Législatives anticipées : lutter et débattre de leurs enjeux

vendredi 11 juin 2021
par  Alger republicain

Les élections qui se tiendront demain vont être boudées, à n’en pas douter, par la très grande majorité des citoyens. La raison en est simple : les aspirations au changement clamées par des millions de manifestants dans les marches du mouvement de Février 2019 n’ont pas été entendues par nos gouvernants. Et puis il y a cette attitude maintenant bien ancrée dans les traditions politiques du pays, celle du boycott ou de l’indifférence massive à l’égard des élections organisées par le pouvoir. La fraude électorale, grossière ou « savante », les quotas négociés par avance derrière les rideaux pour fabriquer sur mesure les alliances parlementaires compatibles avec les décisions des groupes sociaux détenant le pouvoir, la fermeture des médias officiels aux voix discordantes, sans oublier la répression « douce » ou brutale qui frappe à la « volée » les contestataires, qu’ils soient liés aux interventionnistes impérialistes ou non, ces pratiques ont fini par lasser la majorité des citoyens aujourd’hui convaincue qu’il n’y a plus rien à espérer de ceux qui tiennent le gouvernail du pays.

Le pouvoir dit qu’il a tenu compte du cri du peuple. Il a « constitutionnalisé » le hirak et qualifié ce mouvement historique de « béni ». Les citoyens constatent qu’entre la consécration de leur mouvement dans la Loi fondamentale de la Nation et la réalité il y a un fossé. Aucun discours officiel ne peut le combler par la simple magie des promesses qui n’engagent que « ceux qui y croient », selon l’expression cynique d’un dirigeant célèbre de la droite française.

Les motivations qui poussent à cette indifférence passive, ou à un rejet actif exprimé par des manifestations, drainant moins de monde qu’au début, faut-il le noter, et dans les écrits véhiculés dans les réseaux sociaux, sont multiples et contradictoires. Le soulèvement pacifique du peuple en février 2019 a fait converger dans la revendication du départ des hommes du régime, faillis, englués dans la corruption et décriés, des intérêts économiques et sociaux contradictoires et antagoniques. L’exaspération générale a fait défiler côte à côte des nababs et les ouvriers qu’ils exploitent. Des importateurs et des commerçants nantis dont les chambres blindées sont pleines à craquer de dinars accumulés par la spéculation et soustraits au fisc, main dans la main avec les jeunes frappés par un chômage entretenu par les activités parasitaires qui étouffent les investissements productifs. Des jeunes vivant dans le luxe et d’autres qui égrènent leurs jours mornes sans perspective de vie normale.

Il y a ceux, très nombreux, qui attendent que des hommes providentiels, mus par de profonds sentiments patriotiques, par un attachement aux intérêts des masses populaires, bougent de l’intérieur des appareils d’Etat pour donner suite à leurs aspirations sociales et politique en mettant fin aux méthodes autoritaires considérées comme la source de la corruption, des inégalités, de la paupérisation des couches sociales qui ne vivent que du fruit de leur travail, du chômage massif, de la précarité et de la stagnation économique.
Il y a ceux parmi eux qui se battent et font l’apprentissage des luttes de masse tout en subissant le travail d’obscurcissement des intérêts en jeu des puissants.

Il y a ceux qui se font les interprètes conscients ou à leur insu des revendications de nouvelles couches sociales possédantes, enrichies soit par la captation de la redistribution de la plus grande part des revenus pétroliers, soit par l’exploitation des travailleurs, ou par les deux moyens en même temps. Ils font écho à l’impatience des couches sociales aux effectifs gonflés par un « ruissellement » à sens unique d’une fabuleuse rente pétrolière, en vertu de l’adage « il pleut là où c’est toujours mouillé ». Adage que l’on peut traduire en inversant le sens d’un proverbe populaire bien de chez nous par « Dieu ne donne de la viande qu’à celui qui a des dents ». Ces couches sociales tenues à l’écart de la direction politique de la société contrôlent désormais la majeure parie du patrimoine économique du pays et de la masse monétaire en circulation. Elles ne se contentent plus d’une part réduite de la rente pétrolière. Elles frappent à la porte du pouvoir. Elles le disputent aux groupes dont les privilèges insolents se sont accumulés grâce à leur mainmise sur l’Etat et qu’ils risquent de perdre s’ils lâchent la bride.

