Le peuple au secours de Rebrab ou Rebrab au secours du peuple : quelques repères pour l’histoire d’une imposture

mardi 26 mars 2019
par  Alger républicain

L’unanime rejet d’un pouvoir qui a servi d’incubateur à une petite minorité de gros gagnants de l’ère Bouteflika tend à ne focaliser ses regards que sur les arrivistes « oligarchisés » les plus discrédités. L’erreur de ces personnages symbolisant la corruption et l’arbitraire est de s’être placés à la tête de hautes fonctions politiques pour servir avec zèle le pouvoir et se servir. Une « erreur » due à l’ivresse que procurent l’ascension vertigineuse dans la hiérarchie du pouvoir apparent, et le sentiment d’impunité. Tel Haddad pour ne citer que ce personnage incapable d’aligner quelques mots sans déclencher des quolibets ou susciter l’indignation devant le spectacle affligeant d’un patron-marionnette inculte.

La révolte qui a pour proie favorite ce genre d’individus massivement rejetés, en ces temps de mouvement populaire sans précédent, ne doit pas pour autant faire oublier qu’ « un oligarque en cache d’autres ». Les remplaçants sont à l’affût. Ils se chauffent les mains à l’idée de prendre très bientôt à leur tour le contrôle de l’Etat juchés sur les épaules de millions de jeunes à la recherche d’une alternative. Du moins le croient-ils, sous-estimant les enseignements des luttes que ces jeunes vont rapidement assimiler.

AR

La presse libérale présente le célèbre magnat, patron officiel de Cevital, sous les traits glorieux d’un « capitaine d’industrie », de « créateur de richesses » et même « d’emplois ». Des images de cet industriel circulent sur les réseaux sociaux. Il est aux côtés des marcheurs qui eux revendiquent la fin du système … Bref, Rebrab est le nouveau sauveur des laissés pour compte, un véritable « héros du peuple », à qui il ne reste plus qu’à attribuer le porte-feuille (ou le porte-monnaie) de super ministre de l’économie nationale (ravalée au statut d’annexe ou de comptoir commercial de l’Union européenne) de la future « 2e République » !

Et pourtant, est-il vraiment nécessaire de rappeler que Monsieur Rebrab est aussi un pur produit du système que la rue rejette ? Un oligarque impitoyable avec les travailleurs tentés de s’organiser en syndicat pour se protéger de l’arbitraire patronal [1]. Un vrai oligarque né dans les années de malheurs et de violence, celles où ont été conduites tambour battant les réformes libérales les plus destructrices de notre économie naissante. Il été parmi les premiers à bénéficier des faveurs d’un système qui s’est bâti sur la casse de notre jeune industrie nationale.

Monsieur Isâad Rebrab a commencé à construire son empire dès le début des années 1990, grâce à un crédit providentiel de près de 200 millions de dollars mis à sa disposition par l’Etat, au moment même où le pays était financièrement étranglé par ses créanciers [2]. Mais, l’essentiel de sa fortune a explosé démesurément sous l’ère Bouteflika malgré le fait que son journal « Liberté » s’était éloigné de ce dernier en 2003, prenant adroitement position pour ses opposants dans l’armée, auxquels il devait son ascension fulgurante dans les années 1990.

Rebrab a bénéficié comme on le sait d’une implantation stratégique sur les quais du port de Béjaia en violation des lois régissant le domaine national. C’est entre 2000 et 2018 qu’il crée la majorité de ses filiales (dans la construction, l’importation la commercialisation des véhicules Hyundai, importation prépayée par les acheteurs (!!) et, bien entendu surfacturée, la distribution des produits Samsung, des photocopieurs Rank Xerox et Canon, produits eux aussi surfacturés, l’industrie du verre, l’immobilier, des chaines de la grande distribution, et des centres commerciaux (sur des assiettes foncières publiques cédées à vil prix), la production et l’exploitation des mines et carrières, les pépinières et les concessions agricoles …

Si Cevital agro-industrie dispose d’une raffinerie d’huile, de sucre, d’une margarinerie, d’unité de conditionnement d’eau minérale, d’unité de fabrication et de conditionnement de boisson, d’une conserverie de tomates et de confiture, de silos portuaires ainsi que d’un terminal de déchargement portuaire, Rabrab a comme on le sait le monopole du sucre et de l’huile en Algérie. Il a acquis des actifs économiques d’ENAJUS, possède la marque d’eau minérale Lalla Khedidja et s’est lancé très tôt dans l’acquisition de terres agricoles (dès 2004) …

