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Aujourd’hui l’AFRIQUE en partenarait avec Alger républicain
Stratégie algérienne de développement. Aperçu sur l’histoire de son sabotage méthodique par les partisans de la voie capitaliste
AUJOURD’HUI l’Afrique N°113 - septembre 2009
jeudi 24 septembre 2009, par
Ces changements profonds coïncident avec la hausse du prix du baril de pétrole qui passe rapidement de 17 dollars en 1978 à 40 dollars. Les nouveaux clans dirigeants sont pris de vertige devant cette hausse inattendue. Plus question de l’austérité et des privations jusque-là acceptées en vue de développer une base économique moderne assurant aux générations à venir un minimum décent : emploi, instruction, santé, logement, subsistances et autres moyens de vie accessibles. C’est sous un slogan mensonger “Pour une vie meilleure” que la nouvelle équipe s’emploie à tromper la population irritée par les pénuries provoquées tant par une mauvaise maîtrise de la politique économique et monétaire que par le sabotage de la grosse bourgeoisie commerçante qui contrôle la distribution. Mais Chadli réoriente l’utilisation de l’argent du pétrole vers l’importation massive de biens de luxe et les investissements de prestige non productifs aux dépens de la politique de développement. Le slogan galvanise toutes les couches privilégiées qui poussent à une rupture rapide et radicale avec la politique mise en œuvre auparavant par l’aile progressiste de la petite-bourgeoisie.
Celle-ci avait pu depuis l’indépendance et jusqu’à un certain point imprimer ses conceptions au développement de l’Algérie.
Avant la mort de Boumediene et sous l’impulsion du Parti de l’Avant-Garde Socialiste qui œuvrait dans la clandestinité, les progressistes de divers bords commençaient à réfléchir aux corrections à apporter à la politique économique, à la nécessaire démocratisation du processus de décision de même qu’aux moyens de mobiliser les masses populaires dans des cadres démocratiques autres que ceux imposés par le parti unique et avec des méthodes basées sur une mobilisation démocratique. Les débats qui ont précédé l’adoption de la Charte nationale avaient révélé l’existence d’un grand potentiel démocratique révolutionnaire et d’une immense attente pour aller de l’avant en brisant les blocages et en combattant le phénomène de la corruption qui commençait à gangréner les rouages de l’État à partir du “haut”. Les débats avaient donné la possibilité aux travailleurs d’exprimer leur volonté de mieux défendre les orientations défendues par la fraction de gauche du pouvoir en dénonçant les conceptions hégémonistes et caporalisatrices qui leur interdisaient de s’organiser hors du FLN.
Malgré la répression qui s’abattait avec plus ou moins d’intensité sur les communistes et d’autres secteurs progressistes depuis l’indépendance, les conceptions du PAGS suscitaient l’adhésion des jeunes et des travailleurs les plus combattifs. Mais la petite-bourgeoisie progressiste au pouvoir cautionnait elle-même les vues anti-ouvrières de la droite, ce qui faisait le jeu des courants réactionnaires du pouvoir.
Mesurant la menace qui pesait sur ses intérêts de classe et ses projets, l’aile droitère du régime a pris peur. A la mort de Boumediene, elle s’est emparée en parole du souci de corriger ces erreurs mais en fait elle s’est attelée à les aggraver et à casser net la dynamique de la mobilisation populaire qui a commencé à s’affirmer dès le début des années 1970 dans le feu de la lutte pour la réalisation de tâches importantes comme la limitation de la propriété foncière, la nationalisation des ressources naturelles, la solidarité avec les peuples et l’action contre la domination impérialiste dans le monde.
