Participation des communistes d’origine européenne à la guerre de libération nationale Les tabous commencent à se fissurer

samedi 22 mai 2010
par  Alger républicain

Participation des communistes d’origine européenne à la guerre de libération nationale Les tabous commencent à se fissurer

Le travail inlassable accompli par les membres de l’Association Maillot-Iveton, et relayé par Alger républicain donne ses fruits.

Après les régulières commémorations sur les tombes des communistes d’origine européenne, la Journée du 19 mai, anniversaire de l’appel à la grève des étudiants algériens de 1956 a été l’occasion de rendre hommage à Fernand Iveton. L’université des Sciences humaines de Bouzaréah (Alger) a organisé une conférence animée par l’un de ses avocats à l’époque, Albert Smadja, François Marini, et l’historien Mohamed El Korso, sur le martyre de Fernand Iveton.

El Moudjahid, journal gouvernemental, a lui aussi consacré son forum à l’évocation du martyr en collaboration avec le président de l’Association des anciens condamnés à mort, M. Mostefa Boudina, et Mechaal Ech-chahid.

Les quotidiens Liberté, La Tribune, Le Soir d’Algérie, El Watan ont fait écho à ces importantes manifestations.
Voici le compte-rendu qu’en fait un journaliste du Soir d’Algérie dans son édition du 19 mai.


« Dans la vie d’un homme, la mienne compte peu, ce qui compte, c’est l’Algérie, son avenir, et l’Algérie sera libre demain. »

L’auteur de cette phrase, prononcée quelques instants avant de passer sous la guillotine, est le martyr Fernand Yveton. Un martyr dont les convictions, le mérite, l’engagement anticolonial et le sacrifice ont été rappelés hier à l’Université de Bouzaréah dans une atmosphère de vive et forte émotion.

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Sofiane Aït Iflis - Alger (Le Soir d’Algérie) - L’émotion était forte dans cette petite salle de conférence de l’université où le laboratoire d’histoire nationale a réuni, pour la première fois, les familles Yveton, Mollet, Chaulet, Colozzi pour un hommage à l’enfant de Clos- Salembier, Fernand Yveton, guillotiné le 11 février 1957 à la prison Barberousse pour avoir déposé une bombe à l’usine de gaz d’Alger (UGA) où il était employé comme tourneur.

Arrêté en même temps que le martyr Yveton, son ami et complice dans l’engagement et l’action anticoloniale, Félix Colozzi, témoignant de l’arrestation et des interrogatoires musclés qu’ils subirent, ne pouvait retenir ses larmes, déclenchant une pluie lacrymale dans la salle. Au moment où il parlait, rares étaient les yeux non embués de larmes. Lui éclata carrément en sanglots. Derrière lui, assise au fond de la salle, l’épouse de Louis Yveton, demi-frère de Fernand Yveton, essuyait ses larmes. Au milieu de la salle, l’épouse de Sarda- Esteve Bartolomé, légionnaire espagnol qui avait déserté et rejoint l’ALN en janvier 1957, tombé au champ d’honneur et enterré sans savoir où, pleurait également. Me Albert Smadja, l’avocat qui à 26 ans plaida la cause de Fernand Yveton, assis au bureau, ne s’en retint pas lui aussi. Félix Colozzi témoigna que Fernand avait refusé de déposer la bombe qui devait exploser à 18 heures, ceci car il ne voulait pas que l’explosion fasse des victimes et que son action se destinait à faire du sabotage. La bombe que Fernand Yveton déposa à l’UGA était programmée pour exploser après 19 heures. Découverte dans un casier, dans un atelier désaffecté, la bombe n’explosera pas.

Fernand Yveton fut arrêté. Il fut accusé, jugé et condamné à mort par le tribunal militaire des flagrants délits de Cavaignac. Tout cela en moins d’une semaine. Arrêté un mardi, il fut jugé le samedi d’après. Me Albert Smadja, avocat désigné pour la défense de Fernand Yveton, attesta que le jugement, la condamnation et l’exécution étaient politiques. « Le dossier qui contenait les actes d’accusations n’était pas volumineux. On avait plaidé devant un auditoire entièrement hostile. Yveton avait dit ce qu’il avait à dire », témoigna Me Smadja.

Mais pour les accusateurs, Fernand Yveton devait être châtié, quoiqu’il advienne. La bombe qu’il déposa à l’UGA était la même que celles qui avaient explosé auparavant au Milk-Bar et à la Cafétéria, avait la même origine et, de surcroît, déposée par un communiste. Le coupable idéal. « La délibération était rapide et, à l’énoncé de la sentence, la salle avait applaudi. C’était horrible d’assister à un auditoire applaudir une condamnation à mort », affirma Me Smadja qui sera, juste après le procès, arrêté et détenu deux années entières pour, croit-il comprendre, qu’il n’ait pas la possibilité de témoigner de ce qui venait d’arriver.

Me François Marini qui travaille sur un récit romancé sur la vie et le parcours de Fernand Yveton, Les ronces du Clos-Salembier dont l’édition est attendue pour les six prochains mois, expliqua, lui, que « Fernand Yveton a été pris à un moment où la guerre d’Algérie connaissait une escalade, après les attentats du Milk-Bar et de la Cafétéria ».

Selon lui, « la condamnation et l’exécution de Fernand Yveton est une tragédie judiciaire, car Yveton n’avait pas tué et n’avait pas l’intention de tuer. Il a eu juste une tentative ». Me Marini dira que Fernand Yveton fut abandonné par les dirigeants du Parti communiste français. Un avis que ne partage pas Me Smadja qui estime que les choses s’étaient précipitées et que le temps de réaction était court.

Le professeur Chaulet attesta, le concernant, que Fernand Yveton était victime de la hargne de Robert Lacoste, qui était ministre-résident et gouverneur d’Algérie. Le président français de l’époque, René Coty, sollicité par Me Smadja qu’il reçut en audience, refusa de prononcer la grâce au profit de Fernand Yveton. Aussi l’exécution était intervenue 70 jours après le prononcé de la condamnation à mort. François Mitterrand était alors garde des Sceaux. Fernand Yveton fut la seule victime européenne guillotinée. C’était la quatrième victime de la guillotine à Alger, après Ahmed Zabana (1956), le commandant Farradj et Mohamed Tikifrouine la même année.

Accosté en marge de cet intense témoignage, Louis Yveton, le demi-frère de Fernand dira :

« Je ressens énormément d’émotion. Je ne m’attendais pas à en vivre autant dans ce pays que j’ai quitté et n’ai pas revu depuis 1957. Je suis d’autant plus ému de découvrir toute l’estime et l’importance dont jouit encore Fernand auprès des Algériens. »

Son épouse, qui l’accompagne pour ce pèlerinage, dira, pour sa part, que « Fernand est en permanence dans nos discussions. Je suis surprise par l’accueil qui nous a été réservé, surprise aussi par tant de reconnaissance témoignée à mon beau-frère ».

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S. A. I.