectif de causer du tort ? la R.D.A. dont trois millions de touristes se trouvaient ? cette époque de l’année en Tchécoslovaquie, en Hongrie et en Bulgarie. On apprit plus tard que la Hongrie avait reçu pour cela un chèque de 500 millions de DM provenant de Bonn. L’évacuation de l’ambassade ? Prague qui avait été exigée par la R.D.A. fut transformée par Genscher en une manifestation nationaliste.

Dans la même période apparurent en R.D.A. des groupes d’influence qui poussaient dans le sens d’une « rupture » en faveur de la politique de Gorbatchev. Le Deutsches Theater était l’un de leurs bastions, soutenu par le Ministère de la Culture dont certains responsables prirent la parole ? Potsdam contre le Gouvernement. Les représentants de l’Église se livraient ? une agitation croissante. Monseigneur Leich, son plus haut dignitaire, exprimait ouvertement désormais son souhait de voir Pérestroïka et Glasnost devenir réalité en R.D.A. Le Parti et le Gouvernement ne prirent pas position et n’adoptèrent aucune mesure contre cette agitation. Cette période fut de ce fait qualifiée de « période de mutisme ».

Le Bureau Politique avait pourtant discuté courant septembre de la situation dans le pays. Mais ce fut seulement pour décider d’attendre mon retour avant de prendre la moindre décision. Rendez-vous fut pris pour le 10 Octobre, c’est ? dire seulement après la célébration du 40éme anniversaire de la R.D.A. Fin septembre, début octobre, je pus reprendre mes activités au sein du Bureau Politique. Celui-ci étudia et approuva mon discours solennel auquel furent apportés divers amendements. Personne ne proposa cependant d’en transformer fondamentalement le contenu. Après que la direction de la F.D.J. ait transformé le défilé du 40e anniversaire en une super-fête dédiée ? Gorbatchev des incidents et des heurts se produisirent ? proximité du Palais de la République où se tenait la réception officielle. Des gens essayaient de submerger les postes de sécurité disposés autour du palais pour troubler la cérémonie. Il s’agissait, a-t-on appris ensuite, de saluer Gorbatchev qui depuis lors est devenu citoyen d’honneur de Berlin. J’avais vainement demandé, fin septembre, aux autorités compétentes d’interdire une vaste zone autour du bâtiment. Cela aurait permis de protéger efficacement les célébrations officielles et les chefs d’État hôtes de la R.D.A.

Voil ? le contexte dans lequel se préparait la séance du BP prévue pour les 10 et 11 Octobre. Je rencontrais Egon Krenz la veille. Ii sortit de sa serviette une proposition de résolution qu’il voulait faire adopter le lendemain par le Bureau Politique. il me remit en même temps un document provenant de la direction de la F.D.J. et élaboré par l’Institut de Recherche sur la Jeunesse. Il s’agissait, dans l’intérêt d’une prétendue « rénovation » de la R.D.A., de remplacer les responsables du pays, depuis l’administration centrale jusqu’aux arrondissements ruraux par des cadres de la F.D.J..

J’attirais l’attention d’Egon Krenz sur la non-opportunité de son projet. Celui-ci ne pouvait être élaboré qu’ ? l’issue de la réunion du Bureau Politique afin de pouvoir prendre en compte tous les points de vue que les camarades exprimeraient lors de la réunion. J’étais pour ma part opposé ? ce projet parce qu’il faisait référence ? un « tournant » dans l’activité du Parti et de l’Etat. Son contenu mettait déj ? en cause l’appareil de l’Etat socialiste. Mais, visiblement, il avait été élaboré en commun avec un groupe déterminé de membres du Bureau Politique ainsi qu’avec certaines personnes ? Moscou.

Chacun, lors de la séance du lendemain, considéra la situation comme sérieuse. Une déclaration du Bureau Politique s’imposait. Je défendis mon point de vue : le texte devait appeler clairement le Parti et la population ? se mobiliser pour défendre le pouvoir ouvrier et paysan. J’étais contre toute allusion ? un « tournant » qui ne pouvait que déboucher sur l’exacerbation des sentiments dans le Parti et les masses populaires. Je le fis savoir sans ambigüité.
Le Bureau Politique était certes disposé ? apporter quelques transformations rédactionnelles au projet d’Egon Krenz. il n’était nullement prêt ? me suivre et ? affirmer que toute ligne politique mettant l’accent sur des « changements » serait nuisible. L’état d’esprit général avait évolué. Mes « collègues » envisageaient désormais de me libérer de mes responsabilités. C’était devenu visible.

C’est Willy Stoph qui, dès la session suivante, déposa une motion allant dans ce sens. Mais, dans de telles conditions, j’étais de toute manière disposé ? démissionner. Je le fis savoir dans le courant de la discussion.

Tout ceci avait fonctionné comme le mécanisme d’une horlogerie précise, car chaque pas en avant dans cette direction avait été réglé en accord avec Gorbatchev, ainsi que cela fut révélé ultérieurement. ma maladie de début juillet avait déj ? donné l’occasion ? la presse occidentale de présenter la R.D.A. comme un Etat dépourvu de direction politique.

La proposition d’opérer un « tournant » en faveur de la politique gorbatchévienne advint dans un contexte où le mécontentement des masses populaires et l’indécision de la direction politique n’ont pas manqué d’être fatals ? la R.D.A.. Le projet de « tournant » avait été concocté entre Gorbatchev, Krenz, Modrow, Harry Tisch et Markus Wolf. Cette idée était aussi erronée que celle de Glasnost et de Pérestroïka elle-même. La « rénovation » de la R.D.A. conduisit directement ? l’« Anschluss » de celle-ci ? la R.F.A. capitaliste. Tandis qu’Hans Modrow, pressenti pour devenir Premier Ministre de la R.D.A. sur les conseils de Gorbatchev, rêvait ? une meilleure R.D.A., Gorbatchev lui-même déclarait déj ? ouvertement que l’unité de l’Allemagne était l’affaire des Allemands eux-mêmes.

La déclaration qui fit connaître publiquement le « tournant » fut en pratique le démarrage pour toutes les étapes qui suivirent : abandon du rôle dirigeant du Parti, démission collective du Bureau Politique et du Comité Central ainsi que du Gouvernement de la R.D.A. tout entier ; directive décrétant le remplacement systématique de tous les secrétaires de district et d’arrondissement du Parti ; dissolution d’organes de l’Etat ; autodissolution des groupes de combat de la classe ouvrière et beaucoup d’autres choses encore.

La nouvelle direction du S.E.D./P.D.S. engagea une campagne de calomnies démesurées contre les principaux éléments de l’ancienne direction. Les mass-médias emboitèrent le pas. Ils y furent incités par Günther Schabowski, ancien membre du B.P.

Un meeting organisé le 4 Novembre sur l’Alexanderplatz par un groupe de gens de culture qui bénéficiaient du soutien de la direction berlinoise du Parti atteignit le peint culminant de tout ceci. Parmi d’autres orateurs, Markus Wolf, qui avait été durant de longues années l’adjoint du Ministre de la Sécurité d’Etat, déclara devant l’auditoire que l’on pouvait enfermer sans trop de scrupules toute la vieille garde, ce qui advint effectivement après qu’une demande eut été adressée par Modrow et Krenz ? cette fin aux services du procureur général. Toutes les subtilités de langage ne sauraient faire oublier que les premières arrestations, c’est ? dire le début du processus de criminalisation de responsables du S.E.D. eurent lieu durant la période où ils étaient en fonction. Aujourd’hui, chacun peut entretenir avec ces individus les relations qu’il désire, Les choses atteignirent un paroxysme tel que fin janvier je fus interné provisoirement ? la clinique de la Charité et ce après la lourde opération d’une tumeur au rein. Malgré les furieux efforts du ministère public, le tribunal de Berlin refusa d’approuver le mandat d’amener. Lorsqu’on analyse aujourd’hui ces processus et que l’on prend en compte tout ce qui fut rendu public par la suite, il apparaît clairement que seule l’activité conspiratrice de divers membres du Bureau Politique, de collaborateurs de l’appareil du Comité Central et de nombreux dirigeants du Ministère de la Sécurité d’Etat permit la décapitation de la direction du S.E.D. et de la R.D.A.. La pression déterminante pour la capitulation du Bureau Politique vint de Moscou au moment du « tournant ». Notons entre parenthèses que les camarades Hermann Axen, Heinz Kessler, Willy Stoph, Günther Kleiber et Erich Mielke restèrent fidèles ? leur passé lors de leur interrogatoire par le procureur de la R.D.A. La confiance inébranlable des membres de l’appareil d’Etat et du Parti envers l’Union Soviétique avait donc été détournée de ses finalités pour servir ? la capitulation. Avec Hans Modrow ? la tête du ministère et Gregor Gysi ? la direction du P-D-S., s’installait un groupe dirigeant dans lequel Gysi et Markus Wolf jouèrent un rôle moteur.

La veille du 10e Plénum du Comité Central, Egon Krenz m’apprit que Gorbatchev avait parlé avec lui et qu’il devait encore aiguiser le contenu de son discours. Je lui dis « si tu estimes cela nécessaire, fais-le, c’est ton affaire ». C’est seulement après la session qu’il devint clair pour moi que le contenu demandé par Moscou conduisait finalement ? ce que la politique menée jusque-l ? soit diabolisée et avec elle les responsables dirigeants du S.E.D. dans la mesure où ils défendaient au Bureau Politique des positions qui ne correspondaient pas ? celles de Moscou. Il s’agissait des camarades Hermann Axen, Heinz Kessler et Günther Kleiber. Le rôle de Wemer Krolikowski est intéressant dans ce contexte, puisqu’on sait d’après ses propres déclarations qu’il travaillait depuis plus d’une décennie pour le K.G.B. et envoyait régulièrement des rapports ? Moscou. On peut aussi lire dans son livre que des procédures judiciaires furent engagées contre les camarades dirigeants, ? l’initiative de Krenz et Gysi et avec le soutien de Markus Wolf.

Le Congrès extraordinaire du S.E.D/P.D.S. se tint début décembre 1989. Son déroulement fut orchestré par Markus Wolf qui était membre de la commission de préparation. Les membres sortants du Comité Central et du Bureau Politique ne purent y prendre la parole.

Cela démontra que la démission collective du Bureau Politique avait été une erreur. La R.D.A. se retrouva sans direction. La constitution du P.D.S. déboucha sur un Parti qui non seulement ne dirigeait pas, mais qui de plus se refusait ? donner des orientations. Je dois dire avec le recul du temps que, du fait de la pression exercée par Gorbatchev, les membres du Bureau Politique n’entrevoyaient aucune autre issue que celle consistant ? approuver tous les changements sans savoir qu’ils seraient ? leur tour contraints de se retirer et que certains d’entre eux seraient arrêtés dans des conditions difficiles. Ce fut la plus douloureuse expérience pour ces camarades.

Lorsque plus tard le P.D.S. introduisit un passage sur les « crimes du S.E.D. » dans le projet de résolution du Congrès, ce fut en liaison avec les incarcérations de membres du Bureau Politique, de secrétaires d’arrondissements et de districts et de hauts fonctionnaires de l’Etat. La criminalisation venue de nos propres rangs entraîna de larges phénomènes de désolidarisation qui facilitèrent les choses lorsque les forces réactionnaires de R.F.A. entreprirent de se venger systématiquement sur les communistes et les autres éléments de « gauche ».

LA CAMPAGNE DE VENGEANCE

Je commencerai ce chapitre par une citation qui ne manquera pas d’intéresser l’opinion mondiale rendue soucieuse par l’évolution réactionnaire en Allemagne. Elle ne provient pas de la plume d’un des nombreux führers nazillons qui s’expriment ouvertement en R.F.A. Je l’ai trouvée dans le compte rendu des séances plénières du premier Forum du Ministère Fédéral de la Justice dirigé par Klaus Kinkel qui est devenu depuis lors Ministre des Affaires Étrangères. Or on peut y lire les considérations suivantes : « En ce qui conceme la soi-disant R.D.A. et son Gouvernement, il ne s’agissait même pas d’un Etat indépendant. Cette soi-disant R.D.A. ne fut jamais reconnue du point de vue du Droit des États. Il y avait une Allemagne unifiée dont une certaine partie était occupée par une bande de criminels. Il n’était pas possible, pour des raisons déterminées, d’entamer des procédures contre ces criminels, mais cela ne change rien au fait qu’il existait une Allemagne unifiée, qu’un droit unique y était en vigueur et qu’il avait vocation ? s’appliquer aux criminels ».