Le bilan de la politique économique des années 1970 comportait beaucoup d’aspects positifs mais aussi des aspects négatifs
Les ressources en hydrocarbure entre les mains de l’État algérien depuis 1971 servaient désormais à financer le développement et l’amélioration des conditions de vie de la grande majorité des citoyens et pas seulement celles d’une élite ou des couches privilégiées comme le souhaitaient les partisans d’un choix libéral. Une solide base industrielle a commencé à se construire sous l’égide d’un secteur public qui se forme rapidement face à l’incapacité de la bourgeoisie algérienne de prendre en main des transformations d’une telle envergure, mais face aussi au refus des entreprises françaises de s’impliquer dans un développement qui remettait en cause les anciens rapports de domination économique. En l’espace de quelques années seulement, l’Algérie s’est mise à produire de l’acier, des camions, des bus, des tracteurs, des moissonneuses-batteuses, des pompes et vannes, de l’engrais, des machines-outils, des produits pétrochimiques, des téléviseurs et réfrigérateurs, ainsi que des dizaines de produits auparavant importés, etc., c’est-à-dire toutes choses qui lui étaient interdites du temps de la colonisation et du fameux “Pacte colonial”.
La formation de techniciens, d’ingénieurs et de cadres a fait un bond gigantesque. Attirées par les marchés industriels, les multinationales allemandes et américaines se soumettent à l’obligation imposée par l’Etat de former des Algériens et de promouvoir des services de maintenance et de sécurité, industrielles. L’existence du camp socialiste est un facteur décisif qui incite les puissances impérialistes à faire des concessions hors du modèle néo colonial classique. Un enthousiasme sans précédent entraîne le pays dans la “bataille de la production”.
Ces résultats positifs sont cependant grevés de graves faiblesses et erreurs. Le travail de planification est faible et à peine embryonnaire. Il se heurte à des réflexes de sectes jalouses de leur pouvoir de décision et au sabotage sournois de cercles hostiles aux orientations de progrès. Le secteur des hydrocarbures cherche à briser son encerclement méthodiquement organisé par des départements ministériels opposés au développement et au secteur public. En réaction à ces manoeuvres, les responsables de ce secteur accentuent une logique d’investissements déconnectés d’un processus d’ensemble qui aggrave en fin de compte la situation financière du pays.
Le recours aux crédits externes débouche sur des fuites en avant facilitées par l’opacité et le refus du débat démocratique. Le rythme d’investissement est supérieur aux capacités de réalisation et d’absorption. Ce qui provoque des allongements dans les délais de réalisation et des pénuries de toutes sortes. Ce qui augmente aussi les coûts de réalisation et compromet les équilibres financiers des entreprises. Les entreprises publiques sont chargées de toutes sortes de fonctions qui alourdissent leurs charges financières alors qu’elles auraient dû être supportées par la collectivité nationale, telle que la construction de routes, de logements, de structures sanitaires, etc. Les capacités d’engineering internes sont fréquemment méprisées par des gestionnaires qui considèrent que le développement et l’innovation ne peuvent être promus que par les sociétés étrangères.
En fait et d’une certaine façon ces erreurs s’inscrivent dans les “faux frais” de l’apprentissage de la gestion planifiée, pour autant que la volonté existe de les corriger et que le régime garde le cap au travers des redressements sur les objectifs fondamentaux de refonte de la société et de ses rapports de production. Ces dysfonctionnements reflètent le caractère hétérogène de la nature sociale du pouvoir. Il est le théâtre de luttes sourdes mais sans merci entre les partisans du capitalisme, de la dépendance et de la collaboration avec l’impérialisme et les partisans d’un socialisme qui s’appuie sur la propriété sociale des moyens de production mais nie, au nom des « spécificités » de l’Algérie, la validité du marxisme et la nécessité de s’appuyer sur la classe ouvrière. Les adeptes de ce socialisme rejettent dans leurs discours la lutte de classes. Mais la réalité les oblige à la mener contre leurs adversaires. Ils font face à la résistance et au sabotage des adversaires des options de progrès de façon inconséquente, à travers des hésitations et compromis qui minent en fin de compte leurs assises sociales, brident le mouvement de masse, renforcent les positions des défenseurs de la voie capitaliste. L’unité de direction indispensable au niveau de l’État à la réalisation de la stratégie n’est qu’une fiction qui sème des illusions au sein des masses et freine leur intervention consciente. Les initiatives et la vision de l’aile de gauche du pouvoir sont contrecarrées voire sabotées par les droitiers qui comptent sur le mécontentement suscité par toutes ces incohérences afin de parvenir à dresser la population contre les orientations stratégiques de progrès.