Ou elles réussissent à s’en emparer directement, juchées sur les épaules de millions d’hommes et de femmes qui font l’histoire à leur insu pour le compte de larrons dissimulant sous la phraséologie démocratique leurs intérêts de classe et même leur projet théocratique considéré par les forces réactionnaires les plus influentes comme le meilleur instrument de leurs intérêts. Elles sont enhardies par le soutien que l’impérialisme leur dispense à travers ses multiples officines auxquelles se sont liées diverses figures politiques médiatisées à outrance tant à l’interne qu’à l’externe, en particulier celles d’entre elles affublées sous le titre de journalistes. Pour le moment cette éventualité s’est éloignée.

Ou elles acceptent le compromis que leur proposent les détenteurs des leviers de l’Etat qui se sont attelés à les amadouer en multipliant les cadeaux sonnants et trébuchants. Nouveaux crédits généreux, nouvelles baisses fiscales, attribution de terres, appropriation par les exportateurs des recettes en devises, simplification fiscale, promesses de facilitations administratives, etc., rien n’est négligé. Sur tous les terrains et dans tous les secteurs, de la pseudo production pharmaceutique à l’agriculture saharienne, ils multiplient les gestes et les décisions qui devraient sceller la conclusion d’un nouveau pacte avec toutes les catégories de possédants, avec tous les jeunes rêvant de s’enrichir en se laissant prendre aux mirages de l’économie de marché. Ils ont même retiré, une fois de plus, l’obligation esquissée à la veille du ramadhan, de la facturation des transactions commerciales, etc. Après le précédent de janvier 2011, ils se sont encore prestement pliés à la levée de boucliers des producteurs et distributeurs d’huile, de sucre, de pâtes, de pommes de terre, décidés à ne rien déclarer de leurs profits au fisc, à ne verser tout au plus que des miettes au Trésor public. En plein mois « de solidarité et de rahma », les contradictions fondamentales d’une société régie par la sacro-sainte loi de l’argent ont éclaté au grand jour sous le diktat des commerçants véreux, hirakistes ou pro-hirakistes le vendredi, et spéculateurs affameurs du peuple hirakiste le reste de la semaine.

Dans ce pacte, les groupes sociaux au pouvoir depuis quatre décennies acceptent de concéder des espaces institutionnels aux nouvelles forces de l’argent qui réclament toute leur place dans la direction et le contrôle des appareils de l’Etat, mais sans leur en céder les clés de la décision.

Les intérêts des classe en présence sont tranchés dans les luttes de vastes groupes de citoyens et non plus seulement dans les intrigues et les recompositions internes du régime. Les diverses fractions des classes possédantes au pouvoir ou dans l’opposition tentent de redessiner le rapport des forces par l’exploitation de la mobilisation populaire et dans les alliances tissées ou renforcées avec l’impérialisme. Tant que l’action organisée et consciente des travailleurs demeure faible ou insuffisante, qu’ils ne parviennent pas à imprimer au mouvement populaire leur empreinte de classe, c’est sur leur dos que se jouent à la fois le repartage des revenus pétroliers amoindris et les réajustements institutionnels commandés par les mouvements contradictoires de la société.

L’objectif recherché dans ces législatives anticipées réside là.

Les scrutins précédents ont maintes fois montré que ceux qui dirigent s’accommodent de l’abstention massive en dépit de la conviction de la masse des citoyens qui continuent à croire dur comme fer qu’un faible taux de participation électorale suffit à discréditer les gouvernants, à les faire tomber un jour comme un fruit mûr.

Tourner le dos à ces législatives était-ce la bonne tactique ?

Un débat aurait mérité d’être organisé pour en peser les différentes options, en partant de la nécessaire combinaison des diverses formes de mobilisation, surtout en situation d’affaiblissement incontestable du mouvement populaire. Non seulement en raison de cet affaiblissement mais en raison également de la nécessaire décantation politique pour dévoiler qui est qui, pour les intérêts de quelle classe et de quelle puissance impérialiste bouge-t-il. Clarifier ces questions est à l’heure actuelle la condition décisive de toute avancée de la mobilisation populaire pour la réalisation des aspirations politiques et sociales des travailleurs.

Il est impossible d’aller de l’avant sans un nouveau régime qui traduit les aspirations des travailleurs et repose sur leur appui. C’est ce régime seul qui est à même d’opérer la relance de la construction d’un appareil productif national, de mettre en échec les activités des groupes alliés à l’impérialisme, dans le pouvoir ou dans l’opposition.

Alger républicain