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Henri Alleg à Alger républicain « Je suis toujours ’’Bolchiste’’ »
vendredi 19 juillet 2013, par
Vous êtes encore un « Bolchiste » qui fait peur ?
Je vais répondre aussi à une question qui est restée posée lors d’un débat au salon du livre : est-il encore valable d’être communiste aujourd’hui ?
Je ne suis pas le seul à le penser, il y a de plus jeunes que moi qui continuent à croire que l’avenir du monde ne peut pas être celui d’aujourd’hui. De continuer à avoir dans le monde entier une humanité partagée en deux. D’un côté les puissants et de l’autre côté tous ceux qui souffrent de cette puissance. Que ce soit d’un point de vue national comme en Irak, en Palestine, en Afghanistan ; ou que ce soit dans les pays développés, d’un point de vue social, avec d’un côté les milliardaires et, d’un autre côté, plus de pauvres d’un recensement à l’autre à travers le monde.
Ça ne se chiffre pas en millions mais en centaines de millions, alors qu’au même moment on annonce que jamais le monde de par sa production n’a été aussi riche. Alors cette question posée, il y a des années, continue à être posée aujourd’hui de manière beaucoup plus brûlante que jamais.
La question que vous m’avez posée et qui fait référence au livre « Mémoire algérienne », concerne une rencontre bizarre, pittoresque avec un colon qui connaissait le mot bolchevique mais qui l’avait complètement déformé et qui disait que la France, parce que pour lui en Algérie on était en France - c’était pas loin de Boufarik - pour lui la France avait trois ennemis : les Anglais, les juifs et les « bolchistes ».
Alors bon, je suis toujours « Bolchiste ».
Je voulais plutôt savoir si vous faisiez peur de la même façon ?
Je pense que non. On fait moins peur ou dans une perspective lointaine, parce que malheureusement les pays qui incarnaient le « bolchisme » n’existent plus maintenant. Et par conséquent l’idée que leur pays pouvait devenir à leur tour « bolchiste » a disparu.
Pour combien de temps ? Je ne sais pas. Enfin ce n’est pas aussi prenant que ça ne l’a été lors de ma jeunesse.
Vous me faites penser à une question que vous posez dans le livre : la France sera-t-elle socialiste dans dix ans ?
Ce dont je suis sûr, c’est qu’il n’est pas d’autre solution que d’envisager une nouvelle structure du monde. Les pauvres ne vont pas se reconvertir et se mettre à célébrer, à chanter les vertus de ce qu’on appelle aujourd’hui le libéralisme. C’est un mot joli car le mot capitalisme apparaît comme un mot obscène. Pour beaucoup, il ne faut pas l’employer alors que ça veut dire la même chose.
Quelle sera l’issue, cela dépend beaucoup des luttes des peuples et de leur capacité de marquer des points. On dit toujours « aimez-vous les uns les autres », mais c’est bien difficile de s’aimer quand on est un SDF, dans le métro ou sur les quais de la Seine à Paris, que l’on est un immigré qui est sans papiers et qui essaie de vivre et de faire vivre sa famille, c’est bien difficile de lui dire que monsieur De Rothschild est un homme comme tout le monde. Donc, pour réellement créer un monde de fraternité, il faut changer les choses.
Dans votre livre vous-ne parlez pas de vous, mais quand vous racontez vos luttes, vous ramenez tout à l’humain.
Je crois tous simplement que je suis né à une époque où, contrairement à aujourd’hui, les gens qui se posaient des questions trouvaient des réponses qui étaient pour eux, obligatoirement, des réponses universelles. Ils n’imaginaient pas qu’ils pouvaient avoir des réponses qui les satisfassent si ce n’étaient pour répondre au sort et aux questions que se posaient des millions et des millions d’hommes.
Moi j’étais en France et les questions qui se posaient étaient évidemment celles que s’étaient posées les grands penseurs encyclopédistes, des gens comme Voltaire, Rousseau. Ils ne voyaient pas de solutions aux questions qui se posent, s’il n’y avait pas de transformation de la société. Ensuite, il y a eu dans le monde de grandes révolutions : la commune de Paris, la révolution en Russie, la révolution socialiste, etc. On s’inscrivait dans un mouvement.