Les restrictions à la mobilisation démocratique des masses ont favorisé l’offensive droitière.
Toutes ces faiblesses pouvaient être surmontées si le débat avait eu lieu avec les principaux concernés. Mais cela fut interdit par les changements qui s’opérèrent après la disparition de Boumediene dans une direction diamétralement opposée aux espoirs et aux aspirations des travailleurs et des cadres acquis à la nécessité d’une stratégie nationale de développement.
Très vite le nouveau régime se lance dans une série d’opérations qui désorganisent complètement le secteur public : restructuration organique, morcèlement des entreprises, séparation de la fonction production de la fonction « commercialisation » pour n’en citer que les aspects les plus destructeurs. Sous couvert de « rigueur » et de contrôle de l’utilisation des deniers publics, le nouveau pouvoir met en place un dispositif de contrôle bureaucratique absurde qui étouffe jusqu’à la paralysie le secteur public.
En même temps, il abandonne des projets structurants - comme la production des aciers spéciaux, le complexe d’équipements lourds ou la production de pneumatiques ou encore celle de l’aluminium - qui devaient contribuer à une plus grande intégration économique interne. Il se lance dans une politique d’importation et de dilapidation des devises qui conduisent au renforcement du poids de la dette extérieure. Les syndicalistes qui défendaient la conception d’un secteur public démocratiquement géré, au service du développement et des intérêts des travailleurs sont évincés de l’UGTA. Parallèlement, des centaines de cadres sont jetés en prison sous le prétexte de “mauvaise gestion”. Le secteur public ne s’en relèvera pas. C’était le but recherché pour provoquer le pourrissement justifiant sa liquidation et la libéralisation. La voie est ouverte pour le passage au capitalisme. Le nouveau cours est soigneusement camouflé en 1987 sous la feuille de vigne des “réformes économiques” qui seront effectivement engagées sous le gouvernement de Hamrouche deux ans plus tard.
La chute du prix du pétrole en 1985 - qui tombe brutalement de 40 à 10 dollars - a plongé le pays dans une grave crise financière qui aura pour effet immédiat de priver le secteur public des moyens de financement de son activité productive étant donné qu’il est encore contraint d’importer son outillage et ses pièces de rechange. En réalité ce n’est pas la chute du prix du pétrole qui est à l’origine de cette crise mais la gabegie d’une caste de jouisseurs sourds aux mises en garde des progressistes et de fonctionnaires prévoyants de l’État. Ces derniers appelaient en vain à stopper le recours à l’endettement dans un contexte où les recettes pétrolières étaient largement suffisantes pour ? la fois faire face aux besoins et constituer des réserves en devises en prévision d’un retournement des marchés pétroliers.
Le désastre causé par le “capitalisme réel”
Les réformes mises en application en 1990 sur le plan monétaire ont pour effet immédiat de multiplier mécaniquement par 10 la dette que le secteur public avait contractée pour financer pour une partie ses investissements et pour une autre l’importation dans les années 1980, sur ordre du gouvernement, des biens de consommation dont les profits échoueront dans les poches des spéculateurs liés au régime. Elle continuera à croître de façon géométrique sous l’effet de l’augmentation des taux d’intérêts qui dépassent durant des années et à partir de 1990 les 22% ! La dévaluation du dinar est un facteur essentiel de la liquidation planifiée du secteur public. En 1988 un franc s’échangeait contre environ un dinar. Dès le milieu des années 1990 la parité sera de un franc pour 6 dinars. Les entreprises publiques sont consciemment jetées dans un abîme sans fond. Une campagne idéologique massive relayée par la presse dite “privée” met l’accent sur les montants faramineux de cette dette sans les rattacher aux conséquences des décisions “monétaristes” des réformateurs. On omet de signaler que le secteur public détient d’importantes créances sur l’État et sur lui-même. La solution financière, en dehors des autres aspects liés à la gestion, était de neutraliser les créances et dettes réciproques pour assainir la situation et “remettre les compteurs à zéro”. Elle est préconisée par de nombreux gestionnaires lucides. Cette solution est cependant impraticable sous un régime qui s’est fixé pour tâche de faire disparaître le secteur public et d’en redistribuer les morceaux les plus rentables au profit de ses dignitaires.
