Faire face à la crise sanitaire, ou mobiliser les ressources publiques pour « relancer les entreprises privées » ? commentaires sur les propos du patron du Forum

lundi 6 avril 2020
par  Alger republicain

Sami AGLI, actuel Président du Forum des Chefs d’Entreprises (FCE), a été l’invité de Souhila Hachemi (chaine 3) le matin du 30 mars et les jours qui ont suivi sur radio Algérie internationale, pour évoquer la contribution du patronat dans la gestion de la crise sanitaire. Il a vanté la participation du secteur privé à la solidarité nationale en évoquant la mise à disposition (en réalité, suite à des réquisitions de walis) des infrastructures hôtelière (patrons d’hôtels qui seront certainement indemnisés ! Une aubaine par ces temps de crise !), les initiatives comme la mise au point d’un prototype de respirateur par un jeune entrepreneur, membre du Forum, les milliards en termes de dons …

Notons d’abord que la chaine 3, comme radio Algérie Internationale auraient mieux fait d’inviter des animateurs d’associations, de représentants d’infirmières ou de médecins mobilisés sur le front. Les actions de solidarité dans le pays sont davantage développées par des jeunes volontaires, des associations de quartiers ou de villages, des travailleurs et travailleuses qui n’hésitent pas à se rendre à leurs lieux de travail, à soigner, à approvisionner les populations en pain, en lait et biens de première nécessité, à entretenir le tissu économique du pays, à fournir l’eau, l’électricité, à nettoyer les rues et mobiliser des aides aux wilayas les plus affectés par les ravages du virus …

M. Agli affirme rencontrer des ministres de l’actuel gouvernement, et même les collaborateurs du Premier ministre, afin d’échanger sur la situation économique du pays. Il se dit prêt « à faire l’évaluation de la situation économique », à discuter des propositions pour soutenir les acteurs privées, à réformer le système bancaire et financier « afin de les mettre aux standards internationaux ».

Mais pourquoi des chaînes de radio publiques se font-elles un devoir de relayer un représentant de l’oligarchie, lui-même oligarque recyclé dans le paysage économique et politique alors que le hirak ne cesse de dénoncer cette caste depuis un an ?

Lors de ses interventions à la radio, comme dans la presse nationale écrite, M. Agli ne rate pas l’occasion de mettre l’accent d’avantage sur les revendications économiques des patrons que sur les actions de solidarité nationale. Il réclame ainsi, une amnistie fiscale, « l’accompagnement » des entreprises privées par l’Etat, via les prêts et des aides publiques, par la relance des commandes publiques … Exploitant les conséquences économiques du confinement qui frappent durement la masse des petites entreprises privées, il avance la revendication d’un moratoire sur les dettes bancaires contractées, la suspension de l’impôt. Une revendication qui devrait profiter essentiellement à cette très petite minorité d’oligarques que l’Etat, leur Etat, a gavée de milliards de dinars. Il appelle à la mobilisation des ressources financières de la diaspora, en oubliant de dire que ce ne sont pas les travailleurs qui disposent à l’étranger de capitaux en devises. Les centaines de milliers d’ouvriers ou retraités de l’émigration vivent des revenus de leur travail qui leur permettent tout juste de survivre. Bien entendu il omet d’indiquer que ce sont plutôt les oligarques, tous sans exception aucune, c’est la classe sociale à laquelle il appartient, importateurs, revendeurs en l’état ou industriels, gros agrariens, qui ont accumulé et transféré des fortunes à l’étranger. Ce sont ces capitaux qui manquent à la relance de l’économie algérienne.

Il a enfin plaidé pour un modèle économique reposant sur un « secteur privé fort » … De quel modèle économique parle-t-il, sinon de ce système économique qui a été mis en place depuis les années 1980 ? Un « modèle » qui repose sur la destruction des branches industrielles stratégique et l’hypertrophie des activités commerciales et des services parasitaires nourris par les revenus pétroliers.

Sami Agli et son parcours :

Il est membre du FCE depuis près de 10 ans et membre de son conseil exécutif depuis l’arrivée de Haddad dont il était devenu en 2018 l’un des vice-présidents. Il est élu en juin 2019, président en s’appuyant essentiellement sur la section des jeunes entrepreneurs (Jil FCE), qu’il avait animée dès son adhésion.