Il a créé sa filiale agricole CEVI-Agro en 2008 et acquis soit par achat, soit dans le cadre de concessions agricoles des terres dans les régions les plus riches et les mieux dotées sur le plan agro-climatique (El-Hamiz, Rouiba, Dergana, Bou-Saada, Béjaia, Mostaganem, région d’Oran). Pourquoi l’Office National des Terres Agricoles ne publie-t-il pas à l’occasion la liste de toutes les concessions de terres accordées ces dernières années à Rebrab, à Haddad et à de nombreux autres oligarques connus ou moins connus ? Rappelons que ces terres avaient été enlevées à de petits exploitants auxquels les banques refusaient toute aide. Il est actuellement le principal exportateur de produits agro-alimentaires du pays. Tirant profit du quota accordé à l’Algérie dans le cadre des accords d’association avec l’Union Européenne (importation en franchise et libre de taxes) et des subventions publiques accordées sur l’énergie (celle-ci intervient pour plus du tiers dans le coût de transformation du sucre brut), ou le transport, il exporte pour plus de 200 millions de dollars de sucre raffiné. En fait, comme pour les autres bénéficiaires des crédits généreux de Sellal pour produire du sucre raffiné obtenu à partir de matières importées, le fond sonnant et trébuchant de l’opération se résume à accumuler de gros profits en devises en exportant les subventions !

Voilà un bref aperçu du plus grand patron algérien, de la première fortune privée du pays, évaluée en milliards de dollars.
Des petits Rebrab il en existe cependant par dizaines. Il se font discrets appliquant l’adage « pour vivre heureux - et faire du fric - vivons cachés ». Si Rebrab se retrouve sous les feux des projecteurs c’est parce qu’il l’a cherché en se faisant passer pour le sauveur de la Kabylie dont les projets sont sabotés par le pouvoir privant la population de la création de cent mille emplois, ni plus, ni moins !! Alors que maintenant tout le monde a commencé à comprendre que c’est le développement de toute l’Algérie qui a été torpillé au grand bénéfice des importateurs magouilleurs et des faux industriels. Torpillage exécuté par l’Etat en application des « réformes » hamrouchiennnes de 1990, réformes qui ont placé les importations dans les mains de gros privés, des accords passés avec le FMI en 1994 et qui s’étaient soldés par la fermeture de très nombreuses unités industrielles, du désengagement de l’Etat de l’acte de production officiellement décidé par un homme de la Banque mondiale, Benbitour, avant de quitter son poste de chef du gouvernement en 2000.

Une question citoyenne en ces temps de révolte et de revendications politiques salutaires pour le pays : une telle fortune peut-elle être accumulée en résistant farouchement au système ou à l’ombre (pour être gentil) de ce système ?
La réponse dévoilerait peut-être que l’autre oligarque Kouninef, son présumé rival – qui lui a eu, comme on le sait, à son tour la faveur des clans mafieux - ne servirait que d’épouvantail.

La réponse à cette question politique nous indiquera le sens des changements et des résultats de l’intifadha contre un pouvoir haï : soit dans le sens des intérêts des masses populaires ou alors dans le sens des intérêts d’une bourgeoisie qui revendique cyniquement aujourd’hui une plus grande part du butin sous le slogan de « réformes économiques plus radicales ». Avec, peut-être, pour faire croire à un « vrai » changement, la confiscation des biens de quelques boucs émissaires vomis qui s’étaient crus intouchables grâce à la protection du pouvoir !

Sid Ali
26.03.19

1 Lire « Grève illimitée à l’usine CÉVITAL de Béjaïa (9 avril 2012) » : http://www.alger-republicain.com/Gr...CEVITAL.html

2 Lire « Rebrab à son tour rattrapé par un nouvel épisode du « Panama Papers » (21 août 2016) :
http://www.alger-republicain.com/Re...


[1Lire «  Grève illimitée à l’usine CÉVITAL de Béjaïa (9 avril 2012)  » : http://www.alger-republicain.com/Gr...CEVITAL.html

[2Lire «  Rebrab à son tour rattrapé par un nouvel épisode du «  Panama Papers  » (21 août 2016) :


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