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Marc Sagnier d’Aigues-Mortes
samedi 31 octobre 2009, par
IL Y A CINQUANTE ANS
Marc Sagnier d’Aigues-Mortes refusait de prendre les armes contre le peuple algérien en lutte pour sa libération nationale
Nous vivions le temps de la décolonisation. De nombreux peuples, déj ? , s’étaient libérés du joug colonial au prix d’immenses sacrifices. En Algérie, depuis quatre ans la guerre faisait rage. L’armée française, forte de plusieurs centaines de milliers d’hommes bien armés, ne parvenait pas ? vaincre la guérilla dirigée par le Front de Libération Nationale (FLN). Le 12 février 1958, venait de paraître aux Editions de Minuit, La Question, le récit par Henri Alleg des tortures que les paras de Massu lui avaient fait subir ? Alger…
Le 4 mai 1958...
Quatre mois après son appel sous les drapeaux, un jeune ouvrier d’Aigues-Mortes, Marc Sagnier (nous l’appelions Yvan) écrit au Président de la République française : « ...j’ai pris la décision de vous informer de mon refus d’y participer la guerre d’Algérie car ma conscience m’ordonne de ne pas faire la guerre ? un peuple qui lutte pour son indépendance. » Inspiré certes par l’exemple d’Alban Liechti, Marc avait pris seul sa décision. Nous, ses amis les plus proches, bien qu’admirant son geste et le respectant, nous ne l’encouragions pas car nous avions peur pour sa vie. Son père, ancien Résistant au nazisme, lui apporte son soutien : « J’approuve l’attitude de mon fils et j’ajoute moi-même que j’en suis fier. »
Neuf jours plus tard, le 13 mai 1958, éclate ? Alger un coup de force militaire et un Comité de Salut public, sous la direction du Général Massu, s’empare du pouvoir. Ce sera la fin de la lVe République. Les démocrates craignent le pire. Pourtant Marc confirme par une nouvelle lettre, le 16 mai, son refus de combattre le peuple algérien en précisant qu’il est « prêt ? défendre la République », ce qui témoigne d’une remarquable conscience politique.
Le 22 mai, après s’être jeté ? l’eau au moment de l’embarquement, il est embarqué de force ? Marseille sur le « Ville d’Alger » ? destination de Philippeville.
Il sera successivement interné ? Bir El Atar, enfermé dans un puits dont il ne sort que 2 heures par jour ; puis emprisonné ? Tebessa avant d’être dirigé, sans jugement, vers la section disciplinaire de Timfouchy où il croupira pendant 11 mois.
Il aimait la vie
Marc était un jeune semblable ? beaucoup d’autres et rien ne le prédisposait ? devenir un héros. Pourtant, placé dans les circonstances exceptionnelles de cette guerre injuste et cruelle, il sut adopter l’attitude courageuse que lui inspiraient les valeurs morales et politiques acquises au sein de sa famille.
Comme tous les jeunes d’Aigues-Mortes, Marc aimait la fête. Né dans cette cité emblématique de la Petite Camargue, dont les remparts du Xllle siècle se reflètent dans le miroir immobile des étangs qui les entourent, il avait la passion des taureaux ; des sorties au « pré » où l’on grille la saucisse sur un feu de sarments ; des abrivado et des bandido au cours desquelles il se révélait comme un attrapaïre audacieux. Après avoir suivi les cours d’une école professionnelle, il était devenu un tailleur de pierre talentueux recherché par les entreprises de rénovation des Monuments historiques. C’était aussi un militant membre du Parti Communiste Français et un des animateurs du cercle de l’Union des Jeunesses Communistes de France d’Aigues-Mortes qui comptait alors quelque 70 adhérents. D’un caractère entier, en quête d’absolu, sa décision n’a pas surpris ceux qui le connaissaient.
