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Guerres, ingérences impérialistes et évolution interne dangereuse*
jeudi 1er octobre 2015, par
L’évolution de la situation politique et économique interne de l’Algérie ne peut être dissociée des contradictions de son contexte international. Ce contexte évolue dangereusement du fait d’une agressivité croissante des Etats impérialistes occidentaux qui cherchent à placer la moindre partie du globe sous leur hégémonie totale. Le monde se rapproche conflit après conflit du point où une conflagration à grande échelle devient inévitable. Les Etats impérialistes travaillent à satisfaire les intérêts de leurs bourgeoisies oligarchiques. C’est une évidence dont il faut tirer toutes les conclusions politiques qui en découlent.
D’énormes capitaux sont accumulés par l’exploitation des travailleurs à l’intérieur des frontières des pays dominants comme à l’extérieur où les délocalisations rapportent de très gros profits grâce aux bas salaires et aux conditions fiscales très avantageuses octroyées aux multinationales. Les politiques suivies par les Etats impérialistes visent à mobiliser à l’échelle mondiale tous les moyens pour surmonter les difficultés rencontrées à investir cet immense masse de capitaux à des conditions qui continuent à procurer toujours plus de surprofits de monopole.
On ne peut comprendre l’agressivité des Etats impérialistes, la multiplication des foyers de guerre, si l’on perd de vue ce mouvement de capitaux monopolistes cherchant à étendre sans limite leur champ d’action. La concurrence économique capitaliste dégénère nécessairement en guerre à un moment donné. Seuls des esprits intoxiqués par la propagande sur les prétendus bienfaits que devait apporter la fin de la “guerre froide” ont pu croire à un monde qui allait être débarrassé des risques de guerres après la disparition du camp socialiste, lequel était par essence pacifique.
Les conséquences à l’échelle mondiale de la victoire de la contre-révolution en URSS
Animée par les partisans de la restauration des privilèges bourgeois en URSS et dans le camp socialiste, elle a ramené brutalement l’humanité en arrière. Les tendances ethnicistes chauvines belliqueuses réprimées du temps de l’URSS - ou en Yougoslavie - ont été attisées par les USA et l’Europe pour favoriser l’éclatement de l’URSS et en finir avec le socialisme. Secondée par les USA, l’Union européenne a ensuite mis à feu et à sang la Yougoslavie. Elle l’a morcelée pour se débarrasser d’un pays formant un obstacle à la réalisation des desseins expansionnistes vers la Russie. Les USA réussirent à créer une grande base militaire au Kosovo qui leur donne un pouvoir de surveillance des voies d’approvisionnement de ses concurrents et "amis" européens en pétrole et en gaz. Le peuple ukrainien subit à son tour les conséquences de cet appétit insatiable vers l’est. Les forces de l’OTAN sont aux portes de la Russie.
Israël peut périodiquement massacrer en toute impunité les Palestiniens sans plus avoir besoin de s’abriter fallacieusement derrière d’imaginaires plans d’invasion arabes.
Deux guerres menées par les USA ont provoqué la mort de plus d’un million d’hommes, de femmes et d’enfants et semé le chaos en Irak.
La Libye a été désintégrée par l’intervention militaire de la France, de la Grande-Bretagne, des USA, main dans la main avec le Qatar.
La Syrie est martyrisée par les ingérences de ces mêmes puissances alliées aux monarchies du Golfe, de la Turquie, par le soutien militaire, financier et politique apporté au soulèvement armé des franges politiques les plus rétrogrades de ce pays.
Tous sont obsédés par le contrôle des routes de la rente pétrolière, par sa redistribution sous forme de juteux dividendes à leurs oligarques.
Une bonne partie de l’Afrique est le théâtre d’ingérences répétées et de guerres intestines interminables entretenues par les Etats impérialistes pour maintenir sous leur contrôle les richesses fabuleuses de ce continent, pétrole, gaz, or et diamants, cuivre, coltane, etc. En Asie, les USA harcèlent la Corée du Nord par des manoeuvres militaires navales permanentes.
Dans toutes ses guerres, les USA et l’UE se proclament défenseurs de la "Liberté" et des “Droits de l’Homme” en tous lieux pour justifier leurs opérations criminelles dévastatrices. Ex-berceau des Lumières, la France des oligarchies capitalistes joue elle aussi le rôle de bouclier des régimes les plus rétrogrades du monde. Sa joie est sans borne d’avoir procuré à ses fabricants d’armes d’immenses profits par la vente des avions “Rafales” à l’un de ces Etats, l’Arabie Saoudite monarcho-théocratique, championne des lapidations et des décapitations publiques. Ce même régime moyenâgeux prend la tête, pour le compte des USA, d’une coalition qui bombarde en toute impunité le Yémen. Mission : installer un garde-chiourme chargé de la sécurité des voies maritimes pétrolières.
