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Elevage de vaches laitières au Sahara, « locomotive du développement » ou mirage ?
jeudi 29 décembre 2022, par
Le Président Tebboune a invité récemment l’entreprise laitière Soumamm à investir dans le grand sud afin de créer des exploitations laitières avec l’aide d’investisseurs du Moyen-Orient. Il a donné au ministre de l’agriculture instruction d’accéder favorablement à une demande de terre de cette entreprise.
Première question : en quoi un affairiste du Moyen Orient serait-il plus qualifié pour se lancer dans une telle entreprise ? Va-t-il prendre ce risque avec son propre argent ou viendra-t-il pomper les devises des banques publiques algériennes comme le firent les Emiratis pour le projet de création du Dounia Parc qui n’a jamais vu le jour ?
Deuxième question : a-t-on procédé à des études avant d’inviter à faire de l’élevage de vaches en plein Sahara ? Une éventuelle demande de surfaces à cultiver pourrait porter sur des milliers d’hectares dans les régions d’Adrar, de Menâa ou Aïn Salah.
L’application de cette instruction est problématique. Elle est techniquement inappropriée et économiquement ruineuse … A raison d’un hectare irrigué par vache acquise l’entretien de 10 000 vaches nécessiterait 10 000 hectare de terre. Comment envisager des élevages de 10 000 vaches laitières dans des régions aux températures extrêmes ? Il conviendrait, si l’on y tient, d’installer des climatiseurs pour assurer leur survie. Ces vaches laitières ne peuvent donner des rendements correspondant à leur potentiel (6 000 à 8 000 l/an) sous d’aussi hautes températures. La culture de plantes fourragères exigeantes en eau devra attendre des rendements acceptables sur des terres irriguées. Ces plantes sont toutes fortement consommatrices en eau, en particulier dans les zones sahariennes où l’évapotranspiration est élevée. Les cultures de la luzerne, du maïs fourrager, qui ont souvent la préférence des agriculteurs (en irrigué) dans le nord du pays, consomment en moyenne respectivement 16 000 à 22 000 m3 et 5 000 à 7 000 m3 d’eau à l’hectare. Il faut en moyenne un litre d’eau pour produire seulement un gramme de matière sèche. A cette consommation d’eau pour produire des fourrages, il convient d’ajouter les quantités d’eau consommées par les vaches, notamment après la traite. En moyenne, une vache consomme 5 litres d’eau pour donner un litre de lait. Une production de 25 litres de lait par jour exige une consommation moyenne de 100 litres d’eau. Que l’on évalue donc la consommation de 10 000 vaches laitières produisant ne serait-ce que 3 500 litres/an et par vache (ce qui donne 35 millions de m3 d’eau au total auxquels il faut ajouter 200 millions de m3 nécessaires à la production de 10 000 ha de luzerne par exemple ou 60 millions de m3 pour produire du maïs fourrager sur 10 000 ha.
A ce rythme-là nous ne donnerons pas chère de l’état des réserves non reproductibles d’eau souterraine des zones sahariennes !
S’est-on posé la question du coût des pompages et du coût de revient d’un litre de lait produit dans ces zones arides ?
L’efficience agronomique de valorisation de l’eau souterraine risque d’être faible. La maîtrise par les agriculteurs de la planification de l’irrigation de ces cultures fourragères dans ces zones risque également de poser problème.
L’Algérie ne peut reproduire sans risques majeurs les expériences des pays du Golfe. Etudier l’expérience de la Tunisie qui n’importe plus de poudre de lait depuis près de 20 ans serait plus pertinent.
En résumé, de tels projets devraient impérativement être rapportés à ces questions techniques, agronomiques et économiques. Il serait également plus sage de considérer ces ressources en eau comme stratégiques pour les générations futures et de recommander une exploitation plus rationnelle des gisements que recèle le Sahara.
Sid Ali