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Accord passé avec le Qatar pour développer la production laitière dans le sud : est-il vraiment une bonne chose pour le pays ?

samedi 27 avril 2024, par Alger republicain

L’incrédulité est telle qu’on se frotte les yeux en lisant les informations livrées au compte-gouttes par la presse et les commentaires dithyrambiques de nos responsables sur la teneur de cet accord.

Voilà donc un pays, le Qatar, sans agriculteurs, sans terres agricoles ou si peu en dehors de quelques fermes et serres climatisées, sans passé dans le domaine de l’élevage laitier et quasiment sans ingénieurs zootechniciens, qui est sollicité par nos responsables pour qu’il « nous assiste » dans le développement d’une entreprise forte de plus de 270 000 vaches laitières sur une concession agricole de plus de 100 000 ha !

La société laitière Baladna créée de toutes pièces en 2017 pour produire du lait est introduite pour en produire chez nous afin de couvrir près de la moitié de nos besoins en poudre de lait aujourd’hui importée. Des vaches installées en plein désert seront exposées à des chaleurs caniculaires de plus de 40 degrés à l’ombre sur près de 6 mois l’année.

Au Qatar ce type de « ferme » s’est avéré fou, démesuré, économiquement ruineux et désastreux sur le plan de l’environnement. Des milliards de litres d’eau ont été extraits d’une nappe profonde non renouvelable qu’il a fallu relayer par l’eau d’usines de dessalement.

L’entreprise Baladna a importé massivement des vaches Holstein et des matériels de traite, de transformation, des rations fourragères et des cadres techniques et des ouvriers de l’étranger. Sans expertise nationale, sans passé en matière d’élevage bovin laitier, ce pays arrive à produire du lait et à couvrir les besoins de consommation de sa population (un peu plus de 2,7 millions d’habitants dont 80% étrangers) mais au prix d’une eau issue d’usines de dessalement des eaux de mer et de quantités astronomiques d’énergie que seul un pays doté d’un énorme potentiel de gaz peut dilapider pour des raisons de prestige artificiel. Au bout de cette aberration, les nappes souterraines ont été épuisées en quelques années de surexploitation.

C’est ce modèle industriel à l’américaine que notre pays va transplanter dans un milieu naturel inadéquat. Sans débats préparatoires, sans avoir mesuré les coûts et les difficultés à développer cette activité dans des régions arides et démunies de terres pour produire des fourrages ou autres aliments du bétail. Sans réflexion préalable sur la possibilité d’une solution autre, basée sur la mobilisation du réservoir que constitue la masse de la petite paysannerie

Nos paysans des régions de montagnes, nos éleveurs de bassins laitiers (ceux de Sétif, de Guelma ou de Souk-Ahras), de nos plaines sèches de l’est et de l’ouest du pays, toute cette population qui peut contribuer à la formation d’un bouclier contre le chantage alimentaire des oligarques assoiffés de profits et de domination internationale, toute cette masse de petits fellah aurait mérité une meilleure attention. Nos services techniques mieux préparés à la bataille de la production de lait auraient gagné à être sollicités avec un meilleur profit pour le pays.

L’importation de ce « modèle » prédateur qatari est incompréhensible. C’est une décision qui aura pour effet d’assécher nos ressources hydriques naturelles du Sahara alors qu’il faut les exploiter avec raison et de façon durable en pensant aux générations futures.

Six ministres et une directrice des investissements de notre pays étaient présents à la signature, face à un simple technocrate, le directeur de la partie qatarie !

Ceux qui ont pris cette décision, ont-ils pris connaissance de l’étude de faisabilité de ce projet, ont-ils une idée des quantités d’eau puisées d’une nappe profonde non renouvelable pour abreuver plus de 270 000 vaches ? Au Qatar, ces vaches sont également aspergées à longueur de journée pour les maintenir à une température supportable.

Ont-ils une idée des dépenses en équipements pour produire à plus de 1 000 km des plus grands centres de consommation cette poudre de lait ?

Ont-ils une idée des quantités de fourrages à importer pour nourrir plus de 270 000 vaches dans des régions dépourvues de sols cultivables ?

Sommes-nous certains qu’ils se sont documentés sur cette entreprise Baladna qui n’a pas plus d’expertise que nos cadres, nos coopératives d’élevage ou nos entreprises spécialisées ?

Nous parions qu’ils n’ont pas une idée des coûts de production d’un litre de lait dans une région sud où l’eau - salée et chaude- est puisée à des centaines de mètres en profondeur.

Se sont-ils renseignés sur les conditions d’exploitation féroce d’une main d’œuvre étrangère, asiatique en majorité, par leurs « frères » en religion qataris.

Nous parions qu’ils n’ont pas pris la peine de se documenter sur l’expérience d’un pays voisin - la Tunisie- qui est arrivé à l’autosuffisance en lait il y plus de 20 ans. La Tunisie a développé une production dans une région - celle de Mahdia dans le centre ouest du pays - jugée pas trop favorable, en s’appuyant sur des petits éleveurs familiaux, sur ses cadres locaux, sur un réseau de collecteurs et de coopératives locaux et en promouvant une industrie locale de lait qui a eu des retombées en termes d’emplois et de revenus sur un territoire de l’intérieur du pays.

S’ils avaient été plus attentifs à notre potentiel intérieur, ils auraient d’abord pensé à ces milliers de petits paysans de notre pays qui auraient certainement amélioré leurs niveaux de vie et apporté une sécurité en lait à leurs familles, à leurs territoires et in fine au pays.

S’ils avaient été plus soucieux de la préservation d’une ressource en eau, certes disponible mais non renouvelable dans ces régions du sud, ils auraient localisé cet élevage laitier à petite échelle dans nos régions de montagne où l’eau et les parcours sont disponibles (y compris dans les espaces forestiers), dans nos vallées ou plaines de l’intérieur où une paysannerie est en attente d’aide et de projets économiques qui peut les aider à produire plus pour améliorer ses conditions de vie !

Le Qatar ne peut être une référence pour notre pays sur le plan de la bataille pour réduire notre dépendance alimentaire. Il importe pour 1600 dollars de produits alimentaires par habitant malgré sa fameuse « Baladna » contre 220 dollars en moyenne par an pour notre pays.

Qu’elle leçon tirer d’un pays certes riche en gaz et en pétrole tout juste bon à produire des fleurs avec l’aide des Français, d’un pays qui importe massivement sa nourriture et ne dispose d’aucune sorte de compétence en matière agricole ? L’entreprise Baladna est une entreprise industrielle portée à bout de bras par des conseillers américains qui, captant une bonne partie de la rente gazière, fournissent vaches et matériels techniques. Un détail qui signifie tout :
elle est dirigée par un ingénieur irlandais et suivie techniquement par un zootechnicien turc !

Sid Ali