De telles attaques contre la R.D.A. ne peuvent être considérées que comme monstrueuses du point de vue du Droit International. Elles ne sont pas extraites d’un texte remontant ? l’époque de la Guerre Froide où la R.F.A. aspirait ? reconstituer un Reich allemand dans les frontières de 1937, mais d’une déclaration publiée sous la responsabilité d’un Ministre de Bonn au cours de l’année 1991. Notons au passage que ce Ministre ne fut jamais élu par personne au Parlement Fédéral, le Bundestag, mais désigné pour ce poste par son parti « libéral » qui représente les intérêts directs du patronat. Le monde entier et tous les membres de l’O.N.U. ? laquelle la R.D.A. appartenait savent que la pleine reconnaissance de la R.D.A. en tant qu’État souverain figurait dans de nombreux accords de Droit International. Peut-être Monsieur Kinkel l’ignorait-il ? En tant que dirigeant des services secrets, il aurait pourtant dû le savoir. Sans parler du Traité Fondamental entre les deux Etats allemands, notons que le Traité de Moscou disposait que la R.D.A. jouissait en tant qu’État de la même qualité que la R.F.A.. Cela signifie que les frontières entre la R.F.A. et la R.D.A.étaient de nature semblable ? celles qui séparent entre eux les autres États. Le Bundestag (parlement ouest-allemand) a ratifié le traité de Moscou ainsi que le Traité Fondamental par lequel les deux gouvernements allemands reconnaissaient mutuellement leur souveraineté quant aux affaires intérieures et leur indépendance dans la conduite de leur diplomatie respective. Le procès au cours duquel je devrais comparaitre se prépare au mépris de ces faits. On a recours ? la justice de vengeance ! Quelques naïfs peuvent se satisfaire ? l’idée que celle-ci ne concerne que quelques personnes ayant siégé dans les plus hautes sphères de l’État. Ils ont tort. L’ensemble des citoyens de la R.D.A. prendra bientôt conscience du fait qu’il s’agit d’un « procès prototype ». Il est destiné ? en justifier d’autres qui viseront tous ceux qui ont participé ? l’édification du Socialisme en R.D.A. en appliquant les lois de notre État.

La citation dont j’ai fait état en début de chapitre, révèle des orientations précises. Elles créent un angle d’attaque pour des opérations de persécution en masse. Si, ? la tête de la R.D.A, il y avait des individus ayant comploté des assassinats, cet État était illicite et illégitime. Tous ceux qui ont fait fonctionner ou ont simplement servi son administration sont coupables. Le Socialisme est criminel. Il en est de même des forces de gauche qui ont essayé de l’instituer et de ceux qui restent ses partisans. De telles déclarations de guerre ne visent pas que les accusés. Tous ceux qui ont pris ou prennent position pour une alternative ? la société capitaliste telle qu’elle existe en R.F.A. peuvent être concernés. Certains se refusent ? le comprendre et risquent de connaître un réveil douloureux. La criminalisation de l’État que constituait la République Démocratique déboucha sur un véritable bannissement social de la masse des citoyens de la R.D.A. Celui qui a participé ? l’édification de cet « Etat de non-droit » sera « légitimement » chassé de son poste. Ouvrier, paysan, professeur ou artiste, il devra prendre acte du fait que son expulsion de l’administration, de l’enseignement, du théâtre ou du laboratoire est « légale ». Il rejoindra l’armée des chômeurs, déj ? forte de millions de membres. On peut tout faire avec la thèse juridique de l’« Etat de non-droit » : organiser la casse de tous les acquis sociaux aussi bien que des persécutions massives contre la gauche et les forces démocratiques. Un représentant typique de l’inquisition ecclésiastique médiévale, le pasteur Gauck (Il dirige la commission chargée d’expertiser les archives de la Sécurité d’Etat de la R.D.A.) a reçu le pouvoir de séparer un peuple entier en deux éléments : les « criminels » et les victimes.

La Commission des Droits de l’Homme de l’O.N.U. n’a t- elle rien ? dire face ? cette persécution de masse qui dégénère en terreur d’État ? Les Kohl et Kinkel pensent-ils que leur campagne d’oppression ne suscitera, avec le temps, aucune résistance ? Ont-ils déj ? en vue une dictature fasciste ouverte ? Pendant que toutes ces questions me traversent dans cette cellule de Moabit, je dois, autant que mes forces me le permettent, me concentrer sur le déroulement concret du procès. Le parquet de R.F.A. s’efforce dans son acte d’accusation, de faire en sorte que ce procès de Berlin, procès des communistes, sorte du temps et de l’espace l’activité du Conseil National de Défense de la R.D.A.. Il s’agit ainsi de mieux établir la responsabilité personnelle des accusés : H.Kessler, Fritz Streletz, Hans Albrecht et moi-même.

Les systèmes d’armes du Pacte de Varsovie et de l’O.T.A.N.étaient échelonnés en profondeur au centre de l’Europe. Cette accumulation massive de forces militaires nécessitait une attention de tous les instants. Une coïncidence de hasards malheureux aurait pu en effet provoquer l’éclatement d’un conflit dont la dimension aurait pu être celle de la Troisième Guerre Mondiale. Il suffit, pour s’en convaincre, de consulter les documents officiels de l’O.T.A.N. et du Pacte de Varsovie se rapportant ? cette question.

Au cours des 35 dernières années, le danger d’une apocalypse nucléaire plana trop souvent au-dessus de l’Europe. Un tel conflit aurait sérieusement remis en cause les chances de survie de l’humanité sur la terre entière.

Une politique active de raison et de bonne volonté contribua, du fait de la R.D.A, ? conjurer ce danger. Les citoyens de la R.D.A. et également ceux de la R.F.A. sont redevables des jours qu’ils ont vécus dans la paix ? l’action de la première au sein de l’alliance de Varsovie. Quelle sera la durée de cette paix dans l’avenir ? Voil ? qui pose question puisque des forces dominantes poussent désormais la Grande Allemagne ? engager ses troupes n’importe où dans le monde. La direction du S.P.D. apporte d’ailleurs sa contribution active ? cette évolution. Puisque Berlin joue un rôle important dans la vie politique allemande, il me semble conforme aux exigences de l’Histoire d’attirer au moins une fois l’attention sur le fait que Berlin-Ouest profita, et pas dans une petite mesure, de la politique de paix menée par le Pacte de Varsovie. Cette ville occupée par les puissances occidentales : la France, la Grande-Bretagne et les États-Unis, bénéficia du Traité de Moscou entre l’Union Soviétique et la R.F.A., des traités de Prague et de Varsovie, de l’accord quadripartite au sujet de Berlin signé le 3 Septembre 1971 et du Traité Fondamental entre la R.F.A. et la R.D.A.. Ces démarches des quatre grandes puissances, des deux Etats allemands et des autres partenaires ? ces traités furent des pas décisifs pour que l’Europe et le Monde évoluent d’une période de confrontation ? une période de coopération. On ne doit pas oublier que la signature de tous ces traités advint alors que les mesures de sécurité adoptées en 1961 étaient en vigueur.

Le système des Traités signés en 1971 et en 1972 ouvrit la voie au processus d’Helsinki. Léonid Brejnev et Willy Brandt en furent ? l’origine. Dans tous les pays, des forces de droite s’efforcèrent de le troubler, même Gérald Ford, Président des Etats-Unis ? cette époque s’était heurté ? une forte opposition, ainsi qu’il me l’expliqua lors de nos entretiens ? Helsinki. Si l’on se représente aujourd’hui ces évènements on est obligé de convenir que la crise de Berlin fut endiguée par la décision adoptée par le Pacte de Varsovie le 5 Août 1961. Sans cette solution, le climat ne se serait pas amélioré en Europe, bien au contraire. Une tache d’huile ? l’extension incontrôlée pouvait s’enflammer ? tout moment ? la frontière entre les deux États allemands ou entre la R.F.A. et Berlin-Ouest. La décision prise par le Pacte de Varsovie d’assurer un contrôle fiable ? la frontière entre la R.D.A. et Berlin-Ouest fut une décision qui conduisit ? une réévaluation des données de la politique mondiale.

Le système européen des traités fut l’expression de cette évolution. Il illustra le fait que seule la coopération d’États ? systèmes sociaux différents pouvait garantir la paix. La période ayant précédé les mesures prises en août 1961 fut marquée par un niveau important de confrontation entre l’Union Soviétique et les États-Unis. De 1958 ? 1961, le chef du Gouvernement soviétique s’efforça de réaliser sa proposition d’un Traité de Paix avec l’Allemagne, puis, quand la mise en œuvre de ce projet se fut avérée impossible, envisagea, encore au cours de l’année 1961, la transformation de Berlin-Ouest en ville libre. Tout cela provoqua, du fait des réactions négatives des puissances occidentales, une grande nervosité, pas seulement dans les cabinets ministériels et les chancelleries, mais aussi dans les états-majors. Il y eut une rencontre entre Khrouchtchev et Kennedy ? Vienne. Elle ne déboucha sur aucun résultat et tout semblait dès lors sur le fil du rasoir.

Le monde se dirige t-il ainsi vers les décisions qui furent prises le 5 Août 1961 par les instances du Pacte de Varsovie réunies pour une séance au Kremlin ? André Gromyko, longtemps ministre Soviétique des affaires étrangères, a énoncé les raisons pour lesquelles les puissances occidentales ne se sont pas montrées disposées ? résoudre la question allemande en concertation avec l’Union Soviétique. Pour Adenauer (2), le pouvoir exercé sur la R.F.A.était visiblement plus précieux qu’une Allemagne réunifiée. Dans ces conditions, la direction soviétique considéra qu’il était nécessaire de garantir d’une manière fiable la frontière entre la R.D.A. et Berlin-Ouest. Il s’agissait de protéger la communauté des Etats socialistes contre des dommages supplémentaire
(2) Premier chancelier de l’Allemagne Fédérale (1949-63), fondateur
de la C.D.U., actuel parti de Kohl.
Ceci dans un contexte où les puissances occidentales répondaient aux propositions de paix de l’Union Soviétique par une relance de la course aux armements. André Gromyko rappelle que les événements survenus dans la nuit du 12 au 13 Août correspondaient aux propositions faites par l’Union Soviétique ainsi qu’aux décisions prises le 5 Août. Elles furent exécutées sous les ordres du maréchal soviétique Koniev. Dès septembre 1961, celui-ci demanda en outre ? Heinz Hoffmann, ministre de la défense de la R.D.A., que soient installés des champs de mines supplémentaires destinés ? garantir la frontière occidentale contre toute intention agressive venue de l’Ouest.

Tout ceci fut mis en œuvre conformément au Traité d’alliance entre l’Union Soviétique et la R.D.A. applicable jusqu’en 2005 ainsi qu’aux plans opérationnels élaborés par le commandement suprême des forces du pacte de Varsovie. Les directives ayant trait au partage de l’Allemagne en quatre zones étaient consécutives aux résultats de la Seconde Guerre Mondiale. Il en était de même du transfert aux autorités polonaises des régions situées ? l’est de l’Oder et de la Neisse, des questions relatives aux frontières entre la R.D.A. et la R.F.A. ainsi qu’entre la R.D.A. et Berlin-Ouest. Tout ceci constituait la « responsabilité sur l’Allemagne dans son ensemble » exercée par l’Union Soviétique en commun avec les autres puissances victorieuses. J’en profite pour le faire savoir clairement ici. Dans ce cadre, la R.D.A. a rempli les obligations qui étaient les siennes vis- ? -vis de son alliée, exactement comme le faisait la R.F.A. vis- ? -vis de l’O.T.A.N.

KOHL ET LES RELATIONS AVEC BONN

Le retrait d’Helmut Schmit et l’élection de Kohl au poste de chancelier fédéral créèrent une situation nouvelle dans les relations interallemandes. Le parti qu’il dirigeait, la C.D.U., s’était en effet efforcé de faire obstacle ? tous les pas en avant survenus dans le lent processus de normalisation des relations entre la R.FA. et la R.D.A.