Dans le contexte de l’application de l’accord de ré échelonnement intervenu en 1994 avec le FMI, les travailleurs assistent impuissants à la destruction d’un immense potentiel économique qui va ravaler l’Algérie au rang d’un pays sous-développé sans possibilité d’en sortir. Les recettes pétrolières ne servent plus qu’à importer les biens de consommation. La production nationale de machines, de tracteurs, de camions, de téléviseurs, de chauffe-bain, s’effondre. Le secteur du textile et de la confection, y compris privé, disparaît instantanément. De gros importateurs s’installent avec le soutien des gros bonnets du régime qui leur octroient sur simple coup de téléphone crédits et facilités sans aucune contrepartie. Le complexe sidérurgique d’El Hadjar est mis en veilleuse. Le fil d’acier destiné à la construction est désormais en grande partie importé. 400 000 travailleurs sont jetés à la rue. Le niveau de la production industrielle ne représente plus aujourd’hui (2009) que moins de 40% de ce qu’il était en 1984 ! 1300 entreprises locales qui assuraient dans les campagnes emploi, revenus et réalisations matérielles de toutes sortes sont fermées. Les coopératives agricoles de service grâce auxquelles les petits paysans cultivaient à bon prix leur terre sont liquidées.
La sur-facturation des produits importés est la règle. De grosses fortunes surgissent comme par enchantement. Les nouveaux riches ne craignent plus d’étaler leur opulence insultante. Misère - les salaires réels ont diminué de 30% au moins par rapport à 1984 - développement à grande échelle de la prostitution, apparition du phénomène des suicides suite à la perte de l’emploi ou à l’absence totale de perspectives de travail, tentatives massives de rejoindre clandestinement l’Europe, etc., le libéralisme déploie le vrai bilan du “capitalisme réel”. Il n’est réjouissant que pour une minorité de nouveaux riches et pour les hauts dignitaires du régime qui ont mis la main sur les revenus pétroliers à travers des sociétés d’importation gérées par des hommes de paille et sur d’immenses étendues de terres agricoles converties en terrains à bâtir ou en réserves spéculatives.
Le terrorisme a joué le rôle de catalyseur du libéralisme. Les idéologues de l’islamisme ont participé activement à son instauration au nom d’une conception de classe réactionnaire de l’Islam.
La liquidation du PAGS, la démoralisation qui s’en est suivie, la démobilisation d’un très grand nombre de ses militants sous les assauts de l’idéologie capitaliste et de l’impact négatif de la disparition du camp socialiste, les difficultés à reconstituer un parti communiste influent et enraciné au sein de la classe ouvrière, elle-même en partie détruite en tant que classe par suite du démantèlement de la base industrielle du pays ou de son remplacement partiel dans un secteur privé peu concentré par des jeunes sans expérience syndicale et politique, tous ces facteurs réunis ont favorisé les attaques contre le secteur public économique.
En définitive la destruction du secteur productif public, l’abandon de toute planification, n’ont pas seulement paupérisé les travailleurs. Ils ont enfoncé tout le pays dans une terrible spirale régressive.
La tentative de développer l’Algérie en appui sur un vaste secteur public a duré moins de 10 ans. A côté de nombre d’insuffisances qui étaient surmontables, elle a propulsé le pays sur la voie d’un développement réellement prometteur et apporté des bienfaits incontestables à la population qui vit de son labeur. Le libéralisme sévit depuis plus de 20 ans. Son bilan négatif est sans appel.
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Zoheir Bessa