En Amérique latine, la France, les USA, l’Angleterre, et le reste des pays capitalistes qui leur ont confié la conduite du monde, soutiennent en permanence les opérations de déstabilisation des institutions démocratiquement élues du Venezuela. La 4ème flotte US pointe ses canons sur les rives de ce pays. Les agents de la CIA tentent d’y créer le chaos. De quel crime sont accusés les dirigeants de ce pays qui n’ont pourtant mis en application aucune mesure économique à caractère socialiste qui aurait justifié leur rage ? Ils ont mis les revenus pétroliers au service du peuple et refusé le diktat des USA chez eux et dans le monde.
Peu à peu une bonne partie du monde se trouve entraînée dans la guerre. Rien ne dit que les zones en feu ne vont pas s’étendre. Tout indique que pour l’impérialisme US l’ennemi numéro 1 est la Russie qu’il faut encercler de toutes parts avant de s’abattre sur elle pour la dépecer. La Russie n’est pas socialiste et Poutine n’a pas l’intention de restaurer le socialisme. Mais les changements survenus sous sa direction ont fait échouer les plans élaborés du temps d’Eltsine. Les oligarques qui l’ont investi de leur confiance ne veulent plus se laisser dépouiller par leurs anciens compères US et allemands, sans le soutien desquels ils n’auraient jamais pu s’approprier frauduleusement les richesses produites par les travailleurs du temps de l’URSS. Les oligarques de ces deux puissances se voyaient déjà en train de se partager les meilleurs morceaux de l’Union Soviétique. Elles n’entendent nullement renoncer au butin qui les fait abondamment saliver. L’objectif commun des oligarques US, allemands, anglais, français est de faire main basse sur les richesses de la Russie. Celui des USA, résumé par un texte du Conseil National de Sécurité du début des années 1990, est aussi de ne permettre à aucune nation d’ébranler leur suprématie absolue.
La tactique adoptée par les USA et ses alliés, dans la perspective d’une “guerrilla” de longue haleine avant l’assaut final espéré, est d’encercler la Russie, enrégimenter contre elle un maximum et un large spectre de forces, à qui des parts sont promises dans le partage en vue. Cela va des forces de l’extrême-droite, des nazis, à la sociale-démocratie impérialiste en passant par la droite classique de tous les pays. Cela inclut il va de soi tous les courants qui se rattachent à une conception rétrograde de l’Islam. Les rivalités entre blocs de pays impérialistes, ajoutées au processus de mobilisation générale contre la Russie, la transformation inévitable de celle-ci en puissance impérialiste en raison du caractère capitaliste de son système économique, dégénèreront en nouvelle et dernière guerre mondiale, si le régime capitaliste n’est pas aboli à temps par le mouvement ouvrier et populaire international.
Quel impact de cette évolution dangereuse sur l’Algérie ?
Les contradictions dans la société et le régime reflètent à la fois l’impact des rivalités impérialistes externes et les connexions qui se sont établies ou renforcées entre les capitalistes étrangers et divers secteurs de la bourgeoisie et des franges réactionnaires de la petite-bourgeoisie algérienne.
Il est clair que les pays impérialistes sont à la fois unis par des objectifs communs et divisés par les rivalités pour le contrôle de sphères d’influence exclusives. Ils poursuivent plusieurs buts à la fois pour satisfaire la soif de profits et de domination de leurs oligarchies capitalistes. Américains, Français, Allemands, Anglais, etc., tous coordonnent leur action pour s’emparer un jour des hydrocarbures de l’Algérie, si le peuple se laisse soumettre à leur implacable diktat, pour faire tomber les dernières barrières qui entravent la liberté totale de leurs capitaux et profits, sans souci pour la sécurité même des classes dominantes internes et des dirigeants qui les servent.
Tous manoeuvrent pour transformer le pays en gendarme de leurs intérêts en Afrique, en détachement de leurs forces agressives dans le monde, dans le cadre de leur stratégie d’achat du maximum de pays vassalisés pour mener les guerres engagées et les conflits futurs programmés.
Les USA sont particulièrement actifs. L’Union européenne aussi. Mais chacune des forces impérialistes en concurrence contre les autres joue son propre jeu pour remporter la plus grande part du gâteau.