Je pense ? Willy Brandt, Helmut Schmidt, Herbert Wehner et Egon Bahr. Ils avaient brisé la glace et entrepris de créer les conditions de la signature du Traité Fondamental. Celui-ci fut suivi de l’entrée de la R.D.A. et de la R.F.A. ? l’O.N.U. en tant que membres jouissant de droits égaux. De telles évolutions avaient constitué un tournant de la politique européenne. Le contexte évoluait peu ? peu de la confrontation ? la coopération. La confrontation n’avait cependant pas cessé de côtoyer la coopération. La C.D.U. de Kohl et la C.S.U. de Strauss n’avaient cessé de manifester une opposition des pis violentes ? la politique de normalisation. L ? -dessus se produisit la démission de Willy Brandt. Celui-ci dut quitter son poste ? la suite de l’affaire Guillaume, une faute des services secrets de la R.D.A. que rien ne peut excuser. C’est seulement la conférence d’Helsinki qui ouvrit le chemin vers la coopération avec le Gouvernement de la R.F.A. grâce ? ma rencontre avec Helmut Schmidt. Il y eut ensuite la visite de ce dernier en R.D.A. Celle-ci déboucha sur des résultats positifs bien que sa fin ? été troublée par la soudaine proclamation de l’état de siège en Pologne par W. Jaruzelski (Les accords d’Helsinki furent signés en 1975 ; la visite d’Helmut Schmidt eut lieu ? la fin de 1981).

Quelque temps plus tard, alors que des perspectives semblaient s’ouvrir aux relations inter allemandes, Helmut Schmidt dut abandonner brusquement son poste de chancelier ? la suite de la rupture de la coalition social- libérale ? Bonn. Helmut Schmidt me téléphona pour m’informer de ses intentions. Je lui exprimais mes regrets pour ce prochain retrait et mes remerciements pour la qualité de la coopération réalisée avec lui. L ? -dessus, le chancelier Kohl. Aucun de nous ne savait quel visage prendrait l’avenir des relations entre la R.F.A. et la R.D.A. Il s’agissait de l’homme qui dirigeait depuis des années l’opposition au Bundestag. Systématiquement, il avait pris position contre toute amélioration des relations avec la R.D.A. Désormais, il était chancelier. Sa déclaration de politique générale jeta cependant une lueur en se prononçant pour la poursuite de la mise en œuvre des Traités de l’ost-politik. Les relations inter allemandes pouvaient continuer et se développer. Il s’agissait d’une question importante ? cette époque peur réduire le niveau de confrontation et valoriser la coopération entre Etats ? systèmes sociaux différents.

Notre objectif principal était d’établir des relations normales entre les deux Etats allemands : le socialiste et le capitaliste. Il y allait de l’intérêt de la paix et des citoyens des deux États.

Utilisé une dernière fois par Helmut Schmidt, le téléphone sonna un jour chez moi. On me demanda si et quand je serais disposé ? parler au chancelier Kohl. Naturellement, j’étais prêt. Cette conversation téléphonique porta sur la poursuite des relations entre la R.F.A. et la R.D.A. après le changement de Gouvernement ? Bonn. Nous échangeâmes des propositions au sujet de futures rencontres entre nous. Tout ce qui devait être discuté cette occasion figure dans des procès-verbaux (annexés ? l’édition allemande).

Notre rencontre fut rendue possible par une triste occasion : l’enterrement de Tchernenko (E. Honecker et H. Kohl avaient cependant tout deux assisté ? l’enterrement de Andropov en 1984. ).

Elle eut lieu le 12 Mars 1985 dans une maison de réception du Gouvernement soviétique dans les Monts Lénine de Moscou. Dans une atmosphère ouverte, nous prîmes des dispositions de principe pour l’avenir de nos relations. Le chancelier s’efforçait visiblement de créer une bonne ambiance pour la visite que je projetais de faire ? Bonn.

Celle-ci eut lieu en 1987. A Moscou il avait été question des problèmes du maintien de la paix sur la base de l’existence de deux États allemands souverains et dans le respect de leur indépendance et de l’inviolabilité de leurs territoires. Une déclaration finale fut élaborée par Teltschik et Hermann, respectivement collaborateur de Kohl pour les affaires étrangères et secrétaire d’État de la R.D.A. Nous y exprimâmes fermement notre volonté que seule la paix parle ? l’avenir du sol allemand.

Dans les intervalles entre les séances de travail, j’eus l’occasion de discuter avec Kohl de la résistance ? Hitler en Allemagne, de l’action de Hans et Sophie Scholl [5] et d’autres choses. Nous convînmes d’un délai pour une affaire importante : ma visite officielle en R.F.A.. C’était d’abord une question de convenances. Il s’agissait de rendre la visite effectuée en R.D.A. par Helmut Schmidt. Bien entendu, il était par ailleurs nécessaire d’améliorer autant que possible les relations entre la R.F.A. et la R.D.A. On sait que notre rencontre de Moscou avait permis d’améliorer les possibilités de circulation entre la R.D.A., d’une part, la R.F.A. et Berlin-Ouest d’autre part. Plus tard j’eus des rencontres avec des dirigeants du S.PD. Les gouvernements des deux pays déterminèrent la date de ma visite officielle.

Je me dois de révéler ce qui suit ? ce sujet : ma visite en R.F.A. aurait dû avoir lieu dès 1981. Le principe en avait été discuté avec les directions de la C.D.U. et du S.P.D. Alors parut dans la « Pravda » un violent article portant comme titre : « sur une voie erronée. » Il s’agissait du projet de visite. Je n’hésitais pas ? appeler Tchernenko au téléphone. Il était en vacances et nous convînmes d’un rendez-vous ? Moscou. Participèrent ? cette rencontre les camarades Hermann Axen, Kurt Hager et Erich Mielke pour la R.D.A., Tchernenko, Gorbatchev, Oustinov, Tchebrikov, Roussakov et Gritchenko y représentaient la direction soviétique.

J’exprimais clairement mon point de vue : cet article était calomnieux pour la R.D.A. Tous ceux qui étaient présents s’exprimèrent. Gorbatchev conclut pour le côté soviétique. Il expliqua longuement pourquoi cette visite ne devait pas avoir lieu. Je répondis que nous ne pouvions pas décider de cette question tout de suite. Cette décision serait prise ? Berlin. Les résultats de cette rencontre sont néanmoins connus : la visite en R.F.A. fut retardée de trois ans

Je fus reçu amicalement ? Bonn en Septembre 1987. Pour la première fois, on y entendit l’hymne national de la R.D.A. L’hommage qui convenait fut rendu ? son drapeau. Au contraire du contenu de nos entretiens privés qui s’étaient déroulés dans un esprit constructif, les discours publics de Kohl furent émaillés de propos agressifs. Il est connu que j’y répondis lors d’une réception officielle en introduisant dans mon discours le passage suivant : « le socialisme et le capitalisme sont aussi peu susceptibles de se mélanger que l’eau et le feu ». Cependant, avec le recul du temps, je dois dire que les négociations se déroulèrent avec une volonté certaine d’obtenir des résultats concrets. Elles furent positivement commentées par les médias en R.D.A. Mais le contenu des discussions prouva que les discours prononcés ? Moscou sur la fin de la division de l’Allemagne en deux États avaient rencontré un certain écho.
(Le procès-verbal des discussions de chaque séance a été publié dans l’édition allemande).

Le chancelier Kohl effectua, c’est une anecdote, une visite non officielle en R.D.A., de Weimar ? Dresde, en 1988. Les médias s’abstinrent de le faire savoir.

AU SUJET DE LA COEXISTENCE PACIFIQUE

Aujourd’hui, on dépense beaucoup de temps et de papier ? tenter de prouver que la politique de coexistence pacifique d’États ? systèmes sociaux différents causa la mort de l’U.R.S.S. et la fin du Pacte de Varsovie. Ce point de vue n’est pas soutenable, cela va de soi. Il n’y avait pas d’alternance ? la politique de coexistence pacifique et ce depuis la Révolution d’octobre. Certes le terme lui-même ne fut utilisé que plus tard dans la vie politique et scientifique. Il est connu que l’Inde introduisit cette expression dans le vocabulaire diplomatique en formulant les « cinq points de la coexistence pacifique » qui furent adoptés ? la conférence de Bandung (1955). Mais plus tôt déj ? , tout de suite après la Révolution d’Octobre, les bolcheviks se trouvèrent devant la question de la « cohabitation » d’États socialistes et capitalistes et de son avenir. Lénine avait de grands doutes sur la capacité de l’Union Soviétique ? durer et sur l’avenir du Socialisme en cas d’échec de la révolution en Allemagne. Il fit cependant une série de propositions pour assurer la sécurité du pouvoir soviétique dans une situation où les pays capitalistes continuaient ? dominer ? l’Ouest.

On connaît les controverses que les négociations de Brest-Litovsk provoquèrent au comité central du parti russe. On sait que Lénine se prononça pour la signature immédiate d’un traité de paix dans l’intérêt de la consolidation du pouvoir des Soviets. Trotski, qui dirigeait les négociations proposait au contraire de les interrompre tant que le Gouvernement impérial allemand maintiendrait son attitude expansionniste. Le Comité Central soutint Trotski. Cela conduisit ? la perte de vastes territoires.

Les troupes de Guillaume II s’emparèrent de grands secteurs de l’Ukraine et du Caucase. [6]

Cela ne cessa que lorsque Lénine menaça de démissionner du C.C. si les négociations ne reprenaient pas immédiatement pour aboutir ? un traité de paix avec l’Allemagne. Certes, Lénine n’avait pas pour point de vue que la coexistence de pays aux ordres sociaux différents se passerait sans trouble ni problème. Il défendait néanmoins, jusqu’ ? sa mort en 1924, une position sans ambigüité : la coexistence pacifique est possible moyennant la prise en considération des oppositions existantes. Ce qui se passa durant cette période, et notamment le Traité de Rapallo [7], confirma la justesse de ce point de vue.

Déj ? , lors de mon séjour ? Moscou et dans d’autres régions de l’Union Soviétiques, au cours des années 1930-31. J’en vins ? la ferme conviction qu’il n’y avait rien de plus sacré pour la direction de l’Etat et du Parti soviétique que de conserver la paix pour poursuivre la construction du Socialisme. Cette direction se refusait de ce fait ? exporter la Révolution. J’évoque cela ici pour souligner que la politique de coexistence pacifique qui fut plus tard popularisée par Khrouchtchev, lequel usa largement de la formule, était déj ? depuis longtemps un élément fondamental de la politique étrangère soviétique. Tchitchérine (Commissaire du peuple aux affaires étrangères de l’U.R.S.S. de 1918 ? 1930) et plus tard Litvinov (Successeur du précédent jusqu’en 1939) considérèrent l’un comme l’autre de la même manière que la lutte pour la paix et la coopération pacifique entre Etats ? systèmes sociaux différents constituait le contenu principal de la politique étrangère soviétique. Il n’y a aucun doute que ceci fut vrai pour la politique étrangère soviétique lorsque Staline y joua un rôle prééminent (C’est ? dire, semble-t-il durant la période 1939-1953 bien qu’il fût secrétaire général depuis 1922).

Ce fut une des bases de la puissance croissante de l’U.R.S.S. au cours des 75 années de pouvoir des Soviets. Il est connu que les mêmes principes guidèrent la politique étrangère de la R.D.A. dès la création de notre Etat. Il n’aurait tout simplement pas été possible d’en adopter d’autres. La R.D.A. avait reçu une place déterminée en Europe. C’était le résultat de la Seconde Guerre Mondiale et de l’immédiat après-guerre. Dès sa création, elle dut s’affirmer contre la prétention de la R.F.A. ? représenter toute seule l’Allemagne et contre les violations des affaires intérieures de la R.D.A. auxquelles Bonn ne cessait de se livrer. Elle y a réussi aussi longtemps que l’Union Soviétique porta sa part du poids de cette politique. La R.D.A.était fiable et fidèle ? ses alliances. L’aspiration de la R.F.A. ? reconstituer l’Allemagne dans ses frontières de 1937 nourrissait le revanchisme et soufflait continuellement les braises de la confrontation.

