Accueil > Actualité politique nationale > Enjeux d’un 4ème vendredi de marche contre le régime de Bouteflika
Enjeux d’un 4ème vendredi de marche contre le régime de Bouteflika
vendredi 15 mars 2019, par
Le mouvement populaire contre le pouvoir de Bouteflika va connaître aujourd’hui un élan encore plus grand avec l’afflux prévisible de centaines de milliers, voire de millions de citoyens dans les rues de la capitale, dans toutes les villes jusqu’au plus petit village du pays.
Loin de calmer la colère de la jeunesse, l’annonce de Bouteflika de ne pas briguer un 5ème mandat mais de prolonger son 4ème en piétinant la Constitution dans le prétendu but d’organiser une transition politique avant de quitter le fauteuil présidentiel, cette annonce a exacerbé la rage d’en finir avec l’équipe dirigeante. Les citoyens ne se contentent pas du recul opéré par Bouteflika sous l’énorme pression des marches et des manifestations qui marquent le pays depuis maintenant 3 semaines. Après avoir savouré dans un premier temps leur première victoire lundi soir, juste après la lecture du texte attribué au président impotent, les jeunes ont flairé le piège et appelé à poursuivre les actions de protestation jusqu’à la chute du régime.
L’annonce de Boutef a été considérée comme un coup de force puisqu’il a de son propre chef décidé l’annulation de l’élection du 18 avril et, dans la foulée de ses mesures unilatérales, prolonger son mandat jusqu’à une date indéterminée, sans qu’aucun article de la Constitution ne lui en donne le droit. Le tout sous couvert de lancement d’une conférence nationale inclusive devant déboucher sur de profondes « réformes » et une nouvelle Constitution soumise à un référendum populaire. Nul besoin de fréquenter les coulisses du pouvoir pour comprendre que les groupes qui rédigent ses textes et parlent en son nom, mais avec son consentement, ses capacités intellectuelles n’étant pas encore annihilées par la maladie, tentent de gagner du temps. ils espèrent diviser et affaiblir de la sorte la force de frappe du grand mouvement populaire en cours en agitant la crainte de risques de graves dérapages. L’entrée en action de quelques groupes de casseurs plus ou moins téléguidés qui se sont illustrés vendredi dernier par de violents affrontements à Alger à la fin de la marche, est exploitée pour tenter de semer la peur. Pour le moment le stratagème ne prend pas.
Les annonces de Bouteflika ont eu pour seul résultat de renforcer la détermination de la jeunesse d’aboutir à des changements radicaux. Depuis dimanche toutes les catégories socio-professionnelles, ou presque, avocats, magistrats, enseignants, médecins, etc., ont rejoint le mouvement de protestation initié par les jeunes et les étudiants. Pas un jour ne passe sans qu’on n’assiste aux défilés de jeunes collégiens et de lycéens qui reprennent les mêmes slogans centrés sur le départ sans condition du « régime », des voleurs qui ont vidé les caisses de la nation, des corrompus, des despotes.
Le mouvement est au fond politiquement et socialement hétérogène. Il s’est cristallisé sur le rejet de Bouteflika, l’homme qui s’est maintenu le plus longtemps au pouvoir, et des hommes du pouvoir les plus vomis comme l’ancien chef du gouvernement sacrifié dans une vaine tentative de sauver le reste.
Sous l’écorce de l’exigence unanime de changements radicaux, couvent un ensemble de contradictions secondaires et d’antagonismes sociaux irréductibles.
Il n’y a rien de fondamentalement commun entre, d’un côté, la masse du peuple formé d’ouvriers, de travailleurs, de fonctionnaires, de petits agriculteurs, commerçants et artisans, d’intellectuels proches des aspirations populaires et, de l’autre, les gros importateurs, les capitalistes industriels, les gros intermédiaires, les grands hommes d’affaires, leurs politiciens, leurs associés civils ou militaires dans l’Etat, encore en place ou éjectés.
