4 avril 1956 il y a 50 ans, Henri Maillot détourne un camion d’armes

samedi 5 avril 2014
par  Alger républicain

En désertant, l’aspirant Henri Maillot permis d’emporter un camion militaire chargé d’un très important matériel de guerre ; de quoi armer deux Katibates et plusieurs groupes de Fidayines.

Le mercredi 4 avril 1956 de bonne heure, un camion Ford à cabine avancée quittait son unité de Miliana pour se rendre à l’arsenal d’Alger, rue de Lyon, à Belcourt.

Il était commandé par l’aspirant Henri Maillot et comprenait, outre un chauffeur, soldat du contingent arrivé depuis deux mois de la métropole, une escorte de six hommes. Le camion déposa comme prévu un chargement de matériel usagé et chargea un armement important. Ce travail effectué, le camion devait regagner Miliana par l’itinéraire habituel, c’est-à-dire par la route de la Mitidja, mais l’aspirant de réserve, Henri Maillot, prétextant le désir de rendre visite à sa famille qui réside à Alger, au clos Salembier (El Madania), laissa les six hommes de l’escorte en ville « pour quelques instants seulement » leur dit-il.

Il invita le chauffeur à prendre la route du littoral. Celui-ci n’y vit aucun inconvénient d’autant qu’il ne connaissait pas la topographie d’Alger et qu’il était couvert par son chef. Arrivé à Baïnem, Maillot demanda au chauffeur de tourner à gauche et de s’engager dans la forêt. À hauteur de l’église de Notre Dame de la forêt (aujourd’hui mosquée Al Ghazali) chemin de la forêt de Baïnem, Maillot intima : « Tourne ici et grimpe ». Intrigué, le chauffeur exécuta pourtant l’ordre qui lui était donné. D’ailleurs, Maillot rassuré par le paysage vide de toute présence humaine, décidait de passer aux actes.

Le chauffeur Doumergue éberlué vit cette chose incroyable, son officier qui, dégainant, le menaçait de son arme. Le soldat, bien plus stupéfié qu’effrayé, guidait son camion sur la route tortueuse qui grimpe dans la forêt de Baïnem. La maison forestière qui se dresse à environ deux kilomètres de la route nationale était dépassée à 12 heures. Le fils du gardien forestier vit lui-même le camion qui grimpait la côte, le Ford changea de direction deux kilomètres plus haut.

C’est à cet endroit que le coup préparé depuis longtemps allait être mis à exécution.

La chaussée se sépare en trois tronçons. L’un allant vers Bouzaréah, le second, vers Chéraga Guyot ville (Ain Benian), le troisième descendant sur les Bains Romains. C‘est ce chemin que venait de laisser le camion. Cinquante mètres en contrebas, vers Chéraga, un chemin quitte la route et se perd dans les broussailles, la voie creusée de fondrières, transformée par endroits en bourbier ne se prête pas à la manœuvre d’un poids lourd. C’est pourtant là que l’aspirant Maillot fit tourner le Ford cent cinquante mètres plus loin, en descente, tournant « le dos » à la route.

Le camion fut arrêté. Un homme surgi des fourrés qui forment avec les Pins et les Chênes rabougnis un véritable « maquis » fit irruption devant le capot. Tout devait s’arrêter là pour le chauffeur qui fut ligoté et bâillonné après avoir été consciencieusement chloroformé. Il devait se réveiller quelques instants plus tard, étendu sur le sol devant son Ford autour duquel nulle présence humaine ne se manifestait. La trace des roues a permis de conclure que le second camion avait été amené en marche arrière. Sa ridelle venait de toucher la plate-forme arrière du Ford.

Jouissant d’une chance inouïe, les « terroristes » se trouvaient également à peu de distance d’un détachement de militaires qui dans les environs effectuaient des exercices. Il est probable que les « bandits » ignoraient cela sans quoi il est permis de supposer que le déchargement des armes eut été différé.

Toujours est-il que, malgré la proximité de plusieurs personnes et en plein jour, l’aspirant et ses camarades accomplirent le plus tranquillement du monde leur besogne. Et comme pour ajouter à l’invraisemblable de cette situation, les « terroristes », poussés par un dernier scrupule que personne ne s’explique, laissèrent au chauffeur militaire son arme. Reprenant le chemin qu’il avait parcouru, le camion anonyme disparaissait dans la nature devenue soudain le complice de cet extraordinaire coup de main.

C’était le mercredi 4 avril 1956 à 13 heures, à huit jours du mois de Ramadan.