Malheureusement, aujourd’hui, étant donné la situation difficile, critique, il y a une tendance, encouragée même chez les jeunes, à penser individuellement. On explique aux gens comment se débrouiller pour mieux vivre, se débrouiller pour monter une affaire, pour contourner les lois…
Du point de vue politique c’est effarant quand vous voyez en France des jeunes, interrogés sur leur avenir, ce qu’ils voudraient faire dans la vie, qui répondent : « Je voudrais faire de la politique ». A mon époque il était rare que les gens disent « je voudrai faire de la politique, être député ».
A mon époque les gens auraient dit : « Je voudrais travailler pour l’ensemble de la société ». Il y a cette tendance à l’égoïsme qui est le fruit des difficultés que l’on rencontre.
Vous qui n’êtes pas né en Algérie, qui n’avez pas grandi en Algérie, quelle raison vous a poussé à vous battre pour son indépendance ?
Mon parcours a commencé non pas par un attachement à tel ou tel pays, à la France ou un autre pays. Il a commencé par un attachement à l’idée d’internationalisme.
Dès l’école, c’est la lutte contre les discriminations, contre le racisme, contre toute expression de domination coloniale y compris dans les petites classes. Dés mon arrivée à Alger, j’ai découvert tout de suite que ce qu’on m’avait raconté, enfant à l’école, ne correspondait pas à la réalité. Par conséquent, je me suis ouvert en premier lieu aux luttes de libération de l’Algérie.
J’ai eu la chance de rencontrer à Alger des jeunes Algériens, ensuite
des Européens qui étaient - même si à l’époque il ne fallait pas le dire ouvertement - résolument contre le colonialisme et l’oppression.
C’est pour cela que, sans même avoir à y réfléchir, je me suis retrouvé, et je n’étais pas le seul, aux côtés de ceux qui se battaient pour la liberté pour leur pays, pour le droit d’exister en tant que pays, pour le droit d’avoir sa culture, pour le droit de parler sa langue, pour le droit tout simplement de s’appeler Algérien. Le mot Algérien entendu comme l’adjectif qui caractérisait les habitants du pays ; même ça était refusé aux Algériens : on disait les « indigènes ».
Après, comme le mot était devenu tellement péjoratif, ils ont pensé que c’était mieux de le changer et donc c’est devenu « les musulmans ». Ce qui était absurde car on ne disait pas des Européens « les catholiques », on disait les Français. Au moment de
l’insurrection, les Algériens ont reconquis le droit de s’appeler Algérien.
Ce qui est incroyable, mais enfin c’était comme ça.
Mon orientation me poussait à d’abord être aux côtés, au sein de ceux qui se battaient pour changer les choses. Naturellement, comme j’avais une vue internationaliste et qu’à l’époque, un Européen n’aurait pas pu se retrouver dans un parti nationaliste algérien, le parti qui combattait pour ces idées, était le parti communiste algérien ; et je
me suis retrouvé dans le PCA, convaincu aussi que l’avenir était au socialisme.
Donc la bataille pour la liberté du peuple algérien, la bataille pour la reconquête des droits à l’indépendance de l’Algérie, pour moi c’était intimement lié à la bataille pour l’avenir. Un avenir socialiste en Algérie. Ce qui était aussi la façon de voir dans d’autres pays coloniaux. Rappelez-vous qu’en 1960, en 1962, tous les pays d’Afrique revendiquaient l’indépendance ; mais ils ajoutaient « et on va construire le socialisme ». Dans les pays arabes, en particulier, le plus grand d’entre eux avec Nasser, il était nationaliste, il était croyant. En même temps, il disait : « La République Égyptienne Socialiste » c’est ce que nous voulons disait-il - même si moi je ne suis pas d’accord avec la formule - c’était le socialisme arabe. D’autres ont dit : « socialisme Africain ».
Ça se discute mais c’était quand-même une orientation anti-capitaliste, et anticolonialiste.
Donc voilà, il n’y a pas de mystère.
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Entretien réalisé par Sid Ali ET Safia Ouared
Alger républicain
novembre 2006