La bourgeoisie, les couches sociales qui ont le plus profité de la « providence » pétrolière, percutées jusqu’à un certain point depuis 2015 par la chute des revenus pétroliers, cherchent toutes, qu’elles soient pro ou anti-Bouteflika, à réformer le système économique. L’argument éculé tient en quelques mots : rompre avec la mamelle pétrolière qu’elles ont goulûment tétée et tètent toujours. La taille du gâteau ayant fondu en quelques années, leur plan est de faire subir l’austérité sur les épaules des travailleurs. Un plan dont le contenu essentiel se résume ainsi : rayer des lois sociales tout ce qui protège encore les travailleurs, mettre la main sur les gisements de pétrole et de gaz, libérer les prix de l’électricité, du gaz, de l’eau, privatiser les entreprises qui les produisent, écraser les travailleurs sous le « talon de fer » des capitalistes « indigènes » et étrangers associés pour faire ensemble des superprofits. Bien évidemment l’armée n’échappera pas à ces bouleversements. Elle sera le bouclier des nouveaux maîtres, l’auxiliaire chargé par les USA de mettre de l’ordre dans la région, d’écarter les puissances rivales du nouveau partage de l’Afrique. Le plan mis au point dans le cadre de leur 2ème République est effarant.
Bouteflika a indéniablement manoeuvré pour parvenir à un capitalisme impitoyable avec les travailleurs, mais graduellement et sûrement de façon à éviter une explosion qui aurait tout emporté et réduit à néant l’accaparement des biens du pays par une minorité de pilleurs et d’exploiteurs. Ses opposants aux vues économiques ultra-réactionnaires exposées durant des années dans la « grande » presse et qui pensent que la situation est maintenant mûre pour une thérapie de choc ne l’entendaient pas de cette oreille. Finalement c’est la chute des revenus pétroliers, les querelles exacerbées et les règlements de compte entre les différentes factions mafio-bourgeoises du pouvoir, l’âge et la maladie qui ont précipité l’échec de la stratégie soft de Bouteflika.
Le soulèvement populaire est là. Il a tenté de l’éviter ou de le reporter à l’échéance la plus lointaine pour consolider définitivement, au moment le plus opportun, le pouvoir d’une classe d’exploiteurs et d’affairistes avec la mise au pas d’un peuple qui n’accepte pas les inégalités sociales. Cette insurrection a éclaté malgré lui et ses ruses tortueuses.
Les « ultra-libéraux », les assoiffés de richesses, les Rebrab qui décapitent promptement tout syndicat chez eux, tout comme leurs rivaux Haddad et Cie, défilent pour le moment côte-à-côte avec la jeunesse populaire. Ils rient sous cape à l’idée qu’ils vont filouter cette jeunesse. Ou, peut-être sont-ils malgré tout un peu inquiets de voir un mouvement dépassant les plans des apprentis-sorciers. Ils pensent gagner l’estime et la reconnaissance qui devraient leur permettre de se hisser au sommet de l’Etat sur le corps à demi-paralysé de Bouteflika. L’homme qui leur a permis d’amasser d’immenses fortunes est désormais entré dans l’histoire comme celui qui endossera le rôle de bouc émissaire d’une crise qui n’est pas de son seul fait. C’est au fond celle d’un capitalisme dépendant inséré dans un système impérialiste mondial grâce à la dilapidation des revenus pétroliers. Boumediène sur la tombe duquel Bouteflika ne s’est pas recueilli une seule fois en 20 ans de pouvoir absolu pour signifier aux gros possédants qu’il n’a rien à voir avec lui, Boumediène destina chaque dollar au développement productif. A sa mort des millions d’Algériens l’ont pleuré et accompagné à sa dernière demeure.
Le mouvement populaire est puissant. Il ne fait aucun doute que ces manifestations vont instruire politiquement des millions de citoyens issus des classes laborieuses. Ils ne sont pas encore organisés. Il leur reste à ne pas se laisser duper par ceux qui n’ont à la bouche que les mots « réformes », « Etat de droit », « justice sociale ». Ceux-là leur préparent l’enfer sous les couleurs d’une « économie de marché » libérée de toute entrave. En fait ils préparent aux travailleurs un capitalisme sauvage au terme soit d’un putsch soit de la comédie de la « conférence nationale inclusive ».
La bataille pour la clarification des enjeux et des choix de classe ne fait que commencer. L’onde de choc la plus brutale de la crise financière est à venir lorsque la volatilisation des réserves posera la question de savoir laquelle des classes en présence en payera le prix. Elle mettra nettement en relief l’opposition insurmontable entre les intérêts des masses laborieuses et ceux d’une bourgeoisie aux dents longues et acérées.
Capitalisme condamné à la dépendance envers les grandes puissances impérialistes et à l’infirmité technologique ou régime de sauvetage économique et social des masses laborieuses dans une perspective socialiste ?
Zoheir Bessa
15.03.19