Lorsqu’on négocie aujourd’hui sur les questions européennes, c’est en présence de la R.D.A. bien que celle-ci soit défunte. La reconnaissance internationale de la ligne Oder-Neisse n’aurait pas été possible sans la politique de la R.D.A.. Celle-ci négocia et ratifia le traité de Görlitz (Traité par lequel la R.D.A. reconnut sa frontière avec la Pologne) et se préoccupa de garantir le caractère pacifique de la nouvelle frontière avec la Pologne. Même la frontière maritime entre la R.F.A.élargie et la Pologne, en mer Baltique, résulte des accords passés entre la R.D.A. et la Pologne Populaire. La Pologne aurait toutes les raisons d’exprimer sa considération pour la politique intérieure et extérieure de la R.D.A. Pour nous communistes aussi, il ne fut pas facile d’accepter qu’Hitler, son bellicisme et sa guerre de pillage et d’extermination avait provoqué la perte des régions situées ? l’Est de la ligne Oder-Neisse. Nous rencontrions sur cette question l’incompréhension des électeurs parmi lesquels on comptait près de 4,3 Millions de « personnes déplacées » de ces régions.

Par rapport ? la situation d’avant-guerre, celle-ci s’étendait de 100 000 km2 au détriment de l’Allemagne.
L’alliance de la R.D.A. avec l’U.R.S.S., la Pologne et la Tchécoslovaquie incorporait notre État dans le Pacte de Varsovie. C’était d’une grande signification pour la paix. La R.D.A. est toujours restée disposée ? remplir ses obligations d’État signataire du Traité de Varsovie. Située dans le centre de l’Europe, elle se considérait comme un allié stratégique pour l’Union Soviétique. Elle fit tout pour être une seconde patrie pour les forces armées soviétiques et leurs membres.

SUR LA R.D.A.

Les évènements qui ont mis fin ? l’existence de la R.D.A. furent particulièrement tragiques. Avec la Tchécoslovaquie, notre pays était l’Etat socialiste le plus développé. Une alternative crédible au système impérialiste. Les femmes et les hommes de la première heure, les bâtisseurs du socialisme en R.D.A. avaient su faire beaucoup. Leurs réalisations resteront dans la mémoire du peuple et pèseront sur l’avenir. Nombreux sont ceux qui regrettent ? présent ce qui leur était cher en R.D.A. : une totale sécurité en matière sociale, garantie par le caractère socialiste des rapports de production.

Bien que de nombreuses erreurs et insuffisances aient affecté ce socialisme-l ? , personne n’est en mesure ni ne peut s’attribuer décemment le droit de dénigrer ces réalisations des travailleurs. Nous ne pouvions modeler le socialisme selon des désirs arbitraires et faire fi de l’expérience accumulée en Union Soviétique. Cela n’aurait été ni possible ni justifié, car les premiers pas que nous avons faits sur cette voie, nous les avons appris des autres pays qui, justement, construisaient le socialisme. De nombreux travailleurs de la R.D.A.étaient fiers de parler de « leur entreprise ». C’était un pas en avant, d’une grande signification, qui déterminait de manière croissante l’ensemble des conditions de vie et qui générait dans le même temps une multitude de problèmes. Il s’agissait de questions cruciale telle la construction de logements, les conventions collectives, les possibilités de vacances offertes ? tous ? des prix abordables. Il s’agissait d’ouvrir la voie des universités aux enfants d’ouvriers et de paysans. C’est toute la société qui devait être réorganisée, cette société que nous avaient léguée les capitalistes et les propriétaires fonciers, cette société marquée par le fascisme et par la guerre. Qui sait si tout cela fut fait correctement ? Nous ne disposions pas en 1945 des cadres nécessaires pour diriger l’industrie et l’agriculture. Personne ne savait qui pourrait prendre la tête d’entreprises comme Buna ou Zeiss. Cette question ne fut résolue que plus tard, après un puissant effort de formation et, dans beaucoup de secteurs, pas avant la fin des années 50. Une chose est claire cependant : les 2,3 millions d’anciens membres du S.E.D., pas plus que les 500 000 membres des partis démocratiques qui lui étaient alliés n’ont véritablement aucune raison de baisser la tête devant les nouveaux maîtres.

La R.D.A.était en 1989 un pays industriel moderne doté d’une agriculture compétitive et d’un système social quasiment sans exemple ailleurs dans le monde. Bien que ceci doive aujourd’hui être formulé au passé, le fait que la R.D.A. ait existé ne peut être rayé de l’histoire. Aucune campagne idéologique, quelle que soit sa violence ne peut faire cela.

La R.D.A. fut le produit de la Seconde Guerre Mondiale et des évolutions qui se produisirent immédiatement après. Le 8 mai 1945, nous n’avions encore aucune idée de la possibilité de son existence. Nous posions seulement ensemble la question de savoir comment nous continuerions de vivre ensemble.

La guerre venait de s’achever dans les ruines de Berlin. Lorsque les Alliés victorieux se divisèrent, tout devint encore plus confus pour nous. Deux Etats allemands virent le jour et non un seul.

Le peuple ne fut pas consulté sur cette question. Aucun d’entre nous n’avait auparavant envisagé cette possibilité. Les Alliés occidentaux réunirent leurs zones d’occupation en une bi puis une tri-zone.
Il y eut ensuite une réforme monétaire unilatérale, puis la création de la R.F.A., suivie de celle de la R D.A. Wilhelm Pieck, Otto Grotewohl et Walter Ulbricht (Dirigeants communistes et sociaux-démocrates réunis en 1946 dans le parti socialiste unifié S.E.D) unirent alors leurs efforts ? ceux d’Otto Nuschke, Wilhelm Kuelz et Johannes Dieckmann (Dirigeants chrétiens.démocrates et libéraux restés en R.D.A).

Il s’agissait de rendre une vie meilleure possible pour la population qui habitait désormais la R.D.A. : 17 Millions de personnes dont 4,3 millions de personnes déplacées. Dans cette action, le S.E.D. fut soutenu par des partis traditionnellement implantés dans la bourgeoisie. La R.D.A. fut fondée ? l’initiative du bloc antifasciste des partis démocratiques grâce ? un mouvement de masse très large « pour l’unité et une paix juste ». Cet Etat était né des ruines laissées par la Seconde Guerre Mondiale. Il devint un pays considéré, entretenant des relations diplomatiques sur tous les continents et participant activement aux activités de l’O.N.U.

Toute analyse de la politique de la R.D.A., qu’elle parte d’un a priori positif ou négatif, doit tenir compte de ce qui se passait en Europe et dans le monde. Dans un contexte international de plus en plus tendu, marqué durant les années 70 par la menace atomique, la R.D.A. fit partie de ceux qui prirent l’initiative, en Europe, d’un tournant de la politique internationale en faveur de la détente. Dire cela, ce n’est pas survaloriser le rôle de la R.D.A.

Celle-ci fut grandement concernée par les stationnements de missiles ? moyenne portée qui s’effectuèrent de part et d’autre de la frontière interallemande (Suite ? la décision prise par l’O.T.A.N.. en 1979 de déployer les missiles « Pershing »).

Elle eut ? dépenser pour cela des sommes de l’ordre de deux milliards de marks. Comme purent s’en convaincre ceux qui, après l’ouverture de la frontière, tentèrent d’aller chercher un scoop ? Warendorf, les militaires soviétiques affectés ? ces missiles bénéficièrent d’écoles, de jardins d’enfants, de logements en sus des installations permettant d’implanter les techniques opérationnelles.

Je voudrais de plus souligner un fait important, valable pour l’ensemble de ces quarante années. De par ses forces, le peuple réalisa beaucoup. Mais seule l’aide et l’existence de l’U.R.S.S. permirent tout cela. Brejnev, ? qui j’avais rendu visite dans un hôpital de Moscou, avait parfaitement raison de me dire le 28 Juillet 1970 que : « la R.D.A. ne peut exister sans nous, sans l’Union Soviétique, sa puissance et sa force. Sans nous, il n’y a pas de R.D.A.. L’existence de la R.D.A. correspond et exprime nos intérêts et les intérêts de tous les pays socialistes. Elle est le résultat de notre victoire sur l’Allemagne hitlérienne. L’Allemagne n’existe plus, c’est bien ainsi. Il y a une R.D.A. socialiste et une République Fédérale capitaliste ». Force fut de constater, plus tard, et ce fut douloureux pour des millions d’hommes, de femmes et d’enfants, que sans Union Soviétique, il ne pouvait plus y avoir de R.D.A.. Connaître l’histoire de l’après guerre marquée par le combat commun de ceux qui s’employèrent ? la mise en œuvre honnête des accords de Potsdam, savoir comment l’Europe glissa peu ? peu dans la Guerre Froide, c’est montrer que la R.D.A. n’avait rien d’artificiel ni de contrefait. La R.D.A. fut, pendant des décennies une patrie pour le socialisme. De cela, le peuple pouvait faire l’expérience dans sa vie devant les yeux du monde entier. Il est clair qu’aujourd’hui nous avons perdu le socialisme dans notre pays. On s’aperçoit aujourd’hui, que des forces occidentales avaient bien saisi, plusieurs années avant le « tournant » de 1989, que la Pérestroika et la Glasnost offraient une chance de liquider la R.D.A. Pourquoi ce danger ne fut-il pas reconnu ? temps, analysé en R.D.A. même et prévenu par des mesures adaptées ? Voil ? la question.

Comment expliquer l’enthousiasme avec lequel d’importants cercles d’intellectuels prirent position en R.D.A. en faveur de la Pérestroïka et de la Glasnost, alors même que l’étoile du renouveau commençait ? perdre de son éclat en Union Soviétique même ? Quoi qu’il en soit, alors que le résultat de cette erreur majeure apparaît désormais au grand jour, il nous appartient de tirer les enseignements nécessaires de cette catastrophe. Parmi les plus importants : le fait que nous ayons sous-estimé le danger nationaliste qui submergea la R.D.A. en 1989 et 1990 ; nous avons également sous-estimé l’influence des médias audiovisuels (venus de l’Ouest) sur l’opinion dans un pays divisé dont une partie seulement construisait le socialisme. Il en fut de même de l’effet des disparités économiques entre l’Ouest et nous, ainsi que du rôle de la consommation, des dangers enfin résultant de la force de la R.F.A. au sein de l’O.T.A.N. dont elle était la première puissance économique et militaire en Europe. Nous connaissions pourtant tous ces dangers. De grands efforts furent consentis et renforcèrent le poids global de la R.D.A., notamment dans les domaines économiques, politiques et idéologiques. Mais cela n’a visiblement pas suffi. Dans tous les domaines notre politique était entachée d’insuffisances. En fin de compte, nous aurions pu et nous aurions dû mieux servir notre bonne cause que nous l’avons fait. Cela doit être dit en prenant en compte la nouveauté des innombrables questions que soulevait la mise en œuvre des nouveaux rapports sociaux. Certains défis ne furent pas pris en compte en temps utile. Les réactions correctes se firent attendre. Il en fut ainsi des questions liées ? l’explosion des technologies de pointe dans un nombre limité de pays capitalistes développés. La structuration des sociétés socialistes s’en trouva freinée dans tous nos pays. Sans parler des difficultés récurrentes que les perturbations affectant les exportations et les importations causaient fréquemment au développement de la production en R.D.A.. J’évoquerais ? ce sujet la réexportation de charbon soviétique depuis la Pologne, le fer et l’acier soviétique d’importation ne correspondait pas aux normes déterminées en commun, etc...

