Guerre en Libye – Les incendiaires crient au feu

mercredi 18 février 2015

JPEG - 17 ko
La Secrétaire d’Etat Hillary Clinton avec les “combattants libyens”, suite à l’assassinat de Mouammar Kadhafi, le 18 octobre 2011,lors de sa visite en Libye .
DR

La guerre qui se propage en Libye fauche de plus en plus de victimes non seulement sur terre mais aussi en mer : de nombreux désespérés, qui tentent la traversée de la Méditerranée, se noient. « Du fond de la mer ils nous demandent où est notre humanité », écrit Pier Luigi Bersani.

Il devrait avant tout se demander où est la sienne, d’humanité, et avec elle sa capacité éthique et politique, quand, le 18 mars 2011, à la veille de la guerre USA/Otan contre la Libye, en habit de secrétaire du Pd (Partito democratico), il s’exclamait « à la bonne heure », en soulignant que « l’Article 11 de la Constitution répudie la guerre, non l’usage de la force pour des raisons de justice ». Enrico Letta, qui avec Bersani en appelle aujourd’hui au sens humanitaire, devrait se souvenir du 25 mars 2011 quand, en habit de vice-secrétaire du Pd, il déclarait « Va-t-en-guerre est celui qui est contre l’intervention internationale en Libye et sûrement pas nous qui sommes des bâtisseurs de paix ». Une « gauche » qui dissimulait les véritables raisons - économiques, politiques et stratégiques-de la guerre, en soutenant par la bouche de Massimo d’Alema (déjà expert en « guerre humanitaire » en Yougoslavie) qu’ « en Libye il y avait déjà la guerre, menée par Kadhafi contre le peuple insurgé, un massacre qui devait être stoppé » (22 mars 2011).

JPEG - 22.3 ko
“Destruction ?”... “Non, démocratisation”
DR

Substantiellement sur la même ligne aussi le secrétaire du Prc (Partito della rifondazione comunista) Paolo Ferrero qui, le 24 février 2011 alors que la guerre avait commencé, accusait Berlusconi d’avoir mis « des jours pour condamner les violences de Kadhafi » en affirmant qu’il fallait « démonter le plus vite possible le régime libyen ». Le même jour, des jeunes « communistes » du Prc, avec des « démocrates » du Pd, prenaient d’assaut à Rome l’ambassade de Tripoli, brûlant le drapeau de la république libyenne et hissant celui du roi Idriss (celui qui flotte aujourd’hui à Syrte occupée par les djihadistes, comme l’a montré le TG 1 –téléjournal de la première chaîne- il y a trois jours). Une « gauche » qui doublait la droite, en poussant à la guerre le gouvernement Berlusconi, au départ réticent (pour des raisons d’intérêt) mais immédiatement après piétinant cyniquement le Traité de non-agression et participant à l’attaque avec des bases et forces aéronavales.

JPEG - 20.3 ko
Bombardements de l’OTAN sur la Lybie lors de l’opération Odyssée

En sept mois, l’aviation USA/Otan compris (détail participation française en apostille, NdT) effectuait 10 mille missions d’attaque, avec plus de 40 mille bombes et missiles, pendant qu’étaient infiltrées en Libye des forces spéciales, dont des milliers de commandos qataris, et simultanément étaient financés et armés des groupes islamistes définis jusque peu de temps auparavant comme terroristes. Parmi lesquels ceux qui, passés en Syrie pour renverser le gouvernement de Damas, ont fondé l’EI (État islamique) puis envahi l’Irak. Ainsi s’est désagrégé l’État libyen, en provoquant l’exode forcé - et par conséquence l’hécatombe en Méditerranée - des immigrés africains qui avaient trouvé du travail dans ce pays.

On a ainsi provoqué une guerre intérieure entre secteurs tribaux et religieux, qui se battent pour le contrôle des champs pétrolifères et des villes côtières, aujourd’hui principalement aux mains de formations adhérant à l’EI. Le ministre des Affaires étrangères du gouvernement Renzi, Paolo Gentiloni, après avoir rappelé que « abattre Kadhafi était une cause sacro-sainte », lance l’alarme parce que « l’Italie est menacée par la situation en Libye, à 200 miles marins de distance ». Il annonce donc que jeudi il s’adressera au parlement pour l’éventuelle participation italienne à une intervention militaire internationale « dans un cadre Onu ». En d’autres termes, à une seconde guerre en Libye présentée comme « maintien de la paix », comme l’avait déjà demandée Obama à Letta en juin 2013, soutenue par Pinotti (ministre de la Défense) et approuvée par Berlusconi.

Nous revoilà à la croisée des chemins : quelle position vont prendre, ceux qui travaillent pour créer une nouvelle gauche et, en son sein, l’unité des communistes ?

.

Manlio Dinucci

in Mondialisation.ca

17 février 2015

Edition de mardi 17 février 2015 de il manifesto

in http://ilmanifesto.info/gli-incendi...

Traduit de l’italien par Marie-Ange Patrizio

.

Manlio Dinucci est géographe et journaliste. Il a une chronique hebdomadaire “L’art de la guerre” au quotidien italien il manifesto. Parmi ses derniers livres : Geocommunity (en trois tomes) Ed. Zanichelli 2013 ; Geolaboratorio, Ed. Zanichelli 2014 ;Se dici guerra…, Ed. Kappa Vu 2014.

Apostille pour la version française (NdT) :

Rappel sur la participation française à la guerre contre la Libye, « Opération Harmattan » en 2011 :

“Le ministre français des affaires étrangères Alain Juppé a indiqué le 21 octobre au matin sur Europe 1 qu’en Libye, « l’opération militaire est terminée » à la suite de la mort de Mouammar Kadhafi. « L’ensemble du territoire libyen est sous le contrôle du CNT et sous réserve de quelques mesures transitoires, l’opération de l’Otan est arrivée à son terme. L’objectif qui était le nôtre, c’est-à-dire accompagner les forces du Conseil national de transition dans la libération de leur territoire, est maintenant atteint ».

Le 4 octobre 2011 […] le ministre français de la Défense, Gérard Longuet déclare à la commission de la défense de l’Assemblée nationale que les forces françaises ont tiré un total de 4 621 munitions dont 15 missiles de croisières Scalp, 225 bombes de précision AASM tirées par les Rafale, 950 bombes à guidage laser GBU de divers types (GBU-12 de 250 kilos, GBU-22 de 500 kg, des bombes GBU-24 de 1000 kilos, et des GBU-49 de 250 kg guidées GPS) tirées par l’aviation, 431 missiles air-sol Hot tirés par les hélicoptères Gazelle de l’aviation légère de l’armée de Terre, 1 500 roquettes tirées par les hélicoptères Tigre et 3 000 obus de 76 et 100 mm tirés par la marine. Une demi-douzaine de missiles Mistral auraient été également utilisés.

Il a également estimé que le coût de l’opération au 30 septembre sera de 300 à 350 millions d’euros. »

http://fr.wikipedia.org/wiki/Op%C3%...

.

Bilan Libération :

http://www.liberation.fr/monde/2011...

.

Ou Marianne :

« Certes, de nombreux pays […] n’étaient pas enthousiastes à partir en guerre contre Kadhafi, mais la France a trouvé la clé en faisant voter une résolution sur la “protection des populations”. Comme le reconnaît un haut gradé français, “on a tiré sur ce concept comme sur un élastique”, à l’extrême mais sans jamais qu’il ne rompe. Au nom de la protection des populations, c’est en effet le régime du colonel Kadhafi qui a été visé, jusqu’à la mort de celui-ci. »

http://srv.marianne2.fr/marianne200...