Droit de réponse « Un succédané d’imposture »

lundi 21 février 2011

Dans son édition du 19 janvier 2011, Alger républicain publiait un article sur le livre posthume de mon regretté père « Demain se lèvera le jour » sous la plume de M. Fateh Agrane intitulé « Un surgelé de haine ».

Je ne m’appesantirai pas sur le fatras indigeste des slogans et sur le copier-coller toujours en vogue chez certains nostalgiques des années Pravda, qui accusent et condamnent tous ceux qui échappent ? leur « analyse » et ? leur « praxis » – pouvoir néolibéral arrimé aux multinationales-bourgeoisie néolibérale-et autres féodaux –, maniant avec délectation mensonges et contre-vérités. Il est plus sain, pour le débat, que chacun éclaire autant qu’il peut l’opinion quand bien même, pour paraphraser la fable, l’homme est de glace aux vérités, il est de feu pour les mensonges.

1. La promesse d’éditer le livre

Malgré les explications données dans mon introduction ? ce livre inédit – best-seller de l’année malgré le chagrin que cela lui cause –, et également explicité sur le plateau de Canal Algérie, M. Agrane continue ? s’étonner ? propos du moment choisi pour sa parution. Loin de toute volonté de polémique, je ferai l’effort d’éclairer une fois encore l’apprenti histrion : cet ouvrage reprend les réflexions que suscitaient chez mon père les soubresauts d’un siècle finissant et ? bien des égards terribles. Elles ont été méthodiquement et régulièrement consignées et constituent la matière inédite de l’ouvrage. Ce livre, mon père voulait le faire paraître ? titre posthume, une fois le pays engagé dans la voie de l’indépendance confirmée.

M. Agrane n’arrive pas ? se faire ? cette idée et vit profondément immergé dans l’idéologie du « mensonge déconcertant ».

S’il n’y a pas de liberté d’expression en 2011, M. Agrane peut-il, en effet, se permettre d’écrire et d’insulter les gens ? l’envie ? Et même si le champ audiovisuel n’est pas encore ouvert et le champ politique se trouve encore restreint, il existe bel et bien en Algérie une très grande liberté de ton et d’expression, dont usent et abusent sans retenue les extrémistes versions Agrane. Ceci, comme chacun le sait, est reconnu par tous, y compris par les ONG des droits de l’homme et par les pays démocratiques que M. Agrane nous accuse d’être les suppôts, lui qui ne manque pas de mendier leur reconnaissance et leur bénédiction.

2. Ferhat Abbas et les communistes

Ferhat Abbas était président de l’Assemblée nationale constituante quand Ben Bella suspendit Alger Républicain et interdit le PCA. Mon père s’est alors élevé contre cette forfaiture et avait fait observer ? Ben Bella qu’il portait atteinte ? la liberté d’expression et se privait d’une opposition constructive et utile. Les historiens et les acteurs encore en vie savent cela et je ne puis que conseiller ? M. Agrane la lecture de « L’indépendance confisquée » de l’homme qu’il voue aux gémonies.

L’histoire a retenu le soutien que des communistes ont apporté ? Ben Bella et ? sa politique néfaste. Elle a également retenu le respect mutuel qui existait entre, d’un côté, Bachir Hadj Ali, Larbi Bouhali et les Allegs et, de l’autre, Ferhat Abbas. Mon regretté cousin Allaoua Abbas (pharmacien ? Constantine), qui était sympathisant du PCA paya de sa vie sa
notabilité et son militantisme. En outre, Francis Jeanson et Serge Michel, chef de cabinet de Lumumba, communistes également, étaient sympathisants UDMA et écrivaient dans les colonnes du journal de Ferhat Abbas « La République Algérienne  ».

Lorsque mon père et ma mère subirent des épreuves douloureuses en 1963, j’avais 18 ans et, lycéen, on m’arrêta et on m’enferma dans une ancienne clinique dans des conditions de détention éprouvantes. Je ne me souviens ni de la solidarité, ni de la proclamation de principe officielle de ceux « qui étaient emprisonnés et affreusement torturés par le régime de l’époque ».

Abbas n’était pas communiste et ne pouvait pas l’être. Mais il considérait que les communistes avaient toute leur place dans le champ politique algérien. Ce n’était pas non plus des ennemis. Ils étaient pour lui des adversaires politiques dont le modèle de développement collectiviste auquel ils se référaient ne pouvait cadrer avec les données historiques et culturelles ainsi qu’avec les perspectives sociopolitiques du peuple algérien.