Certains de nos propres problèmes économiques ne furent en outre pas résolus. Les solutions adaptées qui furent en général proposées ne firent pas toujours objet d’une mise en œuvre concrète. Le taux de croissance en subit les conséquences. Le gâteau ? partager était trop petit. L’internationalisation de la production, la spécialisation et la coopération étaient beaucoup moins avancées qu’ ? l’Ouest. Le C.A.E.M. avait du mal ? fonctionner efficacement et n’arrivait pas ? traiter les questions nouvelles posées par la révolution scientifique et technique. Après 1985, ces problèmes s’ aggravèrent du fait de l’affaiblissement des économies socialistes. Lorsque les livraisons de pétrole soviétique et d’autres matières premières furent réduites de manière définitive, nous eûmes du mal ? encaisser le coup. En effet, nous étions habitués ? recevoir des matières premières d’origine soviétique pour une valeur équivalente ? deux milliards de marks. La commission d’Etat pour le Plan de la R.D.A. m’invita en 1981 ? m’adresser au B.P. du P.C.U.S. Je le fis et signalais avec le plus grand sérieux que la réduction unilatérale des livraisons de pétrole et de céréales (respectivement : de 19 ? 17 et de 4 ? 3 millions de tonnes) nous contraignait ? importer du grain de l’Ouest et menaçait notre économie d’un véritable écroulement.

Venons-en ? une autre question : celle de l’élargissement de la démocratie. Elle fut posée lors du 7e Plénum en 1988. Ce fut une erreur de ne pas engager alors d’actions pour que chacun participe ? la gestion directe de la société, de l’entreprise et du quartier. Ainsi la création de conseils d’entreprises resta-t-elle un objet de discussion de même que beaucoup d’autres propositions...

Faire cependant aujourd’hui comme s’il n’y avait pas eu de démocratie dans le socialisme ou affirmer que la démocratie bourgeoise serait supérieure ? la démocratie socialiste ne correspond pas ? la réalité. Parce qu’elles sont aujourd’hui palpables pour chacun, les réalités de la société capitaliste permettent de s’en rendre compte. Il faut déchirer le voile de ce discours prétendument marxiste-léniniste qui encense la démocratie « au-dessus des classes ». Pas de véritable démocratie l ? où les hommes qui créent la valeur ne possèdent pas les principaux moyens de production. L ? où elle fonctionne, la démocratie bourgeoise ne consiste qu’en ces espaces de liberté que les travailleurs ont pu arracher au capital par leurs luttes. Le peuple est bâillonné l ? où le capital détient le pouvoir. Structures et mécanismes démocratiques n’y changent rien.

Leur fonction s’arrête l ? où le profit et les intérêts de classe sont en cause. Le peuple détient au contraire la parole sous le socialisme. Sa volonté n’y est soumise ? aucune contrainte extérieure. Il est propriétaire des moyens de production. Il s’est débarrassé de rapports d’exploitation qui, ailleurs semblent éternels comme s’ils résultaient de lois naturelles. Est-ce ? dire que nos structures démocratiques étaient suffisantes ? Il n’y a aucun doute que tel n’était pas le cas et c’était visible dans nombre de secteurs. Des perfectionnements et des corrections s’imposaient, mais lesquels ? La participation des citoyens ? la résolution des questions décisives, leur conscience de propriétaire étaient insuffisantes. Nos principes étaient les mêmes pour ces problèmes que pour la plupart des autres : ce qui était en cours d’édification devait être achevé. « Sauvegarde de la continuité et nécessaire rénovation », tel était notre mot d’ordre. Nous ne fûmes jamais contre des réorganisations fondamentales débouchant sur l’adoption de nouvelles orientations. Encore fallait-il que celles-ci fassent progresser la construction du socialisme. Il suffit pour se convaincre de ceci de se reporter ? de nombreux documents de notre parti ainsi qu’aux orientations officiellement adoptées par les organes de l’Etat.

Nous étions cependant opposés ? ce type de « rénovation » qui, mis en œuvre en Union Soviétique devait conduire ? l’abandon du socialisme, expérience douloureuse. Il est d’ailleurs complètement faux d’affirmer que la R.D.A. aurait combattu la ligne proposée par Gorbatchev dès que celui-ci devint Secrétaire Général du P.C.U.S. Rappelons aux calomniateurs que les documents édités par ce parti et initiant la restructuration furent plus diffusés en R D.A. que dans aucun autre pays socialiste. Appliquer mécaniquement en R.D.A. des changements qui découlaient directement de problèmes conjoncturels propres ? l’Union Soviétique dans une phase donnée de son développement n’aurait cependant eu aucun sens. Tel était notre point de vue ? l’époque et j’en reconnais aujourd’hui toute la justesse.

Les insuffisances de notre travail idéologique pesèrent lourd. Nous avons beaucoup fait mais des questions nouvelles étaient posées par la vie. La qualité de notre propagande laissait ? désirer. Nous discutâmes de cela ouvertement lors de la rencontre entre le C.C. du S.E.D. et les secrétaires d’arrondissement qui eut lieu le 12 Février 1988 (Chacun des quinze districts de R.D.A.était divisé en arrondissements)

Quels étaient les problèmes décisivement nouveaux dans ce domaine ? D’importants moyens y étaient investis par l’adversaire. A la suite d’Helsinki se déclencha la campagne sur les « Droits de l’Homme », ? laquelle nous eûmes tort de ne pas répondre. Ce n’est pas nous qui avons réclamé que les Droits élémentaires de l’Homme soient respectés. Drapés de l’étendard de la liberté, les Impérialistes réclamaient ? cor et ? cri ces mêmes droits qu’ils foulent aux pieds dans les pays qu’ils dominent. Notre approche de ce problème était beaucoup trop faible en théorie et en pratique. Bien des choses étaient d’ailleurs difficiles ? réaliser dans les conditions de la R.D.A. Je pense seulement ici ? l’extension des possibilités de voyager.

Y avait-il du schématisme dans le travail idéologique ? Oui, il y en avait. Le fait de défigurer l’ histoire du socialisme rendit le travail idéologique plus difficile ? effectuer dans la jeunesse. Ceux qui se réclamaient d’un communisme sans tâche pour souligner les échecs et les erreurs jouèrent un rôle de désagrégation. Beaucoup y perdirent leur foi dans les idéaux socialistes. Révéler les faiblesses et les erreurs était un aspect nécessaire pour clarifier ce qui devait être mieux fait dans l’avenir et le présent. Il fallait en tirer les enseignements. Mais qu’est-ce qui a agi pour désorienter tout le monde ?

Il y eut une entreprise de prise de distance radicale avec l’histoire du socialisme. Celle-ci se déroula au travers des médias mais aussi par la diffusion de livres, au cours de représentations théâtrales. Le socialisme apparaissait comme le chemin du crime et de la tromperie. Précisons ? ce propos que le Président du P.D.S. participa plus tard ? cette campagne en caractérisant le S.E.D. comme un parti réactionnaire et le socialisme comme une forme de féodalisme. Des doutes furent semés, nos idéaux furent ébranlés.

Quels immenses efforts avaient cependant mis en œuvre le K.P.D. et plus tard le S.E.D. pour rendre plus proche pour les Allemands l’œuvre l’édification réalisée par les Soviétiques et l’histoire du premier Etat socialiste ! On peut dire qu’ ? la lettre, un peuple fut rééduqué et transformé d’ennemi en amis de l’Union Soviétique. Les conditions historiques et politiques firent que les communistes et les antifascistes allemands se refusèrent ? laisser ouvert quelque espace de discorde que ce soit où l’on aurait pu ergoter sur le rôle historique mondial de l’Union Soviétique. Il n’y eut cependant pas de silence gêné sur la période de Staline, si douloureuse lors d’une phase déterminée de l’histoire.

On nous a reproché d’avoir idéalisé le rôle de l’Union Soviétique. C’est possible, mais avions-nous le droit de traîner ce pays dans la boue alors que le camp occidental déclenchait constamment des campagnes idéologiques haineuses contre lui ? C’était pour nous le porte-drapeau du socialisme. A-t-on oublié que Reagan avait assimilé l’Union Soviétique ? un « empire du mal » devant être décapité ? Le S.E.D., la majorité du peuple et des générations entières avaient été éduqué dans l’esprit d’une inébranlable confiance envers l’Union Soviétique. Ils durent pour la deuxième fois digérer, après le choc de 1956, des arguments destructeurs qui, de 1985 ? 1990, ne venaient plus de l’adversaire. Toutes les valeurs furent remises en cause. Ce fut une réévaluation générale de tout le chemin plein d’épines que le socialisme avait parcouru. Même la victoire sur le fascisme n’y échappa pas. Il ne s’agissait pas d’une analyse de l’ histoire permettant de prendre en compte un développement général accompagné de fautes et d’erreurs. Non, tout fut remis en cause de ce qui était jusqu’alors considéré comme correct, y compris la Révolution d’Octobre. Comment notre parti devait-il et pouvait-il se comporter face ? cela ? Qu’aurait provoqué une confrontation ouverte avec une politique ouvertement tolérée en Union Soviétique ? L’isolement de la R.D.A ? Les gens auraient ils compris cela ? Cependant, nous prenions position pour des transformations positives en Union Soviétique. Nous saluâmes le nouveau programme de politique sociale qui fut adopté en 1985 et qui devait améliorer la vie quotidienne du peuple soviétique. Quoi qu’il en soit, nous doutions que ceci pourrait être réalisé en même temps que l’accélération du développement socio-économique. Tout le reste de ce qui se passait dans la vie politique soviétique relevait pour nous d’affaires intérieures dont nous avions du mal ? peser les enjeux. Il est effectif que je vis d’une manière croissante les dangers pouvant résulter et résultant effectivement déj ? d’analyses erronées portant sur certains aspects de l’Impérialisme. C’est pourquoi, je mis en garde contre tout cela. Mais, visiblement, ainsi que les événements en firent ultérieurement la démonstration, les membres de notre direction n’étaient pas tous persuadés qu’il en résulterait la dissolution de la R.D.A. Le processus de désagrégation était davantage engagé que je ne le pensais moi-même, y compris dans les propres rangs de notre Parti. En tirer le constat que nous faisions preuve d’un comportement négatif vis- ? -vis de l’Union Soviétique, serait contraire ? la réalité des événements qui se produisirent ensuite. On s’est demandé quel rôle l’opposition avait pu jouer dans ce processus. Une vaste collaboration avait été engagée avec des courants divers, avec une pluralité de forces dans la société, parmi lesquelles les milieux proches de l’église (Les neuf dixièmes environ des chrétiens de R.D.A.étaient des protestants luthériens).

Voil ? un fait que l’on ne saurait méconnaître. Cette collaboration était plus profonde que beaucoup, aujourd’hui veulent bien le laisser croire. Notre politique de dialogue impliquait une volonté de large alliance des gens raisonnables et réalistes. Il n’y avait pas seulement, disons le pour finir, des discussions internes, mais des actions largement connues de l’opinion publique, des rencontres et des conférences, organisées de manière partenariale avec les églises, les pacifistes et d’autres organisations. Rappelons par exemple, la marche Olof Palme, qui ne rencontra pas qu’approbation dans les rangs de notre parti. Dans ces milieux, il y avait des gens qui avaient des intentions honnêtes mais qui se heurtèrent souvent chez nous ? des jugements négatifs. Ils s’en trouvèrent alors rejetés dans la mauvaise direction. Évoquons ? ce propos le rôle de l’église. L’église évangélique commença en 1985, sous prétexte de Pérestroika et de Glasnost ? transformer les maisons de Dieu en temples de la politique. Sa direction contraignit l’évêque de Greifswald ? démissionner parce qu’il avait invité le Président du Conseil d’Etat (C’est ? dire Erich Honecker lui-même. Le Conseil d’Etat dirigeait le pouvoir exécutif en R.D.A) ? la cérémonie de consécration de la cathédrale de cette ville.

La restauration de ce bâtiment avait pourtant bénéficié de subventions publiques. Les manifestations de Novembre 1989 furent quasiment toutes menées par des pasteurs. Après ma démission, il ne resta plus que quelques fonctions officielles qui ne fussent pas occupées par des prêtres. Mais il y eut aussi des différenciations dans le comportement du clergé et de la hiérarchie. Un certain nombre de prêtres prenaient sincèrement position pour la R.D.A. et pour l’« église dans le socialisme ». Décrire l’opposition comme entièrement soudée autour de conceptions différentes des nôtres serait une simplification. Il y avait des ennemis de l’Etat socialiste qui voulaient détruire le système. Comment qualifier autrement en effet, ceux qui agirent finalement pour la restauration du capitalisme en tant que système politique et économique et qui dissimulèrent leurs intentions sous le manteau de la démocratie bourgeoise ?