Henri Maillot dont personne ne pouvait deviner qu’il cachait sous sa modestie et sa gentillesse la trempe d’un héros. L’idée a germé en lui de fomenter un coup d’éclat et il a décidé d’en faire part à son ami Oudaï qui l’a aussitôt mis en contact en janvier 1956 avec Bachir Hadj Ali.

Maillot a fait un choix que d’autres pieds noirs de mêmes convictions idéologiques n’ont pas osé faire, comme Albert Camus par exemple.

Quoique tous les deux, en des époques bien différentes, étaient des militants communistes d’Algérie et ont travaillé à Alger républicain. Mais au sujet de la guerre d’Algérie, ils ont divergé fondamentalement. Camus a choisi de défendre sa mère (la France officielle) aux dépens de la justice (la cause juste du peuple algérien).

Henri Maillot, lui, est allé jusqu’au bout de ses idées, jusqu’au sacrifice suprême.
L’histoire officielle se fait discrète à son sujet, les jeunes générations de l’époque ne l’oublient pas.

Qui était Henri Maillot ?

Il est né le samedi 21 janvier 1928 à Alger centre, à la rue Hoche (aujourd’hui Ahmed Zabana).
En juillet 1931, ses parents ont décidé de venir s’installer au quartier du Clos Salembier (El Madania), 6 rue des Roses. Après avoir fréquenté la petite école, à cinquante mètre de chez lui, il entre à l’école publique de Garçons du Clos Salembier. À l’automne 1940, il entre en classe de 6e à l’école publique de la rue Horace Vernet en plein centre ville.

Il rejoint les jeunesses communistes d’Algérie dans le premier trimestre 1943, à l’âge de 15 ans. L’année 1946, qui consacre la naissance de l’union de la jeunesse démocratique d’Algérie (U.J.D.A.), Maillot sera appelé à jouer un rôle grandissant dans le réalignement du PCA vis-à-vis de la question nationale.

Nommé secrétaire du cercle de la jeunesse démocratique de la Redoute-Birmandreis-Clos Salembier, en remplacement de Mlle Marylise Benhaïm courant 1947, Henri décroche en même temps un diplôme d’études commerciales au terme de trois longues années passées à l’École supérieure du commerce d’Alger.
Son premier emploi durera quelques mois dans une entreprise métallurgique (Jeumont) qui se trouvait au 88, rue Carnot (Hassiba Ben Bouali) au champs de Manœuvres à Alger.

En avril 1948, il franchit les portes du camp Franco-Anglais de Maison carré. On l’affecte à la 92e compagnie du QG de la 25e division aéroportée. Le 22 juin 1948, il entre à l’école militaire de Cherchell, en qualité d’élève sous-officier. En octobre 1948, il entre à l’école d’application du Train de Beaumont (France). En janvier 1949, il passe avec succès son examen de fin de stage, il devient
aspirant du Train.

Le temps qu’il lui restera, il le passera à Beni Messous dans la banlieue d’Alger.
Il prit part au festival mondial de la Jeunesse et des Etudiants tenu à Budapest en Hongrie du 14 au 29 août 1949. À la fin de 1949, il entra comme expert-comptable à la Mobil-Oil où il restera environ une année. En 1953, il fait son entrée au journal « Alger républicain ».

Il n’y a pas d’heure pour les braves

En novembre 1954, Henri Maillot peut bien attendre. À Marylise Benhaïm, que l’impatience d’agir grignote déjà et qui lui demande ce qu’il faut faire, il répondra en cette fin de 1954 : « Il faut être patient, on va faire quelque chose, mais il faut être patient. ».

Jusqu’au bout, ce militant syndicaliste, discret mais exemplaire se sera employé, sous diverses casquettes, à défendre ses camarades de classe, à batailler au sein du comité de quartier du Clos Salembier qui, exode rural et misère aidant, n’est plus qu’un Clochemerle en perdition… où le FLN a vite puisé militants et complicités.

Déjà, Debih Cherif (Si Mourad) est à la tête des commandos du secteur. Tout comme Abderahmane Laâla.
Le mois de juin 1955, si lourd de conséquences dans l’itinéraire personnel d’Henri Maillot est pour lui aussi une tragédie. Son père, André Maillot qui souffrait depuis octobre 1954, meurt le 23 à l’âge de 54 ans seulement.

Fin août 1955, de passage sur Constantine où ses obligations de responsable aux ventes d’Alger républicain l’appellent, il est le témoin horrifié de la répression qui s’abattit sur une partie du Nord Constantinois. Rappelé à l’armée en octobre 1955 comme aspirant au 57e bataillon de travailleurs algériens de Miliana, il débarque à Miliana précédé d’un dossier marqué à l’encre rouge par les soins de la sécurité militaire, laquelle semble veiller cette fois à lui bloquer toute possibilité d’avancement.

