Notes sur un lendemain de colloque …

lundi 12 mars 2012

Bilan

Au regard des objectifs définis à l’avance, le colloque historique franco-algérien de Nîmes, consacré à la « Fédération de France du FLN », ne peut être qualifié autrement que comme une réussite incontestable.

La qualité et l’originalité des recherches dont étaient nourries les communications, la vivacité des discussions, les questions générales soulevées, l’émotion même qui a étreint la salle le dimanche matin à l’audition de quelques témoignages et récits, ont pleinement justifié le refus des organisateurs de plier sous la menace d’une demande d’interdiction que, bien imprudent, le sénateur-maire de Nîmes avait pourtant appuyée puis réclamée mais en vain. Les organisateurs ont résisté et ils ont gagné et la République française ne s’est pas déshonorée. Il n’y eut d’ailleurs, ni dedans, ni dehors, le moindre trouble à l’ordre public. Le colloque qui s’est tenu tranquillement, non seulement encouragera la recherche historique mais, plus encore, contribuera à l’ancrer sur les deux rives de la Méditerranée pour le plus grand bien d’une connaissance partagée et, de ce fait, d’un meilleur avenir commun franco-algérien. Félicitations donc aux organisateurs, aux intervenants et tout particulièrement à l’infatigable Bernard Deschamps que tout le monde a salué d’amitié.

Rencontre …

Me rendant le samedi matin à la première séance, je parvins par une rue détournée près du lieu, devant la Préfecture, où se rassemblaient quelques centaines de protestataires. Je m’étais d’ailleurs mélangé à plusieurs d’entre eux en marchant depuis la gare SNCF derrière un groupe apparemment constitué parce je tiens pour acquis que l’espace public appartient à tous.

Sur un trottoir en face de leur groupement, un homme seul d’âge mur observait, visiblement perplexe : hésitait-il à rejoindre les manifestants ? Avait-il l’intention de se rendre au colloque ? Je m’approchai de lui et le questionnai sur ses intentions : il m’avoua simplement ne pas saisir dans leur brouhaha choral ce que proclamaient les manifestants qui agitaient devant nous, drapeaux tricolores et banderoles. « Algérie française » lui dis-je : à son étonnement devant la rythmique d’un slogan si souvent entendu il y a un demi-siècle, je compris qu’il était d’une génération bien postérieure à la mienne. « Croyez-vous, me dit-il sceptique, qu’ils veulent refaire la guerre ? ». « Assurément pas, lui répondis-je, ce qu’ils clament est à usage interne mais ils expriment aussi une souffrance intérieure, une rancœur et des fantasmes que leurs mauvais bergers entretiennent pour les mieux manipuler ». J’ai jugé sans trop y croire que l’homme avait peut-être entendu mon propos. En effet, il s’en retourna en direction de l’Avenue Feuchères et je repris le chemin du Colloque en contournant l’espace contrôlé par les forces de police.

Mesure d’un succès

Facile de claironner, me dira-t-on. Mais en quoi ce colloque est-il une réussite ? Il l’est tout simplement parce que son déroulement a permis de réaliser les trois objectifs proposés par ses initiateurs : d’abord être un colloque destiné à mieux explorer un aspect particulier (mais important) de l’histoire de la Guerre d’Algérie, ensuite appeler à intervenir historiens français et témoins algériens, enfin ne pas prétendre clore avec cette rencontre les débats ni les recherches, en France comme en Algérie, mais au contraire contribuer, sur les deux rives, à les enrichir et à les développer librement, ce que Gilbert Meynier dans ses conclusions a fortement rappelé.

Un succès politique ?

Les journaux comme les observateurs l’avaient remarqué : les organisateurs avaient soigneusement évité d’associer les formations politiques de gauche à leur initiative. Alors que la date anniversaire de mars 1962 imposait ses contraintes, ils manifestaient le souci de ne pas mélanger les genres dans un moment politique dominé par l’échéance de l’élection présidentielle en France : on aurait dû leur en savoir gré. J’ai donc trouvé assez cocasse, presque surréaliste, que l’UMP s’associe au mouvement lepéniste pour appeler à une manifestation contre un colloque historique dont les initiateurs s’étaient bien gardés de confondre conjoncture électorale et commémoration du cinquantenaire … Et pourtant, nous avons assisté à ce spectacle grotesque que la photographie immortalisera, que les manuels à venir montreront à des lecteurs incrédules : le sénateur-maire de Nîmes, M. Fournier, grand soutien psycho-rigide de M. Sarkozy, accompagné du député benoîtement rallié, M. Lachaud, entourés de leurs amis et collaborateurs, tous, les mains appuyées sur une barrière, précédant une foule dominée par une banderole appelant à voter pour Mme Le Pen et entonnant le « Chant des africains ».

On ne pouvait mieux symboliquement enterrer les velléités d’entente méditerranéenne que le Président de la République sortant, avaient pourtant manifestées au début de son quinquennat, au temps de Ben Ali, Moubarak et Khadafi, projet, saboté par Mme Merkel, dont il ne reste d’ailleurs absolument rien sinon le soin confié à M. Fournier d’en officialiser la mort. Nicolas Sarkozy dira-t-il, une fois encore, comme on lui en prête la formule, ce « Préservez-moi de mes amis » qui accompagne ses dernières sorties présidentielles.

Enfin, constatons-le cependant sans déplaisir, MM Fournier-Lachaud-Colliard, associés en trio, auront ainsi réussi à s’infliger à eux-mêmes une défaite politique, donnant involontairement satisfaction à un grand nombre de citoyens qui n’en demandaient pas tant. Merci.

Claude Mazauric, historien.