On peut tourner cela comme on le veut, il s’agissait d’une lutte pour le pouvoir, un pouvoir que la bourgeoisie avait perdu quarante ans plus tôt et qu’elle entendait reconquérir. Il ne s’agissait pas de renverser un « pouvoir personnel » ni d’abolir la « domination du Bureau Politique » mais d’exproprier les entreprises appartenant au peuple, de liquider les coopératives agricoles, de restituer leurs domaines aux grands propriétaires terriens nobles et de détruire la propriété socialiste. Il s’agissait de liquider la R.D.A., ses institutions scientifiques, son équipement sanitaire et social, en bref, tout ce qui était lié au caractère socialiste de l’Etat. Les capitalistes récupérèrent leurs entreprises, le pouvoir du capital fut restauré. Voil ? ce qui était en jeu. Personne ne peut contester aujourd’hui que le scénario applicable ? tous les pays socialistes fut internationalement orchestré et se traduisit par une contre-révolution. Tous les partis marxistes de ces pays furent victimes de la même stratégie et détruits. Ils furent sacrifiés sur l’autel de la « nouvelle pensée ».

Ce fut une erreur fatale de considérer que la différence des systèmes sociaux puisse cesser d’exister par le seul effet du « Nouveau mode de pensée ». Dans les dernières années, l’histoire du socialisme fut présentée de manière défigurée. J’y vois la cause d’une perte d’identification de beaucoup de gens avec le Socialisme. Plus grave, le caractère inachevé d’un ordre social encore jeune historiquement n’était pas présenté sous tous ses aspects, avec toutes ses contradictions. On analysa les fautes et les erreurs commises lors de la construction du Socialisme d’une manière qui remettait en question les acquis et les idéaux de cette société alternative au capitalisme exploiteur. Notre faiblesse consistait ? ne pas réussir ? rendre vivants tous les aspects de nos idéaux socialistes pour chaque individu. Nous n’avons jamais contesté que le Socialisme se trouvait encore ? un stade inachevé de son développement. Des limites résultant de conditions objectives faisaient par ailleurs obstacle ? la réalisation de ce qui était souhaitable.

Cependant, le Socialisme présentait un potentiel de développement inépuisable. Nul n’a encore répondu ? la question de savoir ? quoi le « socialisme démocratique » dont on nous a rebattu les oreilles pouvait bien ressembler. Quelle que soit la définition qu’on donne ? ce dernier, prendre ses distances de manière décisive avec le communisme n’est pas seulement jeter un idéal aux orties, c’est nier les transformations intervenues dans les rapports de production. L’abolition de l’exploitation de l’homme par l’homme nécessite de manière absolue la destruction de la propriété privée des moyens de production essentiels. C’est la condition fondamentale pour une gestion hautement productive pour la société et pour l’individu, pour la concrétisation de la participation et de la responsabilisation des ouvriers, des paysans, des intellectuels, des femmes et des jeunes bref, de chaque citoyen dans tous les aspects de la vie quotidienne, pour l’épanouissement de la vie culturelle, le respect des autres et la protection de soi-même. Une vérité fondamentale demeure : le Socialisme existe l ? où la paix, le droit au travail, la solidarité et les droits essentiels de l’homme sont garantis. Si tel n’est pas le cas, tout le bla-bla sur le libre épanouissement de l’individualité des hommes se révèle pure poudre aux yeux.

On me pose souvent la question suivante : y avait-il échange d’expériences entre les pays socialistes sur de telles questions fondamentales de la politique ? Ma réponse est affirmative : cela existait ? tous les niveaux et dans différents secteurs de la vie sociale.

Il y avait un fructueux échange d’expériences et de points de vue conflictuels. Cela n’empêchait pas la collaboration. On parlait de beaucoup de choses mais la question du pluralisme dans la société qui rejaillissait sur une somme considérable de problèmes ne fut jamais discutée ? fond. Il en fut malheureusement de même pour beaucoup d’autres questions significatives. Comme je l’ai dit, on parlait de tout mais, tandis que les Etats de l’O.T.A.N. adoptaient des résolutions fixant leur comportement commun face ? plusieurs séries de problèmes, on adopta chez nous après 1986 un principe tout ? fait différent : chacun devait mener sa propre politique. Ce principe ne fut cependant pas respecté ? partir du moment où les intérêts de la puissance dirigeante étaient en cause.

Le principe était certainement juste. Il n’aurait cependant pas dû aboutir ? ce que d’autres principes, ceux figurant dans les traités d’amitié, de coopération et d’appui mutuel soient violés. Il est particulièrement regrettable que, lors du point culminant de la crise de 1989, le sommet de Bucarest n’ait pas permis de discuter ouvertement et de tomber d’accord sur les mesures que nous devrions adopter en commun. Plusieurs secrétaires généraux exigèrent qu’une nouvelle rencontre se tienne en Octobre ? Berlin. Elle ne put plus avoir lieu. La question se pose naturellement de savoir si nous aurions encore pu alors empêcher l’évolution des choses.

LA R.D.A., SESALISATIONS ET LEUR LIQUIDATION

C’est littéralement en sortant des ruines de la Seconde Guerre Mondiale que fut édifiée la nouvelle industrie de la R.D.A.. Malgré les multiples démontages d’installations effectués au titre des réparations, des millions de travailleurs reconstruisirent leurs usines, ? l’image des aciéries de Brandebourg. Ensuite, ils édifièrent des branches industrielles entières qui n’existaient pas auparavant sur le territoire de la R.D.A.. Ce n’est pas nous seulement mais bien des organismes internationaux qui comptaient la R.D.A. parmi les dix premières puissances industrielles.

La Deutsche Reichsbahn offrait ? cette industrie fortement développée des infrastructures ferroviaires performantes bien que toutes ses lignes aient été mises ? voie unique après la guerre et que ce handicap n’ait pas été entièrement compensé en 1989. Sans cela, le développement industriel n’aurait pas été possible. Jusqu’en 1958, d’importants complexes chimiques, des centres d’ingénierie, des entreprises de construction automobile, ferroviaire et de machines-outils étaient restées propriété soviétique. 26 sociétés soviétiques « par actions » réunissaient les principales entreprises qui travaillaient pour le compte de l’Union Soviétique, très affaiblie économiquement par la guerre. La société Wismut avait le même statut. Tant ses installations productives que son équipement en logements fut jusqu’en 1989 principalement financé par la R.D.A

Ces remarques ne visent nullement ? dénigrer les efforts consentis par l’Union Soviétique et qui permirent ? la R.D.A. d’amorcer son développement. Seule une étroite collaboration avec l’U.R.S.S. fournit les bases du développement de la R.D.A. durant chaque phase de son existence. Cependant, si on prend en compte ces faits historiques ainsi que plusieurs autres, on ne saurait estimer assez haut les performances réalisées par les ouvriers, les employés, les techniciens et les scientifiques du pays. Lors de sa création, la R.D.A. ne pouvait s’appuyer sur aucune base industrielle ni sur aucune ressource en matières premières. Les frontières établies entre les zones d’occupation mirent fin ? l’unité économique de l’Allemagne pour peu que celle-ci existât encore. Il y eut dans la pratique un véritable blocus, d’abord contre la zone d’occupation soviétique, puis contre la R.D.A.. Les citoyens de notre Etat étaient au moins aussi assidus au travail que les Allemands de l’Ouest. Leurs réalisations créaient les conditions nécessaires pour que soient garantis le droit au travail, ? la formation et au loisir... en bref, pour que la société soit réellement solidaire. Grâce ? l’ardeur au travail de ses ouvriers, de ses paysans, de ses scientifiques et ? la participation active de son gouvernement, la R.D.A.était le seul pays socialiste en état de résoudre le problème alimentaire pour ses citoyens. Le complexe agro-industriel s’appuyait sur une recherche de pointe grâce ? laquelle la production de céréales et de protéagineux dépassa 11 millions de tonnes ? partir de 1981. Les structures coopératives permettaient aux paysans et aux paysannes d’exercer leur dynamisme. Leur avenir était assuré et leur niveau de vie satisfaisant. Tout ceci fut sauvagement détruit ? compter de 1989. Des centrales d’achats occidentales inondèrent ce qui était encore la R.D.A. avec leurs produits. Les pommes de terre, les fruits et quasiment tout ce qui était produit sur place ne trouvèrent preneur qu’ ? des prix dérisoires. Le système coopératif fut victime de l’introduction des lois ouest-allemandes et de la politique agricole commune. Il ne reste aujourd’hui qu’un quart des 800.000 emplois que comptait l’agriculture.

Les livraisons de matières premières soviétiques étaient indispensables ? notre économie. Que certains hommes politiques et théoriciens croient pouvoir affirmer que la R.D.A. aurait pu adopter une position plus autonome dans le cadre de la communauté socialiste ne change rien au fait que la R.D.A. ne pouvait que suivre la voie d’un partenariat étroit. Les chiffres afférents aux livraisons soviétiques de matières premières et de demi-produits durant le plan 1981-85 peuvent servir d’exemple convaincant. L’Union Soviétique livra, durant cette période, 95 millions de tonnes de pétrole, 32 millions de m3 de gaz, 21 millions de tonnes de charbon, 8,5 millions de tonnes de fer, 4,8 millions de tonnes de fonte, 211,5 milliers de tonnes de cuivre, 65.000 tonnes d’aluminium, 7,7 millions de fibres de bois, 257.000 tonnes de cellulose, 440.000 tonnes de coton et quantité d’autres produits importants. Il ne s’agit ici que de rendre plus distinct le fait que l’Union Soviétique constituait la garantie que le travail d’édification de la R.D.A. puisse se poursuivre et aller de l’avant. N’en déplaise ? ceux qui entendent aujourd’hui réécrire l’histoire, personne ne peut négliger cela, pas plus que les conditions de total boycott économique créées par l’activité de la R.F.A. et des alliés occidentaux. Sans l’aide soviétique, même la classe ouvrière la plus capable, les paysans les plus courageux et l’intelligentsia la plus compétente n’auraient pas réussi ? faire de la R.D.A. un pays industriel et agraire aussi puissant qu’elle l’était encore en 1989.

Bien entendu on s’efforce aujourd’hui de discréditer a posteriori les performances économiques de la R.D.A.. Cela rend visiblement plus facile les tentatives de ravaler la R.D.A. au rang d’un pays en voie de développement. En réalité on ne prend en compte l’économie de la R.D.A. que dans la mesure où celle-ci ne porte pas ombrage aux débouchés des entreprises situées ? l’Ouest de l’Allemagne. Il est clair aujourd’hui que la chimie de la R.D.A. fut largement amputée parce que les capacités de production de la chimie ouest-allemande étaient excédentaires. L’industrie textile de la R.D.A. fut détruite parce que le textile « dégraisse » ses effectifs ? l’ Ouest. il en fut de même pour les industries sidérurgiques et métallurgiques, les entreprises de l’électronique, les chantiers navals et d’autres branches de l’industrie.

La désindustrialisation de la R.D.A. est un crime envers tous les gens travailleurs qui ont construit une industrie nouvelle dans ce qui fut l’Allemagne centrale par un effort de plusieurs décennies. Du point de vue de la civilisation, cette désindustrialisation est une honte car la vie professionnelle est la base de la culture. Ce n’est pas parce que la chimie pollue que les entreprises chimiques de R.D.A. furent détruites. La chimie pollue aussi ? l’Ouest. Cette destruction résulta seulement de motifs liés ? la concurrence.