Au plan interne, la défense du capitalisme, la constitution de puissants groupes sociaux bourgeois - import, commerce de gros, industrie, foncier et immobilier - la recherche de garanties empêchant tout retour vers un système anti-capitaliste, forment la base socio-économique sur laquelle se créent des alliances, des allégeances internes et externes. Chaque bloc impérialiste a enrôlé et enrôle des hommes pour servir ses intérêts. Les hommes de main sont disséminés partout, dans les appareils d’Etat, les partis d’opposition, les associations, la presse. Les promoteurs de germes séparatistes sont encouragés en sous-main, pour l’instant. On a vu des ambassadeurs des Etats impérialistes rendre visite à des journaux à grand tirage, des représentants de partis d’opposition fréquenter l’ambassade des USA pour se plaindre des gouvernants, solliciter son appui dans la course au pouvoir.
La question des “Droits de l’Homme” est agitée périodiquement. Pas besoin d’être fin analyste pour comprendre que le but réel de l’opération est évidemment de mettre le régime sur la défensive de manière à le pousser à faire de nouvelles concessions aux multinationales avec plus de célérité. La résolution adoptée le 30 avril dernier par une trentaine de députés du parlement européen sous le paravent de la condamnation de l’arrestation de chômeurs du sud s’inscrit dans ce sens. Le gouvernement a vivement réagi contre les termes de cette résolution. Le contenu de sa réaction est révélateur de ses tendances de classe. Il ne s’élève pas contre le principe de l’ingérence. Il ne dénie pas à l’UE le droit de dicter à l’Algérie des orientations vers plus de libéralisation. Il lui demande simplement, en contre-partie de la protection qu’il assure à l’Europe contre les risques de contagion terroriste, de faire preuve de compréhension en lui permettant d’aller sur le plan politique vers les “standards démocratiques” au rythme et selon les “réalités internes” de l’Algérie. La signature en 2002 de l’accord d’association avec l’Union européenne avait été un coup mortel pour le processus d’indépendance économique réelle du pays. Il est clair qu’elle a résulté des calculs de classe d’un pouvoir désirant manifester sa volonté de maintenir le pays dans la voie capitaliste, au prix du renoncement à toute velléité de développement souverain.
En retour il obtient l’appui des Etats impérialistes face à ses difficultés internes et au mécontentement populaire. Sur toutes les questions internationales, coopération avec l’OTAN, appartenance au groupe euro-méditerranéen des “5+5”, arbitrage des conflits régionaux, prêt de 5 milliards de dollars au FMI (!), les démarches du régime portent l’empreinte de ces choix de classe. Il ne s’agit pas seulement de gagner le soutien des puissances impérialistes à un groupe politique particulier au pouvoir. Il s’agit d’établir des liens qui consolident les assises économiques de la bourgeoisie et des couches privilégiées dans leur ensemble afin d’étouffer dans l’oeuf tout changement anticapitaliste auquel le mouvement populaire pourrait conduire en situation de grave crise économique et politique.
Il y a une telle interpénétration des intérêts entre le capital local et le capital étranger que c’est faire preuve d’une très grande naïveté politique, que de croire que le régime, ou une hypothétique aile de la bourgeoisie puérilement qualifiée de “patriotique”, peuvent défendre la souveraineté nationale. C’est ne pas comprendre les lois de la lutte et des intérêts de classe. La contradiction fondamentale est l’antagonisme qui oppose exploiteurs et exploités de façon irréductible. Ces lois font que les classes exploiteuses, les aspirants à l’ascension dans la pyramide sociale, leurs représentants politiques n’ont pas de patrie. Leur hantise est de voir les masses laborieuses s’en prendre aux richesses qu’elles ont amassées par le pillage et le vol des biens de la nation, par l’exploitation de la classe ouvrière. Ils font bloc pour endiguer tout mouvement populaire à essence anti-capitaliste. La “souveraineté” qu’ils défendent est celle que leur pouvoir détient sur un territoire. Ce pouvoir territorial “Algérie” leur donne les moyens de marchander, habilement ou durement, selon les circonstances, avec les plus puissants qu’eux des parts de la redistribution du fruit de l’exploitation des travailleurs, de la répartition de la rente pétrolière.