Le dimanche 1er avril 1956, il quittera à jamais son quartier d’enfance, d’adolescence et de jeunesse.

Le mercredi 18 avril, Henri Maillot adressait une série de lettres ronéotypées à des militaires du 504e bataillon du Train, à la police, à la presse et à certains civils. Il leur faisait savoir qu’il avait répondu à l’appel de la Patrie.

Le mardi 22 mai 1956, le tribunal permanent des forces armées le condamne à la peine capitale par contumace.

Le lundi 7 mai 1956, en début de matinée, une grande Dyna Panhard de couleur verte s’arrêta sur le bas-côté d’une petite route proche de Baïnem. Henri Maillot y prend place. Deux heures après, la Dyna dépose son passager à Ponteba (Oum Drou) à quelques kilomètres du chef-lieu d’Orléansville (Chlef). C’est la rase campagne. Hamid Gherab et Belkacem Hanoun sortent aussitôt des broussailles pour saluer l’arrivant. Ému Hamid de retrouver son ami en pareilles circonstances.
Heureux aussi de lui souhaiter la bienvenue au club des combattants.

Le mardi 5 juin 1956 vers 11 heures, branle bas de combat. Un paysan du coin vient prévenir les maquisards que les Français s’approchent. La 1re section de la 2e compagnie du 504e bataillon du Train dont la voltige est enfin parvenue au sommet.

L’aventure du maquis rouge est finie

Elle n’aura duré que deux mois pour s’achever sur un semblant de combat. De la bande de huit hommes, cinq sont tombés au champs d’honneur au Djebel Deragua Lamartine (aujourd’hui El Karimia) dans la wilaya d’Ain Defla : Maurice Laban, 42 ans ; Henri Maillot, 28 ans ; Belkacem Hanoun, 19 ans et demi ; Djillali Moussaoui, 38 ans et Abdelkader Zalmat.

Trois rescapés : Hamid Gherab, Mustapha Saâdoune et Mohamed Boualem.

Le mercredi 6 juin 1956 vers 19 heures, tandis que l’on enterre à la hâte les cinq maquisards, devant l’enceinte du petit cimetière de Lamartine, des policiers se rendent rue des Roses pour informer officiellement Madame Maillot de la mort de son garçon.

L’après-midi du mardi 5 juin 1956, le docteur Abdelkader Bensouna, médecin et ami intime du Caïd Saïd Boualem croit devenir fou quand il aperçoit un ou plusieurs cadavres non pas arrimés sur des capots mais traînés à même la chaussée, accrochés à la remorque des véhicules militaires. L’envie le prendra alors d’étriper son ami le Caïd Boualem, ainsi que tous ceux qui l’entourent. « C’étaient plus que des frères » dira d’Henri Maillot et des siens le médecin Bensouna qui avait assisté glacé d’effroi au charriage des cinq cadavres qu’on ramenait sur Lamartine.
Et c’est avec la ferme intention de venger ces martyres, selon Bensouna, que le FLN tentera à deux reprises d’exécuter le Caïd, sans succès.

17 mois après l’indépendance, le samedi 23 novembre 1963 au matin, le cortège quitte la petite mairie pour le Carré de terrain vague où dorment les cinq chouhadas. Il y a le maire et le secrétaire de mairie, les responsables de la Kasma du FLN, le garde champêtre, le commandant de la brigade de gendarmerie et, bien sûr, Henriette, Yvette et Béatrice Maillot. Et aussi les camarades : Boualem Khalfa, directeur d’Alger républicain qui vient de renaître, Jacques Salort l’administrateur, Roger Simongiovani de Liberté, Abdelkader Babou, Mohamed Embarek, frère de Zendari, directeur d’école de Aïn Defla, George Acompora et d’autres encore…

Dans l’après midi, l’ex-gamin du Clos Salembier est réinhumé à Alger, au cimetière du Boulevard des Martyrs (ex-Bd Bru). Henri Alleg, Boualem Khalfa, Yahia Briki et Abdelhamid Benzine portent le cercueil jusqu’au petit caveau où repose déjà son père. On le descend en terre, recouvert de l’emblème national.

Novembre 1986, la reconnaissance des autorités à l’égard su chahid Henri Maillot s’est enfin manifestée sous forme d’une médaille et d’un diplôme.


Honneurs et gloire à nos valeureux chouhadas

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M.TAHAR EL-HOCINE

Hussein Dey

in ALGER républicain

du mois d’avril 2006