Il est tout aussi idiot et tout simplement indigne de rayer de l’histoire allemande les réalisations culturelles de la R.D.A.. Je ne pense pas seulement ? des réalisations fondamentales et transformatrices telles que le système éducatif de la R.D.A., après la destruction du fascisme hitlérien, la création systématique de crèches pour les enfants, d’écoles maternelles ainsi que d’autres institutions leur étant destinées, ? la mise en place de l’école de dix classes, moderne et d’enseignement général qui nivelait le chemin de la vie devant tous les enfants issus du peuple, ? un système de formation professionnelle initiale correspondant aux besoins, englobant toutes les branches professionnelles et débouchant pour tous sur un emploi, ? la multiplication des grandes -écoles et ? l’extension du système de santé, ? l’action de différentes académies. Il y eut et il reste de grandes réalisations culturelles, ce qui fut reconnu dans le monde entier. Ces faits ne pourront être contestés durablement pas plus que l’existence d’un grand nombre de monuments et de lieux de mémoire qui furent bâtis ? neuf par des milliers de travailleurs venus de R.D.A. et de l’étranger et qui demeurent ouverts au public d’aujourd’hui. Parler de ces lieux oblige ? se remémorer, non seulement ceux qui furent reconstruits ou remis en état il y a 20 ou 30 ans mais également ceux qui furent sauvés et ? nouveau ouverts au public peu de temps après la libération. Je pense ? certains théâtres de Berlin ainsi qu’aux musées, au Théâtre National de Weimar, au Zwinger de Dresde. Je pense aussi ? la reconstruction de l’Opéra d’Etat, du Théâtre Allemand, du théâtre de poche Kammerspiele, de la salle de concerts du Schauspielhaus (? Berlin) au palais des pionniers de la Wuhlheide prés de Berlin, au Palais de la République, ? des églises comme le Französischer Dom, au centre de sports et de loisirs de Berlin, ? l’Opéra de Dresde et au Gewandhaus de Leipzig. Beaucoup d’institutions culturelles plus modestes, gérées par l’Académie des sciences, remontent ? l’époque du Socialisme, par exemple, les maisons Otto Nagel, Arnold Zweig, Ernst Busch, la maison de Brecht et toute une série d’autres hauts lieux de la vie culturelle et spirituelle de l’Allemagne, comme par exemple ? Weimar.

Lorsque les relations entre les deux Etats allemands étaient bonnes, plusieurs personnalités importantes en Allemagne de l’Ouest qui tiennent encore leur rang et dont le nom reste connu, avaient fait savoir ? quel point ils étaient impressionnés par la manière avec laquelle la R.D.A. avait su reconstruire des monuments détruits et se doter d’équipements culturels neufs. A l’époque, ils disaient que c’était un exemple dont la R.F.A. ferait bien de s’inspirer. Aujourd’hui on parle de cela différemment ou on ne l’évoque plus du tout. Mais après tout, les réalisations de la R.D.A. parlent pour elles-mêmes.

LA SITUATION DANS L’ALLEMAGNE D’AUJOURDHUI

Ce qu’on appelle aujourd’hui très couramment l’annexion de la R.D.A. par la R.F.A. se déroula de la fin de 1989 au milieu de 1990. Contrairement ? tout ce qu’affirment les cercles dirigeants de la R.F.A., ce n’est pas l’ancienne direction est-allemande mais la R.F.A. qui porte la responsabilité de ce qui se passe sur le territoire de l’ancienne République Démocratique.

Déj ? en 1987, ? l’occasion de ma visite en R.F.A., j’avais essayé d’étouffer les ardeurs réunificatrices du Gouvernement Fédéral. Entre autres, je leur fis savoir que l’unification du capitalisme et du socialisme était aussi peu possible que celle de l’eau et le feu. Cela ne figurait pas dans le manuscrit de mon discours ? l’occasion de la réception ? la chancellerie. Face aux provocations de Kohl contre la R.D.A., qui tranchaient d’ailleurs sur le ton courtois utilisé dans les conversations tenues ? huit clos, je considérais comme nécessaire de dire cela. Les événements survenus depuis l’automne 1989 ont prouvé que, conformément ? ma vision des choses, deux systèmes sociaux contradictoires ne peuvent être unifiés.

L’espérance était énorme et les émotions attisées au plus haut point lorsque le mur tomba. Maintenant, nous avons l’unité mais, notre nation reste divisée en deux. Jusqu’ ? maintenant, les conditions de vie et de travail n’ont pas été unifiées, le fossé entre les riches et les pauvres est de plus en plus profond et visible. Malgré tout le discours pan germaniste promettant qu’après l’Anschluss ça irait mieux pour tout le monde, plus mal pour personne, c’est le contraire qui s’est produit. Il s’agissait, dans les faits de tromperie électorale. Le gouvernement fédéral s’est massivement immiscé dans les affaires de la R.D.A. On se figure que si le chancelier Kohl avait ouvertement déclaré aux citoyens dotés du droit de vote que lJeu de mots intraduisible sur le nom de la Treuhand (littéralement :« mandataire fiable » ), organisme chargé de privatiser l’économie de l’ex.R.D.Aa victoire électorale de la C.D.U. aurait pour conséquence -c’étaient les estimations du conseil des sages- la mise au chômage de quatre ? cinq millions de personnes, la multiplication des loyers par des chiffres allant de 3 ? 10, la liquidation d’une grande partie des prestations sociales. Qu’en serait-il résulté pour la C.D.U.?

Avec le temps, il est de plus en plus clair que la Treuhand n’est pas une société de gestion honnête des entreprises, mais de gaspillage du patrimoine populaire qui a livré dans les mains « fiables » (Jeu de mots intraduisible sur le nom de la Treuhand (littéralement :« mandataire fiable » ), organisme chargé de privatiser l’économie de l’ex.R.D.A) des konzerns, ? des prix de discount, l’ensemble des entreprises autrefois nationalisées.

Elle est une marionnette entre les mains de ceux-ci qui privatisent dans l’intérêt de leurs profits. Ces messieurs de la Treuhand savaient ce qu’il faisaient. Il ne s’.pas de « décartelliser » de grands combinats, ces rouages essentiels du système productif de la R.D.A. mais de détruire des entreprises petites et grandes et de mettre des concurrents hors-jeu. Car c’est un conte pour enfants que de faire comme si le socialisme avait inventé l’étatisation de branches industrielles et la régulation étatique de l’économie. Aucun capitaliste sérieux ne croit ? cela. Il y a des entreprises nationalisées et une politique économique destinée ? réguler la conjoncture en R.F.A. et dans tous les pays capitalistes. Déj ? au temps de Guillaume II, les chemins de fer allemands et les mines de la Ruhr étaient propriété de l’État.

La mise hors-jeu des entreprises publiques de la R.D.A. fut une affaire juteuse pour les capitalistes. Leurs gains se sont accrus alors même qu’ils multipliaient les plaintes au sujet des impôts ? verser pour financer l’unification. La croissance du chômage dans l’ancienne R.D.A. se fixe pour but d’accroître l’exploitation de ceux qui sont encore au travail. Les chômeurs pèsent sur le niveau des salaires. Si l’occupation de la R.D.A. a bien confirmé quelque chose, c’est que sous le régime de l’économie de marché, qui n’est rien d’autre que l’économie de profit capitaliste, une grande partie des ouvriers et des employés, des paysans et des intellectuels, se trouve au rancart. Voil ? ce que ne peuvent contester ceux qui tentent aujourd’hui de mettre tout ce qui va mal ? la charge du legs de la R.D.A. et de son économie, soi-disant peu compétitive.

Qu’est-ce qui se cache derrière l’agitation contre une R.D.A. qui n’existe plus mais qui, c’est clair, ne disparaît pas assez vite ? Pourquoi couvre-t-on de boue tout le S.E.D., sa direction et le gouvernement ? Pourquoi institue-t-on une véritable chasse aux sorcières contre tous les collaborateurs de l’appareil de l’Etat et du Parti ? Contre la Sécurité d’Etat, contre les soldats et officiers de l’Armée Nationale Populaire, contre les troupes frontières, contre les professeurs et instituteurs, les médecins, les scientifiques, les journalistes et les artistes ? Cela n’a fait qu’aggraver la misère en Allemagne de l’Est. Les chômeurs de ces régions se sont ajoutés ? ceux de l’Ouest du pays. Nous sommes encore loin du versement d’un salaire égal pour un travail égal. On ne paye toujours ? l’Est que 60 % ? 70 % du salaire qui s’applique encore provisoirement dans les anciens Lander. Il s’agit de maximiser les profits. Ainsi, les paquets d’actions possédés par les véritables maîtres de l’Allemagne rapporteront encore plus de profit. Pour tous, le chômage est une tragédie. Personne, en R.D.A. ne savait même ce que c’était. Il accompagnera les femmes, les hommes et les jeunes dans l’avenir, aussi longtemps du moins que durera le capitalisme en Allemagne.

Les déclarations de certaines personnalités dirigeantes du P.D.S, d’après lesquelles la démocratie bourgeoise serait le système le plus progressiste ayant jusqu’ ? présent existé ne leur font pas d’honneur pas plus que leur participation ? la destruction du « système stalinien » en R.D.A. dont ils n’hésitaient pas ? considérer que la politique était réactionnaire.

Aucune dénégation n’effacera ce fait : le Socialisme a été vaincu sous le drapeau d’un combat contre le stalinisme. Le combat contre le communisme avait été mené autrefois sous le drapeau de la lutte anti bolchevique [8].

Tout cela n’est donc pas si nouveau. Et il n’est pas besoin de peindre en rose la réalité : la destruction de la R.D.A. socialiste a amené la paupérisation. Les soucis des familles des plus de 4 millions de chômeurs sont un motif suffisant de préoccupation.

Un Gysi devrait aussi s’en préoccuper, lui qui calomnia l’ancienne direction du S.E.D. lors du congrès qui transforma celui-ci en P.D.S.. Ce congrès qui aurait eu d’après lui comme résultat le plus important la défaite définitive du stalinisme. Les communistes qui restent debout sont estampillés « staliniens ». C’est considéré aujourd’hui comme moderne. Le stalinien Dimitrov vainquit, dans un combat pour la vérité, ce « mangeur de bolcheviks » qu’était Goering. Il reçut les applaudissements de l’opinion mondiale. Cela nous donna du courage ? nous qui, en Rhénanie et dans la Ruhr, ? Essen, Dortmund, Oberhausen et ailleurs, engagions le combat de résistance ? la barbarie nazie.

Les mensonges sur la R.D.A.« stalinienne » se dégonfleront un jour de la même manière que s’est dégonflé le mensonge de l’incendie du Reichstag. Le jour se fera sur les causes de la tragédie qui, quasiment en l’espace d’une nuit, s’est abattue sur la R.D.A. Certains « rénovateurs » ont affirmé que la R.D.A. aurait survécu si la direction du S.E.D. avait immédiatement emboîté le pas ? la direction soviétique sur la voie de la Pérestroïka. Mais depuis lors, l’Union Soviétique elle-même a hélas disparu, du fait de la Pérestroïka. La Pérestroika et la Glasnost ont entraîné l’effondrement de l’Union Soviétique et la défaite du Socialisme.

Était-il si difficile de prévoir que l’Anschluss de la R.D.A. en vertu de l’article 23 de la Gruindgesetz (Article de la Constitution Ouest-allemande qui prévoit que des Lander supplémentaires peuvent se rattacher ? la R.F.A) ne se contenterait pas de détruire le système productif du pays mais signifierait dans le même temps le retour au capitalisme. Qui a alors trompé qui ? Ceux qui mettaient en garde depuis des décennies contre ce danger ou ceux qui visèrent ? obtenir ce triste résultat.

Oui, il faut clairement établir le fait que les rénovateurs de 1989/90 furent objectivement, qu’ils l’aient voulu ou non, ceux qui mirent en œuvre concrètement la contre-révolution. Chacun de ceux qui se sentent concernés n’a qu’ ? régler avec les autres les remords qu’il en éprouve. C’est une réalité qu’une grande partie des citoyens manipulés ne veut pas encore accepter. Le peuple a été trompé par ceux qui ont participé activement ? la destruction des bases mêmes de l’Etat des ouvriers et des paysans. On connaissait très précisément en R.F.A. les forces et les faiblesses de notre système productif. Depuis qu’il existe des relations commerciales entre la R.D.A. et la R.F.A., cette dernière institua ? de nombreuses reprises des obstacles inopinés quand elle n’interrompit pas purement et simplement ces relations. La R.F.A. s’efforça aussi d’étrangler les relations économiques entre la R.D.A. et d’autres Etats occidentaux. Ou veut-on nous faire oublier la doctrine Hallstein ? [9]

On savait que le commerce extérieur de la R.D.A. se faisait ? 70 % avec l’Union Soviétique et les autres Etats socialistes et que la disparition de ces relations signifierait l’effondrement de l’économie de la R.D.A.. Celle-ci trouvait en U.R.S.S. des débouchés pour une valeur de 66,1 milliards de marks d’unités de compte (chiffre de 1988). De surcroît, la moitié de ce commerce se faisait au sein de branches productives intégrées [10]

La R.D.A. n’était pas endettée vis- ? -vis de l’Union Soviétique qui lui était redevable en 1990 de retards de paiement ? hauteur de 27 milliards de marks d’unités de compte. La R.F.A. aura du mal, c’est déj ? clair maintenant, ? entretenir des relations aussi étendues avec les anciennes républiques de l’Union Soviétique. Aujourd’hui, par exemple, des rapports offciels précisent que l’importation d’un wagon de chemin de fer coûte cinq fois plus cher ? la Russie que du temps de la R.D.A.(Dont l’usine de wagons de Görlitz était l’une des plus importantes du monde socialiste).