Un bagne militaire
Le pénitencier de Timfouchy, en plein désert ? 400 km. au sud de Colomb- Béchard, était un véritable bagne militaire qui a existé de juin 1958 ? juin 1962. Aménagé autour du bordj Fort Fouchet et entouré d’une clôture en fil de fer barbelé, sa devise, écrite en arabe, était « Adieu la vie ». En hiver, la température qui pouvait atteindre 21°, était fraîche la nuit. En été, elle pouvait dépasser 70°. Les sévices y étaient courants. Outre les passages ? tabac, la « pelote » et le « tombeau », pourtant interdits dans l’armée française, y étaient pratiqués. La pelote consistait ? porter sur le dos, sous un soleil de plomb et jusqu’ ? épuisement, 30 ? 35 kg. de pierres ou un madrier de 2,5 ? 3,5m. de long. Le tombeau était un trou de 50 cm. de profondeur creusé dans le sable par le puni et dans lequel celui-ci était contraint de se coucher en plein soleil.
Parmi les droits communs internés ? Timfouchy, Marc n’était pas le seul « soldat du refus ». Il y avait avec lui Jean Clavel, Voltaire Develay, Lucien Fontenel et Paul Lefebvre ainsi qu’un jeune gardois de Bernis, avec qui Marc a beaucoup sympathisé, Max Bergeron qui, dans son unité, s’était prononcé pour l’indépendance du Peuple algérien.
Une intense campagne de solidarité
Une intense campagne de solidarité (pétitions, collectes d’argent,etc) s’est développée dans le Gard autour de Marc Sagnier, animée notamment par la Jeunesse communiste et, au plan national par le Secours populaire, ? laquelle ont participé des chrétiens, des militants et des élus socialistes comme le Dr. Jean Bastide, conseiller général d’Aigues-Mortes, qui adressa des colis de médicaments ? Marc. Périodiquement des inscriptions « Solidarité avec Yvan Sagnier » étaient badigeonnées sur les routes du Gard et, ? Aigues-Mortes, sur le tablier métallique du Pont rouge qui enjambait le canal et sur le pied de la Tour de Constance, haut lieu du combat pour la liberté de conscience où Marie Durand et ses compagnes furent emprisonnées pendant trente ans. Nous avons également retrouvé la trace de correspondances adressées ? Marc ? Timfouchy, venant de divers coins de France et en particulier d’étudiants et de professeurs de l’Université de Montpellier.
Ces campagnes furent relayées au Parlement par le Sénateur communiste Raymond Guyot qui dénonça les sévices, signala les cas de scorbut et de dysenterie et exigea une enquête ministérielle et la dissolution de cette « section spéciale ». Devant l’émotion soulevée par ces révélations, le camp, comme le signale Marc dans ses lettres, fut progressivement vidé de ses occupants ? partir d’ août 1959. Il sera supprimé en juin 1962.
Vers la fin de son calvaire, Marc qui avait résisté ? toutes les pressions, s’est interrogé sur l’efficacité de son action et dans une lettre ? ses parents datée du 22 octobre 1959, il a cette réflexion : « Ma position est toujours juste...C’est une position personnelle donc il ne faut pas regarder le résultat car ce n’est pas une véritable action politique. Il est vrai que je m’attendais ? ce qu’il y ait beaucoup plus de jeunes qui refusent. »
Transféré ? Alger et hospitalisé ? l’hôpital Maillot où il reçoit les soins que nécessite son état de santé très dégradé, il est libéré des obligations militaires le 21mars 1960 et il débarque ? Marseille le 22 mars.
Son exemple et celui de ses camarades ont beaucoup contribué ? la prise de conscience de la légitimité de l’aspiration ? l’indépendance du peuple algérien. Mais il l’a payé au prix fort. En effet, Marc nous a quittés en janvier 1995 ? l’âge de 58 ans. Les 11 mois de bagne qu’il avait endurés ne sont pas étrangers ? sa disparition prématurée...
Bernard Deschamps
Notes de l’auteur
C’est en 1956 que le jeune soldat Alban Liechti écrit au Président de République son refus de combattre le Peuple algérien.
Muté du 7e Génie ? la Section Spéciale AFN par décision de l’autorité militaire n°30785/CC/CH/BG du 29.08.1958.
L’abrivado est l’arrivée des taureaux venant du pré.
La bandido est le retour des taureaux vers le pré.
Lucien Fontenel est décédé en 1993.
Paul Lefebvre est décédé.
Marc Sagnier a écrit 153 lettres ? ses parents pendant son séjour en Algérie. Certaines sont passées par la censure, d’autres ont été acheminées clandestinement grâce ? diverses complicités au sein del’armée.