Mais laissons le PCA et ses hommes ? l’histoire.
Au temps présent, vous vous cachez sous tant de vocables et prenez de si nombreuses postures que vous me faites penser ? cette sentence d’Antonio Gramsci pour qualifier l’attitude de vos semblables dans les situations de crise : «  …c’est quand le vieux se meurt et que le jeune hésite ? naître … ».

Quant ? Ferhat Abbas, « il sut saisir de toutes les opportunités sans jamais être opportuniste  », comme l’a si simplement dit Hocine Aït Ahmed dans le vibrant hommage qu’il lui a rendu ? sa mort.

3. Abbas et la Constituante

Ferhat Abbas, et ses adversaires les plus déterminés le reconnaissaient, agissait avec une grande dignité et une rigueur intellectuelle irréprochable. Ses propositions et sa démission de l’Assemblée nationale constituante furent un évènement marquant en ces débuts troubles de l’indépendance de notre pays. « Pourquoi je ne suis pas d’accord avec le projet de constitution établi par le gouvernement et le bureau politique  », tel est l’intitulé de la déclaration qu’il a faite en sa qualité de président de cette institution, pour dénoncer les conditions et les modalités de rédaction de ce projet ainsi que la nature et les procédures d’organisation des pouvoirs qu’il projetait de mettre en place.

Oui monsieur, l’UDMA était un modèle du genre. Autant par sa composante que par la nature de son organisation, elle était une véritable pépinière de démocrates et de compétences. Ces différents profils et la confluence éminemment positive de l’ensemble des régions d’Algérie vers toutes les structures du parti l’ont préservé du régionalisme, du centralisme démocratique et du zaimisme. Non seulement Ferhat Abbas créa l’UDMA, mais il marqua d’une empreinte indélébile les Amis du Manifeste, la Fédération des Elus et l’UGEMA. Et en dépit des tentatives de mystification de M. Agrane – du genre « qui a cherché son peuple et l’Algérie et ne les a jamais trouvés » –, on ne peut occulter le fait qu’il fut le Président du
premier Gouvernement Provisoire de la République Algérienne.

4. Le jour se lèvera

Finalement, vous réglez les comptes ? vous-même et, ? vouloir jouer au Don Quichotte – « le tout libéral, le tout néocolonial a échoué…  » –, vous vous autoproclamez pourfendeur de je ne sais quel dragon, et justicier d’une cause improbable pour, en fin de parcours, emprunter allègrement la triste toque du moine Torquemada. A l’ère de la mondialisation, que vous feignez rejeter mais dont vous profitez ? satiété, vous ne préconisez d’autre voie que celle de l’absurdité stalinienne.

La mondialisation n’est pas l’ultralibéralisme et l’humanisme musulman de Ferhat Abbas nous permet de comprendre qu’elle est un mouvement profond de l’histoire des hommes, que nous devons y contribuer et occuper durablement la place qui doit nous échoir. C’est par la démocratie, la gouvernance responsable et le respect de notre identité et de notre peuple que nous y parviendrons. Pharmacien, homme politique et homme d’Etat, homme de lettre et journaliste, Ferhat Abbas fut plus près de ce peuple que beaucoup de ses contemporains.

A l’avenir de notre pays et ? sa jeunesse, il a consacré une attention toujours soutenue et ne cessa jusqu’au bout de rappeler les vertus de la tolérance, de la liberté et de la démocratie. Profondément attaché ? la foi de nos aïeux, et loin de toute bigoterie, mon père fut le républicain et le moderniste que l’on sait, imprégné d’un humanisme qui tient ? la fois des valeurs fondamentales de l’islam et de celles que la civilisation occidentale représente le mieux.
Homme de dialogue, humble comme le sont tous les êtres qui craignent Dieu et respectent les lois de la vie, il sut également conserver jusqu’au bout l’enthousiasme premier du militant qu’il ne cessa jamais d’être, dénonçant avec la même vigueur l’arbitraire et le pouvoir personnel, l’autoritarisme et le sort injuste qui était fait ? son peuple et ? son pays.

Cette position fut la sienne durant les sombres années de la colonisation et également tout au long de celles qu’il vécut après l’indépendance. C’est ainsi, et seulement ainsi, qu’après la nuit coloniale et l’aurore de l’indépendance un nouveau jour se lèvera, qui sera celui
de l’espoir retrouvé et de la citoyenneté accomplie

Abdelhalim Abbas

01.02.11