Ces phénomènes exercent leurs effets sur presque toutes les branches industrielles. Tout le bla-bla des Kohl, des Waigel et de leurs « golden boys » dans divers médias au sujet de l’état de vétusté de l’économie de la R.D.A. ne résiste pas aux simples données chiffrées : nos débouchés ? l’exportation en R.F.A. dépassaient 15 milliards de D.M. par an. A cela s’ajustent les débouchés extérieurs dans les pays socialistes :

de 1970 ? 1988 (en milliards de Marks)

U.R.S.S

15,4 .................. 66,4

Pologne

3,7 ..................14,6

Hongrie

2,4 .................. 12,2

Tchécoslovaquie

2 ..................... 9,9

L’ampleur de ces relations auxquelles peut encore s’ajouter le commerce avec les autres pays capitalistes développés sans compter celui avec les pays du Tiers-Monde, témoigne de la bonne santé de notre économie. Les exportations ne peuvent en effet se développer que si l’offre en produits de l’industrie et de l’’ agriculture est suffisante en quantité et en qualité.

Dans le domaine de la pétrochimie la R.D.A. disposait d’installations modernes. celles-ci avaient été livrées clefs en main par des entreprises ouest-allemandes, finlandaises, autrichiennes, françaises et japonaises.

L’aciérie ? convertisseur d’Eisenhüttenstadt était la plus moderne d’Europe. La fission du pétrole atteignait 70 % ? Schwedt. Il est connu que la R.D.A. ne disposait d’aucune matière première économiquement stratégique et que celles-ci devaient, de ce fait, être importées. Notre agriculture est parvenue, durant les dix dernières années, ? approvisionner le commerce alimentaire. Nous exportions même, durant les années 80, de la viande, du beurre et des pommes de terre. A quoi sert donc de discréditer les réalisations dues aux travailleurs de notre Etat ? Leur travail acharné et créatif s’y était joint au potentiel intellectuel développé dans notre République pour y améliorer les conditions d’existence de chacun.

La R.D.A. avait le plus haut niveau de vie de tous les pays socialistes. Même si les maisons que daignent montrer les écrans occidentaux ont systématiquement des façades décrépites, nous avons construit ou modernisé 3,7 millions de logements et offert ? un grand nombre de familles des conditions d’habitat enfin décentes... 30.000 par an ? Berlin, 26 000 dans le district de Karl Marx Stadt, 22.000 dans celui de Dresde. La surface habitable passa de 1949 ? 1989 de 12 ? 27 mètres carrés. Il est vrai que nous ne sommes pas parvenus, parallèlement ? cet effort de construction, ? faire obstacle ? la dégradation d’un nombre considérable de bâtiments anciens.

Nous ne sommes certes pas arrivés ? réaliser tout ce que nous voulions. Cela ne justifie cependant pas que l’on utilise des expressions du type « désastre économique » pour effacer de l’Histoire les réalisations de millions de personnes. L’Impérialisme allemand avait déclenché la Seconde Guerre Mondiale ? l’issue de laquelle, rappelons-le, 40 % de toutes les installations industrielles et 70 % des centres de production d’énergie étaient détruits sur le territoire de ce qui devait devenir la R.D.A.

Cette dernière supporta le poids principal des réparations de guerre. Tels sont l’ensemble des facteurs que l’on doit prendre en compte pour évaluer raisonnablement les performances économiques de notre République .

Du fait de toutes ces contraintes, les moyens consacrés ? la sauvegarde de l’environnement ne purent jamais être suffisants. C’était en particulier vrai dans les régions ? forte concentration d’entreprises chimiques. Il en résulta de sérieux dommages.

Avons nous vécu au dessus de nos moyens ? Notre commerce extérieur était, c’est vrai. déficitaire depuis de nombreuses années. Beaucoup de critiques portent sur ce point. Ceux qui les expriment oublient cependant de préciser que nous étions contraints d’accroître nos exportations. parfois au del ? de ce que nous aurions souhaité. Il fallait en effet faire face aux augmentations du prix des matières premières. La tonne de pétrole, monta jusqu’ ? 172 roubles, contre 14 avant le premier choc pétrolier (Les prix du C.A.E.M. amortissaient sur cinq ans les évolutions des cours mondiaux)

On pourrait citer de nombreux autres éléments de notre politique économique et sociale et des contraintes qui la conditionnaient. Nous avons beaucoup réalisé, je le répète, malgré des débuts incomparablement plus difficiles que ceux de la R.F.A.. Tout ce que nous souhaitions obtenir ne fut pas atteint mais les citoyens de la R.D.A. prouvèrent leur capacité ? édifier une société progressiste.

Comme par le passé, la question sociale reste au centre du débat public. Ce qui se passe en Allemagne et les années écoulées depuis l’annexion le confirment amplement. Rien n’a changé de l’essence de la société capitaliste. Elle affirme chaque jour un peu plus le règne du « moi » exacerbé qui lui sert de principe de fonctionnement. Chaque jour se perd un peu davantage de l’esprit de la société de R.D.A. fondée sur le « nous ». La nouvelle liberté tant vantée libère l’homme en premier lieu de sa sécurité individuelle. Les événements de Hoyerswerda, Rostock-Lichtenhagen, Mölln et Solingen sont plus qu’un avertissement sur la question. L’explosion de la criminalité plonge tout le monde dans l’angoisse. La récession menace les conditions matérielles d’existence des citoyens de R.D.A. qui ignoraient tout d’elle. Le chômage était, pour eux un mot exotique. Il se développe désormais dans une ampleur qui était inconnue depuis la grande crise des années 30 : 6 millions de chômeurs dans les faits, ni sécurité matérielle ni sûreté dans la rue ; tel est le tableau offert aujourd’hui par le capitalisme triomphant en Allemagne.

Lorsque les sirènes du « tournant » entonnèrent leurs chants séducteurs en 1989, tel n’était pas tout ? fait l’avenir qui était envisagé. Celui qui se prétend « chancelier de tous les Allemands » affirmait que « personne ne verrait sa situation personnelle s’aggraver ». De telles paroles résonnent encore dans les oreilles de nombreux Allemands de l’Est. Elles ne correspondaient pas ? la réalité. Le contraire se produisit pour des millions de gens. Pourquoi était-il donc possible, en R.D.A., de leur donner ? tous du travail et du pain, des loyers modérés ainsi que le droit ? la formation ? Cette question dérangerait-elle certains ?

Il y avait neuf millions et demi d’emplois en R.D.A.. La désindustrialisation en a détruit la moitié. Ils furent victimes de la course au profit. Les capitalistes s’en sont mis plein les poches. Conséquence de cette barbarie, de trop nombreux citoyens se retrouvent dans la pauvreté et le besoin. On rencontre souvent des couples de chômeurs. On pourrait établir une liste interminable de destins individuels tragiques. Ceux de gens qui n’ont pas ménagé leurs efforts autrefois dans les chantiers navals les constructions mécaniques, la chimie, la sidérurgie, la métallurgie, les mines, l’électronique, la recherche et l’ingénierie, l’animation culturelle, la santé, l’éducation nationale et la formation professionnelle. Rappelons aussi que le droit aux vacances était garanti. Prés de 3 millions et demi de personnes ont ainsi bénéficié d’un accueil en centre de vacances au bord de la Baltique en 1988. Bien entendu, la plupart des autres citoyens de la R.D.A. se rendaient dans d’autres régions du pays et souvent ? l’étranger.

Des camps de pionniers pouvaient accueillir tous les enfants du pays. Chaque entreprise avait son propre centre de vacances. Le tourisme individuel bénéficiait pour sa part d’un réseau de transport dense et bon marché. Quant aux sportifs, ils étaient nombreux ? fréquenter le centre d’activités physiques implanté ? Friedrichshain, un quartier populaire de Berlin. Les universitaires et les hommes politiques de notre pays parlaient du capitalisme en termes abstraits. La société du moi exacerbé, la société de l’argent toujours plus envahissant, la société du Deutschmark est pire que tout le mal qui en était dit par les officiels de la défunte République Démocratique. Voil ? ce que leur expérience quotidienne révèle désormais ? nos concitoyens. Naturellement, nos spécialistes ne pouvaient pas prévoir le rétablissement du capitalisme sur tout le territoire de l’Allemagne ni en anticiper les conséquences. La manière dont les vieux rapports de production sont rétablis dans l’industrie et l’agriculture était tout bonnement inimaginable. Qui nous aurait crus si nous avions annoncé aux travailleurs d’une entreprise dont les machines et les bâtiments valaient un milliard de marks que l’ensemble serait cédé pour une valeur symbolique de un Deutschmark ? L’économie du marché « libre » pénètre cependant ainsi tous les domaines de l’existence. Elle détruit les acquis sociaux accumulés durant quarante années. Ce qui a existé en R.D.A. témoigne des possibilités concrètes d’une société mettant en œuvre les Droits élémentaires de l’Homme, dans la vie et pas seulement dans de beaux textes.

Il ne serait cependant pas réaliste aujourd’hui de se fixer pour but de reconstituer notre Etat défunt. Dans la plus grande Allemagne, il faut conserver autant qu’il est possible de son héritage. Voil ? qui est une tâche réaliste. Des questions vitales se posent dans cette conjoncture inédite. Il faut s’occuper ? les résoudre. Plus grande et plus riche, l’Allemagne a de nombreuses possibilités. Comme la plupart des pays capitalistes, elle est actuellement secouée par la crise. Par leur expression active, par la lutte pour défendre leurs droits, élargir leurs acquis, les travailleurs doivent créer les conditions d’un avenir digne de ce nom. De plus et avant tout, il faut empêcher que le processus qui s’est engagé ? Solingen (Lieu d’un crime raciste au début des années 90) ne se termine ? Auschwitz.

Erich Honecker

Source : http://www.comite-honecker.org/erichhonecker_notesdeprison.htm


[1La problématique de la «  maîtrise de l’histoire  » (Bewältigung der Geschichte) occupe une place importante dans le débat politico-intellectuel en Allemagne. Avérés ou camouflés, les révisionnistes sont nombreux dans les universités et les salles de rédaction allemandes Ils n’hésitent pas dans ce type de débat  ? diffuser des idées banalisant la période nazie. Ils sont en effet incapables, du fait de leur rôle sous le nazisme, de présenter aux jeunes générations une vision rassurante de l’histoire nationale.

[2C’est  ? dire deux États allemands et quatre puissances occupantes.
Par ce traité signé en 1990, l’Union Soviétique acceptait l’annexion de
la R.D.A, par la R.F.A.

[3Formules qui désignent les transformations intervenues dans l’U.R.S.S des années trente.

[4Structure qui regroupait l’ensemble des partis légaux en R.D.A.

[5Résistants munichois assassinés par les nazis.

[6La Révolution d’octobre advint en effet dans une Russie aux prises avec les armées de l’Empereur d’Allemagne dans le cadre de la Première Guerre Mondiale.

[7Traité d’«  Amitié  » conclu en 1922 par l’Allemagne et l’Union Soviétique (qu’aucun pays ne l’avait encore reconnue)

[8Allusion directe  ? la propagande nazie, avant comme après 1933

[9Jusqu’  ? la fin des années soixante, la R.F.A., prétendant représenter tous les Allemands, rompait toute relation avec les pays reconnaissant diplomatiquement la R.D.A

[10ce qui implique que le processus conduisant  ? l’obtention du produit fini nécessitait au moins une exportation ou une importation