Les oligarchies des pays impérialistes exercent des pressions constantes pour obtenir toujours plus d’avantages. Peu leur importe qu’elles poussent leurs alliés internes à affronter leurs peuples dans des conflits qui peuvent se terminer par leur renversement violent. Des remplaçants plus zélés sont disponibles. Les surenchères entre régime en place et opposition de droite ou de fausse gauche sont “normales” dans tout pays gouverné par la concurrence politique entre défenseurs du capitalisme, plus ou moins habiles dans l’art de faire passer leur cause de classe pour la défense des intérêts suprêmes du pays. Dans les pays économiquement dominés, ces surenchères sont exploitées par les régimes impérialistes pour obtenir le maximum de faveurs des divers concurrents engagés dans des compétitions acharnées.
Benflis, Benbitour, Djaballah et Cie peuvent clamer leur colère contre le "système", ils ne représentent aucune menace pour elles. Ce que les Etats impérialistes attendent d’eux est de montrer qu’ils sont autant capables que le pouvoir de mobiliser et de tromper pour consolider les "acquis" du capitalisme et aller de l’avant. Il est devenu quasiment impossible pour les représentants de la bourgeoisie, en Algérie ou dans les parties dominées de la méditerranée, de désigner leurs candidats au sommet de l’Etat sans le “quitus” des USA et de la France. Rivales aussi, chacune des deux cherche à favoriser son poulain. Si l’on perd de vue cette réalité on ne peut comprendre les difficultés des cercles qui dirigent le pays à laisser Bouteflika prendre sa retraite au profit d’un remplaçant agréé en même temps par les deux impérialismes les plus influents en Afrique du Nord. D’où l’impasse actuelle, y compris pour les partisans impatients de réaliser les nouvelles “réformes” réclamées par le Capital. La source du problème de succession n’est pas seulement interne. Elle est aussi et surtout externe.
Les Etats impérialistes ont plusieurs fers au feu
Ils jouent aussi bien la carte des “démocrates” - qui ne méritent à leurs yeux ce qualificatif que s’ils font la preuve de leur adhésion effective aux règles du capitalisme sans entrave- que la carte “islamiste”. Le gros de la réaction obscurantiste camouflée sous le drapeau de l’Islam a changé tactiquement sa sémantique politique. Il intensifie son travail idéologique pour tenter de cueillir un jour le fruit de ses actions de tromperie. Son travail idéologique épaule les actions armées des groupes “islamistes”. Il lui fournit sans cesse de nouvelles recrues revigorées par des actions criminelles telles que celle de AÏn Defla. Il n’est plus question pour les “légaux” de qualifier publiquement la démocratie de “kofr”. S’inspirant de la rhétorique “démocratique” de leurs acolytes de Benghazi et de Syrie, ils marchent derrière la banderole de la défense des “droits de l’Homme”. Ils vont jusqu’à utiliser les lois des pays occidentaux pour réclamer que les généraux qui les ont implacablement combattus soient présentés devant un "tribunal pénal international", un organe qu’il faut qualifier plutôt de tribunal punitif de l’impérialisme. L’affaire Nezzar, celle de Tibhirine, périodiquement brandie, celles des deux frères de Nîmes poursuivis devant la justice française sur plainte d’un intégriste pour avoir héroïquement affronté à Relizane, les armes à la main, les assassins du FIS, toutes ces affaires visent plusieurs buts.
Il s’agit pour les Etats impérialistes de faire trembler de peur les hommes du régime qui hésiteraient à donner complète et rapide satisfaction à leurs exigences économiques et politiques. Il s’agit d’indiquer aux “opposants” sponsorisés ce qu’ils sont autorisés à faire et ce qu’il leur est interdit de faire en cas d’accès au pouvoir d’Etat. Il s’agit enfin d’avertir les forces populaires de progrès qu’ils ne leur permettront pas de contrecarrer leurs intérêts.
Les islamistes armés ou “légaux” jouent de leur côté sur ces tiraillements dans l’espoir de pouvoir élargir leur marge légale de manoeuvre et exhiber de nouveau leurs muscles sur les places publiques. Tout comme les Etats impérialistes et les opposants de droite au régime, les “islamistes” croient que les difficultés économiques et sociales entraînées par la chute des recettes pétrolières et gazières leur ouvriront bientôt un nouveau boulevard.
Face à une situation pleine de nouveaux périls pour les masses populaires, la seule voie à suivre est celles des luttes pour forger dans l’action les instruments de leur émancipation : des syndicats de classe, un mouvement populaire uni et organisé, le parti d’avant-garde, ferment de toutes ces luttes pour créer les conditions de la perspective socialiste, dans la solidarité internationale avec les travailleurs et les peuples en lutte contre leurs exploiteurs et oppresseurs.
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Zoheir BESSA
Alger républicain
Août 2015
*Article publié dans le numéro de juillet-août 2015 d’Alger républicain