Sami Agli faisait partie du « cabinet noir » de Ali Haddad, une « garde rapprochée » du président déchu, selon les propos d’un groupe de patrons qui ont quitté depuis lors le FCE pour marquer leur désaccord avec les membres de ces instances occultes.
Il a été candidat à l’élection législative de 2017, à Biskra, sa ville natale, sur la liste FLN en deuxième position et il a échoué à entrer dans le Parlement.

Il a été un fervent soutien du 5e mandat au sein du FCE, actif lors de l’Assemblée générale du FCE du 15 décembre 2018, où il a voté les 2 bras levés le soutien du 5e mandat. Selon nos sources, il a toujours financé avec de l’argent cash et des moyens matériels les différentes campagnes de Abdelaziz Bouteflika.

Ses affaires :

Selon des sources bien informées, il aurait bénéficié d’un terrain de 15 hectares dans une palmeraie à Biskra pour construire un hôtel thermal dans une zone protégée et non constructible avec l’aide de Haddad et d’un crédit bancaire de plus de 12 milliards de DA.

Il a bénéficié il y a 15 ans d’une concession de terrain au port de Djedjen (Jijel) de 8,5 hectares, où il a réalisé, en partenariat avec le groupe émirati EL GHORAIR, des silos de stockage de blés avec un système d’aspiration directe des grains des bateaux. La douane ne pouvait contrôler les quantités.

Du temps de Said Barkat, alors ministre de l’Agriculture, et originaire comme lui de Biskra, il a bénéficié de subventions pour planter des palmiers (700 milliards de centimes pour 200.000 palmiers). Les dattes produites aujourd’hui sont en partie exportées vers la Tunisie et la France. Il aurait bénéficié de plusieurs lots de terrain pour la promotion immobilière dans les wilayas de Blida, Tipaza et d’Alger, et a bénéficié d’un autre lot de 75.000 m2 à la ZET octroyé par Wahid Temmar, wali de Mostaganem (aujourd’hui condamné) pour un projet touristique non réalisé à ce jour. Un autre lot à Tipaza de 80.000 m2 au bord de la mer pour un autre projet touristique non réalisés à ce jour, crédit débloqué et consommé ailleurs. Il a bénéficié de 1000 milliards pour le projet de l’hôtel de Biskra et 800 milliards pour les autres projets de la part du CPA et BNA.

Il dispose enfin d’un jet privé et d’un yacht amarré à Sidi Fredj, interdit de naviguer depuis le mois de mars 2019.

Pour se racheter une virginité et effacer les traces de ses origines (oligarchie prédatrice), il s’est mêlé aux marches du Hirak lors de la 4e semaine (après le 22 février 2019) caché sous une casquette et des lunettes noires pour ne pas être reconnu, ceci pour prendre quelques photos et les poster sur Facebook.

Ayant affiché depuis toujours le programme d’une bourgeoisie par essence vorace et insatiable, Sami Agli veut dans le fond, tirer profit du choc sanitaire conjugué au choc des marchés pétroliers que subit le pays pour ne réserver les ressources de l’Etat qu’au seul secteur privé, et notamment celui fondé sur les importations, la mobilisation de l’argent des banques publiques et les commandes - en réalité des faveurs faut-il dire - publiques … Il a toujours plaidé comme il l’affirme pour « plus d’ouverture du marché, sans laquelle on ne peut prétendre à un développement économique ».

Son parcours comme la nature des affaires qu’il gère sont là pour nous révéler au moins deux choses :

1. la proximité forte du régime actuel avec les représentants d’un secteur privé foncièrement prédateur ;

et 2, la nature du « modèle » économique auquel se réfère le président du Forum des patrons. Ce modèle se résume, si l’on s’en tient à son portefeuille d’affaires, dans l’hôtellerie, l’industrie de transformation de matières premières importées, l’exportation de produits agricoles sur les marchés, produits agricoles exigeants en ressources naturelles rares comme l’eau, souvent subventionnées à l’exemple de l’énergie, sinon gratuites, des concessions foncières illustrant cette politique de générosité de l’Etat envers une petite caste de rentiers prédateurs, toujours active et influente dans la vie politique de notre pays.

Sid Ali