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Comment vivre à Diar Echems dans un F « porte » ?

vendredi 30 octobre 2009, par Alger républicain

Ami (oncle) Mohamed tient absolument à nous faire visiter l’endroit où il habite, au fond du couloir, d’un des bâtiments de la cité Diar Echems. Véritable cité dortoir, Diar Echems, ce sont pas moins de1500 logements.
La porte s’ouvre directement sur une petite cuisine, facile à remplir avec une simple table collée au mur, un frigidaire, une cuisinière et un évier. On y prépare les repas mais c’est également là ou dorment les parents !
Un petit réduit sert de WC et de douche. Il s’ouvre directement sur la cuisine. On peut dire que les toilettes sont construites à l’intérieur de la cuisine. Une femme rencontrée dans le même bloc raconte qu’il est très gênant pour tous de passer aux WC quand les autres membres de la familles sont à table : « généralement je laisse l’eau couler ».

La famille de ami Mohamed est constituée de 10 membres. L’unique chambre dont se compose le « logement » accueille la nuit ses deux filles et ses deux garçons. Au balcon, dont on a surélevé le mur, dorment un de leurs fils et sa femme. L’épouse de Ami Mohamed précise que deux autres garçons, les plus âgés, ont choisi de fuir cette promiscuité et de dormir dans les bidonvilles, installés à côté de leur bâtiment. Cette famille ne sort pas du lot car tous les logements de cette cité sont à l’image du leur.
Un de leurs voisins est le chef d’une famille plus nombreuse : ils sont 14 à s’entasser dans ce même petit périmètre. Des boîtes en carton y sont aussi empilés : ils renferment toutes ces affaires qu’on ne peut ranger en raison du manque de place.

Et il y a ce long couloir. Le couloir qui accueille leurs joies et leurs peines. On apprendra que ce soit pour les mariages ou pour les décès, toutes les portes s’ouvrent pour faire de la place. Mais heureusement qu’il y a ce long couloir.

Les femmes s’inquiètent de cet espace réduit qui déchaîne des événements tragiques. En effet, elles parlent de cas d’inceste. Une femme est souvent battue par son mari car elle refuse d’aller au lit avec lui par honte. Ils sont 7 à dormir entre la cuisine et l’unique pièce : « regardez, ce ne sont pas des logements, ce ne sont pas des F1 ou des F2, ce sont des F « porte ».

Ce qui devait être le hall de l’immeuble a été transformé en une pièce abritant un couple et ses trois enfants, tous asthmatiques. La pièce sent le moisi. C’est par là que passe le collecteur d’eau de l’immeuble. Il avait explosé, il y a quelques années, l’inondant entièrement sous un flot d’eaux sales et puantes rejetées par les cuisines et les WC des habitants. Des rats répugnants traversent souvent la pièce.
Le mari n’a qu’un seul souhait : si les autres habitants aspirent à des appartements plus spacieux, lui ne rêve que d’une chambre, sans plus, pour abriter décemment sa famille. Pour l’instant, il se résigne à attendre que son garçon de 14 ans s’endorme pour qu’il puisse se changer.
Des années après l’indépendance, cette jeune famille n’a pu bénéficier de WC que depuis deux ans. Ce sont les gens du quartier qui se sont décidés à le lui construire sans l’accord des autorités qui ont fait la sourde oreille à ses nombreuses demandes.
Encore ces cartons « rangés affaires ». Ils sont placés les uns sur les autres, en attente d’être défaits un jour. Peut être !

La semaine dernière, les habitants de Diar Echems avaient décidé de marcher pacifiquement pour protester contre une répartition de logements qu’ils avaient jugé injuste.

La protestation a vite viré en bataille rangée entre eux et le service d’ordre. Les projectiles fusent des deux côtés entraînant des blessés dans les deux camps. Les résidants rappellent que la police s’est escrimée à tirer avec des gaz lacrymogène, ce qui a provoqué des malaises chez les femmes et les enfants. Selon eux, ils ont été sujets à des provocations de la part du service d’ordre dont les membres ont proféré les pires insultes avilissantes envers eux et leurs familles.

Les locataires de ce quartier affirment qu’ils ne veulent pas créer la pagaille, la marche était une façon de protester et de tirer la sonnette d’alarme autour des conditions lamentables dans lesquelles ils vivent.
Il n’est pas facile de vivre à Diar Echems, Ami Mohamed lance un défi à tous ceux qui les comparent à de simples voyous : « Qu’ils ramènent leurs affaires et qu’ils prennent notre place pendant une seule semaine »

Pour eux, Diar Echems est taxée de quartier populaire, donc regroupant tous les fléaux de la société : « On veut toujours nous faire passer pour des gens à problèmes. Vous savez, ici aussi il y a des gens cultivés, des licenciés, des ingénieurs, notre revendication est simple, nous voulons vivre dignement. »

La délinquance, la drogue sont présentes à Diar Echems comme elles le sont dans les autres quartiers d’Alger et d’Algérie. De nombreux habitants expliquent le désarroi des jeunes et des moins jeunes par l’inexistence de perspectives : « Nos enfants n’ont ni emploi, ni un chez-soi convenable, ils traînent dehors toute la journée et ne rentrent que très tard dans la nuit, pour dormir ».
Un quinquagénaire habitant une baraque à l’entrée de la cité lance cette phrase avec beaucoup de dépit : « On est né dans les baraques, on moura dans les baraques ».

A la sortie de Diar Echems, un grand poster avec l’inscription « Une Algérie forte et sereine », résidu de la dernière campagne électorale présidentielle, trône toujours sur un immeuble.
Un slogan qui suscite chez tous ce questionnement : « forte et sereine » pour qui ?

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Safia Ouared

30.10.09